Giacometti disait

Pour sortir de la masse de mes journaux de veille — 190 Mo de doutes, de sueur et de peinture accumulés sur le disque dur — il me fallait un tamis. Un dispositif qui ne se contente pas de classer, mais qui transmute le plomb de la note d’atelier en l’or de la litanie.

J’ai emprunté à l’écrivain François Bon son dispositif hypnotique utilisé pour son ouvrage Conversations avec Keith Richards, qui lui-même le tenait d’une longue lignée de « collecteurs d’instants ». J’ai choisi de placer mes propres certitudes fragiles dans la bouche d’Alberto Giacometti.

Pourquoi lui ? Parce qu’il est le saint patron de la poussière, de l’effacement et du recommencement perpétuel. Ce « Giacometti disait » n’est pas une biographie, c’est une suture : ma voix sous son masque, pour atteindre ce « point zéro » où le geste devient enfin libre.


I. L’Enseignement ou l’Art de Tenir la Présence

Vider les mains pour laisser l’espace au vivant.

  • Giacometti disait qu’enseigner la peinture n’est pas transmettre une méthode, mais simplement tenir la présence dans la pièce pour vider les mains de leur habileté trop propre.

  • Giacometti disait qu’un bon professeur doit exiger un euro de ses élèves chaque fois qu’ils disent « c’est nul » ou « je n’y arriverai jamais », car c’est le prix de l’insulte faite au vivant.

  • Giacometti disait que le cœur du métier est d’entraîner l’autre à reconnaître l’état de désorientation pour le rendre enfin confortable.

  • Giacometti disait que le groupe finit par devenir un Simorgh, cet oiseau mythique qui s’élève au plafond porté par une fanfare tzigane.

Légende : Tenir la présence. Entre l’ombre et la lumière, le geste cherche à déchiffrer les mystères du monde visible.


II. Le Geste : Saborder le Cerveau

Briser les outils. Chercher la faille.

  • Giacometti disait que pour bien dessiner un visage, il vaut mieux utiliser un coin de bois plutôt qu’un pinceau pour s’assurer de ne pas être complice de sa propre dextérité.

  • Giacometti disait qu’il faut relever le pinceau aussitôt qu’une pensée surgit, car la pensée est le flic qui arrive sur la scène du crime pour prendre des notes.

  • Giacometti disait qu’il faut parfois porter un bandeau de pirate sur un œil pour briser les habitudes de vision et saborder le cerveau.


III. La Sagesse de l’Échec : Le Domaine de la Boue

L’éloge de la chute contrôlée.

  • Giacometti disait qu’un tableau traverse trois mondes : celui de la boue (l’ignorance), celui du doute (la perte de soi), et celui de l’achèvement pour rien.

  • Giacometti disait que le succès est un accident perturbateur et que seul l’échec permet de comprendre comment la lumière arrive vraiment.

  • Giacometti disait qu’un tableau est vraiment achevé quand on peut enfin sourire et dire que tout cela a été fait « pour rien ».

Légende : Le domaine de la boue. Là où les transitions sourdes créent une expression qui défie la définition.


IV. La Chair et la Fissure : Ce qui ne pourrit pas

Le voyage vers l’inconscient, là où l’être perce à travers la lettre.

  • Giacometti disait que la peinture et l’écriture sortent par la même fissure, là où la fiente et l’être se mélangent enfin.

  • Giacometti disait que tant qu’il y a de la honte, tout n’est pas perdu, car elle sert de balise dans le labyrinthe de nos épopées.

  • Giacometti disait qu’on peint pour distinguer ce qui, en nous, finit par se décomposer et ce qui, pour une raison obscure, ne pourrit pas.


V. La Dissidence : Rester dans la Boue

Le refus des systèmes et de l’ordre moyen.

  • Giacometti disait qu’il faut se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu pour pouvoir enfin rester dans la boue.

  • Giacometti disait qu’il faut se méfier de l’intelligence artificielle, car elle ne produit qu’un « ordre moyen » aux mains moites, privé de la grâce du raté.

  • Giacometti disait que le public peut régner sur votre notoriété, mais qu’il ne régnera jamais sur la source de votre liberté.


Conclusion

Ce plan n’est pas seulement l’architecture d’un hypothétique livre futur, c’est la boussole de mes Carnets. Vous trouverez, au fil des pages de ce site, les fragments bruts, les échecs fertiles et les traces de ces tableaux nés sous le signe du « pour rien ».

Comme Giacometti disait : la porte est ouverte, mais n’entrez que si vous acceptez de ressortir avec de la boue sur les mains et une fanfare dans la tête.

Carte mentale réalisée par Notebooklm à partir de trois compilations de fichiers textes. Mots-clés : #peinture , #réflexions sur l’art

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Podcast-La honte comme boussole créative

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hontes réflexions sur l’art

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Perplexité active

Quand elle retire sa robe blanche et que son corps apparaît presque nu, le choc du vacillement, et avec lui la liste immédiate de tout ce qui pourrait me ramener au stable — Lorsqu’elle enlève sa robe blanche, son corps presque nu me ramène à ce vertige, et je reconnais, en même temps, toutes les manières de m’en tirer. — Elle ôte sa robe blanche, j’aperçois son corps presque nu : le même vacillement revient, et les mêmes solutions de fuite se présentent, prêtes à surgir de l'ombre. Le simple fait de répéter trois fois la phrase sous une forme légèrement différente permet de rester dans l'entre-deux, de ne pas fuir cette perpléxité et de la rendre active Au moment de l'accident je peux voir chaque détail de l'habitacle et en dehors de l'habitacle —Au moment du choc le temps s'élargit et je peux prendre le temps d'observer une foule de détails — Au moment où les véhicules se heurtent, l'étonnement provoqué par la lenteur de l'événement déclenche une curiosité froide, clinique. Répéter la phrase au moment de l’événement m’empêche de m’en échapper. Quand j’écris, la répétition avec nuance fixe l’événement dans un lieu précis. Quand il remonte, il est d’abord une bulle : elle reste ronde un instant à la surface de la signification, avant que les mots ne la percent.|couper{180}

depuis quelle place écris-tu ?

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déplacer le protocole

Transposer le protocole de JC Bailly de l'arpentage des paysages à la cartographie des œuvres littéraires . Coproduction de ce billet avec l'IA Deepseek pour la recherche de documentation. La pâleur de Bartleby. Je tombe sur le chiffre chez Andrew Delbanco : 85,05 dollars, versés par Putnam's à Herman Melville pour quatre textes, dont Bartleby. Quatre-vingt-cinq dollars et cinq cents. C’est le prix de cette nouvelle, en 1853. Le prix du « Je préférerais pas ». Melville, dans sa ferme de Arrowhead, est endetté. Moby Dick a sombré dans l’indifférence. Et voilà qu’il invente ce scribe, Bartleby, qui s’installe dans un bureau de Wall Street, face à un mur de briques. L’écrivain et son personnage sont dos à dos, séparés par la page, mais mirant la même impasse. Le chèque de Putnam's est la seule passerelle entre ces deux mondes, la preuve que le refus absolu, lui aussi, a un cours, dérisoire, sur le marché des histoires. Je lis chez Hershel Parker la description de la ferme d'Arrowhead. C'est une maison du XVIIIe siècle, en bois, sans fondations, constamment froide. Melville travaille dans son bureau du rez-de-chaussée. Par la fenêtre, il ne voit pas des champs, mais la masse sombre et obstinée du Mont Greylock. Le poêle ronronne. La table de travail est couverte de paperasses, les livres s'empilent sur le plancher. L'hiver, le vent s'engouffre par les interstices ; on gèle dans les chambres à l'étage. C'est dans cette atmosphère de confinement, de lutte contre le froid, les dettes, l'indifférence, que le « Je préférerais pas » prend forme. La fenêtre de Melville n'encadre pas un paysage, mais un mur de montagne, un horizon bloqué, une immense nasse de neige et de roc. Bartleby et son mur de briques sont déjà là, en gestation, dans le champ de vision même de l'écrivain. Il se lève tôt. Il allume la pipe. Il travaille dans le bureau froid, face au mont Greylock. Parfois, il va à Pittsfield pour le courrier, le tabac. Les gens le connaissent, mais de loin. Il rentre. Il reprend sa place. La page est là. Les dettes aussi. C'est dans ce va-et-vient entre le poêle et la fenêtre, entre l'espoir du courrier et la déception du retour, que la phrase a dû venir. Non pas comme une révélation, mais comme un constat. Une résistance. « Je préférerais pas ». Elle naît de la fatigue, du froid, du silence. Elle est le refus du bureau de Wall Street, mais elle est d'abord celui de la ferme du Massachusetts. Le même mur, des deux côtés de la page. « Je préférerais pas » est plus qu’un refus : c’est une retraite. Pour Bartleby, c’est le retrait du jeu social, du contrat de travail, de l’échange. Pour Melville, c’est le retrait face aux attentes du marché littéraire, au succès commercial, au rôle d’écrivain public. Aucun des deux ne dit « non » frontalement. Aucun ne se révolte. Ils se dérobent. La phrase est polie, irréprochable, mais absolue. Elle est le signe d’une lassitude si profonde qu’elle en devient une forme de résistance passive. Bartleby refuse de copier ; Melville refuse de reproduire les formules qui marchent. L’un meurt en prison, l’autre sombre dans l’oubli. Le « Je préférerais pas » est leur arme commune, une arme du faible, du las, de celui qui préfère disparaître que de se plier. l'œuvre ne parle pas que de cela. La posture du retrait est la colonne vertébrale du récit, son geste fondamental, mais la chair du texte est ailleurs : dans la folie raisonnante de Turkey, la nervosité de Nippers, la charité impuissante et ambiguë du narrateur-patron. Elle est dans la matérialité du bureau, le froid des murs, l'obsession du droit de propriété, la frontière ténue entre la compassion et le rejet. « Je préférerais pas » est le point de bascule qui rend tout le reste visible. C'est le grain de sable qui bloque le mécanisme bien huilé de Wall Street et qui, ce faisant, révèle la brutalité silencieuse de ce mécanisme. La nouvelle parle du travail, de la solitude urbaine, de l'échec de la charité, de la folie. Mais elle parle de tout cela à partir de ce refus. Le retrait de Bartleby est un puits noir autour duquel la ville, le droit et la psyché s'organisent et se révèlent.|couper{180}

dispositif Narration et Expérimentation oeuvres littéraires