Rien que le vent : il prend les cimes, les tord, les vide, redescend en nappes sur la plaine, rase l’herbe comme une main distraite, puis revient, sans objectif, sans forme fixe, avec cette obstination de chose vivante qui n’a pas de visage. Je lui ai donné ma vie, ou peut-être est-ce lui qui m’a pris : un état de veille flottante, un pays inventé à force de déplacements, un autre pays que j’ai tenté de lire dans les yeux des gens, et qui se défaisait dès que je croyais l’atteindre. Le vent ne promet rien, il n’explique pas ; il passe, il insiste, il recommence. Il est l’allié du silence, celui qui répond au silence par une épaisseur supplémentaire, par une pression dans les oreilles, par une vibration dans les vitres. Alors j’écoute : la pluie qui frappe les pavés jusqu’à les faire sonner comme une monnaie pauvre, les oiseaux qui crient avant le jour, non pour annoncer l’aube mais pour vérifier qu’elle existe encore. Chaque fois je recommence le monde dans ma tête, et chaque fois je me présente à son enterrement, à l’heure, comme on va à un rendez-vous qu’on ne croit pas pouvoir éviter. Et je me surprends à applaudir, non par joie mais par réflexe, comme si tout cela n’était qu’une représentation qui exige sa relance : encore, vas-y, refais. Le vent traverse les champs chauffés, soulève la poussière des blés, s’accroche un instant à tes cheveux, y fait un désordre d’enfance, puis il lâche. Un trou net s’ouvre, tout retombe, je reste sans savoir ce qui vient après, et le monde se tait d’un seul coup, avec sa facilité de monde qu’on oublie. Alors, dans cette stupeur, je bats des mains encore une fois, presque contre moi-même, et le souffle revient. Le vent repart. Le silence aussi. Et je repars avec eux, sans autre fil que cette reprise infinie.