10 janvier 2019
Parfois la désobéissance peut sauver de l’indignité. Je crois même qu’à chaque fois que j’ai désobéi à une injonction c’est que celle ci entamait mon intégrité. Je ne parle pas de sevrage bien sur, ni de savoir patienter pour mieux désirer. Non ce n’est pas cela, je sais obéir quand il s’agit de calmer mes pulsions meurtrières ou ne pas me jeter sur la première jolie femme passant à ma portée pour l’assaillir de caresses et d’attouchements.
La désobéissance advient lorsque l’on touche à une partie précieuse de mon être, ma liberté notamment, toucher à celle-ci c’est insulter mon intelligence. Bien sur cette liberté n’est pas le droit que je m’octroierais de tout faire n’importe comment. Non, il faudrait vraiment que je devienne désespéré pour agir de la sorte, et encore, me connaissant assez bien désormais je dirigerais plutôt cette violence envers moi-même plutôt que de la reporter sur une ou un autre.
Dans cette agitation magistrale que l’on voit s’élever un peu partout dans le monde et qui manifeste en fait un ras le bol de notre mode de vie, l’intelligence et l’art ont leur rôle à jouer.
L’artiste se doit de désobéir à tous les poncifs qui entament sa liberté de créer naturelle. Et parfois si ses œuvres manifestent de la violence, de la cruauté et provoquent un malaise chez le spectateur c’est qu’elles touchent justement à des frontières fragiles entre bienséance et sauvagerie.
Or nous voici parvenus dans un univers artistique qui raconte cela la plupart du temps du bout des lèvres comme pour dire regardez je suis un artiste je sais tout cela mais je vais le dire de façon à ne pas trop vous déranger.
A quoi cela sert il en 2019 de peindre de jolis paysages, de jolies fleurs, de beaux portraits, face à un monde qui s’enfonce de plus en plus dans la barbarie. Nous voici pris entre deux types de barbaries d’ailleurs et c’est bien pour cela que la peur devient de plus en plus prégnante.
La barbarie habituelle qui existe depuis le fond des ages, ou il s’agit de tuer, de piller, de violer invoquant je ne sais quel prétexte de race, de religion, et je ne sais quoi encore indique surtout qu’il faut un prétexte pour la laisser se déployer à sa guise. Le prétexte validerait la violence. Mais c’est complètement faux , la violence est souvent sans raison, c’est même dirais je ce qui la caractérise le plus.
On assiste désormais à une nouvelle forme de barbarie, plus vicieuse, plus intelligente, si je puis dire c’est la barbarie économique qui pour accomplir le bien être d’une poignée de nantis est capable de détruire des pays entiers, de détruire des écosystèmes antédiluviens, saccageant tout sur son passage aussi surement qu’un Attila d’antan qui comme chacun le sait une fois le sabot de son cheval ayant foulé un sol aucune herbe ne pouvait y repousser.
La violence depuis toujours serait donc l’état naturelle de l’homme et dans ce cas seuls les plus puissants se seraient transmis ce secret de pères en fils comme une caste jalouse de ne pas partager ses privilèges.
Hier aux informations télévisées j’apprends que 27 personnes seulement détiennent autant de richesses que la moitié de l’humanité alors que l’année précédente elles étaient 50. Imaginez vous les querelles de palais qui se jouent même au plus haut niveau de la hiérarchie du pouvoir..Même eux, et peut-être surtout eux ne sont pas épargnés par cette violence consubstantielle, d’autant qu’ils en connaissent parfaitement l’existence comme les tenants et aboutissants.
Le sage s’en fout qui profite de l’instant c’est vrai. Le problème réside dans cette sagesse qui s’oppose passivement à cette violence. Gandhi a fait beaucoup pour la non violence dans un pays ou la violence est magistrale. Et pour finir il en est mort, assassiné.
Martin Luther King a fait beaucoup pour que les hommes noirs soient reconnus autrement que comme des bêtes et dans une grande mesure il a réussi. Puis il est mort assassiné.
Je ne parle pas de Jésus Christ et pourtant il y aurait aussi à dire car c’est bien toujours le même parcours qui s’effectue d’une voix qui s’élève plus haut et plus fort dans le désert de notre torpeur qui touche nos cœurs, les éveille un instant, puis s’évanouit balayée par le drame.
Les irlandais ont voulu avoir des couilles pour lutter contre l’oppression britannique, ils ont voulu reprendre le flambeau des antiques batailles qui ne souciaient pas de sagesse mais de force et de courage. Et tout cela en vain également.
Qu’est ce qui peut faire bouger les mentalités pour que tout cela cesse ?
L’aventure des gilets jaunes était porteuse d’un espoir se rapprochant de cette volonté que cela cesse et l’on voit bien la difficulté au sein même du mouvement concernant la manière d’agir. C’est ce doute qu’auront relevé les observateurs, les médias toujours à l’affût des failles, et bien sur le gouvernement.
Cette hésitation naturelle entre dialogue et saccage, c’est la même hésitation que tous les braves gens entretiennent quand l’injustice devient vraiment évidente. L’éducation et les valeurs d’une soi disant République incitent à la réflexion et à la mesure afin de protéger ce que celle ci nomme encore » nos valeurs » . Mais quelqu’un qui a faim et qui doit nourrir ses enfants se soucie t’il vraiment encore de valeurs vraiment ? C’est qu’il faut une sacrée dose de courage et surtout de bêtise pour continuer à respecter les feux rouges quand derrière soi un tsunami rugit.
Nous sommes dans une salle de cinéma et l’incendie vient de se déclarer, notre monde brûle et se déchire sous la montée des tyrannies et des dictatures d’une poignée de cyniques qui eux ne sont pas dans la salle.
Ils regardent les bras croisés comment nous allons nous en sortir sachant que de toutes manières que nous soyons paniqués ou calmes ils en tireront encore les marrons du feu.
Que nous soyons violents dans notre volonté de survie, ils appelleront la troupe pour nous contenir dans le sang et les larmes.
Que nous soyons pacifiques ils pondront de nouveaux décrets pour nous inciter à croire qu’ils nous ont compris mais il n’en sera rien la vie continuera comme avant soyez en certains.
Comme la violence est sans raison le pouvoir est sans scrupule et fera tout pour rester en place. Quelque soit ce pouvoir.
J’en appelle à toutes les bonnes volontés, aux artistes surtout qui ont l’habitude de vivre le risque et de risquer leur vies afin de proclamer la désobéissance générale.
J’en appelle à tous les artistes du monde pour poser leurs œuvres en intermédiaire entre le monde et eux et que le thème soit leur désobéissance, et la notre.
Pour continuer
Carnets | janvier
29 janvier 2019
Ma belle petite-fille parle parfois dans une langue à elle, faite de raccourcis, de sons avalés, de mots qui glissent. Moi, je suis devenu dur de la feuille. Je m’en aperçois à la fatigue que ça met dans les conversations : je fais répéter, je colle mon visage au visage de l’autre, je lis les bouches, je remplis les trous. Avant, je faisais semblant de comprendre. Par timidité, par pudeur, par gêne d’être repéré. Aujourd’hui je ne joue plus. Je demande. Je fais répéter. J’assume l’onde brouillée qui me reste et, avec ça, j’évite les malentendus. Elle est venue en vacances. À l’heure du goûter, elle m’a regardé droit, a pointé le frigo et a dit quelque chose comme « ahcheveux ». J’ai d’abord cru à une fantaisie de plus. Je me suis approché, j’ai dit « quoi ? », elle a répété, même son, même assurance. Alors j’ai ouvert le frigo. Son doigt est allé tout de suite vers un yaourt. « Ah je veux », j’ai compris. On a ri. Ou plutôt j’ai ri intérieurement, elle, déjà passée à autre chose. Je n’ai rien raconté ensuite. Pas à sa mère, pas à son père, pas à ma femme. Je gardais la scène pour nous deux, comme on garde un caillou dans une poche. Ce matin, mon café à la main, je pesais encore ces deux mots qui me reviennent souvent : achevé, inachevé. Deux plateaux sur la table, comme si la journée devait choisir entre finir et laisser ouvert. Et voilà que « ah je veux » s’est collé à « achevé ». Vouloir, achever : la même poussée. Achever, c’est finir, oui. Mais c’est aussi porter le coup de trop, celui qui met définitivement à terre ce qui respirait encore. Cette proximité me gêne. Elle éclaire peut-être ma manière de peindre. Je laisse tant de toiles à demi levées, des pans entiers en suspens, non par paresse mais par refus de la mise à mort de l’idée. Ne pas fermer trop tôt. Ne pas tuer ce qui bouge encore. Garder à l’œuvre une chance de continuer sans moi, et à moi la possibilité d’y revenir sans devoir l’achever. C’est un pacte de survie, à deux : la toile et celui qui la regarde. Si je n’avais pas fait répéter l’enfant, l’autre jour, j’aurais pu entendre « un cheveux », hausser les épaules, repartir à l’atelier et laisser passer la scène. Là, je l’ai attrapée. Non pas malgré mon oreille, mais à cause d’elle.|couper{180}
Carnets | janvier
26 janvier 2019
C’était une petite forme noire qui sautillait sur la neige, rien de plus. L’enfant a pris un caillou, l’a glissé dans l’élastique, a pincé le cuir entre le pouce et l’index, a tendu, puis a lâché. Il savait que ça pouvait rater, comme d’habitude. Cette fois, ça a touché. L’oiseau a eu un bref déséquilibre, une aile à peine ouverte, puis il s’est couché sur le côté. Le gamin s’est approché avec le sourire qu’on a devant une réussite sans importance. Il s’attendait à voir l’animal repartir au dernier moment, comme si tout ça n’avait été qu’un jeu. Mais rien n’a bougé. Alors il a compris, d’un coup, qu’il avait tué un oiseau. Le premier. Il est resté là une seconde, juste à regarder. « Donc le hasard peut faire ça aussi », a-t-il pensé, sans phrases complètes. Il a ramassé le corps tiède et léger, l’a lancé par-dessus la haie, et il a décidé de ne plus y revenir. Le reste de la journée s’est mal tenu. Il n’avait pas voulu tuer, pas vraiment. Ce qui lui faisait peur, ce n’était pas seulement l’oiseau mort, mais le fait que sa main avait agi avant lui. Il y avait dans la tête une gêne continue, comme un bruit de fond qu’on n’arrive pas à baisser. Tout ce qu’il faisait passait par cette gêne. Le jardin, la maison, les gestes ordinaires paraissaient déplacés, comme si le décor appartenait désormais à quelqu’un d’autre. Il n’a rien dit. Il sentait confusément que les mots n’aideraient pas, qu’ils rendraient la chose plus réelle encore. Le soir, son père est rentré, il l’a embrassé. Après le repas, la télévision parlait d’une guerre lointaine. Les images défilaient, les voix aussi, et les parents s’enfonçaient dans le sommeil, chacun sur son canapé. L’enfant caressait le chien sans y penser. La mère s’est réveillée, a dit d’aller au lit, demain il y avait école. Dans sa chambre, il a allumé sa lampe torche et a repris le livre qu’il aimait. Les phrases glissaient. Il lisait, mais rien n’entrait. Il a éteint. Dans le noir, l’oiseau est revenu une fois, très net, puis il s’est endormi.|couper{180}
Carnets | janvier
Mensonge et vérité, les outils de l’art
Le mensonge et la vérité ne sont pas pour moi des idées générales : ce sont des outils de travail, des forces qui se disputent chaque toile, chaque phrase. Je ne sais pas ce qu’est une vérité si je ne la vois pas d’abord se déguiser, se déplacer, me tromper. Je peins, j’écris, et je m’aperçois que ce que j’appelais sincérité, au début, était souvent une pose involontaire : une manière de tenir le monde à distance en me racontant que je l’attrapais. Il m’a fallu passer par des images fausses — fausses non parce qu’elles mentent au réel, mais parce qu’elles m’épargnaient — pour comprendre peu à peu ce que je cherchais. Je ne crois pas à une vérité commune où l’on se retrouverait tous, comme à une place centrale. Ce rêve-là ressemble à d’autres rêves consolants : un paradis d’origine, un retour garanti, une phrase qui ferait accord. La vérité, en revanche, est morcelée, locale, liée à un corps et à son rythme ; elle change dès que je change. Et elle se cache sous des mensonges très simples : les premiers, ceux de l’enfance, qu’on oublie de ranger en lieu sûr ; puis ceux de l’âge adulte, plus raffinés, plus honnêtes en apparence, qui vous laissent vivre sans trop d’inquiétude. On s’y habitue. On les confond avec soi. Jusqu’au moment où ça craque : une toile qu’on n’arrive plus à finir, une phrase qui sonne creux, un regard qui ne répond plus. Là, quelque chose tombe. On reste avec ce qui ne s’explique pas. À la fin il ne reste pas une morale, ni un système, mais un silence net, sans adjectif, parce qu’il est déjà tout ce qu’il faut pour dire ce qui a été vrai et ce qui a menti.|couper{180}