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Carnets | septembre 2021

Tirer parti des catastrophes.

Je crois que le travail de réflexion a commencé à partir du mois de juin 2020, la réflexion sur cette exposition, « Voyage intérieur ». C'est-à-dire le mûrissement de cette idée, l'accumulation de données, le tri, les sélections, bref tout ce qui est nécessaire pour mener à bien une exposition qui, dans mon esprit, devait ressembler un peu à une rétrospective de mon travail sur 3 ou 4 années autour de ce thème. Dans mon esprit j'avais la surface, l'espace pour déployer ce travail puisque le Centre Culturel possède un vaste hall et plusieurs salles de réunions utilisées pour l'exposition annuelle « Vues d'artistes » que j'ai eu l'honneur de conduire à la fin du mois d'août de cette même année. Dans mon esprit et tacitement je pensais pouvoir bénéficier de tout cet espace. Mais voilà, finalement ce n'est pas du tout le cas. En arrivant hier matin avec ma voiture pleine, quelle déception d'apprendre que je ne pourrais pas utiliser les salles de réunion, celles-ci étant fermées au public en dehors de l'événement « Vues d'artistes ». Catastrophe ! Tout mon plan d'exposition tombe à l'eau. La première réaction bien sûr est la panique, puis la colère, la déception. Comment refaire tout le plan de l'exposition en supprimant tellement de toiles en quelques heures à peine ? Pour les grands formats c'est assez simple, mais pour les formats moyens, les plus petits nécessaires à la compréhension de ce Voyage, il faudra les laisser emballés dans les sacs. De plus, difficulté supplémentaire, les cimaises que l'on me prête sont en nombre réduit et ne possèdent qu'un seul crochet, il n'y a pas de rabe. Je réfléchis à toute vitesse mais j'avoue que j'ai plutôt l'impression de mouliner à vide. C'est l'impasse. Heureusement Éric, membre de l'équipe du Centre Culturel, m'accompagne pour accrocher les grands formats, il est le seul habilité à pouvoir manœuvrer la très grande échelle pour atteindre les hauteurs et régler les éclairages. Une histoire d'assurance. Nous commençons donc tout de suite car il ne peut m'allouer que quelques heures, débordé par d'autres tâches à mener à bien parallèlement. En cette rentrée si particulière, le centre est en effervescence. Mon idée est d'aérer, de laisser de l'espace entre les tableaux pour qu'ils ne s'écrasent pas les uns les autres. Les grands formats sont accrochés à midi et le résultat est satisfaisant. Même si je ne peux pas respecter mon plan, ça fonctionne tout de même. Il ne me reste qu'un couloir pour accrocher le reste de ma sélection. Pas de spots, juste un plafonnier. Pas beaucoup de recul donc pour regarder les tableaux. Ce seront donc des moyens et petits formats. Soumis à la contrainte de ne pouvoir installer qu'une seule œuvre par cimaise, je renonce aux 20x20 dont j'avais préparé tout un sac et qui correspondait à une partie importante expliquant mon cheminement dans les gammes de couleurs. Le format le plus petit possible sera donc du 40x40 et le plus grand du 60x80. Je me mets au travail un peu comme un somnambule tant mon esprit est encore attaché à l'idée que je suis en train de vivre une catastrophe. J'en fais part aux différents interlocuteurs que je croise dans le vaste hall en allant fumer de temps à autre pour me calmer… Notamment Véronique la directrice adjointe puis Noël, le directeur à qui j'expose mes doléances. Puis je m'aperçois que c'est ridicule finalement, les choses étant ainsi et ne pouvant être changées, je ne peux donc m'en prendre qu'à moi-même. Pourquoi ai-je considéré comme acquis que j'avais tout cet espace imaginé, pourquoi est-ce que je n'ai pas pris le soin de demander plus de précisions lorsqu'on m'a proposé cette exposition personnelle… Je passe encore ainsi une dizaine de minutes à bien m'auto-flageller. Mais évidemment ça ne sert à rien et l'heure tourne, il faut livrer cette exposition aujourd'hui. Il faut que je me calme ! Finalement c'est une sélection plus resserrée à opérer dans l'immédiat. Quels tableaux sont les plus importants pour moi, non par la taille, par leur esthétique, par leur sujet, mais par rapport à ce parcours. Enfin j'ai trouvé un fil sur lequel tirer. Du coup il suffit de choisir ce tableau particulier qui est souvent logé en tête ou en fin dans une série. Je déballe mes sacs et sélectionne ainsi un seul tableau par série puis remballe le reste encore avec un peu de tristesse et d'amertume. Je devrais plutôt être content car cette expérience, je le sais déjà, est enrichissante. Avec l'expérience on finit par sortir plus vite de l'imaginaire morbide que distille la catastrophe de prime abord. N'est-ce pas encore une occasion de valider ce que je dis à mes élèves, ce que je me dis depuis toujours en peinture : tirer parti des accidents, des maladresses, des catastrophes. Alors quoi ? Et bien je ne l'ai pas volé, on me propose là tout de suite d'appliquer. Et voyez-vous, c'est là, exactement, que la paix se trouve et que la bonne humeur revient. Peu importe que cette exposition soit réussie ou pas, dans le fond, ce que je viens de vérifier sur la vie et moi-même a déjà en quelque sorte toutes les apparences d'un bon point, d'une récompense. Et puis à bien y réfléchir, n'avais-je pas encore beaucoup trop de tableaux dans le coffre de mon véhicule ? Et cette profusion ne noyait-elle pas quelque chose ? Le voyage intérieur continue donc jusque là, et c'est tout en même temps une leçon de peinture qu'une leçon de vie.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Sisemine teekond

Et maintenant l'idée surgit, tout d'abord ridicule évidemment comme souvent. J'ai fait une liste de titres pour mes tableaux, mais le français ne rend pas compte de l'étrangeté de ce voyage. Le français tellement épris de précision et de nuance, le français qui veut tout penser tout savoir... J'ai donc pensé à l'estonien. Déjà parce que je ne parle pas l'estonien. Et que j'imagine ne pas être le seul lorsqu'inscrits sur des cartels les titres apparaitront ainsi dans une phonétique singulière aux visiteurs. Ce voyage intérieur se transforme en Sisemine Teekond d'après le traducteur de Google. Et puis ce n'est pas si ridicule que ça dans le fond , je dois bien cela à mon grand-père parti de là-bas, à ma grand-mère et à ma mère. A toutes ces ombres vacillantes dans les longs jours d'été proches de Thulé où parait-t 'il on récoltait deux fois. Une façon saugrenue de régler des dettes en monnaie de singe j'ai d'abord pensé comme pour me dédouaner en me disant : "tu veux encore une fois de plus faire ton intéressant ?" Une part de moi est estonienne bien que je sois français. C'est ainsi. Maintenant la question se pose... dois je laisser le mot français près du mot estonien sur les cartels ? A mon avis oui ne serait-ce que pour me souvenir de la traduction si par hasard un visiteur me demande ce que ça veut dire. Ou bien justement ça ne veut rien dire du tout c'est simplement dans un but administratif, pour les assurances que l'on doit donner des titres, des dimensions, une technique... J'imagine déjà la tête de la secrétaire de la compagnie d'assurance qui va écrire Sisemond teekond et tous les autres titres en se relisant plusieurs fois pour être sure de ne pas faire d'erreur... Blague à part, en découvrant ces mots je les prononce à haute voix et l'écho que me renvoient les murs de l'atelier me sont familiers sans que je ne comprenne ni pourquoi ni comment. Cela ressemble à de l'italien parfois. Je ne parle pas plus l'italien pourtant. Mais mes premières amours provenaient de Sicile, de Naples, comme si déjà les sonorités avaient touché ce cœur si difficile à écouter sans distraction. Peut-être que si j'avais mieux écouté j'aurais poussé la barque jusqu'à Tallin et au delà, je n'en sais rien...|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Le fragile et le fort

Tu dis c'est fort ou c'est fragile sans connaitre. Tu le dis par reflexe, par habitude, poussé par les on-dit. Tu devrais te taire. Et vivre le silence fracassant qui suit à son début. Qui brise toutes les murailles par sa fréquence assourdissante. Et te laisse là éventré, ébloui, tout en même temps. Enfin prêt à rebattre toutes les cartes et les redistribuer La dernière étape est de repousser la pensée pour laisser le souffle aller. Sans même y penser.|couper{180}

peinture poésie du quotidien

Carnets | septembre 2021

La séduction en peinture

Peindre avec une intention de séduire c’est courant. Le problème c’est qu’on ne sait ce qui séduit vraiment… En tous cas personnellement je n’en sais rien. Un tableau peut tout à coup me séduire et je vois bien que ça s’arrête là, surtout mes propres tableaux. Du coup je les retourne contre le mur. Je ne veux plus les voir une fois ce constat établi. Mais ce constat est tout à fait personnel. Il faut que lorsque je retourne une toile à nouveau que celle-ci me parle d’autre chose… et si elle ne me dit rien, si elle ne me propose que son silence je sais alors que peut-être il se passe vraiment quelque chose d’important. C’est souvent un paradoxe pour moi qui suis un incorrigible bavard. Il me semble nécessaire d’attendre et de réitérer toute l’opération plusieurs fois pour parvenir à saisir que quelque chose, sans doute en dehors de moi, se passe. Tout le doute du peintre à mon sens se constitue sérieusement sur cet unique point.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Chercher et trouver ( notes de préparation pour exposition)

S’il n’y a pas de « petit » lieu pour exposer, il y a certainement plusieurs façons d’attribuer de l’importance à la façon d’accrocher ses œuvres. À un moment donné du parcours, j’avoue que je ne m’en souciais pas. J’enchaînais les expositions, notamment avant la pandémie, et force est de constater, en revenant sur mes souvenirs, que souvent c’était pour moi une sorte de corvée. Ce n’était pas dû aux différents lieux, mais plutôt à une zone de confort dans laquelle je me réfugiais. Car souvent, les œuvres exposées ne me disaient plus rien ; elles dataient de périodes enfouies que j’aurais aimé oublier plus profondément encore. C’est cette zone de confort et ce malaise vis-à-vis de la perception de mon travail qui me conduisaient à prendre parfois « par-dessus la jambe » certaines expositions. À ces moments-là, il fallait faire le job et accumuler une quantité impressionnante de toiles sur les murs pour épater le visiteur potentiel d’une certaine façon, prouver que j’étais bel et bien un peintre. À ces moments-là, même l’idée d’être un artiste m’échappait totalement. Et puis, parfois aussi, le manque d’argent, l’accumulation des factures, les appels répétés des banquiers, des huissiers me conduisaient souvent à n’avoir comme but que la vente. C’est dire qu’une exposition réussie était alors une exposition où j’avais vendu, et une exposition ratée était celle où je repartais bredouille. Sans doute est-ce pour cette raison que je n’ai jamais vraiment fait de publicité, que je n’ai jamais voulu mettre en avant toutes ces expositions. Mes sentiments négatifs prenaient le pas sur la richesse que chacune, malgré tout, m’avait apportée. Notamment les rencontres, les avis que certains visiteurs un peu plus loquaces que d’autres m’avaient confiés sur ce travail. Car parallèlement, j’étais obsédé par l’idée de chercher quelque chose que je ne parvenais pas à trouver. Sans doute parce que, confusément, je ne tenais pas à le trouver. Je m’empêchais tout simplement l’accès à cette zone que j’estimais suspecte, dangereuse. On pourrait appeler cela le lâcher-prise, la confiance totale, l’amour, et la liste n’est sans doute pas exhaustive pour tenter de nommer cette « chose ». J’avais tellement rapetissé dans une idée de perte et de gain que j’étais comme scindé en deux. Dans mon atelier, j’étais un géant et, dans ces expositions, j’étais un nain. Je ne parvenais pas à faire la soudure entre les deux. De plus, les avis négatifs, comme l’indifférence du public, me touchaient de plein fouet. Je continuais néanmoins à afficher un sourire comme si cela n’avait aucune espèce d’importance. C’est dire à quel point on peut se tromper d’idée d’importance sur le chemin. Ce qui m’a permis de tenir, c’est à la fois l’orgueil et le fait d’abandonner les métiers alimentaires, de parvenir à être « sans filet » financièrement. C’était à l’époque une vraie folie. Mais je me rendais compte tout à coup que je ne pouvais rien faire d’autre que d’être tout entier dans la peinture. J’avais déplacé ce personnage omniprésent dans ma vie, celui qui, de toute façon, allait « réussir » un jour dans de multiples domaines déjà : que ce soit la chanson, la photographie, une carrière de cadre, l’écriture, et pour finir la peinture. J’ai toujours rêvé que j’allais réussir, quoi qu’il se passe, jusqu’à la cinquantaine, et même un peu plus. C’est à la soixantaine que le principe de réalité m’est finalement tombé dessus. Et que je me suis réveillé de ce long rêve. Rien d’amer là-dedans, tout au contraire. L’orgueil, peu à peu, avait fait son travail de sape et avait détruit quasiment toutes mes chances, les unes après les autres. Ce que j’imaginais être des chances. C’est là où je me rends compte que peindre n’améliore pas seulement les tableaux au cours des années, mais soi-même. Le regard s’améliore sur beaucoup de choses que l’on ne voyait pas d’ordinaire. Cet élan vers une forme de lâcher-prise, jusque-là, j’appelais cela faire confiance au hasard, et j’avais concentré celle-ci désormais uniquement sur l’espace de la toile. Je n’arrivais pas à faire le lien avec ma vie toute entière, qui ne m’apparaissait finalement que comme une somme de non-sens, de déboires, d’échecs. Du reste, si je peignais, c’était pour oublier tout ce désordre que j’avais traversé, ou tenter confusément d’en rendre compte maladroitement, pensais-je. J’essayais d’extraire de l’ordre, de la beauté de ce désordre sans vraiment le savoir. Parfois, cela semblait fonctionner et on me disait : « J’adore cette toile, c’est beau » ; d’autres fois, cela ne semblait pas fonctionner et, soit on ne me disait rien, soit en tendant l’oreille je récoltais quelques réflexions pas toujours agréables. Je me souviens d’une femme âgée dont la posture arrogante m’avait fait suivre tous ses déplacements en catimini dans une exposition en Haute-Savoie. Parvenue devant une toile que j’estimais être une de mes œuvres majeures, voici qu’elle lâche à la personne qui l’accompagnait : « Mon Dieu, comme c’est plat ! » C’était en gros comme si on m’avait planté un couteau dans le dos, ni plus ni moins. À la fois de la douleur et de la colère. J’ai bien sûr repensé mille fois à cette anecdote et tout ce que j’en retire désormais, c’est ce manque de confiance en moi à cette époque. Confiance dans les circonstances aussi, car j’aurais alors dû réagir vis-à-vis de cette personne, sans doute, aller vers elle, lui parler, simplement donner mon opinion de peintre sans rien attendre en retour. Mais j’étais, comme je l’ai dit, axé sur les ventes. Celle-ci, c’était certain, n’achèterait rien ; il fallait juste patienter suffisamment pour qu’elle déguerpisse. Voilà l’homme. Quant au peintre, il se tord encore les doigts. Tout simplement parce qu’il a laissé filer une occasion de partager quelque chose d’important, si difficile à nommer. Ce que voulait dire cette femme à propos de la platitude qu’elle ressentait de mon travail, j’aurais dû la prendre dans mes bras, car elle avait tout à fait raison. C’était plat, car tout entier dans la couche apparente, lisse et vernie. C’était plat car uniquement séduisant. Combien d’éléments nouveaux j’aurais alors pu récolter en ayant une bonne conversation avec cette femme qu’intérieurement j’affublais de sobriquets, de clichés, moi qui ne cesse de protester justement contre tout cela ? Tout et son contraire. L’homme et le peintre. Et cette bagarre perpétuelle entre les deux pour savoir qui va avoir raison. Cette apparente perte de temps qui s’appelle aussi la vie ; cette apparente perte de temps sans laquelle, pourtant, nous ne pourrions rien apprendre, rien comprendre, marcher tout simplement à côté de notre propre existence. Un ami aime raconter des blagues. Et il me dit souvent, à chaque fois que nous nous voyons : « Avec ton épouse, que préfères-tu ? Avoir raison ou être heureux ? » Cela me fait toujours rire, cela nous fait toujours rire. Nous restons dans cette connivence d’homme un moment. C’est souvent suivi d’un court silence. Comme lorsqu’on avale une lampée d’eau-de-vie. Faut savourer ce genre de moment. Avoir raison ou être heureux. N’est-ce pas la question la plus importante de toutes à un certain moment de notre vie ? Cela va très loin. Cela signifie que la raison n’est pas nécessaire pour pénétrer dans la joie, dans l’amour, pour aller vers les autres. Cela ne sert même à rien d’être « raisonnable » pour monter une exposition ; cela ne sert à rien d’être raisonnable en se disant que tout est basé sur le fait de vendre ses œuvres pour bouffer. Tout cela ne sert strictement à rien. Tout cela ne rend pas heureux. Et c’est totalement vrai. Même les expositions où j’ai estimé avoir réussi mon coup, en vendant parfois plusieurs toiles, me laissent désormais une amertume. Parce que je sais à présent que je n’étais pas dans l’état d’esprit pour être heureux. Je voulais avoir raison avec l’idée que je m’étais forgée : vendre, tout simplement. La réussite n’était basée que là-dessus. Je peux mesurer à quel point cet état d’esprit s’est modifié désormais. Pour cette exposition à la fin du mois, à aucun moment je n’ai pensé, durant la préparation, à vouloir vendre quoi que ce soit. C’est presque suspect. Mais non, en fait, je suis préoccupé par autre chose, tout simplement ; je mets tout en œuvre, je crois, pour favoriser cet instant où, seul dans les salles de ce grand centre culturel, je vais devoir faire confiance pour accrocher mes toiles. Je crois que c’est plus cela, l’enjeu véritable pour moi de ce genre d’exposition. Et j’en mesurerai sans doute le résultat non pas à la raison, aux ventes, aux félicitations ni aux critiques, mais seulement à l’évolution de mon impeccabilité entre ces deux mots : « chercher et trouver ».|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

La peur du vide

La toile est vide et il faut la remplir de quelque chose. C’est sans doute ce que je me dis lorsque j’entreprends de peindre à mes débuts. C’est-à-dire à partir du moment où je me mets à penser, où la conscience devient le capitaine du bateau, qui répudie les rêves, les fantasmes, la naïveté à fond de cale. Cette conscience capitaine se dit à elle-même qu’elle aura besoin, pour exister, de tellement de serviteurs et d’outils, de détracteurs comme d’admirateurs... Il lui faut remplir quelque chose afin de dissimuler ce qu’elle estime être le manque. Il lui faut comparer, rivaliser, construire des échelles de tout acabit pour se positionner ainsi sur tel ou tel barreau de celles-ci... se mettre en quête d’une idée d’excellence sans même prendre le temps d’étudier ce qu’est véritablement l’excellence. Une conscience qui, pour grandir, s’appuie sur des rumeurs, des « on dit ». C’est une conscience qui n’existe que parce qu’elle se reflète dans l’extérieur ; elle ne peut être sans miroir. Et en même temps, entravée à tout bout de champ par les émotions, les sensations, les sentiments, tout ce maelström émotionnel dont elle ne sait que faire. La conscience est tout à fait consciente, surtout, qu’un jour elle s’éteindra avec le corps. Que la mort balaiera tout. Elle devra fixer le vide en face avant de se laisser engloutir par celui-ci. Il s’agit de trouver la bonne embarcation pour effectuer ce voyage, dans l’espoir d’abolir la peur. J’ai essayé un tas de choses. La musique, les filles, l’écriture, la peinture, la marche, l’alcool, l’apnée, la danse de Saint-Guy, l’étude du Talmud et de la Cabale, l’alchimie, les rituels chamaniques, j’en passe et des meilleures... Je vous livre ça dans un joli désordre. Auparavant, je ne parlais jamais de ces choses. Elles me faisaient honte ; elles me renvoyaient à mon incohérence crasse. J’avais cette conscience aiguë (toujours elle) que toutes ces choses n’étaient que des pertes de temps. À chaque fois, cette défaite, cette sensation de s’être fourvoyé. Alors je me suis demandé ce qu’était le temps. Comment pouvait-on perdre ce que l’on ignorait posséder ? Car, sans le savoir, j’étais éternel, vous savez ; j’avais à la fois trop et pas assez de temps. Je ne savais pas employer le temps ; comment peut-on employer une absence ? C’est grâce à l’ennui que je suis revenu au rythme, à la musicalité et donc au temps. Au début, ça avait l’air ludique de taper sur des gamelles ; puis, assez vite, pas vraiment. Se lever à l’aube pour se rendre à l’école, à la fac, à l’usine, au bureau, sur les chantiers, à Pôle emploi, en formation, au supermarché, à la gare, au cimetière, à la maternité... Il fallait bien compter sur le temps. Il fallait accepter que ce soit quelque chose d’entendu par la collectivité. Il faut passer par le temps pour rejoindre les autres, sans doute aussi traverser cette fameuse peur du vide, de la mort, pour parvenir à faire de soi un accueil serein. Sans pour autant quitter l’humain. Pouvoir toujours s’énerver, se mettre en colère, avoir cette sensation de peur qui persiste encore malgré tout. Respecter, si je peux dire, cette enveloppe que nous projetons dans l’apparence. Parce que l’apparence compte sans doute autant que ce qu’elle dissimule. Continuer d’avoir peur est donc important, sans toutefois se laisser prendre à son chant d’incohérence. C’est à cela, sans doute, que sert la peinture pour moi. Tout comme l’écriture. À être cette sorte de mât auquel s’accrocher pour s’approcher au plus près de l’incohérence, de la peur, et observer ainsi la naissance du langage. Reste à savoir que faire de ce langage désormais. Bien sûr, il y a les tableaux, il y a les textes, le tout dans un chaos effrayant certainement pour qui viendrait s’y pencher pour chercher du sens. Effrayant pour qui aurait une idée toute faite de l’ordre, de la clarté et du sens. Justement ce que je n’ai pas. Sans doute ce que je ne désire pas, tout au fond de moi. Je ne veux pas que tout ça ait un sens étriqué. Et j’appelle « étriqué » tout ce qui entre désormais dans la catégorie de l’information, du mot d’ordre. Je voudrais que, de ce chaos, chacun puisse puiser un sens qui lui soit personnel. Comme la vie donne à chacun le pouvoir de l’interpréter, de la glorifier ou de la défigurer à sa guise. La peur du vide m’a mené vers une idée de liberté, surtout ; vers une forme de générosité qui ne soit pas attachée à l’orgueil ni à une fausse humilité. La peur de la mort a provoqué une révolte, puis une grande révolution, une grande agitation, pour s’atténuer peu à peu avec l’acceptation du temps tel qu’il est vraiment : un présent continu dans lequel tout s’éteint et ressurgit sans relâche.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Exposition "Voyage intérieur" notes.

Comme je le disais dans un texte précédent, j’ai trouvé un titre générique à ce travail que je vais présenter fin septembre au centre culturel « Le Sémaphore » à Irigny. D’ailleurs, j’en profite pour vous inviter au vernissage qui aura lieu le lundi 4 octobre à 18h30, si vous êtes dans les parages, bien sûr. Pour les autres, je vais tout mettre en œuvre pour vous faire visiter l’exposition malgré tout. Sans doute avec des vidéos, des photographies et quelques textes qui me démangeront sûrement au fur et à mesure que cet événement se rapprochera, durant sa durée, et une fois terminé. Pour l’instant, j’explore, je fouille, je redécouvre une masse de tableaux réalisés entre 2018 et 2021. Il doit y en avoir pas loin d’une centaine, de divers formats. Évidemment, je ne vais pas tout accrocher ; la profusion ne fonctionne pas, pour l’avoir déjà testée plusieurs fois dans d’autres expositions. Cependant, j’ai découvert sur WordPress une fonction intéressante que j’ignorais : le portfolio. J’ai donc créé un projet intitulé « Voyage intérieur » que vous pourrez désormais découvrir dans le menu du blog. Pour le moment, je me suis contenté de télécharger une quantité importante de photographies relatives à ce thème, « Voyage intérieur ». Elles ne sont pas classées ; elles sont un peu comme dans la réalité de mon atelier : empilées par format sur des étagères. Ce portfolio me sert de base de travail, en quelque sorte, pour effectuer des choix, des tris, et il évoluera au fur et à mesure de ce travail d’assemblage. Vous pourrez le suivre. Mon intention n’est pas de seulement présenter une « belle exposition » pour séduire le public. Il faut, à mon avis, qu’elle exprime ce cheminement que je tente d’effectuer pour m’extraire des clichés. Mes propres clichés, surtout, concernant tout ce que j’ai pu penser sur la peinture. Il pourrait ainsi y avoir une sorte de parcours menant de la séduction facile vers une âpreté, une austérité qui représenterait (pour moi) ce que m’apporte ce voyage intérieur : L’abandon de la séduction. L’abandon d’une quête de reconnaissance. L’abandon d’une illusion aussi sur ce que j’ai pu penser être l’art ou un artiste. Une fois passé ce dernier cap, cette aridité, l’exposition s’ouvrirait sur un champ nouveau : le langage de la couleur, de la simplicité des formes, car c’est cette voie vers laquelle je me dirige désormais. À suivre…|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Enseigner la peinture.

C’est vraiment la rentrée. La reprise des cours, des ateliers, les longs trajets en voiture pour atteindre les différents lieux, la pluie sur le pare-brise, les embouteillages, les jeunes cons qui jouent la nuit avec les lignes blanches, une certaine forme de solitude également. Ce genre de solitude en groupe. Comme je n’aime pas me répéter, proposer la même chose d’année en année, j’essaie de me voir comme je regarde mes tableaux : à distance, en effectuant quelques pas hors de moi et en plissant les yeux. Je cherche ces moments où le confort de l’habitude, de l’expérience, est traître. Ces sortes de pseudo-certitudes qui nous autorisent à penser la même chose invariablement. Comme, par exemple : « Je sais, et eux non. » Ou : « J’ai le droit de penser que je sais, alors qu’ils ne sont encore qu’au stade de l’intuition. N’est-ce pas déjà un tout petit peu mieux ? Mais tout de même, il y a encore du boulot à faire de mon côté. » J’ai tellement eu de mal avec toute forme d’autorité que je ne peux pas me leurrer lorsque je me vois ainsi, empruntant une figure de professeur autrefois tant détestée. Comme quoi la notion de modèle, de mimétisme, va se loger loin dans les tréfonds. Et puis on se rend aussi compte que c’est louche d’avoir tant détesté. Un peu comme avoir aimé par excès, adoré, s’être agenouillé ou prosterné. Du coup, je tente de rectifier, d’être plus abordable. De descendre d’un piédestal purement fictif de toutes parts, qu’il soit le leur ou le mien. Presque amical, alors que bienveillant suffirait. Mais ça ne fonctionne pas non plus. Les sentiments n’ont pas grand-chose à voir là-dedans. À partir du moment où il y a une rétribution, un salaire, il faut faire le job, il faut faire ce pour quoi on est payé avant tout. Enseigner la peinture. Se retenir d’asséner je ne sais plus quelle vérité sur la peinture, sur l’art surtout. Se méfier de cette facilité avec laquelle les phrases issues des pensées ressassées s’échappent. Soudain, s’apercevoir d’une lueur dans le « je ne sais pas ». Un « je ne sais pas » dépourvu de crainte, d’angoisse, d’inquiétude, de menace, de ce faisceau d’idées préconçues, elles aussi, d’idées refuge. Un « je ne sais pas » comme on lève l’ancre au petit matin ou au crépuscule. Quelque chose qu’impulse l’espoir en même temps que la résignation tient la barre. Que viennent chercher les élèves ? On finit par se dire, toutes les années, la même chose sans vraiment revenir là-dessus. Ils viennent pour apprendre à dessiner, apprendre à peindre, voilà tout. Marcher à côté de soi pour se frotter le dos. Se le répéter : ils viennent ici parce qu’ils imaginent ne pas savoir. Et ils l’imaginent tellement que pour eux cela devient cette réalité. Trouver le bon point d’intersection entre ta réalité et la leur. Expliquer sans un mot que pour voler, ce ne sont pas les ailes qui comptent, mais le talon. Et puis soudain, voir le groupe. Le groupe est une entité invisible durant longtemps, tellement on se pense seul à enseigner. Mais le groupe dépasse tout ce que le professeur peut apporter. Ces synergies invisibles qui peu à peu se mettent en place. Faire confiance au groupe, voilà une trouvaille. Quelque chose de véritablement inédit. Se retenir alors d’en dire trop. Se retenir de parler, comme d’arpenter l’espace. Observer le groupe s’enseigner à lui-même. Voir une nouvelle réalité peu à peu se créer ainsi. Et puis, à un moment, la question… on ne sait plus vraiment qui se la pose. Est-ce l’élève ? Le professeur ? Le groupe ? Cette question interroge toutes les parties simultanément. Et le mieux, c’est faire la même chose qu’un bijoutier face à une belle pierre : sertir la question dans un silence. Attendre encore un peu et voir jaillir de ce dernier un Simorgh qui s’élève jusqu’au plafond de la classe. De retour dans la nuit, je me souviens. Sohrawardi décrit ainsi le Simorg dans Le Chant du Simorg : « Le Simôrgh vole sans bouger et sans ailes… Il est incolore. Son nid est à l’Est et l’Ouest n’en est pas dépourvu… Sa nourriture est le feu… Et les amoureux des secrets du cœur lui confient leurs secrets intimes. » (Razavi, 1997, p.73).|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Partir de zéro, les liens avec l’Art Brut.

C’est à l’occasion de l’élaboration d’un programme de stage pour une association dans laquelle j’interviens que me vient l’idée de ce texte. Je propose d’étudier l’art brut selon la conception première de Dubuffet. Qu’est ce que l’art brut ? A l’origine C’est avant tout la création d’un univers personnel, réalisée en toute liberté, c’est à dire en se fichant du regard de l’autre. La plupart du temps l’artiste est rangé dans la catégorie des marginaux, des fous, des autodidactes, son art est incompréhensible à monsieur tout le monde. Seuls une minorité peut s’éblouir du résultat. En fait l’art brut existe bien avant que Dubuffet invente sa définition. On peut même dire qu’il existe avant toute autre forme d’art institutionnalisée. On pourrait dire qu’un enfant qui n’a pas atteint l’âge de raison fait de l’art brut sans le savoir tout comme Monsieur Jourdain fait de la prose. Désormais le champ de l’art brut est devenu confus d’autant que notre réceptivité vis à vis de lui a changé. L’art brut nous intéresse d’autant en raison d’une certaine prise de conscience vis à vis des clichés qui nous entourent. La publicité aura beaucoup contribué en creux si je puis dire à nous faire prendre conscience de ce carcan culturel dans lequel la plupart du monde occidental est enfermé depuis la fin de la Renaissance. L’art brut est récupéré de toutes parts par les institutions, les Musées, les galeries, les salons et autres biennales. Une confusion l’accompagne désormais, on crée des sous familles de celui ci, comme la neuve invention, l’art singulier par exemple. Peu importe en fait cette confusion. Ce qu’il faut retenir c’est que l’art brut, cette impulsion est un formidable vivier de créativité. Aujourd’hui on parle même d’art Brut contemporain... Pendant que tous les experts du marché de l’art tergiversent, classent, découpent, attirent ou expulsent ainsi les différents artistes nés de cette mouvance qu’est l’art brut, d’autres mouvement progressent en parallèle. Je pourrais citer par exemple la peinture intuitive, une certaine partie également de l’abstraction, une peinture plus gestuelle qui se déclencherait à partir d’un point 0 en deçà de la pensée. Ces deux vecteurs de l’art d’aujourd’hui rejettent en dehors de leur périphérie à la fois le mental comme le savoir en tant que capital, et aussi en tant qu’histoire , continuité ou héritage. Finalement nous parvenons aujourd’hui à ce qui avait déclenché la Renaissance, la naissance de l’individu et en même temps celle de l’artiste. A la fois à son apogée comme à sa chûte. L’artiste appartient désormais soit à une élite, reconnu par un marché de l’art très sélectif et cette reconnaissance fait office presque aussitôt d’institutionnalisation. Cependant, en même temps l’accès aux œuvres n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui pour le grand public. Grace à internet des plateformes de vente en ligne se sont crées, tout à chacun peut promouvoir son art en créant un site ou en créant un compte sur un des nombreux réseaux sociaux. Une profusion d’œuvres, d’artistes, que l’on pourrait dire non catégorisés a envahit le marché. Cela peut rappeler la ruée vers l’or d’une certaine manière car grâce au buzz, à la promotion payante, à des stratégies habiles n’importe qui peut toucher le pactole désormais, vivre de son art sans avoir besoin de ce fameux marché de l’art. Est ce que vendre des œuvres sur internet fait de soi un artiste ? En observant beaucoup les réseaux sociaux je vois que l’on peut encore ranger les publications par famille, par catégorie. Il y a les artistes qui font toujours la même chose en le déclinant de mille manières différentes et qui ainsi par un phénomène de répétition proche des spots publicitaires finissent par devenir indentifiables. Dans cette catégorie il y a les locomotives et puis tous les wagons qui suivent. A partir du moment où on pense qu’une stratégie fonctionne celle qui est copiée, répliquée sur des milliers de comptes ce qui donne le tournis car on a l’impression de voir la même peinture finalement réalisée par des milliers de personnes différentes. Il y a les artistes amateurs qui ont finalement désormais autant de chances que les professionnels de vendre. Parmi ceux ci il y a les organisés et les désorganisés. Des familles je pourrais évidemment en citer encore d’autres. Ce que je veux dire c’est qu’avec internet il est devenu extrêmement rare de voir un orphelin. C’est à dire quelqu’un qui sort totalement du lot, dont le travail ne ressemble à nul autre. Un artiste d’art brut authentique. Qu’on le range dans l’art brut ou l’abstraction peu importe. Ce que je crois, peut-être ce à quoi moi-même je m’identifie, c’est que sans cette intuition de la présence de ce point 0, sans la volonté de l’approcher, de s’y laisser absorber totalement l’artiste d’aujourd’hui se condamne sans le savoir à un phénomène de réplication. Soit en répliquant lui-même sans même en être conscient ce qu’il a aperçu déjà et qu’il pense s’approprier comme auteur. S’élancer vers ce point 0, vers l’absence totale de références comme de pensée, d’auto jugement tout en maintenant cette indifférence nécessaire au regard des autres est loin d’être une sinécure si l’on n’est pas fou, ou complètement abruti comme autrefois le grand public imaginait les artistes de l’art brut. Mais au bout du compte c’est à partir de tout cela, de ce point 0 comme de cette confusion dans laquelle est engagé l’art brut, qu’une nouvelle renaissance est arrivée, elle est certainement même déjà là sans même que nul ne s’en rende véritablement compte.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

La langue des oiseaux en peinture

Je fais toujours du rangement et pour autant ne cesse de vivre dans un désordre qui me rassure. J’ai fini par accepter ces deux vecteurs qui semblent contraire seulement en apparence. Une petite toile m’attend tout en bas d’une pile rangée dans mon grand buffet ici dans ma remise. Je la prends dans les mains et l’emporte dans l’atelier pour l’examiner en buvant mon café du matin. Il y a quelque chose, un je ne sais quoi. Des gris agréables à l’œil mais ça manque de quelque chose. C’est plat. Je trouve comme par magie ma boite de pastel à l’huile et verse un fond de whyte dans un gobelet…et comme une chance arrive rarement seule je tombe tout de suite sur le petit pinceau qui va bien. Une demie heure plus tard voici la petite toile posée sur l’étagère et moi 5 pas en arrière. Quelque chose de l’ordre d’une mise à jour informatique. Et le plus beau je m’étais fait un joli tour de dos en accrochant des tableaux lourds la semaine passée et j’ai grogné durant tout le week-end voici que soudain je ne sens plus rien du tout ! Élever la fréquence en usant de l’ordre et du désordre, laisser l’intuition faire le job, puis tirer la langue sur le côté en se pliant à l’air ambiant et en y allant de bon cœur n’est plus un secret. Je ne cesse de le répéter. Pour sans doute m’en convaincre encore tout seul. Et puis voilà quelque chose re fonctionne soudain c’est un reboot comme nous en traversons des milliers sans même nous en rendre compte. Se rendre compte voilà une clef qui n’a pas l’air. Une clef comme on commence une portée pour inscrire la petite mélodie dictée par les oiseaux.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

contre-don

Contre-don Il existait une langue sous la langue. Celle du frottement d’ailes et de la palpitation des étoiles. Je croyais que peindre était la parler. Puis vint le temps où le don lui-même devint une marchandise. Où la gratuité fut mise en scène, likée, monétisée. Un grand dégoût m’a saisi. J’ai déposé les pinceaux. Je ne pouvais plus offrir ce qui était déjà volé, recyclé, prostitué dans la grande mascarade connectée. L’innocence était morte. Alors j’ai compris que le vrai combat ne commençait qu’après. Qu’il fallait cesser de chercher à « bien parler » cette langue, et accepter de barbouiller contre. Contre le calcul, contre la possession, contre le spectacle du don. Le gribouillage, l’écriture automatique, le n’importe quoi qui surgit : ce ne sont plus des prières naïves adressées à la lumière. Ce sont des actes de sabotage. Des gestes vains, héroïquement vains, comme celui de Don Quichotte chargeant les moulins. On ne peint pas pour atteindre la langue. On peint pour délimiter son absence. Creuser le vide qu’elle habite. Tracer, par la répétition du geste, un périmètre sacré autour de ce qui nous manque. Le résultat n’a aucune importance. La toile aboutie est une illusion de plus. Ce qui compte, c’est la lutte elle-même. La qualité de l’attention, la férocité du désir de donner malgré tout. Je ne peins plus pour me souvenir de la langue. Je peins pour résister à l’oubli de son existence. C’est un contre-don. Une offrande faite dans la pleine conscience de son inutilité radicale. C’est là, dans ce geste sans espoir, que réside peut-être la dernière parcelle de vérité. .|couper{180}

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Carnets | juillet 2021

On ne peut tout faire

Il y a des jours où le temps va me manquer. Que je ne serai pas en mesure de réaliser en peinture tout ce que j’ai rêvé. Ça me rend fébrile, dingo, infréquentable. Je me renferme sur moi-même et me jette dans le travail à ces moments là en imaginant je ne sais quoi.. peut-on jamais rattraper le temps… celui des rêves ? Parce que le temps perdu ne se rattrapera qu’en regrets stériles. Il n’en vaut aucune peine, aucun chagrin,aucune nostalgie. C’est au présent que l’on lutte. Pour canaliser la peur. Comme un cheval fou qui se cabre devant les ombres de l’inéluctable. C’est pour apprendre à dompter cette peur que je peins. Je rate souvent. Je trouve des subterfuges pour conserver l’espoir. La créativité se joue là aussi. Elle se joue de moi. Je gratte la croûte du temps sélectionnant par ci par là des lambeaux pour faire du lent et je l,espère toujours du beau sans raison ni cause.|couper{180}

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