réflexions sur l’art

Ici, l’art n’est pas un objet figé mais un lieu de pensée en mouvement. Peinture, écriture, regard : tout devient matière à interrogation, parfois ludique, parfois grave. Ces réflexions empruntent autant à la philosophie qu’au souvenir de gestes, à l’anecdote d’atelier, à la mélancolie ironique. Peindre, c’est parfois rater ; dire, c’est souvent déformer ; l’œuvre est résidu de tentatives accumulées. L’artiste-écrivain avance en hésitant, creusant les mots comme la toile. Il ne cherche pas à expliquer l’art, mais à habiter ce qui se dérobe dans l’acte de créer. Chaque texte trace un sentier incertain, où l’intensité prime sur la clarté, où la seule vérité possible est celle de l’élan.

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Carnets | novembre 2021

La peinture "médianimique"(notes sur l’art brut)

Du spiritisme aux théories sur le hasard.Le hasard est comme un iceberg, on n'en voit que la partie visible, celle du temps présent. Pour en revenir à l'art brut Je me suis mis en tête de trouver différents angles d'attaque non pour définir ce qu'est celui-ci, mais afin de suggérer un certain nombre de pistes qui me paraissent fécondes dans ma façon d'aborder la peinture aujourd'hui. Si désormais le mot hasard revient de plus en plus dans ce que je peux recueillir des processus (les miens et aussi ceux de nombreux autres artistes dont j'ai pu déchiffrer la démarche) concernant la peinture abstraite, je me demande ce que recouvre véritablement ce mot. Car dans le fond et à la vue de la pudibonderie de notre temps recouvrant d'un voile de pensée mainstream tout ce qui a déjà été exploré dans les mines des hauts de France par ce qu'André Breton nommait des peintres médianimiques, notamment Augustin Lesage, j'ai des doutes tout à coup, et je me demande si ce terme facile de hasard n'est pas en quelque sorte de la pudeur plus que tout autre chose. Et lorsque j'emploie ce mot je parle évidemment du paradoxe excitation-gène qui finit par le rendre addictif Il ferait beau voir que je me targue de peindre, en public et en plein jour, à l'écoute de voix qui me dicteraient tel rouge ou tel jaune, qui s'empareraient de mes mains pour tenir le pinceau et lui faire dessiner et peindre des œuvres directement issues de l'Au-delà. J'avoue que j'aurais bien du mal à tenir longtemps ce discours sans pouffer à un moment ou à un autre, idiot que je suis , contaminé par la raison bulldozer le rouleau compresseur de la sainte pensée unique. Voici pourquoi le hasard convient mieux essentiellement, il ne sert qu'à rester dans le groupe, à ne pas être expulser à la marge. Je pourrais aller chercher des arguments concernant ce fameux hasard que l'on utilise désormais à toutes les sauces dans le domaine de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie, ce ne serait encore que science sans conscience, et donc ruine de l'âme par ricochet. J'entends ici la conscience au sens le plus large, c'est à dire la perception et qui dépasse de mille coudées l'entendement et tout le bric à brac raisonnable justement qui l'accompagne. Il n'y a pas de raison sans perception Suivant l'adage rien ne peut venir à la raison sans provenir avant tout de la perception. Encore faut-il s'entendre sur la définition de ces deux mots évidemment. Si le but de la raison est seulement d'avoir raison, autant se jeter dans la perception totalement. C'est d'ailleurs la motivation principale de ce projet de textes autour de l'art brut. Mon intuition est qu'il est une porte ouverte sur la perception à l'état pur (brut ?) et que tout le discours que l'on peut tisser pour tenter de l'emprisonner, notamment le discours habituel de l'élite lorsqu'elle invente comme cela l'arrange des théories fumeuses sur tel ou tel artiste ne sert encore qu'à dissimuler en grande partie ses sources les plus vives. Nous nous sommes coupés de par cette fameuse raison avec sa logique mondialisée et blasée et désormais par crainte du ridicule aussi, de bien des conversations que les intellectuels, les écrivains, les artistes du 19eme siècle, abordaient notamment sur le spiritisme. Serions nous plus intelligents que nos prédécesseurs où plus désabusés ? Serions nous aujourd'hui plus intelligents au 21ème pour déclarer que les théories du hasard , de la psychanalyse, de l'inconscient valent mieux que ce sur quoi s'appuyaient de nombreux écrivains du 19ème pour cerner le fantastique, le mystère, l'ineffable ? Aujourd'hui on voudrait que tout soit logique tellement que cette quête en devient insensée et ne produit plus qu'un chaos généralisé. Il peut alors être sage, et c'est un pas de géant sans doute vers l'humilité que d'accepter que ce que nous appelons le hasard aujourd'hui est synonyme d'inconnaissable. Un inconnaissable qui continue à attirer vers lui de nombreuses personnes pas toujours bien intentionnées et qui chercheraient évidemment encore à contrôler quelque chose au travers lui. A contrôler les autres évidemment. C'est à dire qu'il représente peut-être le même genre de Nouveau Monde vers lequel voguaient les caravelles, presque en même temps que la Peste Noire envahissait l'Europe, sauf l'Italie ce qui permit à la Renaissance d'y germer puis de se déployer peu à peu dans une Europe convalescence en quête d'un sens nouveau. La grâce ne s'avance pas seule hélas, elle s'accompagne de phénomènes périphériques liés le plus souvent à la vanité et à l'orgueil, au profit que l'individu espère tirer de l'inconnaissable pour gouverner et exercer son pouvoir sur l'autre. Ainsi la découverte du Nouveau Monde, par une nuit du mois d'octobre 1492, s'effectua t'elle totalement "par hasard" lorsque les deux caravelles, la Pinta, la Nina et une caraque, à la recherche d'une route vers les Indes Orientales, abordèrent la petite île de Guanahani, actuel Salvador, dans les Caraïbes. La raison pour laquelle Christophe Colomb dont le projet était de découvrir cette fameuse route, après plusieurs échecs de financement fut finalement commandité par la reine Isabelle 1ère de Castille ( elle fut financée en grande partie, cette expédition , par les taxes et les amendes imposés alors aux juifs et musulmans du royaume) était de toute évidence principalement commerciale, et dans l'espoir d'augmenter les profits. Possible que chaque époque rêve d'un nouveau monde Les psychanalystes justement parleraient d'un phénomène récurrent, de répétition qui s'effectue aussi longtemps que l'on n'a pas résolu le conflit qui en est à l'origine. Ce rêve permanent qui traverse l'histoire de l'humanité selon les époques se dissimule sous des couches superficielles que l'on peut appeler l'intérêt, le profit, le pouvoir, c'est à partir de ces couches les plus superficielles dont s'entoure ce rêve que nait l'histoire telle qu'on veut nous l'enseigner. Il me semble que nous sommes certainement la partie du monde, occidentale, qui a le plus besoin de revenir à ce rêve sans relâche du fait que notre pensée contemporaine se développe désormais totalement coupée elle aussi de ses racines sacrées. La pensée se développant en occultant une grande partie de la perception du sacré. Le reléguant comme phénomène mineur, périphérique, anecdotique, ce qui est sans doute une grande erreur provenant de notre individualisme. Le besoin de croire, d'imaginer, de rêver, n'est ce pas cela l'essence même d'être humain avant tout ? Et tous ceux qui en ont profité depuis la nuit des temps le savent et continue d'en profiter tous les jours. Si ce n'est plus par la religion, c'est par le marketing, par la pub, par l'art, par le sexe, par l'amour. Tout est bon désormais pour vendre du rêve, mais ce ne sont plus que des rêves en toc. Et avec l'inflation de nos rêves est directement atteinte notre force vitale. C'est pourquoi l'art brut me semble aussi être une voie, un sentier sur lequel cheminer dans la brume de cet automne occidental. Ce projet de m'intéresser de façon sérieuse, documentée, à l'art brut ne date pas d'hier. Sans doute parce qu'en grande partie je me sens moi-même comme un électron libre face à l'Art, à la peinture notamment, malgré tout le savoir engrangé, malgré les études, malgré l'expérience acquise, le mot autodidacte me colle à la peau. En refusant le cheminement classique qui sans doute déjà représentait ce que l'on appelle aujourd'hui la pensée unique, sans vraiment le savoir je m'engageais dans le risque, dans l'inconnu, avec une croyance naïve propre à tous les jeunes gens de faire du "nouveau", "du neuf", "de l'original". Encore que lorsque je pense à cette naïveté aujourd'hui les mots dont je l'entourais ne me servaient sans doute qu'à préserver, ou éprouver celle-ci. Lorsque j'ai vraiment commencé à peindre, je ne parle pas des années de formation, mais de cet instant où justement j'ai accepté de ne rien savoir pour déposer mes premières taches sur le papier et sur la toile, j'ai senti quelque chose s'emparer de mon crayon, de mes pinceaux et que j'ai presque aussitôt mis de coté tant cette chose m'effrayait. Je me souviens d'une grande feuille de papier de 2m par 1m que j'avais punaisé au mur de la chambre où j'avais échoué et sur laquelle avaient surgit des formes et des visages du type Maori. Je peignais déjà comme je le fais aujourd'hui, en refusant de prendre des modèles, je me disais que tout devait venir de l'imagination ou rien. Cela m'a beaucoup intrigué de voir apparaitre ces visages, des femmes aux formes généreuses, réalisées à la gouache. A un moment du tableau j'ai même eu une étrange sensation de familiarité avec le personnage principal du tableau. Et je me souviens de m'être dit c'est moi dans une autre vie. Cela parait évidement totalement loufoque à la lumière de la raison. Et puis je ne mangeais pas tous les jours à ma faim, et puis j'étais tout seul durant des jours à ne parler à personne, sans doute peut on attribuer toute cette histoire au malheur et à un besoin compréhensible de sublimation. Bref, en comprenant que je glissais vers une douce folie, j'ai décidé de m'imposer une plus grande discipline. Je me suis intéressé à la façon de gagner de l'argent pour pouvoir me nourrir correctement, j'ai fait de l'exercice, principalement de la marche, et je me suis rendu dans de nombreuses bibliothèques de la ville pour côtoyer du monde, sans pour autant avoir à lui parler. Enfin j'ai ôté du mur ce grand tableau que j'ai roulé et rangé sous le lit. Pour remettre aussitôt une autre feuille du même format au mur et recommencer. A ma grande stupéfaction je vis apparaitre alors un personnage de l'ancienne Egypte, puis un autre et tout un décor étrange que je n'avais de mémoire jamais vu et qui pourtant me parut aussitôt familier. Il s'agissait d'un couple dont j'étais le serviteur, peut-être un modeste scribe. Quelques années plus tard je travaillais au musée du Louvres comme maître Jacques et je tombai tout à coup sur le Scribe accroupi dans les salles Egyptiennes. Le choc fut d'une violence telle que je faillais tomber dans les pommes. C'était comme si je me voyais soudain dans un miroir, mais dans la peau d'un autre. Et aussitôt je repensais à cette peinture que j'avais effectué comme en transe dans ma petite chambre d'hôtel et qui représentait une scène de l'ancienne Egypte. Il y a donc bien malgré toute la raison que je me targue de posséder une porosité certaine par laquelle le mystère l'étrange, l'inconnu se fraie depuis toujours un chemin pour tenter de parvenir à ma conscience. Et à chaque fois le même scénario recommence, je me dis que je deviens cinglé, que j'ai des hallus, que c'est probablement une carence en potassium ou en magnésium. Bref j'élude. Et en même temps je ne peux me détacher totalement de cette part de moi-même vulnérable, enfantine, qui semble attirée obstinément vers tous les contes à dormir debout, vers le surnaturel, vers le hasard. C'est là sans doute l'essence même du conflit qui m'habite depuis toujours, cette lutte permanente entre raison et déraison et je ne saurais dire laquelle de ces deux forces en présence a le dessus tant elles sont équivalentes dans leur puissance. La lucidité me sert à examiner ce que l'on appelle facilement la folie et cette dernière ne cesse de remettre en question la fiction que représente pour elle la pensée logique, rationnelle. C'est ainsi que j'avance et recule sans arrêt dans ce jeu de l'oie. Avec parfois la sensation d'atteindre à la clarté tandis que d'autres fois je m'enfonce comme un bouchon dans les profondeurs les plus troubles, les plus sombres, les moins explicables. Le fantasme de retrouver un cœur pur Par ce projet d'étudier l'art brut, j'espère résoudre sans doute un peu plus ce conflit mais je vois déjà qu'il ne s'agit pas de trouver une solution plutôt que d'effectuer un choix comme dans le film "les aventuriers de l'Arche perdue" où le héros doit emprunter un pont invisible. Poser le premier pas dans le vide c'est faire acte de foi envers cette folie, cet inconnu. C'est aussi selon les règles posséder un "cœur pur". Est ce que ce que j'imagine de ces artistes de l'art brut n'est pas tout simplement encore une sorte de fantasme ? Est ce qu'ils ont véritablement le cœur pur ? C'est à dire est ce qu'ils ont préservé en eux la meilleure part de cette enfance que nous regrettons souvent nostalgiquement et qui sans doute n'est rien d'autre qu'une fiction comme tout le reste ? Souvent je repense à mes débuts en informatique et je me dis qu'ils ressemblent beaucoup à mes débuts en peinture. Je crois que j'ai passé de nombreuses années à reformater mes disques durs lorsque je découvrais tout à coup que j'avais rempli leur mémoire de tout un fatras de choses inutiles. De même que j'ai recouvert d'innombrables toiles d'enduit pour ne plus voir les sottises que j'y avais dessiné ou peint. Cela fait longtemps que je ne formate plus et que je recouvre beaucoup moins d'enduit qu'auparavant. Je crois que ce besoin d'ordre, de perfection, comme de cette fameuse pureté m'ont quitté avec l'âge. Je suis plus tolérant envers moi-même. Encore que très exigeant toujours. C'est à dire que cette exigence s'appuie sur autre chose désormais. Peut-être pas tant d'avoir un cœur reformaté , un soi disant cœur pur, ce genre de cœur qui mène à l'inquisition et au fascisme sans même que l'on s'en rende compte. Je crois que c'est plus une notion musicale de justesse qui m'oblige à cette exigence. Si la note n'est pas juste c'est que l'instrument est mal accordé ou que le joueur s'écoute encore trop jouer. Il est possible alors que ces artistes qui ne s'appuient pas sur la pensée, sur la logique, la rationalité pour créer, ces artistes de l'art brut, ces artistes médianimiques ont trouvé une solution en prenant ce qu'ils nomment les esprits pour se laisser aller à créer ce qui de toutes façons doit se créer. En cela il s'agit encore une fois d'univers particuliers avec des grilles de lectures particulières du monde. J'ai toujours pensé que c'était cela l'essentiel à comprendre, ces langages, ces grilles de lecture. Qu'elles soient pertinemment perçues par le plus grand nombre comme la religion, la politique, la psychanalyse, où bien par une minorité comme le spiritisme, le chamanisme, la peinture intuitive, cela ne remet pas vraiment en question leur rôle de médiatrice avec l'inconnaissable. L'inconnaissable. Hier je me disais encore que j'aimerais voir une chose simple, une feuille, une goutte d'eau, un pot sans tout ce que je ne cesse de coller dessus comme interprétation, que ce soit par le mental et par mes propres perceptions. Je me posais cette question de savoir si ces choses simples existaient vraiment en dehors de moi, sans moi, et comment elles apparaitraient alors dans ce qu'imagine être encore un "absolu". Dans leur essence. C'est là l'extrême de mon orgueil encore très certainement que de vouloir voir au delà de l'être, sans doute au delà de Dieu également. C'est voir ce que Castanéda nomme le nagual au delà du tonal. Est ce vraiment de l'orgueil d'ailleurs, je crois qu'on utilise aussi ce mot comme on utilise le mot hasard. Ce que dissimule l'orgueil est encore autre chose, au delà de la superficialité que l'on attribue à la bêtise, au besoin d'être aimé, à la reconnaissance, à l'envie de dominer, à la peur d'être nu. Chez les grecs anciens, on n'aurait pas compris qu'un héros ne soit pas orgueilleux au même titre que les dieux eux-mêmes l'étaient. C'est de cet orgueil là dont il faudrait parler, un orgueil comme une force et qui n'aurait pas d'autre profit de celui de pouvoir se déployer comme la mer se déploie, comme le tonnerre tonne, comme le vent parcours le monde. Je demande pardon au lecteur pour la longueur inconsidéré de cet article que je devrais sans doute remanier comme de nombreux autres. Mais cela me semble aussi honnête de montrer la naissance d'une pensée, d'un projet à ses débuts. C'est aussi montrer d'une certaine manière un début d'obéissance à quelque chose qui s'écrit au travers de ce personnage de blogueur. Parce qu'il n'y a évidemment pas qu'en peinture que la possibilité médianimique s'opère, dans l'écriture aussi, cela je le sais depuis le début.|couper{180}

peinture réflexions sur l’art

Carnets | novembre 2021

Avancer, reculer, recommencer.

L’art est un labyrinthe dont le but est nécessairement l’égarement. Sinon, à quoi bon y pénétrer ? Et quand bien même placerait-on un minotaure comme prétexte à l’action, il ne serait rien à proportion de ce que produit la perte de repères. Le héros s’affrontant lui-même intéresse-t-il encore qui que ce soit, mis à part les enfants amateurs de contes et de légendes ? Quand Hercule se rend compte qu’aucune de ses armes ne peut entamer le cuir du lion de Némée, il l’enlace dans une sorte de danse qui oscille entre l’étouffement et l’accolade. Récupérer ensuite la peau du lion, une fois vaincu, et s’en revêtir, l’arborer sans pour autant parader, est le prémisse que quelque chose enfin s’est passé, que l’histoire débute réellement : celle de l’artiste qui a enfin compris la nécessité de « sauter par-dessus lui-même » pour reprendre la formule de Paul Klee parlant du gris. La traversée d’un miroir est toujours quelque chose qui tient à la fois de l’ordinaire et du miracle. Ordinaire parce qu’autrefois cela s’apprenait à l’adolescence au travers de rituels que l’on pouvait considérer à l’âge adulte comme « banals ». Miracle dans notre monde moderne où, justement, on fait à peu près tout pour que cette traversée ne s’effectue plus, pour conserver le plus longtemps possible l’homme dans une enfance égocentrée. Bien sûr on peut se rendre à l’école, à l’université pour apprendre quelque chose sur l’art. Surtout tout ce qui tourne autour de celui-ci comme un récit tourne autour d’une absence. Bien sûr le savoir remplit, comme la denrée, le réfrigérateur et produit une illusion d’autorité. Tout juste de quoi alimenter la conversation, écrire des livres, remplir les rayons des librairies, des bibliothèques, écrire des articles de blogue. Mais cette autorité ne produit guère d’impact sur l’individu isolé, l’artiste, qui intuitivement sent bien qu’il faut effectuer un pas dans le vide et que le moindre filet ne sert à rien, qu’il n’est que perte de temps. L’artiste aujourd’hui est un individu isolé. Ce n’a pas toujours été le cas et nous avons encore parfois l’impression que cet isolement est une posture provenant d’une époque révolue teintée de « romantisme ». L’artiste soi-disant « maudit » de par cette nécessité d’isolement contre laquelle il ne peut rien tant qu’il n’a pas franchi le Rubicon — se dépasser, dépasser sa petite personne — ce qui souvent l’entraîne à se rapprocher du plus ordinaire des hommes, à perdre d’un côté sa propre idée d’importance pour, de l’autre, découvrir l’immensité de son ignorance. Tout commence avec cette immensité-là. Avec cet infini des possibles tenu dans un regard qui ne cille plus. Ce qui se passe ensuite, pour un regard profane, tient de la folie, de l’inepte, du ridicule, comme de l’admirable. Les mots eux-mêmes manqueront pour qualifier l’action effectuée par l’artiste. Pourtant cette action est simple, elle ne tient qu’en deux mots : avancer, reculer, recommencer. Ce que l’on perçoit alors c’est une nouvelle vision du chaos qui, d’ailleurs, ne peut plus se nommer ainsi. L’artiste se rend compte qu’il a franchi une frontière lorsqu’il n’a plus besoin d’ordre pour se référer au chaos, et vice versa. Cette immensité de l’ignorance clairement entrevue s’accompagne simultanément d’une connaissance de la clarté qui ne sert à rien, parfaitement inutile car elle ne produit rien en tant que telle. On peut alors comprendre pourquoi tant d’artistes, de peintres, auront représenté des croix, des crucifixions. Ce n’est pas tellement pour célébrer un événement qui, du reste, n’a pas vraiment de raison de l’être que d’énoncer ce qu’est véritablement la passion humaine crucifiée, mais en même temps tenant temps et lieu de carrefour. Juste un point de repère dans le labyrinthe à partir duquel on continue, on avance, on recule, sur le chemin de la connaissance de ce qu’est l’art.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | juillet 2021

L’insensé mis au ban

En mars 2019 Grégoire Falque alias "Le Délesteur" a été "effacé" des pages de recherche de Google sous prétexte que ses publications étaient " vide de sens" pour un employé de la célèbre firme accompagné de son fidèle algorithme. Grégoire Falque a eut beau protester et il continue de le faire, en vain. Cela fait réfléchir. Si un sombre scribouillard a ainsi pouvoir d'effacer le travail d'un artiste sous prétexte qu'il le trouve "vide de sens" qu'en est t'il alors des publications de chacun de nous ? On le sait désormais tout ce qui passe par le numérique nécessite désormais une contrainte c'est la fameuse "meilleure expérience utilisateur" Et ce sont des robots qui se chargent la plupart du temps d'en décider en épluchant un certain nombre de critères. Nous l'auront donc compris tout ce qui est insensé et inconfortable doit être mis au ban de la sphère numérique. Il y a maintes manières d'être effacé de la plus subtile à la plus grossière. Soit les robots considèrent que votre contenu n'est pas intéressant et ne vous référencent pas dans les fameuses pages google, soit vous pouvez recevoir un message directement par mail vous indiquant de rejoindre une certaine conformité sous peine de sanctions. Si l'art ne peut plus exprimer à voix haute ce que les gens normaux nomment l'insensé, il y a une sacrée couille dans le pâté. Car l'insensé mis au ban d'une société ne tardera pas à en devenir le cœur névralgique par un phénomène mystérieux dont je ne vous fatiguerai pas à expliquer les méandres, le cheminement. C'est un peu comme la mort que l'on a expulsé du cœur des villes pour laisser croire aux citadins que celle ci avait disparu, qu'elle n'existait plus. Avez vous vu le cœur de la ville désormais, y a-t-il jamais eu quelque chose de plus mortel que toutes ces agences bancaires, ces officines d'assurance, et ces magasins de fringues à perte de vue ? On ne peut pas traiter ainsi l'insensé ni la mort sous peine de subir tôt ou tard le retour du boomerang en pleine poire. En attendant je vous laisse le lien pour aller voir le travail de Grégoire Falque que personnellement après les premières strates où j'ai explosé d'un rire nerveux, j'ai découvert extrêmement poétique, pour ne pas dire "essentiel" afin de ne pas crever la gueule ouverte étouffé par les miasmes de cette organisation de malfaiteurs qui désormais nous extorquent non seulement nos données personnelles, mais tout ce qui donne un peu de sel à la vie. https://www.facebook.com/byarseneca https://www.arseneca.com/?fbclid=IwAR2ThITleSo4KaMNpNErCkxelFWi_U0aejaMftN6Pt-m_VA4DGIlacYyDE8|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | juillet 2021

De la sauvagerie au raffinement

"Pour PRG quelques éléments qui me sont venus suite à une question posée sur la notion d'auto-sabotage." De la pulsion à la pensée. Pour illustrer ce voyage de la pulsion à la pensée j’aimerais parler du refus. Un refus magistral tout d’abord qui se manifeste dans la révolte, dans un « non » catégorique et ce dès les premiers pas. Si le but premier, fut interprété par le simple fait de se tenir debout et d’appartenir ainsi à l’espèce, tous les efforts à produire pour tenter d’y parvenir me parurent absurdes presque immédiatement. Ces premiers échecs à répétition furent comme prémonitoires d’un avenir tiraillé entre l’envie de réussir quoique ce soit et celle de systématiquement tout rater. C'est-à-dire que dans mon for intérieur déjà pesait lourd le pour et le contre. J’avais beau me creuser la cervelle je ne comprenais pas grand-chose à ces idées de réussite qui ne m’appartenaient en rien et que je sentais impérieuses comme un héritage laissé en jachère dont j’avais en charge l’entretien et surtout l’injonction silencieuse d’une fructification. Il fallait faire mieux. C’était ce mot d’ordre certainement qui n’était jamais prononcé clairement qu’il fallait capter. Que j’ai capté comme un buvard boit l’encre. Faire mieux était un non-dit, un implicite et tout ce qui n’était que « bien » ne pesait pas bien lourd dans cette balance invisible. Je crois que mes tous premiers refus tirent leur origine de cette injonction invisible qui, par son importance, son omniprésence, était une béance trouant le monde tranquille que l’on me présentait sans relâche comme une réalité à accepter les yeux fermés. Aujourd’hui avec le recul les choses se sont complexifiées car les années et l’expérience m’auront contraint à apprécier ou détester la nuance. Évidemment que rien n’est noir ou blanc, qu’entre ces deux extrêmes s’étalent l’immense gamme des gris. Un marais boueux dans lequel on s’engage pour chercher quelque chose que l’on ne trouve jamais. Parce que tout bonnement l’important n’est pas de trouver mais de traverser. Toutes ces pensées semblables à des poupées russes dont l’ultime est si infime, si insignifiante qu’elle se confond à l’extrême avec l’incohérence. Comme si la cohérence naissait de la présence invisible elle aussi cette graine folle. Comme si la cohérence était la seule et unique nécessité que des générations passées nous avaient léguée comme on léguait la braise et la flamme pour permettre au groupe de s’éclairer dans l’obscur, de traverser la nuit, tout en se réchauffant à l’abri des vents glacials. La sauvagerie dont je parle remonte à une époque d’avant la découverte du feu, d’avant la découverte de cette cohérence. Cette sauvagerie animale prise au piège si l’on veut, dans les filets de la logique incompréhensible nécessitant de se lever, de marcher, de se tenir enfin debout comme tout le monde. Je ne me souviens pas de mes premiers pas. Je ne me souviens que de l’effroi provoqué par le fait de ne pas y parvenir, de cette désespérance apportant avec elle la colère, la haine, l’envie de me terrer à jamais sous terre, la preuve de ma faillite comme si quelqu’un ou quelque chose n’attendait que celle-ci. Cette attente indicible de la chute à venir comme une clause écrite en minuscules dans un contrat illisible. L’ambition ne pouvait provenir que d’un sentiment de revanche, du ressentiment. L’ambition était déjà souillée avant même qu’elle ne se présente comme but à atteindre comme un chemin sans embûche. Et je n’étais pas d’accord avec cette ambition-là, je n’ai jamais cessé de lutter contre sans même connaître le mot. Cette ambition était un fardeau qui amoindrissait l’être qui le recroquevillait sur lui-même, qui ne rendait rien heureux, mais au contraire posait sur un piédestal l’effort le difficile, la souffrance et le pénible comme des passages obligés dans le labyrinthe que représente toute idée de réussite. Au mieux j’éprouvais de la compassion au pire la sensation du ridicule qu’entrainait un tel postulat. Et je ne me décidais jamais à prendre parti pour l’une ou l’autre. La meilleure position que j’ai toujours choisie était de me tenir dans l’équidistance de ces deux extrêmes. Entre l’amour fou et la dérision la plus totale. Si je puis écrire tout cela aujourd’hui c’est que malgré tout j’ai effectué un chemin qui s’élance depuis la pulsion jusqu’à la pensée en passant sans doute par le kaléidoscope de toutes les émotions, de tous les sentiments. Je me suis éloigné du centre névralgique sans pour autant jamais le quitter du regard. A bien y réfléchir je ne suis pas peintre pour rien. Je ne peux voir un tableau comme une obsession qu’en prenant de la distance avec ceux-ci, en multipliant les points de vue. En me détachant des émotions des pulsions basiques comme des idées toutes faites. A bien y réfléchir aussi ce n’est pas ce qu’il y a sur le tableau qui m’intéresse le plus. C’est bien plus le cheminement pour parvenir à accepter qu’il y a quelque chose à voir, et que je suis en partie responsable de ce quelque chose. Que sans moi il n’y aurait qu’une toile vierge. Que sans moi il n’y aurait qu’une attente silencieuse s’étendant aux confins de l’univers comme une faim, une soif qui ne s’apaisent jamais. Peut-être que je peins aussi pour cela pour calmer la faim et la soif, pour leur donner une raison d’être si ce n’est une raison véritable, partageable, échangeable. Un être plus qu’un avoir, une possession, une propriété, un bien. La peinture est d’abord un médium. Un outil. Ce n’est jamais une fin en soi. Mais c’est l’outil que j’ai choisi pour cheminer entre la pulsion et la pensée. Ce qui est étonnant c’est la faculté que possède la peinture pour faire taire la pensée tout en la nourrissant de silence et de calme. Comme un enfant que calmerait une mère en lui donnant le sein pour qu’il s’arrête de brailler. Mes tableaux sont ils vraiment représentatifs de ce cheminement ? Et quand bien même en quoi cela intéresserait il les gens ? c’est ce que je me demande de plus en plus désormais. Lorsque je regarde l’ensemble je ne vois guère qu’un fouillis, un désordre. Des scories résultant du creusement d’un filon laissé à ciel ouvert par les mineurs. Il faut alors que je me pose la bonne question : Qu’est ce qui est vraiment important ? Est-ce la déception de ne pas avoir réalisé une œuvre digne de ce nom et rejoindre ainsi l’amertume familiale pour jouir enfin de tout mon saoul du leg ? Ou bien est-ce la reconnaissance de posséder un cœur vraiment contre toute attente. D’être parvenu finalement à trouver cette fameuse pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or et de garantir une éternelle jeunesse ? Là encore je ne prendrais pas position. Je me dirais encore que la modestie vaut bien tous les trésors tous les legs du monde. L’entre-deux m’a toujours aidé finalement à ne pas sombrer dans la folie c'est-à-dire à revenir tout entier dans la pulsion ni à m’égarer à jamais dans la sublimation. C’est comme cela que j’ai compris qu’il fallait marcher au bout du compte, je ne suis pas fichu de dire si c’est la meilleure ou la pire façon de se tenir debout et d’appartenir à l’espèce. Mais c’est celle qui me convient et qui me mènera sans aucun doute à la destination finale le plus naïvement lucide que possible. Pour ça je crois que j'aurais fait de mon mieux comme on dit. A ne pas confondre je ne le crois plus avec du désespoir ou de l'auto-sabotage, il me semble que c'est tout le contraire. Sans doute que pour la plupart ce ne sera pas limpide mais je mettrais ma main au feu, c'est serein et joyeux me concernant. Le raffinement à venir. Peut-être faut il considérer le raffinement comme l’extraction d’une essence plutôt que de m’essayer à devenir dandy. Le laboratoire me convient mieux que n’importe quelle mondanité. Je suis bien, plus à l’aise, avec les alambics et les cornues qu’avec n’importe quel être humain qui exprimerait cette nécessité d’avoir à parler, à partager, à expliquer échanger, bref qui se donnerait une raison d’exister. Un autre moi insupportable plus encore que je m’insupporte moi-même. Le raffinement passe aussi par la solitude, celle de l’atelier, celle de la page de traitement de texte. Au bout du compte ce sont les seuls lieux où je me sens bien, où j’ai l’impression d’être totalement présent et de marcher sans produire trop d’effort. Mieux que de marcher même car c’est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement. C’est la sauvagerie et la pensée enfin alliées pour une éternité d’instants, deux contraintes qui forment un pont une passerelle, une liberté.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | juin 2021

Comment le beau devient le laid

Une préoccupation de peintre : le beau En tant que peintre évidemment la beauté est un sujet de préoccupation. Une sorte de tarte à la crème si je peux dire. Il y aurait quelque chose d'impérieux qui gouvernerait toutes les intentions du peintre afin de les ramener tant bien que mal à une idée de beau. La question que l'on pourrait alors se poser si on avait un tant soit peu de jugeotte c'est de savoir si le beau est une notion subjective ou objective ? Elle est un peu des deux à mon avis lorsqu'on débute. Une confusion s'opère entre le gout personnel et l'opinion générale concernant la beauté dans laquelle nous baignons en toute inconscience. Parvenir à effectuer le distinguo, n'est certes pas une sinécure. Le beau est t'il une décision ? Et puis il faut une sacrée dose de vanité aussi pour déclarer quelque chose comme "c'est beau parce que j'ai décidé que ce l'est tout simplement" et persister afin d'éprouver ce sentiment très particulier : celui de vouloir avoir raison. Cette décision est le fruit d'un choix et de nombreux renoncements. Mais malgré tous les efforts à produire pour y parvenir nul ne peut en garantir la réalité pas plus que la véracité. C'est un "beau empirique". Et cela tombe bien car nous sommes désormais dans l'ère la plus empirique qu'il soit. Si les grecs se perdaient autrefois dans les méandres de la philosophie et des mathématiques pour rêver d'harmonie, notamment en architecture on voit clairement désormais le résultat de cette formidable perte de temps. Y a t'il encore beaucoup de temples hellènes vaillants ? La plupart ne sont plus que ruines plus ou moins bucoliques. Ce qui n'est pas le cas du Colisée à Rome apogée si l'on veut d'un apprentissage "à la dure" ou dans "le vif" du sujet. C'est qu'il y a une grande différence entre ceux qui réfléchissent et qui au bout de longues réflexions parfois agissent, et ceux qui font, subissent des échecs puis recommencent. Le beau chez les anciens Ce qui est beau pour un romain est sans doute ce qui dure, ce qui est utile et se mesure à la sueur de tous les fronts qui l'ont bâti. Depuis le premier muret , la première route départementale, en passant par les aqueducs petits moyens puis grands. Alors que pour un Grec le beau est du domaine des Idées et la plupart du temps il y reste. Cela fait réfléchir sur l'apprentissage en général et en peinture en particulier. Faut-il donc un diplôme sanctionnant un parcours intellectuel la plupart du temps et très peu de pratique ? Ou bien faut il l'intensité et la persévérance, l'obstination de vouloir seulement s'exprimer ? L'idéal serait de posséder les deux évidemment mais ce n'est jamais vraiment le cas. Ce que l'on gagne en savoir, en connaissance agit de façon inversement proportionnelle à l'intensité, à l'énergie que l'on doit déployer en toute ignorance pour parvenir à ses fins. C'est sans doute la raison pour laquelle tellement de diplômés des Beaux-arts entament une carrière dans le marketing ou sur Youtube plutôt que de s'acharner devant une toile, une sculpture. Pour en revenir à nos moutons Vous me direz c'est intéressant mais comment le beau devient-il le laid ? puisque tu le dis, puisque en quelque sorte tu l'as promis ... c'est que forcément tu as une idée là dessus, non ? C'est vrai j'ai une idée. Mais ne croyez pas que cette idée apparaisse dans mon esprit d'une façon claire, une idée n'apparait jamais ainsi, ou du moins ce qui s'avance en tant que tel n'est jamais une idée intéressante. C'est plutôt une couche superficielle d'éléments qui s'agglutinent à la va vite pour masquer autre chose. Et il faut d'abord s'intéresser à cette pellicule et la gratter avec un minimum de patience pour la crever et apercevoir enfin se qui se dérobe pour être capturé. L'Idée comme le Beau se dérobent. C'est la raison pour laquelle la plupart des gens restent attachés à une notion collective, rassurante, facile de ces ces deux notions. Le beau un lieu commun d'où surgit la laideur ? On se rassemble ainsi dans les idées comme dans une notion de beauté d'une époque Cela ne serait pas bien grave après tout, s'il n'y avait cette fichue manie de tout vouloir s'approprier pour soi. C'est mon idée, Moi je trouve ça beau et puis ça laid. Comme on le dit encore dans certaines campagnes : "la fille la plus belle du monde ne peut donner que ce qu'elle a." C'est à dire que ces mots d'ordre de l'Idée et du Beau si rassurants puissent ils être, si attrayants par le confort dans lequel ils nous installent sont comme un sein. On peut les pétrir autant que l'on veut il n'en sortira pas une seule goutte de lait. La disparition du banal C'est lorsque on se détourne du sein comme du mot d'ordre qu'une fissure s'opère, que la matière s'écarte mystérieusement. C'est du plus profond de l'ennui et de l'à quoi bon que soudain l'aurore pointe son joli minois. Eblouissement du banal jusqu'au plus haut degré du vertige ! On lévite sans même le vouloir tout à coup au dessus des cohortes qui s'étripent et qui s'accolent. Comment le beau devient-il le laid ? Il n'y a qu'à constater les dégâts, à compter les points, à ramasser les cadavres et les enterrer. Et même si l'on veut pour marquer le coup graver des noms pour la postérité à la craie blanche. Le beau c'est un peu comme la connerie au bout du compte c'est la chose la mieux partagée du monde. Sauf que chacun veut se l'approprier rien que pour soi envers et contre tous mine de rien. L'Idée et la Beauté stigmatisées par l'idée de propriété. Et ce, même dans un état dit démocratique, ce qui est plutôt fort de café ! parce que d'emblée on pourrait penser que c'est une préoccupation de privilégié, pour ne pas dire de seigneur ou de bourgeois.|couper{180}

peinture réflexions sur l’art

Carnets | juin 2021

Solitude du voir

Il existe une confusion de l'œil dont on ne se rend pas compte, que l'on prend même pour de la clarté tant nous sommes installés à l'intérieur de celle-ci. Aveuglément nous croyons voir et nous croyons que tous nous voyons les mêmes choses. Il ne nous vient pas l'idée de nous interroger sur cette confusion tout simplement parce que nous n'en sommes pas conscients. Notre attention à tout ce qui nous entoure, si elle est personnelle au début de notre vie, se recouvre peu à peu de cette poussière crée par une sorte d'érosion naturelle. Une poussière produite par les clichés, un frottement -silex contre silex-qui peu à peu comme une pellicule, un nouveau cristallin recouvre l'original. On ne s'en rend pas compte tant l'obsession d'appartenir à un groupe prend le pas sur cette attention. Cette obsession de ressembler pour s'assembler produit sur la vision, lorsque nous tentons dans parler, une catastrophe silencieuse. On se heurte de nombreuses fois à un mur qui , au bout du compte finit par se nommer limite. La limite est à peu près la même que celle d'un château, d'un village, d'un pays, la limite est aussi une identité qui nous permet à la fois d'identifier le semblable comme soi-même dans nos échanges quotidiens. Sans cette limite assimilée la vie serait inconfortable. Nous serions pensons nous étrangers les uns aux autres, voire pire étranger à nous-mêmes. Voilà une bien étonnante notion que celle du familier. Le familier c'est de l'étrangeté oubliée par l'habitude de regarder sans faire attention à ce que l'on voit. C'est à l'adolescence que cette notion de familier est remise en question par l'individu. Cependant qu'un phénomène extraordinaire accompagne cette remise en question. Nous rejetons un familier, celui que nous connaissons par la famille, par les limites imposées par celle-ci et qui nous attribue un rôle. Le rôle d'enfant. La peur et le désir entremêlés de pénétrer dans la communauté des adultes nous obligent à imaginer de nombreux comportements afin de nous différencier de cet état, de ce rôle attribués par la famille. Nous tentons de nous extirper de l'ennui, de cette relation figée avec le monde qui nous entoure. Que ce soit en adoptant de nouveaux codes vestimentaires, en recherchant des groupes musicaux particuliers, en utilisant un langage appartenant à la communauté à laquelle nous briguons d'appartenir parce que nous pensons qu'ainsi ce sera plus facile, en étant accompagné dans l'épreuve, dans une solidarité qui se bâtit par le "contre" de parvenir à un "pour" inédit. C'est la sempiternelle histoire des générations. C'est ainsi que nous pensons forger notre "personnalité", mais en réalité nous esquissons plutôt les prémisses d'un personnage que nous souhaiterions devenir. Ce que nous voyons ne devient plus que de l'utile, du nécessaire en accord avec la construction de ce personnage. Nous ne voulons pas voir autre chose. Et cet "autre chose" cette vision personnelle qui nous appartient depuis notre naissance s'enfonce doucement dans l'oubli. Elle ne disparait pas pour autant. Le narcissisme de l'adolescent en est une résurgence. Lorsque notre vision essentielle se confond soudain avec notre propre image à la surface des miroirs le risque est grand de se noyer dans celle-ci. Il est même nécessaire que nous nous y noyons juste ce qu'il faudra pour parvenir à toucher le fond et remonter à la surface transformés soudain par l'asphyxie. Heureux, apaisé de respirer à nouveau, prêt à délaisser cette mise en abîme du Moi pour continuer le chemin vers Soi c'est à dire aussi vers l'Autre. Ce sont la des rituels de passage très anciens mais dont la mise en scène n'est plus mise en valeur, en "vision" par notre société dite moderne qui les nomme archaïques, ou pire : ridicules. Ce narcissisme qui autrefois était représenté par un danger à surmonter dans une série d'épreuves plus ou moins manifestes et encadrées par la communauté ne l'est plus. Les limites de l'adolescence comme du narcissisme sont devenus d'autant plus floues que le système économique et politique dans lequel nous vivons semble avoir besoin de nous maintenir dans cet état infantile. Attirer notre attention, notre vision, en nous faisant briguer l'appartenance à des groupes factices et éphémères est devenu le mot d'ordre de la société de consommation et des publicitaires qui ne cessent de nous abreuver de clichés. Que peut donc faire l'individu emprisonné ainsi dans la solitude du consommateur ? Que peut donc faire l'individu qui a de l'argent et celui qui n'en n'a pas ? Y a t'il d'autre choix que de sombrer sans relâche dans cette belle image sans jamais devenir adulte ? Ou bien devenir un consommateur dans un groupe de consommateurs ? Ce ne sont pas des perspectives réjouissantes pour un adolescent et la révolte, l'envie de tout casser n'est pas très étonnante. Lorsque je veux me souvenir de cette période je retrouve presque aussitôt la chape de plomb que l'ennui a posé sur mes épaules et qui dura de nombreuses années après ce qu'on peut imaginer l'âge légal du passage à l'adulte. Mon adolescence dura certainement jusqu'aux abords de la cinquantaine. Je crois que j'ai du explorer tous les abîmes et les abysses du narcissisme en sautant régulièrement dans ma propre image par dépit de ne rien pouvoir voir que celle-ci d'attrayant à regarder véritablement. Cette solitude du voir est comme un athanor d'alchimiste, elle n'est qu'un contenant dont le contenu sera chauffé à blanc par le désir, la curiosité, toutes les faims et toutes les soifs. Un cocon. C'est la découverte de l'art qui progressivement m'a permis de trouver un point d'appui pour m'extirper des gouffres et remonter peu à peu sur une terre plus ferme. Cela ne s'est pas fait en une seule fois. Parfois je croyais m'agripper mais la solidité se dissolvait soudain et je ne faisais que retomber encore plus bas. Mais appréhender ce mystère avait suffit pour me donner le besoin de recommencer inlassablement à m'agripper. Je suis allé ainsi d'échec en échec, d'aveuglement en éblouissement. et je me désespérais bien sur avec la même intensité que j'espérais aussi en contre partie. Je ne savais pas vraiment d'ailleurs pourquoi autant d'espoirs et de désespoirs passaient ainsi par qui j'étais. Je subissais tout cela dans un aveuglement presque total. Jusqu'à la cinquantaine où enfin je pu formuler cette question : Mais pourquoi est ce que cela ne fonctionne pas ? Comment puis me prendre autrement pour trouver l'apaisement enfin ? A partir de cet instant les choses s'enchainèrent sans que j'en sois conscient. Je tombais dans une grave dépression, je démissionnais de mon job et ne sachant pas ce que je pouvais faire de ma vie, j'ai fais le point sur ce que je voulais et ne voulais plus. Je voulais être heureux et libre c'était les deux mots qui vinrent tout de suite. alors je me suis mis à chercher les expériences auxquelles je pouvais associer ces deux mots et j'ai vu tout naturellement d'abord ma mère en train de peindre et moi enfant à ses cotés. Puis je me suis vu moi même en train de peindre lorsque j'étais gamin. Tout un monde que j'avais totalement oublié a ressurgit soudain. Et là je me suis frappé le front j'ai poussé un eurêka. Je vais donner des cours de peinture pour gagner ma vie, et je vais me mettre à peindre plus sérieusement que je ne l'ai jamais fait de ma vie. Tout cela me rendra heureux et libre ! Facile à dire, un peu moins facile à mettre en œuvre. Mais ce n'est pas grave le temps qu'il faut une fois qu'on sait ce que l'on veut. Ce que j'ai découvert encore après cette prise de conscience est d'une richesse incommensurable. Cette richesse ne sert pas à payer les factures pour autant. Cette richesse permet de voir est c'est une nourriture inépuisable en même temps qu'elle prodigue une solitude comme jamais je n'en ai eu conscience. Pour autant cette solitude n'est pas quelque chose de négatif comme souvent j'ai pu la considérer tant que je ne la comprenais pas. Ce n'est pas une solitude crée par le manque de reconnaissance, par le manque d'amour, par un manque quelconque d'ailleurs. C'est une solitude qui éclaire toute une vie, et qui me rend transparent si je puis dire. C'est à dire qui me permet de voir au delà des nombreux jugements, au delà des peurs et des espoirs, une réalité que je perçois telle qu'elle est, tout simplement, sur les carrés et les rectangles de papier ou de tissus sur lesquels mes élèves se penchent, sur lesquels l'homme que je suis se penche aussi. Bien sur il y a des maladresses, bien sur il y a aussi l'excellence. Mais dans cette vision, grâce à la solitude que m'offre cette vision la maladresse et l'excellence ne sont que des mots, je ne vois que la danse, que le mouvement, que la beauté des valeurs, des opposés , des contrastes et toute leur profondeur. Cette solitude n'enferme pas, tout au contraire elle rend heureux et libre.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | juin 2021

L’œuvre et l’artiste

Hier je me rends chez le médecin pour un petit souci et la consultation ne dure que 5 minutes. Aux murs de son cabinet des toiles magnifiques. Il m'apprend que c'est lui qui peint, et sa joie quasi enfantine d'avoir vendu sa première toile. Lorsqu'il m'examinait quelques instants plus tôt j'avais été frappé par la fatigue que je lisais dans son regard, un œil voilé comme en ont les personnes malades du foie, les alcooliques. Et soudain nous parlons peinture et les traits de son visage se métamorphosent. Vraiment joyeux. J'attends la retraite et là je m'y mets à fond me dit-il. Il me dit qu'il a un compte Instagram et que ça ne marche pas bien fort, du coup je lui donne quelques conseils et le soir je repense à notre conversation je vais voir ce fameux compte. Il poste ses peintures avec quelques mots clefs et presque jamais de légende. Du coup je repense à cela ce matin et au texte que je viens d'écrire sur l'artiste-peintre Christophe Houllier, je m'interroge. Je crois que cela devient de plus en plus une évidence que le public ne peut se satisfaire uniquement de voir des œuvres. Il faut que l'artiste donne de lui-même. Qu'il parle de lui, de son travail, des hauts et des bas qu'il rencontre sur son trajet. En un mot qu'il communique afin de trouver son public. Il y a encore beaucoup d'artistes qui ne le font pas ou le font mal. Moi-même je ne peux pas vraiment dire que je sois un expert en la matière. D'un autre coté je ne souhaite pas non plus devenir cette sorte d'expert non plus. Je ne me formerais pas au copywriting afin d'acquérir tout un attirail de pèche pour hameçonner le chaland. Et ça me fait réfléchir aussi à la façon dont il est possible de communiquer sur son travail, sur la réflexion nécessaire à mener pour ce faire. Cela demande un sacré travail déjà pour mettre en place les outils basiques : un site internet, une page sur les réseaux sociaux mais avec un peu d'acharnement et beaucoup de tutoriels il est assez simple d'y parvenir. C'est autre chose de penser à son image, à cette image que l'on veut donner de soi à un public. Je crois qu'en art plus que dans n'importe quel domaine cette image ne doit absolument pas être factice, frelatée. Il y a eut des précédents où l'on voit qu'il s'agit plus d'un personnage inventé de toutes pièces par l'homme pour propulser l'artiste. Je pense à Gainsbourg, à Dali, Blaise Cendrars, Picasso. En créant un personnage ils posent une sorte de barrière sur laquelle bute l'attention et celle-ci finit par s'y focaliser la plupart du temps. Cela suffira à la plupart des gens pour se satisfaire et ainsi joindre les deux images, celle de l'œuvre et de l'artiste. C'est une sorte d'emballage, du packaging de haute volée parfois. D'un autre coté si l'on communique naïvement avec ses tripes et son cœur, le risque est grand d'être considéré comme naïf, sympathique et neuneu tout à la fois. C'est à dire que la sincérité que l'on croit importante pour dire est presque toujours transformée en autre chose. La plupart des gens se disant lucides ont peine à y croire. Et du coup au lieu d'être le maître de sa propre image comme dans la stratégie précédente, l'artiste est victime en quelque sorte d'une image que peu à peu construit son public. Oh lui c'est un artiste il est ravi. D'où parfois les cris les pleurs et les grincements de dents. Surtout si on attend quoique ce soit du public. La position la plus confortable est de ne rien attendre de personne mais de faire le job malgré tout. La priorité est de peindre et de faire tourner l'atelier pour les cours me concernant et j'ai presque instinctivement décliné les propositions de galeries, de salons, d'expositions un peu trop pompeuses afin d'échapper à la kyrielle d'ennuis principalement les mondanités qui s'y attachent dans mon esprit. J'ai choisi naïvement d'être "authentique" et ce blog participe très largement à cet effort d'authenticité. Cependant on peut se dire authentique, y croire et s'apercevoir au bout du compte qu'il ne s'agit que d'une fiction que l'on se raconte à soi-même. Toujours ce fameux phénomène de recul cher au peintre. C'est qu'il y a l'authenticité que l'on nous vend à tour de bras et puis l'autre dont on ne parle guère. Il faut traverser la fiction de la première pour découvrir avec stupeur la seconde. Et mesurer à nouveau la montagne qui se dresse devant soi. Une des solutions que j'ai trouvées pour pallier cette difficulté de l'authenticité c'est d'essayer de ne rien censurer sur ce blog par exemple partant du postulat que de toutes façons tout n'était que fiction, surtout la fameuse authenticité. Même si je mets tout mon cœur, toute mon âme comme on dit parfois à rédiger un texte je sais d'avance que je me leurre en bonne partie sur ces notions. Cependant je le fais malgré tout. Pour voir jusqu'où ça peut aller dans la folie, dans la bêtise, dans le subterfuge, dans l'artifice que je ne suis absolument pas en mesure de voir au moment même ou je m'y engage. Je crois qu'il y a autant d'efforts à faire pour écrire, pour communiquer, pour livrer cette fameuse image de soi au public qu'il en faut pour parvenir à devenir peintre. Les deux sont étroitement liés dans mon esprit aujourd'hui. Il se peut même que ces deux actions à mener de front se nourrissent l'une l'autre et permettent ainsi d'évoluer. Dans le fond cela pose à nouveau l'idée d'une limite raisonnable si je puis dire entre ce qui peut intéresser le public et ce qui intéresse l'artiste de livrer sur lui-même. Les trois quart des choses que l'on imagine importantes pour soi n'intéressent que très peu le public finalement mise à part les voyeurs, les critiques d'art éventuels, les chercheurs. Il faut faire des tests innombrables pour en être certain. Amis artistes j'ai testé pour vous ! Sur les centaines de textes écrits durant ces presque 3 ans de blogging je n'ai fédéré qu'une petite audience et chacun de mes textes ne dépasse que très rarement les 5 ou 6 likes. Mais ce n'était pas un but en soi d'avoir une foule de groupies, de fans de followers. Ce qui était important c'était de comprendre cette notion d'authenticité qui me bassine depuis des années. C'était de parvenir aussi à faire la part des choses entre ce qui m'intéresse moi et ce qui intéresse les autres dans le domaine de la peinture. En fait on ne retient que peu de choses de l' œuvre d'un artiste. Quelques pièces sur des milliers. C'est tout ce dont se rappellera le public. Ce n'est ni bien ni mal c'est comme ça. La satisfaction du peintre ne peut venir que de sa peinture et de ce qu'elle lui apprend sur lui, sur qui il est vraiment. c'est déjà un luxe inoui. ça ne résout pas cependant le problème du repas. Il faut vendre. Dans ce domaine on est souvent tenté de vouloir réinventer la roue. On se voudrait original, différent des autres, parfois méprisant lorsqu'on détecte les stratégies cousues de fil blanc, lorsqu'on se dit :il ou elle y va fort de se mettre presque à poil devant son tableau. C'est que 'l'idée d'avoir absolument à se démarquer est tellement forte qu'elle en devient une obsession. On en revient. Il est nécessaire d'en revenir pour passer au niveau d'après, retrouver des vies, et un bonus non négligeable qui est cette sérénité, ce calme face à toutes les observations que l'on pourrait nous faire sur l'œuvre, comme sur nous mêmes. Comprendre ce que les gens perçoivent de tout ça est fascinant. Ce sont tout autant des fictions qu'ils s'inventent que nous le faisons nous mêmes. Il y a une grande différence cependant entre la fiction et le mot que j'ai pris soin de garder pour la fin , le mensonge. La différence c'est que la fiction aide à mieux comprendre ce que l'on appelle la vérité en tant qu'absence autour de laquelle on tourne de plus en plus étroitement sans pour autant l'atteindre jamais.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | janvier

5 janvier 2021

J’habitais une chambre de bonne au septième étage d’un immeuble place de la Bastille. Au troisième vivait la famille Laraison, le père directeur de la Banque de France. Le tapis rouge s’arrêtait à leur étage. Quand je dévalais les escaliers, je les croisais parfois. Monsieur Laraison, vêtu de gris. Sa femme, son ombre. Leurs marmots, joufflus, regard en biais. Le mardi, ils recevaient. À 20h, je remontais. Dans l’escalier : parfums inconnus. J’écoutais à la porte : rires bourgeois. J’en parlais à Pauline après l’amour. Nous riions. Cela nous rassurait. Le jour où j’ai perdu Pauline, j’ai quitté la piaule. Je me suis barré. Je ne les ai jamais revus. Parfois, ça me revient. Je colle mon oreille à la porte des souvenirs. Je revois Pauline. Puis un pet sonore fend l’air du troisième. Et je me mets à rire. Je pensais à tout ça en voyant une œuvre de Chen Wenling : Le taureau qui pète. En fait : Ce que vous voyez pourrait ne pas être réel. Un taureau propulsé par un pet, écrasant Madoff. La critique de la crise financière. Ou autre chose.|couper{180}

Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation réflexions sur l’art

Carnets | août 2020

Décoration ou oeuvre d’art ?

Tu aimes l’art. Peut-être sans trop te poser de questions. Acheter un tableau chez Ikéa t’a donné l’impression d’acquérir une œuvre. Elle s’accordait à ton intérieur, évoquait un souvenir, une émotion. Tu l’as choisie. C’était un acte, un plaisir bref, comme acheter une brosse à dents. Rien à juger : c’est devenu normal. Acheter remplit nos besoins, réels ou imaginaires. C’est le monde tel qu’il tourne. Mais si l’on faisait vraiment le point sur nos besoins, une crise de fond éclaterait. Nous n’avons pas besoin de grand-chose. Le vide intérieur pousse à consommer. Et la peur d’être à part. D’où l’efficacité des slogans : “tout le monde rêve de cette montre, de cette maison.” Rassurant. Le collectionneur, lui, pense à l’inverse. Il veut l’unique. Une œuvre d’art devient un signe de réussite sociale. Plus elle est chère, plus elle affirme une position. C’est tout le rôle des galeries, des enchères, des cotes. Le marché de l’art fonctionne comme une banque. L’œuvre devient placement. Mais toi, tu n’en es pas là. Tu n’as pas cette obsession. Un tableau Ikéa te suffit. Tu n’es pas frustré. Pourtant, si tu veux autre chose, que reste-t-il hors des galeries ? Internet. Les plateformes de vente. Justement, j’en ai vu une ce matin. Des œuvres à l’huile, originales, plusieurs formats, moins de 300 euros. Niveau tout à fait correct. Comment est-ce possible ? Sans doute production en Asie, à la chaîne. Peut-être même que ce n’est plus une affaire de salaires. Je me suis demandé si un tel modèle serait viable en France. Peu probable : charges, impôts, fierté. Chez nous, l’artiste ne se voit pas ouvrier. L’idée même choque. Pourtant, pourquoi pas ? Le statut d’artiste reste un refuge. Il place l’œuvre dans un écrin. Fabriquer à la chaîne revient à renoncer à ce cadre. Autant aller bosser à l’usine. Beaucoup pensent ainsi. Et moi aussi, parfois. Mais j’ai des doutes sur ce genre de certitudes. Imaginons un étudiant en art. Fabriquer des toiles pas chères, ça lui permettrait de manger. Ce n’est pas rien. L’art abordable, c’est bien. Mais cela efface la rareté, l’unicité. Une œuvre produite en plusieurs formats, sous dix jours, tue cette idée. On n’achète plus une œuvre. On achète de la déco. Toi, cette confusion ne te dérange peut-être pas. C’est un souci de peintre, d’intello. Peut-être que c’est nous, artistes, qui devons revoir notre rapport à l’orgueil. Et cesser de croire que les classes ont disparu. La banalisation de l’art sert cette illusion. Ce qui m’effraie, c’est l’indigence qui menace ceux qui cherchent dans l’art un mode d’être, pas un revenu. Internet offre un levier énorme, mais aussi le risque d’une aliénation, d’une uniformité. Produire à la chaîne, perdre son nom. Redevenir ouvrier.|couper{180}

réflexions sur l’art
Décoration ou oeuvre d'art ?

Carnets | janvier 2020

Le sas de l’écriture, le mur de Dubuffet

Depuis quelque temps, j’écris tous les matins. C’est devenu une nécessité. Un passage obligé. Ce que je nomme un sas. Il faut que j’écrive avant de faire quoi que ce soit d’autre. Avant d’entrer dans la matière du monde. Avant de peindre. Avant même de penser. WordPress m’y a aidé, d’une certaine façon. De façon puérile sans doute, mais efficace. Ces petites médailles distribuées automatiquement : "Vous avez publié dix jours de suite. Bravo. Continuez." Cela amuse. Cela conditionne. Cela installe. Après trente jours, l’habitude est là. L’habitude a pris. L’écriture est devenue le socle. Ce que je dois faire. Ce que je fais. Quand j’ai écrit, j’ai tenu ma part. Ensuite, le jour peut venir. Ce matin, après le texte, je tombe sur une lithographie de Jean Dubuffet. Au musée. Un mur. Une surface noire, râpeuse, griffée. Une procession de figures. Humaines sans l’être. Alignées. Debout. Les bras ouverts ou levés. Le regard vide. Les membres à peine ébauchés. Je reste longtemps devant. Je ne lis pas. Je regarde. Je ne cherche pas le titre. Je m’en tiens à ce que je vois. À ce que cela provoque. L’impression d’un monde cuit, figé, rongé. Des corps dans la suie. Des cris collés au silence. Aucun espace. Aucune parole. Dubuffet appelait cela Art Brut. C’est un nom, mais ce n’est pas une explication. Ce que je vois, ce sont des empreintes. Des restes. Comme si l’image avait absorbé ceux qui la regardaient. Ou peut-être ceux qui l’ont faite. On ne sait pas d’où ces formes viennent. Elles ne racontent pas. Elles ne désignent pas. Elles sont là. Elles se tiennent là, et elles ne bougent pas. Elles témoignent. Je pense à l’après-guerre. À ce moment où l’art ne peut plus prétendre représenter l’humain comme avant. Trop de morts. Trop de silence. Dubuffet gratte, blesse, attaque la surface. Il refuse la beauté, la narration, la culture. Il cherche ailleurs. Dans l’oubli. Dans la marge. Dans les gestes perdus. Cette lithographie ne cherche pas à séduire. Elle ne déploie rien. Elle expose. Elle oppose. Elle oblige. Je la regarde encore. J’ai le sentiment que l’écriture du matin, le besoin de passer par elle, vient du même endroit. D’un endroit sans forme. D’un mouvement intérieur qu’il faut faire apparaître, sans forcément comprendre. Je quitte la salle. Mais l’image reste. Elle m’accompagne. Comme le texte. Comme la nécessité.|couper{180}

peintres réflexions sur l’art

Carnets | décembre

À travers le sang et la couleur : Soutine

Tout pourrait venir, à première vue, d’une scène mythique, d’une origine sanglante qui, malgré toute l’épaisseur de peinture que l’on pourrait poser pour à la fois la retrouver et l’oublier, ne pourra jamais échapper — ni au peintre, ni au spectateur hébété contemplant l’œuvre de Chaïm Soutine. Soutine évoque un souvenir d’enfance dans une lettre : la lame d’un couteau tranchant, avec précision, avec netteté, la gorge d’une oie. Il voit encore le sang jaillir en flots épais, rouge rubis. Et l’on pourrait s’arrêter là. Tout est déjà là. Mais non. Car, au beau milieu de cette boucherie, l’œil du peintre est attiré par autre chose : la joie qu’il lit sur le visage du boucher, en pleine action. La joie, l’horreur, la violence, la stupeur. Voilà ce que contient chaque tableau de Soutine. Il y a ce petit livre d’Élie Faure sur Soutine que je devrais relire, ou piller sans vergogne, tant je ne me souviens de rien d’aussi juste écrit sur cet immigré juif-lituanien venu à Paris, qui fut un temps protégé par ce grand homme, ce médecin humaniste. Un temps seulement. L’affection du peintre pour la fille de Faure mit fin, brusquement, à leur relation. J’aurais pu commencer par le début, par la naissance de Soutine à Vilna. Une approche calme, chronologique. Mais il me fallait un déclencheur. Une raison d’écrire maintenant. Cette raison, c’est un souvenir vif de 2013, une visite au Musée de l’Orangerie, à Paris. L’exposition s’intitulait : Soutine, l’Ordre du chaos. C’était la première fois que je voyais ses tableaux en vrai. Avant cela, seulement des reproductions pâles et glacées. J’ai découvert un frère. Pas un combat, mais une harmonie née du chaos. Une magnifique harmonie disloquée. La peinture était liquéfiée, coagulée. Dure et molle à la fois. Les rouges et les turquoises entraient en collision. Les blancs craquelés comme du plâtre sec. Comment expliquer une émotion sans la trahir ? J’essaie. J’essaie toujours. Je cherche par les mots à atteindre ce qui ne se touche qu’en silence. Mais puisque j’ai commencé, continuons. Alors que l’avant-garde parisienne s’éparpillait dans toutes les directions — comme toujours —, Soutine s’enfermait. Il peignait. Il ne voulait pas être dérangé. Marc Chagall, peut-être, était pareil. Peut-être Soutine espérait-il hériter de l’atelier de Chagall. Absorber la solitude, l’obstination que Chagall avait laissées derrière lui. Il ne l’a pas fait. Il a raté le moment. Alors, il s’est tourné vers Rembrandt. Il a peint de la viande. De la chair. Mais plus que de la chair. Il faut traverser le dégoût pour atteindre la grâce. Les quartiers de bœuf de Soutine l’exigent. J’imagine que, si j’avais eu la chance de le rencontrer, l’odeur m’aurait d’abord repoussé. Et pourtant, à travers cette odeur, peut-être aurais-je atteint le parfum du miracle. La peinture de Soutine me rappelle quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont j’ai déjà parlé. Chomo. Un autre reclus. Plus récent. Tout aussi mort. Ils ne négocient pas. Ils sont repliés. Affamés. Indifférents. En contact direct avec le feu, la grâce, la vie, la terreur, le sublime. Leur seul axe est celui qui les relie à ces forces. Ils ont abandonné l’illusion des liens sociaux. Oui, quelque chose en eux me parle. Je t’écris cela rapidement ce matin. Parce qu’au fond, comme je l’ai dit, penser et écrire ne servent peut-être pas à grand-chose. Mieux vaut peindre. Everything could stem, at first glance, from a mythical scene, a bloody origin that, no matter how much paint one might apply to try to both recover it and forget it, will never escape either the painter or the stunned viewer contemplating the work of Chaïm Soutine. Soutine recalls a childhood memory in a letter : the knife's blade slicing expertly, cleanly, across the throat of a goose. He still sees the blood spurting out in thick, ruby-red jets. And it could stop there. Already, everything is there. But no. Because in the middle of the carnage, the painter's eye is caught by something else : the joy he sees on the butcher's face. In the act. Joy, horror, violence, and awe. That’s what you get in every Soutine painting. There’s that little book by Elie Faure about Soutine, which I should reread, or shamelessly pillage, because I remember nothing comparable being written about this Jewish-Lithuanian immigrant who came to Paris and who, for a while, found himself under the wing of that great man, the humanist doctor. Only for a while. The painter's affection for Faure’s daughter put an end to their relationship. Suddenly. I could have started at the beginning, with Soutine’s birth in Vilna. A calm, chronological approach. But I needed a trigger. A reason to write now. That reason is a vivid memory from 2013, a visit to the Musée de l’Orangerie in Paris. The exhibition was titled "Soutine, the Order of Chaos." It was the first time I saw his paintings in person. Before that, only pale, glossy reproductions. I discovered a brother. Not a battle, but a harmony made from chaos. A magnificent, disjointed harmony. The paint was liquefied, coagulated. Hard and soft at once. Reds and turquoises colliding. Whites cracked like dried plaster. How do you explain an emotion without betraying it ? I try. I do this all the time. I use words to reach what can only be touched in silence. But since I’ve begun, let’s keep going. When the Parisian avant-garde was tearing off in every direction, as it always does, Soutine locked himself away. He painted. He didn’t want to be disturbed. Marc Chagall might have been the same. Maybe Soutine hoped to inherit Chagall’s studio. To absorb the solitude and stubbornness Chagall had left behind. He didn’t. He missed the moment. So he turned to Rembrandt. He painted meat. Flesh. But more than flesh. You have to pass through disgust to reach grace. Soutine’s slabs of beef demand it. I imagine if I’d had the chance to meet him, the smell alone would have repelled me. And yet, through that smell, maybe I would have reached the miracle’s scent. Soutine’s painting reminds me of someone else. Someone I’ve written about before. Chomo. Another recluse. More recent. Just as dead. They don’t negotiate. They are curled inward. Starving. Unconcerned. In direct contact with fire, grace, life, terror, the sublime. Their only axis is the one that connects them to these forces. They have discarded illusions of social ties. Yes, something in them speaks to me. I write it to you quickly this morning. Because, in the end, as I said, thinking and writing may not be very useful. Better to paint.|couper{180}

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Carnets | décembre

La bonne fréquence

Peindre est toujours un voyage dans l'inconnu. Sur la feuille de papier de format modeste, j'étale des lavis de brou de noix en écoutant de la musique tandis qu'au dehors la pluie tambourine sur la verrière de l'atelier. Je n'ai pas d'idée préalable, juste cette envie de peindre et de commencer avec presque rien juste pour voir où les événements, les accidents, me mèneront. J'ai bien sur encore à l'esprit cette volonté d'égarement qui ne me lâche pas, elle se sera encore renforcée ces derniers mois après toutes ces tentatives avortées de chercher un sens en amont à ma peinture. Cette entrave j'ai fini par la considérer utile et j'ai aussi renoncé à m'en culpabiliser. J'en suis presque parvenu à me dire qu'il fallait que je passe par là, par cette obsession du sens pour parvenir à la limite de l'épuisement. Curieusement cette limite correspond à la limite de l'année, bientôt nous passerons la frontière de 2020, un nouveau monde s'ouvre comme à chaque fois. Dans cet interstice qui permet à la fois de regarder des deux cotés la figure de Janus prend tout son sens. Je mesure tous les efforts de 2019 et j'entrevois l'abandon probable comme seule piste valable de 2020. Abandonner comme jeter du lest et se désentraver sans remord ni regret. Mais je ne tomberai pas dans le piège des fameuses "bonnes résolutions". Non je préfère plutôt me dire après tant de tempêtes, de naufrages, d'errances vaines, que je suis aguerri au mauvais temps, que j'ai appris à faire avec et qu'il ne peut me déranger plus désormais qu'il ne l'a déjà fait. Ce que j'abandonne ce sont mes dernières résistances, celles qui m’empêchaient encore hier à obtenir une pleine confiance dans le peintre que je suis. J'abandonne sans doute aussi les frontières du mental tout en les remerciant de m'avoir tant aidé par la fatigue, l'éreintement dans lequel je me suis enfermé par peur d'accepter cette évidence d'être peintre. Le rouge s'est tout de suite imposé après le brou de noix. Une envie de saturation proche de l'idée de surdité. J'ai posé couches sur couches dans l'attente de la fréquence exacte qui déclencherait l'émotion. Pour la sublimer, lui servir d'écrin la complémentaire verte la borde presque noire par endroit. Une fois le tableau sec je l'ai regardé dans tous les sens pour voir dans quelle orientation un sens pourrait éventuellement faire écho à la fréquence et à l'émotion. C'est à la verticale qu'il me parle le plus. Etrangement j'y vois une façade rouge dans la nuit presque noire avec une petite porte noire tout en bas. C'est par cette petite porte noire dans mon enfance que je fuyais le monde en me réfugiant tout au fond des combles de la maison près d'un trou qui communiquait avec la cave. J'étais capable de rester là durant des heures, à ne penser à rien, recroquevillé sur moi-même à écouter battre simplement le cœur du monde à la fois effrayé et paisible, tiraillé gentiment entre ces deux manières d'interpréter les choses.|couper{180}

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