Le livre

Écrire un livre. J’y ai longtemps pensé. Un projet de fond. Pendant des années. Puis j’ai renoncé. Je ne savais pas quelle forme lui donner. Roman ? Essai ? Nouvelles ? Autofiction ? Toujours cette tentation de rapprocher ce que j’écrivais d’une forme reconnue. Rassurante. Pour l’éditeur. Pour moi. La question est restée là. En suspens. Aujourd’hui elle revient. Devant l’accumulation des textes sur ce blog. Je pourrais demander ton avis. Toi qui lis. Faut-il en faire un livre ? Un seul, plusieurs ? Je n’ai pas la réponse. J’écris. Chaque jour. Comme un paysan va au champ. Parce qu’il n’a pas le choix. Parce que sans ça, il ne vivrait pas. Un paysan ne possède presque rien. Un peu d’eau. L’amour du travail. Une obstination muette. Se lever. Sortir. Reprendre. Ce peu suffit. Cela tient lieu de vie.

illustration Tableau de Lu Hui peintre humaniste

Post-scriptum

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Pour continuer

Carnets | 2019

La neige qui fond. Qui ne tient pas

J’écris chaque jour. Parfois la nuit. Le temps se brouille dans ce geste. Longtemps j’ai cherché les mots. Carnets ouverts, silence. Aujourd’hui il suffit d’un titre. Un mot posé. Et la phrase vient, lente ou vive. Écrire m’aide à tenir. À ne pas me disperser. À rester debout dans le jour. J’aurais pu peindre. Dessiner. Poser des traits, des couleurs. Mais je n’y parviens pas. Je ne suis ni peintre ni dessinateur. J’ai porté ce masque. Je l’ai laissé tomber. Reste ce vide. Alors j’écris. Pour creuser. Pour combler. La pelle et la pioche. Le trou laissé par les mensonges. Chaque nuit je m’y enfonce davantage. Et quand je demande : à qui cela s’adresse ? Je me lève brusquement. Dans la cour. La cigarette. La neige qui fond. Qui ne tient pas.|couper{180}

palimpsestes

Carnets | 2019

investir sur soi

Sur l’écran les promesses défilent. Devenir charismatique. Écrire un roman à succès. Avoir toutes les filles. Le piège est toujours le même : attirer l’attention. Parfois je cède. Le mail d’Antoine, ses méthodes pour créer une école en ligne. J’ai payé. À soixante ans, je tente encore. J’ai passé ma vie à changer de cap, de métier, de femme. Jamais de plan. Des actions éparses, sans centre. Comme un patient qui paie sa psychanalyse pour s’obliger à parler, j’ai payé cette formation pour m’obliger à agir. Peut-être n’en sortira rien. Peut-être si. À vingt-cinq ans, j’aurais foncé sans me poser de questions. Aujourd’hui je m’attarde, je résiste. Ce qu’on ne donnerait pas pour s’illusionner encore un peu.|couper{180}

palimpsestes

Carnets | 2019

Savoir bien dessiner

On ne dessine pas “bien” ou “mal”. On dessine, c’est tout. Quand tu étais enfant tu ne te posais pas la question. Le crayon avançait, point. “Bien dessiner” suppose qu’il y aurait une norme, une comparaison, un Léonard de Vinci en arrière-plan. Mais copier Léonard, c’est refaire ce qui a déjà été fait, c’est courir après une image que la photographie a depuis longtemps rendue inutile. Dessiner, ce n’est pas atteindre une ressemblance parfaite, c’est tracer la manière dont ton regard accroche le monde. Ce n’est pas un savoir académique, c’est un geste répété, chaque jour, qui ouvre peu à peu l’œil. Alors ne jette rien. Même les griffonnages incertains. Garde-les. Date-les. Ils contiennent déjà une trace, la tienne. Ce que tu crois raté sera peut-être, plus tard, la première empreinte d’un style. Le “bien dessiner” des autres est un piège. Une attente étrangère. La seule nécessité, c’est de dessiner comme toi seul peux le faire.|couper{180}

palimpsestes