mars 2019

1er mars — Voyages intérieurs

Je voulais voyager, mais tout était en place pour que ça n’arrive pas. La peinture a pris ce rôle-là. Pas un substitut noble : une issue de secours. J’ai arrêté de fumer. La main n’a plus ce tremblement discret qui fait croire qu’on "cherche" alors qu’on esquive. Le titre est venu avant le reste : "Voyages intérieurs". Je n’ai aucune carte.

2 mars

Il a fermé les yeux. Il voulait que la main travaille sans l’œil qui surveille. Effacer, cette fois, ce n’était pas corriger : c’était renoncer à la scène qu’il allait coller sur la toile pour se distraire du réel.

3 mars — Les chances

Le bonheur, quand il débarque avec fanfare, me tombe dessus comme une obligation. Dès que ça approche, je prends la tangente. Puis elle est apparue. Avec elle, le silence n’était pas un trou à combler. Jusqu’à Berlin. J’ai compris : je sais faire un pas, pas une distance.

4 mars — Prévert

Je n’ai jamais rencontré Jacques Prévert. Ce jour-là, tout le monde y allait et moi je suis resté à la maison avec la varicelle. Les poètes ne sont pas des décorations. Ils te tiennent la tête hors de l’eau à un âge où tu n’as pas encore les outils.

4 mars — Silence

J’ai fini par croire que le beau et le silence étaient parents. C’est là que je me suis perdu. Je me suis servi du ciel pour ne pas écouter. Devenir silence non pas pour disparaître, mais pour cesser de fuir.

5 mars — Arbres

J’ai toujours aimé les arbres et je n’en ai jamais dessiné un seul. Cette absence a une présence nette, comme un trou qu’on contourne. Le mot "dénaturé" me colle à la peau ce matin. Nous ne sommes pas à côté de la nature : nous sommes dedans.

6 mars

Nos proches sont parfois les plus lointains. La question : est-ce que j’aime cette personne, ou est-ce que j’aime la forme qu’elle avait dans ma vie ? Si l’art doit devenir une priorité, il faut accepter un manque.

7 mars — L’impossible

Il y a des frontières au possible qu’on nous apprend très tôt. La vie d’artiste, je l’ai comprise comme ça : une entrée par effraction. Enfant, la salle s’est dépliée, je voyais tout trop proche et trop loin. J’ai franchi la frontière. Le poids, à force de marche, a changé de nature.

9 mars — L’éveil

J’ai longtemps cherché l’éveil comme on le cherche avec Castaneda. Puis il a fallu l’euro, un divorce, pour que je rencontre l’éveil. Un matin, je n’ai pas pu. Les yeux ouverts, le corps immobile, j’ai dit à voix haute : non. L’éveil a commencé là, dans ce refus nu, sans lumière.

9 mars — Blier

Une phrase de Bernard Blier me réveille : l’idée qu’on peut coller une fleur dans un trou du cul et appeler ça un vase. On appelle de moins en moins un chat un chat. L’entreprise fonctionne comme ça.

13 mars — Back to the trees

Back to the trees, criait le vieux. Nous mangeons le plastique que nous fabriquons. Il revient par la mer, par les poissons, par les moules. Nous avalons nos propres déchets. Rien n’a changé depuis que nous avons quitté les arbres.

14 mars — Le galeriste

Le galeriste que j’espère ne commence pas par compter. Il arrive, il se tient devant les toiles, et je vois qu’il a reçu quelque chose. Pas un verdict, une secousse simple qui le déplace. Il propose un café. Quand ça tangue ensuite, je reviendrai à ce moment pour mesurer ce qui tient encore.

16 mars — Pollock

Je pense à Pollock par le bas, par la poussière. La toile est au sol, et lui tourne autour comme autour d’un feu. Il ne la domine pas : il l’habite. Ce n’est pas une image de la nature, c’est la nature remise en circuit.

19 mars — Beckett

Il attend dans le couloir de l’hôpital. Dans le livre, la phrase tombe : "Quand est-ce qu’on va naître ?" Son père répète : "On est où, là ?" Une aide-soignante entre : "S’ils continuent comme ça, on va naître champions." La question revient en silence : quand est-ce qu’on va naître.

21 mars — Colomb

La nuit a été mauvaise. Il se voit sur un bateau. On annonce la terre. L’îlot qu’il croyait être l’avant-poste d’un continent est entouré de mer. Il trace "San Salvador" en appuyant fort, comme si la pression changeait la taille de l’île.

22 mars — Kamasutra

Sur la porte, l’affiche : "Kamasutra", puis son nom. Le responsable parle de "valoriser les artistes", de "visibilité". Pas de rémunération, "mais un beau buffet". Le dimanche, il est au marché entre le fromager et le charcutier. Une vieille dame achète un dessin, le glisse dans son sac avec ses légumes.

26 mars — Délesteur

Ce matin, je tombe sur le post du Délesteur : "je vais me mettre en retrait, vous ne me verrez plus ici". Je clique, la page met longtemps. Presque rien ne reste. "Certains contenus ne respectent pas les règles de la communauté." Je copie-colle un vieux texte, je l’enregistre sous "liste_courses_03", comme si quelqu’un allait venir fouiller.

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