réflexions sur l’art

Ici, l’art n’est pas un objet figé mais un lieu de pensée en mouvement. Peinture, écriture, regard : tout devient matière à interrogation, parfois ludique, parfois grave. Ces réflexions empruntent autant à la philosophie qu’au souvenir de gestes, à l’anecdote d’atelier, à la mélancolie ironique. Peindre, c’est parfois rater ; dire, c’est souvent déformer ; l’œuvre est résidu de tentatives accumulées. L’artiste-écrivain avance en hésitant, creusant les mots comme la toile. Il ne cherche pas à expliquer l’art, mais à habiter ce qui se dérobe dans l’acte de créer. Chaque texte trace un sentier incertain, où l’intensité prime sur la clarté, où la seule vérité possible est celle de l’élan.

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Carnets | mars 2023

carré 40x40cm Huile sur toile

étape 1 étape 2 étape 3 stabilisation 3 étapes et une stabilisation réalisation Mars 2023|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

difficulté des inventaires

C'est un mot, inventaire. Qu'on croit sec, administratif, et qui pourtant contient, insoupçonnée, une part d'invention. Comme s'il fallait à chaque fois le recréer, le tirer du chapeau avec tout ce que cela suppose de prestidigitation, d'efforts pour faire croire qu'on dresse des listes et non des fictions. Il y a du jeu, forcément, dans l'élaboration de l'ordre. Et puis cette table. Immobile, autoritaire. L'atelier autour qui palpite. L'air un peu vicié, mélangé de white spirit et d'huile de lin. Sur cette table : une plaquette de pastilles à sucer, destinées à contenir une envie de cigarette qui s'est déjà manifestée trois fois depuis le lever. Une tasse, vide. Crème, bord rouge. Quelques tubes de couleur, certains sans bouchon, mollement affalés. Un ancien pot de moutarde reconverti dans le mélange à peindre. Un chiffon boule, un couteau à peindre, une carte de visite de gîte touristique, promesse d'un cadeau si achat. Quelques pinceaux, tête en bas, manche en haut, trempant mollement dans des liquides. Boîtes de conserve réaffectées, haricots-cassoulet, au service du nettoyage pictural. Un saladier en terre, trente tubes, un peu de déroute chromatique. Un flacon plastique, survivant. Whyte spirit, encore utile. Pots d'acrylique. Une petite boîte en fer blanc, jadis paté, aujourd'hui médium. Une palette sale. Un agenda. Un carnet noir à l'élégance discutable. Un chevalet bancal, un filetage à revisser. Quelques morceaux d'essuie-tout tachetés, quelques miettes de tabac, reliques d'une semaine où l'on fumait encore, c'est-à-dire il y a une éternité. Peut-être la mort d'une habitude, peut-être un simple hoquet. On ne sait plus. Derriere ce détail clinique, une grande métaphysique flotte. Celle de l'ordre. De ce qu'on tente de domestiquer. L'inventaire est un geste, pas innocent. Un réflexe de peur. De contrôle. De guerre. Un inventaire, c'est déjà un préambule à la mobilisation. Les objets là, ils n'ont rien demandé. Ils vivent. Ils sont là. Ils n'occupent pas, ils existent. Et nous, on les fiche, les range, les désigne. Comme on dresserait un chien. C'est ça, exactement. Dresser l'inventaire. Avec tout ce que ce verbe charrie de brutalité. La chose est indocile, c'est pour cela qu'on la classe. Parce qu'elle nous échappe. Comme ce poisson, tiré du Cher, spasmodique et glissant dans la main. Une panique de palme, une peur de créature déplacée. Il y a toujours un peu de pêche dans l'inventaire. On aimerait pouvoir y échapper. Mais c'est plus fort que nous. Dresser, nommer, poser un ordre. Pour faire semblant de comprendre, de maîtriser, de survivre. Et l'objet devient preuve. Le banal, étendard. La table, un monde. Le monde, une table. Tout tient dans le regard posé, dans le doute qui le révèle. Il faut un écart. Un pas de côté. Pour voir ce qu'on ne voyait plus. Ce n'est pas l'objet qui compte, mais l'écart. Ce frisson du doute, cette poésie des choses immobiles qu'on n'avait pas vues venir. Le plaisir, peut-être, se trouve là : dans ce petit étonnement calme. Et s'il fallait un inventaire, ce serait celui de nos déplacements intimes. Ce que la table nous apprend, sur nous, sur le monde, sans forcer. Il y a un chat, d'ailleurs. Une chatte. Près des pinceaux. Et ce regard, oblique, qui juge tout cela avec un flegme qu'on envie. Illustration : Huile sur toile" inventaire " P.B|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

19 janvier 2023-2

Giacometti, bien sûr : ce qui reste après l'effort, la ténacité, la volonté, l'effacement du superflu, de la fioriture, du trouble qui brouille la vue, et de tant d'autres raisons bien plus obscures encore. De celles nécessaires, indispensables pour éliminer. Ce n'est pas facile d'éliminer. Boire des litres d'eau ne suffit pas. Courir autour d'un stade, en forêt, sur la plaine peut aider, à condition que l'on s'y tienne régulièrement, car il n'y a guère d'autre mot que celui-ci qui vaille. Prendre l'habitude d'éliminer, facile selon les dires : à peine un mois, une trentaine de jours pour que ça devienne comme une drogue dont on ne peut plus se passer. Mais est-ce vraiment suffisant ? Physiquement sans doute, mais pour écrire, une autre paire de manches. Un véritable parcours de combattant. Ce qui, bien sûr, te fait songer à ces tueurs à gages dans les polars, ceux qui ont pour charge d'éliminer, ceux à qui l'on confie un contrat, et qui le remplissent sans ciller, sans émotion. Tout ce que tu as tant de difficultés à accepter. Le crois-tu vraiment ?|couper{180}

réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023-5

À Knossos en Crète, des jeunes gens sautent par-dessus un immense taureau. Rien à voir avec la corrida actuelle. Même si tu es en mesure d'imaginer à toute fin, pour l'animal, un sort funeste identique. L'aspect joyeux de la mosaïque, cet instantané capturé par un artiste anonyme, évoque la vie, la joie, la danse, l'harmonie, et n'incite pas à penser la mort. Et si tu te souviens de ton étonnement quand tu comprends que la civilisation minoenne, à cette époque, avait déjà compris la nécessité d'expulser hors de son habitat ses miasmes, ses déchets grâce à un ingénieux système d'égouts qui sillonne toute la ville, ces deux éléments suffisent pour t'inventer une nostalgie, celle d'un temps où l'être humain était encore digne de ce nom. Toujours le fantasme d'un paradis perdu. Ce genre de pensée qui n'a pour fonction que celle de vouloir toujours t'aider à t'enfuir du présent, d'une réalité qui ne te convient pas. Et si tu réfléchis encore un peu, que tu te souviennes des tragédies grecques, des récits d'Homère, de toute cette hémoglobine qui, en filigrane, y coule à grands flots, le doute quant à l'idée d'un tel paradis se dissipe aussitôt. La brutalité d'autrefois est bien semblable à celle d'aujourd'hui. Cependant que tu te complais encore, de temps en temps, à imaginer qu'elle ne se manifeste pas de la même façon. Une brutalité innocente, joyeuse, contre une brutalité consciente, d'une tristesse infinie. La fin justifie désormais plus que jamais les moyens. Est-ce que cette finalité est si différente aujourd'hui ? Probablement pas. Le pouvoir sur autrui, la réussite, la célébrité, le profit, l'intérêt, voici les fins pour une majorité et qui se déclinent sous tant de masques, de comédies, désormais grotesques. Et si jadis tu pensais que ces buts ne relevaient que des préoccupations d'une minorité, aujourd'hui tu sais que même un misérable est en droit de s'en illusionner au même titre qu'un magnat de l'industrie pharmaceutique. S'il ne peut régner sur un empire, il le fera depuis son angle de rue par tout moyen possible. Les buts à la con se sont emparés de la plupart des cervelles. Et même toi, tu y auras succombé comme tout un chacun. L'art naît ensuite tout au bout de ce constat. Et si enfant tu n'étais pas aussi lucide quant à ce que tu viens d'écrire, ton instinct réagissait immédiatement face aux beaux objets dont tu n'avais qu'une envie, celle de les détruire. La plupart du temps quand tu relevais un manque, que la colère t'emportait vers les zones les plus obscures de toi. La destruction des objets, pas n'importe lesquels, surtout ceux qui étaient le fruit de sacrifices, de temps passé à économiser pour se les offrir ou les créer, étaient ta cible prioritaire. À quoi donc pensais-tu lorsque tu t'emparas d'un cutter pour l'enfoncer dans une des toiles réalisées par ta mère et qu'elle avait accrochée à l'un des murs de la chambre ? Que voulais-tu anéantir sinon toute la fausseté que tu imaginais alors comme seule responsable de ton malheur enfantin ? Et que savais-tu de l'intention qui l'avait menée à peindre ces chefs-d'œuvre familiaux entre quelques heures de ménages, de repassage, le dépeçage d'un lapin, l'engorgement d'une poule, dont tu conserves encore les souvenirs ensanglantés accrochés à l'un des poiriers du jardin ? Et ce que tu considérais comme manque, il te fallait au moins une culpabilité à sa mesure, voire la dépassant pour que tu puisses l'oublier, t'en défaire afin d'être responsable, de te procurer ce vertige – cette illusion de contrôle de maîtrise qu'offre en creux une telle responsabilité. Maintenant tu t'agaces de la même façon à la lecture de certaines phrases assénées par des membres du groupe de l'atelier d'écriture sur la bonne pratique de l'écriture, la relecture, le polissage des textes. Toute cette peine que d'aucuns mettent en avant pour désigner un texte remarquable, bien écrit ou qui tombe bien comme un vêtement. Mais dont le fond est d'une indigence à hurler. Ta colère n'a pas vraiment changé. Elle est toujours aussi intacte. Sauf que tu n'utilises plus de cutter. Tu coupes autrement dans le vif. Tu tournes les talons, tu rejoins le silence. Peut-être que pour toi rester jeune nécessite cette forme de violence, cette légèreté dans la façon de l'exprimer comme de danser, sauter par dessus ce vieux taureau Minoen. Assez pathétique au final.|couper{180}

Espaces lieux réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023

Le sacré et le profane. C'est une histoire de lieu. Il faut isoler un lieu d'un autre. Le mot "Kadosh" qui signifie sacré en hébreu désigne au féminin "kadosha", la prostituée. Le rapport entre les deux fonctions de ce même mot semble un peu plus clair quand on se cantonne ainsi au lieu. Il y a une autre orthographe du mot - "Quadosh" - qui signifie séparé. Kadosh est aussi un grade de franc-maçonnerie. Lors de son initiation, le chevalier kadosh est invité à piétiner le diadème papal. Ce qui signifie encore une affaire de lieu de façon symbolique. En résumé, Dieu et ses représentants sur terre, on s'en fout. Ce qui est important en revanche, c'est soi, c'est-à-dire ce cercle dans lequel on est enfermé et le labyrinthe qu'il contient - notre propre vie - comme un chemin à l'apparence complexe et qui passe, elle aussi, dans sa représentation plastique par un centre vide - nul besoin de Minotaure. Le cercle est le lieu dont Dieu s'est retiré pour que l'homme puisse agir avec son libre arbitre. Dieu, qui est le tout, ainsi laisse un vide, un espace, un lieu, un possible. Et par conséquent, on devient ainsi en droit d'effectuer une différence à ce moment-là entre sacré, sainteté et religiosité. C'est dans ce lieu du sacré que s'effectue la prise de conscience que nous sommes dans un cercle, un vide qui lutte de toute sa périphérie, sa circonférence pour ne pas se retrouver réduit à un point. D'ailleurs, une chose étonnante est de pouvoir définir la circonférence et le diamètre d'un cercle, mais impossible d'en mesurer avec une précision nette le rapport. Le nombre 3,14116 etc. par l'infinité des décimales ne s'arrête jamais. Maintenant que tout cela est dit, tu peux aussi bien te réjouir que te lamenter. Tu es comme l'une des deux souris tombées dans le bol de lait. Laquelle veux-tu être ? Celle qui dit "il n'y a rien à faire, je me laisse couler" ou l'autre qui bat des pattes et ne cesse de glisser sur le bord du bol... Oui, mais à la fin, à force de battre le lait, ça devient du beurre, on a une surface solide, et donc une possibilité de s'évader. Évidemment, aucune souris ne sait d'avance que l'obstination produit du beurre. Encore un lieu qui se situe entre ce que l'on sait et ce que l'on ignore. Un entre-deux. Ou encore le lieu même où s'exerce le mouvement. Le lieu où mouvement et immobilité sont deux forces réelles enfin. Possible aussi d'évoquer l'horizontalité et la verticalité qu'inspire l'idée du cercle comme lieu de vie ; on peut s'y déplacer dans les deux dimensions. Voir l'horizon ou voir l'ensemble de haut ou d'en bas. Un autre symbole qui vient à l'esprit presque aussitôt est celui de l'échelle de Jacob. Pourquoi les anges emprunteraient-ils une échelle alors qu'ils ont des ailes pour monter et descendre ? L'échelle est une réalité physique dans ce cas que l'on doit gravir ou descendre en opposition au fantasme de vol comme à celui de toute chute. L'échelle est aussi la matérialisation du lieu comme du chemin qui traverse tous les lieux. Ensuite, tu te demandes pourquoi tu as du mal à effectuer une distinction entre lieu et espace. Tu peux te dire que l'espace est un doute, comme le disait Perec, et que ce serait facile logiquement de désigner le lieu comme un endroit précis. L'endroit de l'envers. Mais l'origine des étymologies est comme la décimale de Pi. Chercher la définition d'un mot ou son étymologie renvoie à 100 mots et chacun encore à 100 mots, etc. Donc encore une belle occasion, si on a enfin saisi l'humour de tout cela, de se dire : "DIEU et ses décimales, on s'en fout." Surtout si on le sait désormais. Et ne surtout pas trop penser que ce que tu écris ici est une configuration de chiffres après la décimale et donc de lettres, tout comme le sont les œuvres de Pessoa, Kafka, Rabelais, Joyce, etc. à l'infini. Et tu peux aussi dire avec un sourire que ce blog est sacré puisqu'il est pour toi un lieu tout à fait à part. Que l'humour est le seul moyen, au final, de résoudre toute contradiction.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

16 janvier 2023-3

En exergue au Voyage au bout de la nuit, cette petite phrase comme un aveu : "C'est de la faute à l'imagination" ou "Tout n'est de la faute qu'à l'imagination". Flemme d'aller regarder dans ce livre que je n'ai plus ouvert depuis des années. Peur, probablement, de me faire happer par lui une fois encore. De subir encore une fois la même dépression qu'il causa lorsque je tombai dessus à la sortie de l'adolescence. J'ai toujours eu cette facilité à m'imbiber comme un buvard du ton, de l'esprit de tels auteurs. Et, forcément, si cela se produit, c'est qu'il y a, en amont, un terreau propice. Je me suis toujours demandé comment je parvenais à comprendre ce que je lisais dans un livre. J'imagine qu'on le porte tout autant en soi que son auteur et que de le lire nous fait soudain le découvrir. D'où ensuite cette ambiguïté concernant la notion de propriété du texte, assez risible lorsque j'y repense. Cela peut d'ailleurs aller chez moi jusqu'à imiter le ton, le style de certains auteurs que j'affectionne particulièrement parce que, naïvement, emprunter la musique me procure l'illusion de pouvoir y poser mes propres paroles. Encore que "propres paroles" soit un terme ronflant. Disons que la musique aide à exprimer l'imagination sur des thèmes communs en espérant trouver une mélodie personnelle. Ce qui n'est pas complètement idiot car les Chinois, dans le domaine de la peinture, n'ont toujours pratiqué qu'ainsi, en copiant, recopiant les maîtres jusqu'à ce qu'à un moment, un écart se produise par inadvertance chez l'élève et qui sera nommé "style d'un tel, style d'un autre". Il y a donc, dans la copie, une réalité vers laquelle on s'efforce de se rapprocher, et ce sera souvent l'impossibilité de s'en rapprocher totalement, cet écart, dans lequel il faudra puiser sa propre manière, sa propre voix, son propre ton. Est-ce que cet écart peut être nommé imagination ? Peut-être. Mais à mon avis, le désir ou l'obligation de copie, pour apprendre, appartient déjà à l'imaginaire. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une histoire que l'on se raconte de génération en génération. Une histoire qui a fait ses preuves, pour ainsi dire, suffisamment pour qu'on la nomme réalité. Paradoxe dont je m'aperçois encore une fois de plus : j'ai toujours été un fervent défenseur de l'imagination en peinture. C'est ce que je ne cesse de seriner à mes élèves depuis des années : "Surtout ne prenez pas de modèle, ne copiez pas, allez plutôt puiser les informations dans votre mémoire, vos souvenirs, votre imagination. Lâchez-vous donc." La raison d'une telle stratégie est que je n'ai affaire la plupart du temps qu'à des personnes ayant allègrement dépassé la cinquantaine, voire plus âgées ; j'ai très peu de jeunes. Donc trop fastidieux de commencer par les études académiques de pots, de bustes en plâtre, la reproduction de photographies des œuvres de grands maîtres. Je me dis que c'est tellement chiant, pour avoir traversé tout cela jadis moi-même, qu'il serait incongru de l'infliger à ces personnes, que sans doute elles s'enfuiraient, et que je me retrouverais alors gros-jean comme devant avec seulement une poignée de clients. Mais je me demande ce matin si ce n'est pas pure supputation de ma part, une interprétation de ma propre histoire, et de surcroît mal comprise, mal digérée. Comme si un aveuglement constitué de préjugés, d'a priori, était l'obstacle. En fait, de l'orgueil. De la vanité. Car ma vérité, elle aussi, n'appartient qu'au même domaine que tout le reste, elle n'est qu'une histoire que je me raconte à moi puis aux autres pour essayer de la valider. De m'en convaincre moi-même surtout. Et d'expérience, c'est si désagréable de poser le doigt dessus que cela procure l'amère sensation d'une très réelle réalité par conséquent.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | janvier 2023

16 janvier 2023-2

Tout a un prix, y compris l'écriture. Et si on établit la liste des ressources, des sacrifices à faire pour se payer ce luxe, c'est au bout du compte un prix très élevé, sans doute aussi élevé que l'exigence qui pousse chaque jour à recommencer. Il semble que ces derniers mois, j'ai dû vendre au clou tout ce qui me restait d'entregent, de mondanité, de diplomatie et j'en passe, pour me jeter comme un désespéré dans l'acte d'écrire des choses que je jugerais moins mièvres ou désolantes à les relire. C'est un travail à la Giacometti que celui qui consiste à ôter petit à petit tous les actes, les habitudes dans lesquels on se réconforte en se disant : "On me lit — je peux donc en toute logique continuer". Mais ce réconfort est trouble si on l'examine de près. Une satisfaction qui met encore le doigt sur un écart à combler. Écart qui sans doute, si on parvient à le combler - mais en est-on jamais certain ? - serait celui qui transforme une écriture de complaisance en quelque chose de plus substantiel. Et dans ce cas, substantiel signifierait quoi pour toi ? Tu penses aussitôt à la matière bien sûr, et surtout au vide insupportable quand elle s'absente, qu'elle n'existe pas. Matière et mère, bien entendu. Donc il n'est pas idiot à ce point de ton parcours d'imaginer que l'écriture est une invocation. Qu'elle s'adresse à ta propre mère serait si décevant, encore que cela vaudrait la peine de l'accepter. Cela t'ouvrirait en tout cas en grand les portes de la prison dans laquelle tu t'es enfermé. Et cet intérêt de plus en plus accru pour tout ce qui tourne autour de ton fantasme de judéité trouverait peut-être enfin un sens qui t'échappe terriblement en ce moment. Tu serais même prêt à t'inscrire et à payer pour effectuer des recherches sur ce site de généalogie célèbre. Remonter à l'histoire de tes ancêtres estoniens. Mais quand tu découvres au hasard d'un article que les premières pièces d'identité fournies aux ressortissants des colonies juives ne remontent qu'à 1863, sans oublier les ravages effectués par l'administration soviétique puis la Shoah, toute trace anéantie à jamais, le sol se dérobe sous tes pieds. Impossible d'obtenir des preuves administratives, de te fier à des documents authentifiés. Tout un pan de l'histoire de ta famille impossible à vérifier. Et pourtant, quand tu es devant ton écran, tu sens une foule qui ne cesse de te murmurer : "Continue, vas-y, tu y es presque, tu vas nous retrouver, tu vas nous racheter, grâce à toi nous n'aurons pas vécu en vain." Ce qui certainement me fera frissonner de honte quand je me relirai.|couper{180}

réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

15 janvier 2023

Le rêve d’un deuxième cerveau. Déconnecté, mais là, toujours. On y plonge sans y penser, comme on tourne un robinet. Ce matin encore, tu t’es adressé à ChatGPT. Une page HTML à corriger, un doute technique. Tu aurais pu chercher, tâtonner, essayer. Mais non. Tu tapes ta requête. La réponse s’affiche : efficace, propre. Rien d’étonnant pourtant. Tu le sais bien, ce code, tu aurais pu l’écrire seul. Si seulement tu avais pris le temps. Le temps de l’essai, du raté, du détour. Ce temps où quelque chose surgit — un détail inattendu, une idée qui s’impose par accident. Mais l’intelligence artificielle ne connaît pas les accidents. Elle va droit au but, supprime le hasard. Et qu’est-ce que le hasard sinon la vie elle-même ? Le drame et la comédie, la poésie et le tragique ? Tout ce qui fait que nous avançons en trébuchant. Tu te rends compte que dans cette dépendance naissante à l’outil, c’est ton propre cerveau que tu oublies. Celui qui hésite, qui cherche, qui se perd pour mieux trouver. Ce matin encore, tu as choisi la facilité — ou peut-être était-ce la paresse ? Mais à chaque fois que tu fais ce choix, quelque chose se retire du monde. Une part de toi-même s’efface. L’outil est là pour aider, dis-tu. Mais il te vole aussi : le hasard des chemins non empruntés et cette lenteur où parfois naît une fulgurance. Alors tu te demandes : que reste-t-il quand tout devient rapide et sûr ? Où est passée cette part d’incertitude qui faisait de chaque geste une aventure ?|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

14 janvier 2023

St Jérôme dans sa cellule 1654, Joost Van de Hamme L’erreur est peut-être de croire qu’il faut d’abord pénétrer profondément une langue étrangère, la dominer, la maîtriser, pour traduire un texte dans cette langue. Cette idée m’obsède depuis des années. La plupart des écrivains que j’admire – ceux avec lesquels se nouent des affinités silencieuses – sont passés par la traduction pour vivre. Et moi, que faisais-je dans ma jeunesse pour gagner ma vie ? Des jobs pénibles, de ceux qu’on nomme "alimentaires" par commodité, mais qui ne nourrissent en vérité qu’une routine sans éclat. Je ne peux pas dire que les langues étrangères ne m’intéressaient pas. À chaque fois, elles m’attiraient comme un aimant. Mais leur apprentissage se heurtait à un mur : celui du préjugé, d’un présupposé tenace qui me murmurait qu’elles m’étaient inaccessibles. En latin, en allemand, ce fut la déclinaison. En mathématiques, ce furent les équations. Ces logiques précises, implacables, faisaient surgir en moi une sensation d’idiotie profonde. J’associais ces disciplines à des territoires interdits, inatteignables, comme certaines femmes ou certains hommes jadis : des fantasmes d’inaccessible étoile, à la Don Quichotte. Et dans cette quête d’un inaccessible, j’ai toujours oscillé entre fascination et répulsion. La précision, par exemple : je la rêve démesurée, presque tyrannique, au point qu’elle devient une abstraction inatteignable. Peut-être est-ce pour cela que je me suis toujours contenté de l’"à peu près". Pas par paresse, mais par instinct de survie. M’approcher trop près de cette précision que je vénère m’effraie, comme si je risquais de perdre quelque chose de moi-même en m’y abandonnant. Ce matin, en écrivant, une image inattendue surgit : la sodomie. Loufoque, à première vue, mais pas tant que cela. Ce tabou – cette frontière intime que je me suis toujours refusé à franchir pleinement – m’apparaît soudain comme une métaphore de mes blocages. La réserve avec laquelle je me tiens face à cet acte n’a rien à voir avec une quelconque morale ou une réticence culturelle. Elle est instinctive, viscérale. Une peur d’enfreindre une part sacrée, chez l’autre comme chez moi. Et cette peur, cette retenue, je la retrouve dans bien d’autres aspects de ma vie. Même si j’ai cédé parfois à certaines injonctions, je n’y ai jamais éprouvé de réel plaisir. Ce qui dominait, c’était une culpabilité troublante, une conscience aiguë de la transgression. Peut-être est-ce là l’origine d’une délicatesse ou d’une préciosité que je trouve en moi, à la fois anachronique et douteuse. Une forme d’hypocrisie, finalement. Car dans d’autres contextes, je ne peux nier avoir été un "entubeur". Pas dans l’acte, mais dans l’intention. Combien de fois ai-je manipulé, contourné, pour parvenir à mes fins ? Et combien de fois m’en suis-je excusé en invoquant le hasard, la providence ou l’inconscience ? Cette observation m’amène à une conclusion déstabilisante : ma cruauté – ou plutôt ce que je perçois comme ma cruauté – n’est peut-être qu’une erreur de traduction. Peut-être que le mot juste pour me définir serait "complètement con". Et cet aveu, aussi brutal soit-il, m’apporte un certain soulagement. Il me rapproche des autres, d’une manière inédite, bizarre mais indéniablement juste. Cette étrange plénitude me projette hors de moi-même, dans un ailleurs où je ne suis plus ni humain ni animal. Juste un escargot, ou un Baphomet. Une créature hybride, condamnée à errer entre deux états. Peut-être devrais-je embrasser cette étrangeté, m’y abandonner totalement. Devenir berger, par exemple, et voir si je m’entends mieux avec les chèvres qu’avec les humains. Ou peut-être curé, ce qui, sur ce plan, friserait le pléonasme.|couper{180}

peintres réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

02 janvier 2023

L’exposition Munch au Musée d’Orsay commence pour moi par un soupçon assez simple, presque brutal : je me retrouve devant ces tableaux en me disant qu’ils ont l’air bâclés. Les surfaces paraissent rapides, brutales, les couleurs tirent vers des bruns et des violets que je ne qualifierais pas de séduisants, avec ces tonalités presque ternies qui donnent d’abord une impression de négligé. Partout des mains seulement indiquées, des visages à moitié résolus, des fonds traités par larges masses sans détail. C’est un choc, mais pas celui que j’attendais. Je croyais venir voir une peinture plus spectaculaire, plus “expressionniste” au sens caricatural du terme, et je me retrouve avec cette économie presque sèche, comme si Munch avait décidé d’arrêter ses toiles deux ou trois étapes avant ce que j’appellerais spontanément un “fini”. D’où cette question qui revient plusieurs fois en traversant les salles : est-ce que je suis devant une forme de bâclage, ou est-ce que c’est moi qui confonds inachèvement visible et décision d’arrêt ? Cette austérité fait penser à une certaine tradition protestante, à des fonds sombres presque flamands, à une peinture qui refuse le spectaculaire pour se confronter directement à la vie et à la mort. Pas de surcharge, pas de pathos appuyé, mais une gravité qui tient dans la réserve. Ce que j’éprouve là, des critiques l’ont formulé bien avant moi, et pas à voix basse. En 1892, à Berlin, l’exposition de Munch provoque un scandale au point d’être fermée. Ce qui revient dans les témoignages de l’époque, c’est précisément l’accusation d’inachèvement : tableaux jugés expédiés, peints trop vite, surfaces vues comme des esquisses plutôt que comme des œuvres terminées. On lui reproche de mépriser le public, de traiter la peinture avec arrogance, d’exposer ce qui, dans les codes d’alors, aurait dû rester à l’atelier. Il ne respecte ni le temps attendu du travail ni la hiérarchie implicite entre étude et tableau définitif. Autrement dit, mon “c’est bâclé” intérieur n’a rien de nouveau : il rejoue, à distance, la résistance première de spectateurs pris dans une autre définition de ce qu’est un tableau achevé. La différence, c’est que je sais qu’entre 1892 et aujourd’hui, il s’est passé quelque chose dans la manière de penser le “non-fini”, et c’est ce quelque chose qui me permet peut-être de déplacer mon premier jugement. Car la critique moderne, au lieu de corriger cette impression de bâclage, l’a plutôt retournée, reformulée. Ce que les contemporains prenaient pour de la paresse ou un manque de respect pour le métier est relu comme un choix central : laisser visibles les traces du processus, accepter que certaines zones restent dans un état intermédiaire, refuser le vernis du “fini lisse”. La peinture moderne s’est construite aussi sur cette idée que le tableau n’a plus à dissimuler son propre faire. Chez Munch, cela prend la forme de surfaces volontairement sommaires, de contours qui s’interrompent, de visages à peine articulés, mais qui tiennent pourtant la tension du motif. Ce n’est pas l’absence de travail qui frappe, c’est au contraire la décision d’arrêter avant que le détail ne prenne le pouvoir. L’économie des moyens devient une manière d’affirmer que l’essentiel n’est pas dans la multiplication des petites touches mais dans la tenue d’un ensemble. En relisant ce que la critique récente écrit sur ces toiles, on rencontre souvent cette idée de surfaces “ouvertes”, de tableaux qui gardent quelque chose de l’esquisse comme état permanent. Ce qui était perçu comme un manque devient une forme de modernité : le tableau ne promet plus de clore l’image, il expose un moment du travail, un équilibre provisoire. Quand je reviens mentalement dans les salles d’Orsay avec ça en tête, certains détails qui m’agaçaient au premier passage prennent un autre sens. Cette main à moitié indiquée ne demande pas à être achevée par un spécialiste de l’anatomie, elle suffit pour désigner la position du corps, l’abandon ou la crispation du personnage. Ce visage comme “à côté”, où l’ombre mange une partie des traits, ne réclame pas un portrait plus ressemblant, il sert à maintenir un niveau de présence qui n’a pas besoin d’être photographique. Les fonds, souvent réduits à des bandes de couleur ou à des masses unies, ne sont pas des décors négligés, ils empêchent simplement le regard de se perdre dans des accessoires. Tout ce qui pourrait être ajouté là – un objet, un meuble, une texture de mur – viendrait détourner l’attention de l’axe principal. On comprend mieux alors que l’accusation d’inachèvement touche surtout une certaine idée du tableau comme objet complet, saturé, où rien ne manque. Munch, lui, semble parier sur le fait que oui, il manquera toujours quelque chose, et que c’est dans ce manque assumé que se loge une partie de la force. Cette économie se redouble dans la répétition des motifs. Les mêmes figures reviennent – visages, postures, paysages, situations –, non comme signes d’une panne d’inspiration, mais comme une obsession méthodique : reprendre les mêmes thèmes, l’amour, la mort, l’angoisse, et les creuser encore, différemment, avec de petites variations de lumière, de composition, de distance. Munch n’essaie pas de produire enfin “la version définitive” d’un motif ; il accepte que chaque version soit une tentative interrompue à un autre endroit. Le non-fini n’est pas un accident à corriger, il devient une méthode : reprendre, déplacer légèrement, modifier une couleur, un cadrage, un silence, et décider à chaque fois de s’arrêter ailleurs. L’abondance, ici, apparaît comme une illusion rassurante : multiplier les images pour éviter de s’attarder. Lui fait l’inverse : il revient, il insiste. À ce stade, la question se retourne vers moi presque sans que j’aie besoin de la formuler. Ce que je reprochais aux toiles au début – ce manque de fini, ce côté abrupt – ressemble beaucoup à ce que je redoute dans ma propre pratique : arrêter trop tôt, livrer quelque chose que je juge moi-même incomplet, me passer de la consolation du détail ajouté. Ma tentation spontanée va plutôt dans l’autre sens : prolonger la phrase, densifier la surface, accumuler des couches de peinture ou d’explication pour me rassurer sur le fait que “j’ai assez travaillé”. Voir Munch choisir, de tableau en tableau, un point d’arrêt aussi net, aussi peu décoratif, c’est être obligé de reposer la question autrement : à partir de quand un travail est-il juste, même s’il semble encore brut, et à partir de quand le fignolage n’ajoute plus rien d’essentiel ? La critique de 1892 parlait d’offense au métier ; je me rends compte que ma propre voix intérieure est structurée de la même façon : elle réclame des signes visibles d’effort, des traces de difficulté surmontée. Or les tableaux de Munch me montrent une autre forme d’effort, moins spectaculaire : décider de ne pas aller plus loin, accepter qu’une forme bancale, une main à demi posée, un visage à moitié avalé par l’ombre suffisent pour dire ce qui doit être dit. L’économie des moyens, dans ce cadre-là, n’a rien d’une excuse, c’est au contraire un renoncement coûteux : renoncer aux preuves visibles de virtuosité, renoncer à certaines sécurités, renoncer à l’idée que le spectateur sera rassuré par la quantité. En sortant de l’exposition, la formule “bâclé” ne disparaît pas complètement, mais elle se déplace. Ce qui me frappe n’est plus l’impression de manque, c’est l’exigence que suppose ce manque assumé. Il y a sans doute des toiles moins tenues que d’autres, des moments où l’arrêt est plus fragile, mais l’ensemble compose tout de même une position claire : mieux vaut une image dépouillée qui porte une tension qu’un tableau rempli pour remplir. Pour ma propre pratique, la leçon est assez nette, même si elle n’est pas confortable : si je veux prendre au sérieux ce que je prétends chercher – une forme d’honnêteté, une justesse plutôt qu’un effet –, il faudra accepter des arrêts plus abrupts, des zones non saturées, des textes qui n’expliquent pas tout. Ce que Munch m’enseigne à Orsay, ce n’est pas seulement ce qu’il peint, c’est où il s’arrête, et ce geste d’arrêt, qui a tant fait scandale à Berlin, reste sans doute aujourd’hui encore l’une des décisions les plus difficiles à prendre, que ce soit devant une toile ou face à une page.|couper{180}

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Carnets | décembre 2022

De l’impossible

une nouvelle toile un nouveau départ à partir d'un fond noir, huile sur toile 70x70 Impossible de ne pas écrire, impossible d'écrire dans une langue étrangère, le français, impossible d'écrire dans une langue maternelle inconnue, mais est-ce l'estonien. l'estonien n'est au bout du compte qu'un symbole. tout comme ces diverses tentatives parfois fructueuses pour apprendre l'hébreu, le farsi, le sanskrit et bien évidemment l'anglais et l'allemand. Mais la langue de l'autre, n'importe qui, suffirait pour faire ressurgir l'échec. Tenter de tracer un périmètre une fois encore à la tour de Babel. Voué dés le départ à la ruine de l'orgueil ou la vanité qui auront fomenté un dessein si singulier si stupide. C'est là l'origine d'une singularité et de tous les malentendus permanents qui en découlent. Singularité prise au début comme une sorte d'avantage dans sa flamboyance initiale, alors qu'il s'avère qu'elle est tout le contraire, un handicap. Le plus terne du terne. Et la compréhension que ce ne pouvait pas en être autrement qu'ainsi. Pour plagier Kafka - dans ce combat entre le monde et toi, seconde le monde. C'est à dire fonce dans cette singularité, détruis-là par tous les moyens possibles, imaginables. Un être seul ne peut pas vivre ainsi dans le monde. Il ne peut jamais que mesurer l'écart entre le monde et lui. Et, ce faisant débarrasser le monde d'une singularité qui ne lui appartient en rien, dont il n'est jamais conscient. l'impossibilité ontologique du monde de posséder une telle conscience. Il n'en a pas besoin voilà une vérité. la vérité du monde est d'être ce qu'il est quoiqu'il soit. La malediction d'une conscience faisant retour comme un boomerang, une éclaboussure, vers l'individu isolé. Soit encore une double impossibilité qui forme le fleuve coulant entre ces deux rives. Entre conscience de l'un et inconscience de tous. Ce qui finit par rendre caduque la conscience, la rendre ennemie. Et le désir bizarre parfois de plonger au sein du monde comme une brute, comme une bête, un animal. Mais Impossible désormais puisqu'on en aura justement pris note ou conscience.|couper{180}

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Lectures

Ce que je sais sur la composition

Le mot composition me revient. Sans doute parce que je viens de le lire. Il me revient comme ça, comme un cheveu dans la soupe ou sur la langue. Des années après, il me revient. Je ne sais pas s'il revient depuis l'époque des bancs de l'école primaire. L'époque du coin et du bonnet d'âne. Des coups de règle ou de bambou. Est-ce que je me mêlais d'écrire des compositions avant qu'elles ne deviennent soudain des "rédactions" ? Comment s'est effectué ce passage. Ce n'était pas sage d'abandonner l'idée de composer et de se lancer ( bille en tête) dans la rédaction—sans y penser, en y repensant aujourd'hui. Je fouille dans mes souvenirs, pas grand-chose ne remonte. Un ennui pour résumer. Composer m'ennuie. Sans doute parce que, comme le dit Moravia, j'ai une relation figée avec le mot composition. ( Lui disait le monde, mais je reste modeste, le monde ne m'ennuie pas autant que la composition). Cependant que pour l'approcher je dois sans cesse composer sans même m'en rendre compte. Si j'essaie avec mes faibles notions de latin de décomposer ce mot de composition il y a com et position, mais c'est plus compliqué et à la fois plus simple puisque componere signifie mettre ensemble ou encore mettre ensemble un certain nombre d'éléments pour former un tout. Mais qu'est-ce que le tout ? Et si le but était de parvenir au tout il ne resterait rien en fin de compte que ce tout qui envahirait tout. J'en suffoque déjà par avance. Dans quelques occasions je me suis composé un visage pour tenter de répondre aux circonstances. J'ai très peu composé de poèmes en vers. j'ai composé avec les évènements mais c'était bien plus des compromis que de véritables compositions. J'ai parié assez tôt que la poésie se trouve rarement où on l'attend. J'écris en prose la plupart du temps, c'est à dire que je pars sur un détail qui m'emmène à un autre et ainsi de suite jusqu'à ce que j'ai une sensation de satiété. Encore que je pourrais facilement dire que cette sensation de satiété est factice, qu'elle n'est jamais totalement satisfaisante car quand j'écris, et plus j'écris, plus le tout se retire et à la fin toujours la sensation du rien. Voici une liste d'expressions courantes utilisant le mot composer : Composer un bouquet Composer un menu Composer un jury Composer un roman Composer une symphonie Composer un numéro Composer son personnage Composer avec les préjugés Composer avec sa conscience Composer une liste Composer une mélodie Composer une phrase Composer un emploi du temps Composer un puzzle Composer un poème Composer un repas Composer un rôle Composer un scénarioQuelques expressions idiomatiques : ( ce sont des expressions linguistiques qui sont caractéristiques d'une langue particulière et qui ne peuvent pas être comprises littéralement. Par exemple, l'expression "avoir un poil dans la main" est idiomatique car elle signifie être paresseux, et non pas avoir réellement un poil dans la main) Composer avec : Faire des compromis ou s'accommoder d'une situation, par exemple, "composer avec les préjugés" ou "composer avec sa conscience". Composer un numéro : Former un numéro de téléphone sur un clavier. Composer son personnage : Adopter une attitude ou une expression pour paraître d'une certaine manière aux yeux des autres. Composer un bouquet : Assembler des fleurs pour créer un arrangement floral. Composer un menu : Élaborer une sélection de plats pour un repas. Composer une symphonie : Créer une œuvre musicale orchestrale. Composer un emploi du temps : Organiser ses activités et rendez-vous dans le temps. Ces expressions illustrent l'utilisation variée du mot composer dans des contextes allant de la musique à la gestion quotidienne. Comme tout est le reflet inversé de rien il ne faut pas que j'oublie le mot décomposition. Ce qui me fait penser aussitôt au passé-composé ( une action achevée dans le temps et que l'on chercherait à inverser, c'est à dire à réactiver, à rendre présente, par le phénomène de l'écriture. Si j'écris j'ai été un élève assez médiocre, c'est que je le pense toujours au moment où je l'écris.|couper{180}

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