Les idées claires

Une nuit de sommeil enfin. Le genre de nuit capable de produire ces rêves du matin où l’on sent que l’on met le doigt, enfin, sur quelque chose d’important, sur quelque chose qui nous échappait.
On se réveille avec cette satisfaction étrange car, même si on a pu entrevoir cette chose qui nous échappe, si on a l’impression bizarre de l’avoir identifiée, et ce d’une manière extrêmement précise au moment même du rêve, aussitôt que nous nous éveillons elle s’enfuit.
Ce qui au bout du compte laisse une impression mi figue-mi raisin.
Ce qui au bout du compte laisse penser, oblige à penser, que la seule chose dont on peut être à peu près sur, au bout du compte, c’est que nous courrons encore et toujours après cette chose jusqu’au plus profond du rêve avec l’espoir de savoir ce que c’est.
La seule chose qui mobilise notre attention, c’est cette compréhension soudaine que l’on entretient encore cet espoir et ce quoiqu’on dise durant la journée, quoiqu’on pense durant celle-ci.
L’idée claire que l’on conserve de tout cela c’est qu’on n’est pas aussi désespéré qu’on l’imagine.
Que cet espoir fait partie des besoins "physiologiques" de base, comme manger dormir boire et rêver.
Hier j’avais dentiste. Je déteste aller cher le dentiste. Se retrouver à la merci, la gueule ouverte, de ces deux femmes bardées d’instruments de torture, rien qu’à y repenser me soulève le cœur. Une qui gratte, fouille, râpe, lime et perce tandis que l’autre dirige le petit tuyau d’aspiration de la bave.
— Tournez vous plus vers moi, ouvrez grand la bouche, voilà c’est bien.
Pas d’anesthésie. Le souffle du froid qui cherche la douleur en détartrant l’émail. C’est là qu’on ne peut plus trop se mentir. Lorsque les jointures des doigts deviennent blanches à force de placer toute sa concentration sur le serrage des pognes pour pallier la peur, pour ne pas montrer à quel point putain on est douillet. Et cette sensation de ridicule lorsqu’on découvre que tout ça n’est encore du qu’à l’imagination, à la peur d’avoir peur, à la peur d’avoir mal, essentiellement, cette peur capable de créer une estafette de la vraie douleur. A classer dans la petite anthologie des échecs cuisants que rencontre le héros.
Pour essayer de prendre du recul je pense à ces périodes de guerre où l’on torture les gens en leur arrachant les dents pour qu’ils balancent des noms. La vache, je n’ai pas grand chose à voir avec ces résistants. Possible que je livrerais père et mère pour que ça s’arrête. Mais je vis dans une époque de merde, je vis la fin du monde, je vis dans un monde où l’espoir s’amenuise de jour en jour, d’heure en heure.
Je vis dans un monde où le seul héroïsme qui nous est autorisé est cet espoir de conserver un peu d’espoir.
Et là je vois ce que j’écris. "nous est autorisé". Et toute l’étendue de ma paranoïa est surement contenue dans ces quelques mots.
Ce qui en flanque encore un bon coup sur la nuque du prétendu révolté, de l’artiste, de l’écrivain, de cet orgueilleux, probablement plus trouille-cul que n’importe quoi d’autre. Ce pauvre type que je ne peux plus me cacher désormais d’être.
Il faut que ce soit autorisé, comprenez.
Parce que si cet espoir justement ne nous était pas laissé comme on laisse du mou à la chaine d’un chien, sans doute ce chien crèverait-il, et surtout serait parfaitement inutile à son maitre. Un chien en laisse sert à quelque chose forcément.
Et peut-être que cette idée claire, lumineuse que je traquais au fil des rêves n’était rien d’autre qu’une sorte d’éblouissement, d’aveuglement pour ne pas voir ce chien, ces chiens en laisse et dont je fais partie intégrante.
Je veux dire que même la contestation, la protestation, tout cela fait partie intégrante du processus sociétal. On ne peut jamais être totalement à la marge quoiqu’on pense ou dise. Même cinglé, enfermé au fond d’une cellule et ceint d’une camisole de force, on sert encore à quelque chose.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}