Le vent d’abord : remue-cimes, descente sur la plaine sans prévenir, rase-herbes, poussière levée des chemins, poussée dans le dos quand la marche traîne. Ma vie sur ce mouvement, tant qu’il tient. Voyages comme fabrication d’un pays de poche ; gares à l’aube avec odeur de métal froid, cafés où rester debout faute de mieux, chambres à fenêtre entrouverte pour laisser entrer la rumeur d’une nationale ou le cliquetis d’un portail. Visages cherchés, non pour les garder, pour inventer le tien. Toi une fois sur un quai de campagne, sac trop lourd à l’épaule, main levée — sans qu’on sache si c’était un salut ou un appel ; derrière toi, un vélo renversé contre un banc, et ce geste dans l’air depuis, rouvert par le souffle. Le vent sans objectif, pas sans humeur : rafales qui te font plisser les yeux, accalmie au détour d’un fossé, reprise brute, porte qui claque. Écoute de son silence, réponse par épaississement muet. Pluie sur les pavés, tambour sec ; oiseaux à l’aube, trois cris pour rien, pour tout ; jour levé à nouveau, présence à chaque reprise. Recommencements sur la pointe des choses : fin d’été dans l’odeur de grain chaud, rire d’enfant derrière une haie, tes cheveux soulevés, qui retombent sur ta nuque. Bravo, encore — salut à ce qui se relève. Puis chute du vent, soudaine : l’air se vide, les feuilles sont immobiles, la phrase est en suspens. À l’arrêt, les mains inutiles. Sur la table, une enveloppe ouverte depuis la veille, ton prénom en haut à gauche, et soudain plus de voix derrière. Le bourdonnement du frigo, seul. Un moment trop long. Plus de désir net, oubli en place. Applaudissements quand même, une autre fois, encore ; reprise un peu honteuse. Retour du vent, ébouriffement des blés, enfants dans l’emmêlement de leurs cheveux, vieux avec ce duvet clair du temps sur la peau. Tout sur ce souffle : parfois large, parfois coupant ; marche dedans tant qu’il passe.
illustration bricolage numérique 2019