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Investir sur soi.

Tu l'as surement remarqué mais on ne peut plus surfer deux minutes sur le net sans être harponné par une kyrielle d'offres alléchantes concernant tout un tas de sujets aussi passionnants les uns que les autres. Ma boite mail en est pleine ! Comment vaincre sa timidité Comment devenir Charismatique Comment écrire un roman à succès Comment avoir toutes les filles qu'on veut j'en passe et des moins bonnes. Evidemment les sujets que j'ai choisis de citer non aucun lien avec les sujets qui m’intéressent vraiment dans la vie. Mais tout de même si j'ai envie de t'en parler c'est que cela a bel et bien attiré mon attention pendant quelques secondes. Le mot clef de tout cela tu l'as compris c'est "attirer ton attention", voir te distraire de la liste de raisons pour lesquelles tu étais en train de surfer sur le net. Parfois ça marche vraiment, par exemple quand Antoine BM t'envoie son mail quotidien et qu'il te propose de créer ton école en ligne ben ça fait mouche. J'ai donc décidé de me payer la formation d'Antoine que je connais assez bien désormais, cela fait une année environ que je le suis que j'observe ses stratégies, et je ne peux pas être autrement qu'admiratif. C'est un jeune homme pragmatique qui sait ce qu'il veut et qui sait l'obtenir visiblement. Alors que moi je suis un vieux de 60 berges qui a passé sa vie à changer de point de vue, de religion, de femme, de job , à errer, bref à voyager autrement qu'en charter parce que cela n'allait pas avec mes genoux. Un jour un gars m'a dit "pierre qui roule n'amasse pas mousse" La belle affaire, qu'est ce que j'en ai à faire d'être plein de mousse lui ai répondu derechef ! je suis venu au monde nu j'en repartirai pareil ! Mais du coup si je te parle de ce jeune aujourd'hui c'est parce que je suis victime d'une étrange nostalgie. Si j'avais 25 ans aujourd'hui il est certain que je serais dans cette mouvance de vendre mes formations en ligne sur un tas de sujets plus ou moins intéressants. Si j'avais 25 ans aujourd'hui je ne serais pas salarié je serais déjà à mon compte et je ne posséderais pas beaucoup plus que ce que je possédais à 25 ans déjà , c'est à dire que j'aurais en plus un Ipad, un Yéti, peut être un clavier bluetooth, un hub pour pouvoir utiliser tout ça et puis un petit sac d'habits. Et je serais souvent en voyage car avec le net on peut bien travailler de partout on s'en fout. Si je regarde leur parcours à ces jeunes, car il y en a plusieurs que je suis attentivement mais je ne vais pas les citer tous. Une chose qu'il m'ont apprise importante, c'est l'idée d'investir sur soi. A part dans les années 90 où j'ai décidé de suivre une formation de PNL payante, je n'ai guère investi sur moi par ce biais. J'ai investi du temps dans les études pourtant, dans les bibliothèques, , j'ai investi du temps dans mille et un naufrage sentimentaux et professionnels, mais je n'ai jamais eu vraiment envie de me former pour acquérir des méthodes rapides et efficaces afin de "gagner ma vie" C'est ce que proposent tous ces jeunes gens, investir sur soi , c'est à dire leur acheter du contenu de la formation pour des sommes relativement modiques. Le pack d'Antoine pour créer son école était en promo et dans mes cordes alors j'ai sauté le pas. C'est vrai que mon plus gros problème c'est de trouver un ordre pour organiser les choses. Un plan d'action, j'ai tendance à partir dans plein de directions en même temps, un plan en étoile loin du centre névralgique des choses justement, c'est à dire l'action. ou plutôt je vais dire que je réalise des actions désordonnées , des actions qui n'ont rien à voir les unes avec les autres bien souvent. Alors là me suis je dit si je ne passe pas à l'action c'est vraiment nul. Un peu comme un patient qui entre en psychanalyse, je me suis dit je paie donc je fais gaffe, je suis sérieux merde faut rien louper. J'ai essayé aussi la psychanalyse, une fois. Je me suis tiré en quatrième vitesse. J'ai épousé une psychanalyste pour achever d'en finir avec la psychanalyse. Dans le fond je pourrais me réjouir de n'avoir jamais pris le temps d'établir un vrai plan d'action dans ma vie car je n'aurais tout bonnement pas eu cette vie là dont je ne suis ni fier ni honteux dans le fond. Mais bon comme je vais avoir 60 ans en janvier je me suis dit que c'était peut-être un soubresaut utile à la suite Qu'est ce qu'on ne donnerait pas finalement pour s'illusionner encore un peu ..? Et tu vois il se pourrait bien que pour passer à l'action justement il ne faille pas se poser toutes ces questions, il faudrait avoir 25 ans et foncer même si c'est dans un mur, ce n'est pas bien grave. Du coup voilà une résistance au changement comme j'ai l'habitude d'en fabriquer à tour de bras et si tu es un peu dans ce même type de fonctionnement inscris toi à mes contacts privés pour commencer, tu recevras une liste de bonne raisons que l'on s'invente communément pour ne pas faire les choses et comment contourner cette manie. https://urlz.fr/aSST|couper{180}

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Le mensonge de l’art.

Ce matin je me réveille avec la gueule de bois. Nuit agitée à élaborer des argumentaires de vente, des arborescences d'offres de formations, des plans, des listes. Cela m'avait déjà fait ça je m'en souviens lorsque, il y a maintenant presque 30 ans, j'ai commencé à jouer aux échecs. Je rêvais les parties durant la nuit et je me réveillais la tête dans le cul évidemment. Alors peut-être que toi aussi tu ne dors pas très bien en ce moment parce que tu ressasses ta journée passée ou celle à venir. Tes rêves ressemblent à de grosses lessiveuses d'où l'on t'extirpe rincé, crevé au matin. J'ai envie de dire que c'est plutôt une bonne nouvelle pour toi, c'est parce que quelque chose bouge au fond et que ton cerveau lance les dés, invente des futurs possibles durant la nuit. On dit souvent que lorsqu'on veut trouver la solution à un problème il faut s'endormir en y pensant et la solution arrive le matin. C'est vrai ! Et tu vois, ce matin, la première chose qui m'est venue à l'esprit, avant même de prendre mon café, c'est l'art. Et je me suis aperçu que je n'étais plus du tout hypnotisé par celui-ci désormais. Tu sais cet art tel que je l'ai ou que tu as toujours perçu ou tel qu'on te l'a toujours présenté et qui dans le fond (c'est dur à avaler) mais tant pis, allez, je te le dis : L'art n'est rien d'autre qu'un gros mensonge de plus. Et oui, pendant que la Californie crame, que l'Amazonie crame, que l'Afrique crame, pendant que partout le monde est en train de cramer, de se déliter, j'ai bien l'impression que tous les mensonges s'éventent en même temps et que tout est en train de s'évaporer vers le ciel bleu. La démocratie, mensonge. La république, mensonge. La politique, mensonge. Le terrorisme, mensonge. Bref, comme tout part en cacahuète, pourquoi pas l'art aussi ? Évidemment je n'invente pas le fil à couper le beurre, l'art est déjà parti en cacahuète depuis belle lurette avec la plupart des créations inventoriées avec l'étiquette « contemporaines ». Évidemment les bidules en plastoque de Jeff Koons posés au centre de la cité, c'est le pied de nez ultime à toute velléité de gravité, de sérieux dont pouvait encore s'auréoler l'art jusqu'à peu dans le fond. Alors effectivement, vu sous cet angle, comment ne pas rigoler de ceux qui gravement vont te parler d'art. Qui vont pontifier sur l'art. Tu auras alors deux solutions : leur rire au nez ou en sourire. D'un autre côté, l'art a toujours existé. L'homme ne peut s'en passer. L'art du mensonge accompagne la recherche du beau depuis toujours et ce n'est pas un hasard si les deux marchent côte à côte. Peut-être n'est-ce plus tant le beau que l'on cherche désormais mais le juste, et cette dérive du beau vers la justice est encore une errance j'en ai bien peur. Car tout de même, lorsque je regarde les statues du paléolithique, lorsque je regarde les cariatides étrusques, lorsque je sombre dans le regard obscur d'un Modigliani, quand je suis secoué tout entier par les frontières inouïes que Marc Rothko installe entre ses grands rectangles de peinture. Cette émotion n'est pas mensongère. Elle est écho, résonance face à un silence, un mystère. Est-ce pour autant le « beau », je ne sais pas. Et je ne parle même pas de « l'étoilement totémique » des œuvres chamaniques d'un Thierry Lambert qui par la symétrie nous ramène à un essentiel perdu dans le fond des temps. Le beau est devenu presque une banalité désormais. C'est d'ailleurs la seule chose que les gens disent dans mes vernissages globalement. Intérieurement je leur dis : oui si vous voulez, c'est beau mais ça ne nourrit pas. La beauté ne nourrit pas au sens propre comme au figuré. La beauté des œuvres d'art comme la beauté des femmes comme la beauté des romans, comme la beauté des mensonges, ce qui la rend belle justement c'est le mystère qui généralement les accompagne. Que ce mystère soudain vienne à s'éventer, c'est comme un soufflé qui retombe et on n'a plus qu'à être bienveillant avec la maîtresse de maison désolée tout en n'en pensant pas moins en repartant.|couper{180}

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Mon ami Paul

Il s'était endormi avec la chatte sur les genoux et il la prend délicatement dans ses mains pour se lever du fauteuil et la reposer. L'animal ronronne de gratitude et se recroqueville douillettement pour s'enfoncer à nouveau dans le sommeil. Monsieur Paul remplit alors le poêle de charbon en maugréant : la neige est de retour devant le petit pavillon de banlieue. Il effectue une toilette sommaire, s'habille de vêtements propres, et flanqué de son vieux galurin cabossé et de son pardessus, il regarde à nouveau la pièce qu'il s'apprête à quitter : un salon chaotique où dorment de multiples animaux, chiens, chats, lapins, et même un perroquet à l'œil mi-clos sur le perchoir, puis il referme la porte et rejoint la mairie de Fontenay-aux-Roses, dans l'espoir que le 86 sera bien en service malgré les intempéries nocturnes. Nous sommes en 1908, la voirie qu'on paie de nos impôts ce n'est pas pour des pommes, lâche-t-il pour se rassurer. Arrivé dans les locaux du Mercure, il ne salue personne et trotte jusqu'à la petite table du bureau qu'on lui alloue pour rédiger ses chroniques. Ici, il est plus connu sous le pseudonyme de Maurice Boissard. Au début on lui propose de s'occuper de la chronique « dramatique » mais il tourne tout en dérision et n'a pas son pareil pour relever le moindre défaut de langage, de style, et surtout il avertit de toute absence de style justement, si bien que peu à peu les lecteurs se mettent à attendre avec impatience la nouvelle saillie de Maurice Boissard, qui ne manque pas de leur faire se tenir les côtes ou d'assombrir l'avenir de ses victimes quotidiennes. Il tient comme cela quarante-cinq ans de suite, dans un travail mal payé en rédigeant parallèlement une œuvre monumentale qui sera connue sous le nom de Journal. Il a déjà obtenu un succès d'estime qui ne dépassera guère les frontières des cercles littéraires, concernant un premier roman, autobiographique comme il se doit, Le Petit Ami, mais ce sera dans les années 50 grâce aux entretiens radiophoniques avec l'écrivain Robert Mallet... Par chance je tombe ce matin sur un podcast de France Culture dont je te donne le lien. Bonne écoute ! France Culture|couper{180}

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Loser

Il avait eu envie de répliquer à ce commentaire qu'on lui avait balancé et puis il avait mis un pouce, avait écrit deux trois bafouilles autour de l'écrivain qu'il aimait, et aussi de tous les écrivains qu'il aimait et qui racontaient leur vie de loser dans le fond et maintenant que son énervement était retombé, il s'apercevait que toute la littérature qu'il préférait tournait effectivement autour de ce thème, la chute, la rupture, l'impuissance à réaliser ses rêves, ou du moins la grande difficulté que chacun d'eux raconte au fil des récits. Il descendit fumer dans la cour et malgré le crachin désagréable il resta là à regarder le ciel de nuit. De gros nuages traversés néanmoins par l'éclat de la pleine lune. Il se sentait bien, calme tout à coup au terme de cette journée de désœuvrement qui lui avait mis les nerfs en pelote. Alors soudain il vit toutes les possibilités de sa vie en une fraction de seconde continuer leur route sans lui. C'était comme si l'univers avait d'une main clémente écarté tous les voiles qui l'aveuglaient. Il vit tous ceux qui étaient lui et qui avaient, par leurs choix, emprunté une route parallèle, il y avait là un chanteur qui avait rencontré le succès dans les années 90 et qui désormais finissait sa carrière dans les salles des fêtes de communes rurales, il y avait le grand écrivain qui vivait seul dans un cottage irlandais avec ses chats et ses chiens et un bon feu de bois qui crépite. Il y avait aussi tous ceux qui n'avaient pas fait de connerie, qui étaient restés avec leurs compagnes vieillissantes désormais dont il s'était méthodiquement séparé au cours du temps. Il les voyait au travers des fenêtres éclairées par des luminaires orange, jaune et blancs comme investi soudain d'un étrange don d'ubiquité. Il pouvait aussi bien léviter tout en haut d'une tour que jouer aux indiens pour ne pas être aperçu par les occupants des lieux. Alors il se mit à rire silencieusement avec presque des larmes aux yeux en remerciant le vieil univers. Il voyait toutes les possibilités de lui-même, toutes les possibilités des choix qu'il n'avait pas voulu ou pas su faire et tous dans le fond se valaient désormais. La soixantaine lui apportait une sérénité inédite, et il aurait bien voulu appeler son père au téléphone mais il se souvint qu'il n'avait plus de père. Alors il se découvrit désormais en première ligne pour la grande dégringolade dans le néant. Il fit un petit signe amical au chat qui revenait de ses ballades diurnes sur les toits et referma la porte derrière lui sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa compagne qui s'était endormie devant la télévision.|couper{180}

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Savoir bien dessiner

Parmi ces trois mots deux ne servent à rien et je vais t'expliquer pourquoi. La plupart des gens pensent qu'il faut savoir dessiner, et donc que ça s'apprend. Mais rappelle toi quand tu étais gamin tu t'en fichais complètement, de savoir dessiner, tu dessinais et puis voilà ! Ensuite que peut bien vouloir dire "bien dessiner" par rapport à qui ? par rapport à quoi ? Savoir bien dessiner implique aussitôt un savoir mal dessiner .. oh mon crayon balance entre les deux pôles j'ai les chocottes maman ! Bon ok si tu feuillettes les carnets de croquis de Léonard de Vinci, et que tu as comme ambition de dessiner comme ça, il va te falloir bosser un peu. Mais pourquoi voudrais tu dessiner comme Léonard de Vinci, puisque c'est déjà fait, plié, enterré, il n'y a qu'un Léonard et puis voilà ! Ensuite rappelle toi aussi qu'à son époque il n'y avait pas les smartphones ni les reflex numériques qui permettent désormais d'avoir des photographies nettes et sans bavure, de jolis portraits, de jolis paysages. Alors tu peux prendre ça comme un challenge de dessiner aussi bien que Léonard bien sur, tu peux copier sa manière, mais est ce que ça va vraiment t'apprendre à dessiner je ne le crois pas. Car pour moi dessiner c'est avant tout s'exprimer avec justesse, montrer qui on est, donc la seule chose que tu peux faire c'est dessiner comme toi tu le sens. Et pour ça tu n'auras besoin que de temps chaque jour pour t'y mettre et réfléchir sur ce que tu as fait au bout d'un moment. Au début ton œil sera pratiquement aveugle, tu ne verras pas grand chose, et tu auras tendance à dire bof, c'est pas terrible, aller corbeille... C'est une erreur, garde tout au contraire, dans un pochette, et mets bien la date à chaque fois que tu réalises un dessin, ta signature et la date. Parce que tout ce que tu fais en dessin compte, tout ce que tu fais en dessin est précieux. Parce que si tu mets ce que tu dessines à la corbeille cela veut dire que tu as perdu ton temps et que tu n'estimes pas ton effort. L'estime de soi est importante ( sans en abuser non plus ) alors conserve, chouchoute tout ce que tu produis et tu m'en diras des nouvelles dans quelques années quand ton œil sera plus ouvert quand sur ces premières esquisses tu comprendras qu'il y a avait déjà la trace, les prémisses d'un talent à venir. Concernant le "bien dessiner" c'est souvent un avis qui provient des autres. C'est assez facile dans le fond de "bien dessiner" quand tes dessins correspondent à ce qu'attendent le plupart des gens concernant un visage, un paysage. Mais dans le fond "bien dessiner" est souvent un mensonge que tu commences par te faire à toi-même. Alors peut-être que "savoir bien dessiner" n'est rien d'autre qu'un faux problème que tu places sur ton chemin pour ne pas te mettre à dessiner vraiment. C'est à dire dessiner comme tu es comme personne .. et voilà ce qu'a super bien compris Mac Donald quand il t'invite à venir "comme tu es" dans ses établissements. Si ma manière de voir les choses dans ce domaine te plait, n'hésite pas à t'abonner à mon blog, et puis il y a aussi un lien que je place juste en dessous pour faire partie de mes contacts privés https://urlz.fr/aSST|couper{180}

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28 octobre 2019

La plupart des gens pensent qu’il faut savoir dessiner, et que ça s’apprend. Mais souviens-toi : enfant, tu ne te souciais pas de savoir dessiner ; tu dessinais, tout simplement. Et puis, que veut dire « bien dessiner » ? Par rapport à qui, par rapport à quoi ? Si « bien dessiner » existe, cela implique aussi « mal dessiner »… Mon crayon oscille entre les deux : j’ai les chocottes, maman ! D’accord, si tu feuillettes les carnets de croquis de Léonard de Vinci et que tu rêves de dessiner comme lui, il va falloir bosser un peu. Mais pourquoi voudrais-tu dessiner comme Léonard, puisque c’est déjà fait, plié, terminé ? Il n’y a qu’un seul Léonard, et voilà. À son époque, il n’y avait ni smartphones ni appareils photo numériques pour capturer portraits ou paysages sans bavure. Aujourd’hui, c’est différent. Tu peux bien sûr prendre ça comme un défi de dessiner aussi bien que lui, mais est-ce vraiment cela qui t’apprendra à dessiner ? Je ne le crois pas. Pour moi, dessiner, c’est d’abord s’exprimer avec justesse, montrer qui l’on est. La seule chose que tu puisses faire, c’est dessiner comme tu le ressens. Et pour ça, il te faudra du temps, chaque jour, pour t’y mettre et réfléchir à ce que tu as produit. Au début, ton œil sera presque aveugle : tu ne verras pas grand-chose et tu te diras peut-être « bof, c’est pas terrible, à la corbeille… ». Erreur. Garde tout. Mets tes dessins dans une pochette, note la date et ta signature à chaque fois. Tout ce que tu fais en dessin compte, tout est précieux. Jeter tes dessins, c’est dire que tu as perdu ton temps, que ton effort n’a aucune valeur. L’estime de soi est importante (sans en abuser, bien sûr). Chéris ce que tu produis et, dans quelques années, ton œil plus aiguisé te montrera que ces premières esquisses portaient déjà la trace, les prémices d’un talent à venir. Quant à « bien dessiner », c’est souvent l’avis des autres : c’est facile de « bien dessiner » quand tes dessins ressemblent à ce que la plupart attendent d’un visage ou d’un paysage. Mais au fond, « bien dessiner » est souvent un mensonge qu’on se raconte à soi-même. Peut-être que « savoir bien dessiner » n’est qu’un faux problème, une excuse pour ne pas se lancer vraiment. Dessiner, c’est avant tout dessiner comme tu es, sans chercher à imiter qui que ce soit. Et c’est exactement ce que martèle McDonald’s quand il répète « venez comme vous êtes ».|couper{180}

réflexions sur l’art

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L’usure

Tous les mois à partir du 15 c'est la même ritournelle qui revient, tu es à combien de découvert toi ? Et lui, il continue à tapoter sur son clavier comme si de rien n'était juste avant de descendre prendre le café. Tu viens, elle s'impatiente en bas, elle a en horreur de déjeuner seule. Et lui prend un malin plaisir à la laisser trépigner un petit moment. C'est le rituel du matin, ils ne changeraient pas ça pour rien au monde. À part les quelques jours de vacances qu'ils prennent chaque année, là c'est différent, il dort bien, il n'a pas d'ordinateur, juste un carnet et il se sent plus détendu. Quand il descend il la prend dans ses bras et ils restent ainsi un petit moment bien au chaud l'un dans l'autre. Elle ne dit rien, elle fourre sa tête sous son bras à lui et ils dansent un peu sans musique. Et puis ils boivent le café, lui très vite s'en va car il sait qu'elle va à nouveau parler d'argent, des factures qui s'accumulent, et ça va vite dériver sur les maux de hanche, de pieds et de genoux, et il se sent impuissant, ou plutôt une rage insensée qui resurgit toujours pointée contre lui-même et il casserait tout dans la baraque. Alors il préfère prendre sa veste et sortir de la maison. Au tabac, à l'angle de la rue, les deux jeunes qui ont repris le commerce ne rigolent plus trop. Il se souvient de la joie sur leurs visages il y a quelques mois de ça, juste après le départ des gros fachos qui tenaient le tabac avant. Ils étaient tout frais tout neufs, des jeunes qui en veulent, il s'était réjoui pour eux. Ils ont galéré pas loin de six mois pour avoir le prêt de la banque, tu penses bien, des Turcs, ça ne fait pas de différence avec les Arabes ici. Et puis de toute façon les banques ne prêtent qu'aux riches. Alors turc, jeune et pas riche, c'est forcément le tiercé perdant. Ils sont là coincés dans ce tabac désormais de l'aube au matin sept sur sept sans jamais prendre de vacances. Ils mériteraient une médaille, pense-t-il en tentant le passage sans fil de la carte bleue sur la machine. Des munitions pour deux jours à peine, il s'est remis à fumer plus fort encore mais d'un autre côté il se dit qu'il n'a guère que ça, ses clopes et son café comme addiction et puis il n'a pas la force, voilà tout. Hier encore il y avait la peinture mais bon, depuis des semaines les pinceaux sont restés dans les pots, la table de l'atelier est en bordel et il ne rentre plus dans celui-ci que pour filer à bouffer au chat. C'était bientôt la fin du mois d'octobre, le retour des morts, l'antique fête de Samain, rebaptisée désormais par les vendeurs de hamburgers dégoulinants et il se demande s'il ne va pas aller sur la tombe du père là-bas à la frontière du Cher et de l'Allier. Puis il se souvint que le vieux Kangoo est refusé au contrôle technique, il est désormais parqué en attendant des jours meilleurs, à l'abri des regards. Le pèlerinage ne se fera pas encore cette année. Le froid arrive, pense-t-il, le brouillard montre déjà son nez au coin de la rue. Il va bientôt faire jour mais le soleil sera absent. Il relève son col de veste et se dirige vers le grand café qui ouvre dans un bruit grinçant son rideau de fer.|couper{180}

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Nabuchodonosor suite

De la fuite, de l'errance, du lâcher-prise, et du sabotage il semble que j'en connaisse un rayon et ce dans à peu près tous les domaines et ça me rappelle un rêve bizarre que je fais enfant régulièrement. Un monde gris sans relief dans lequel je tombe lentement à la renverse dans un temps ralenti. Me voici au sol immobile enfin. C'est alors qu'ils arrivent : toute la foule de petits personnages informes à la voix éraillée qui applaudissent désormais mon retour parmi eux. Ils m'entravent, me ligotent, jusqu'au point où je ne peux plus du tout bouger. Et à chaque fois le même scénario recommence : « Bon les gars, assez rigolé, je sais pertinemment que c'est un rêve et que vous n'existez pas. » Je leur souris malignement et hop, je m'évade en me réveillant. Une seule fois, en changeant de côté dans le lit, je suis presque aussitôt retombé dans le même rêve, mais j'ai complètement oublié la fin. Il ne m'en est resté qu'une amertume extraordinaire, inédite, une sorte de capsule contenant toutes les amertumes passées et à venir par la suite. L'essence de toutes les amertumes, une sorte d'éveil à rebours. Dans cette chambre que je viens de trouver je me sens bien, je viens d'ouvrir la fenêtre en grand, c'est l'automne et un air vif pénètre dans la pièce. Il ne doit pas être plus de quatre heures du matin. Presque pas de bruit, aucune lumière sur la façade de l'immeuble d'en face. Le café coule dans la cafetière neuve que je viens d'acheter chez Tati, à deux pas de l'hôtel. Une grande table ronde en bois trône au milieu de la pièce, j'y ai posé ma pile de feuilles et un peu plus loin mes crayons, mes stylos dans une boîte de conserve en fer-blanc. Je vais me mettre au boulot sitôt le café bu et la première cigarette du matin allumée. L'urgence est de mettre de l'ordre noir sur blanc, de ne pas se laisser aller, d'installer des rambardes, des garde-fous. J'écris ainsi le matin de très bonne heure en noircissant des pages et des pages sans me relire. Dans ces textes désormais perdus j'aligne à la fois mes souvenirs douloureux, en tentant de trouver des issues philosophiques, scientifiques, mystiques à ma colère et ma violence et je songe à Nabucho régulièrement. Que m'a-t-il dit peu avant mon départ pour Paris ? Un soir où, tellement ivre, j'avais tout cassé dans leur appartement dans une rage et un désespoir minable ? « Ton esprit est malheureux mec, il faut que tu le nourrisses, que tu t'en occupes ! » J'avais fondu en larmes quand il avait prononcé ces mots de sa voix grave et douce, lui attribuant tout à coup la plus sérieuse expertise sur la situation générale de mon être. Alors c'était donc ça le problème, dans le fond je jouissais de la vie sans vergogne depuis des lustres et je ne donnais rien à faire, rien à manger à mon esprit et donc je ne commettais rien de moins que la plus grande des fautes, des erreurs suivant mon bon ami initié aux saints du candomblé de Bahia. Mon esprit ignoré, humilié sans doute, se vengeait de ma personne en me faisant traverser et retraverser mille déboires tant que je ne comprendrai pas enfin la leçon. Je ne suis plus très sûr désormais que cette phrase qu'il prononça entre un whisky bien tassé et une vodka ne fut pas adressée à lui tout autant qu'à moi. Lui le poète exilé venu s'échouer ici dans cette banlieue grise parisienne, assailli par des obligations familiales désormais, par l'alcool, et par le personnage qu'il avait dû inventer afin de survivre à son propre génie destructeur. Pendant plusieurs mois je vais écrire ainsi en reprenant toutes les bribes, toutes les scories de mon existence et avec une sorte de dégoût au final de ne pas être capable de glisser vers la fiction pure, ce que j'imaginais être une « vraie écriture », de l'art en quelque sorte, et donc je vais encore me désespérer et me traiter d'impuissant et de minable. J'ai quitté le magasin paramédical depuis quelques mois et je me suis inscrit au chômage. Je suis complètement seul et libre et une fois que j'ai achevé d'écrire pendant trois heures chaque matin, la journée s'offre comme une étendue infinie. En général je m'allonge sur le lit pour me calmer, me détendre, j'espère dormir aussi mais en vain. Sans le savoir vraiment j'ai mis au point une technique respiratoire pour me calmer en inspirant par le ventre. Je plonge ainsi pendant quelques heures dans un état de non-être, un oubli domestiquant peu à peu le bruit incessant qui ne cesse de pénétrer dans la petite pièce. En bas dans la rue, dans la journée le bruit est formidable, perpétuel. La vie cogne aux vitres de la fenêtre mais je l'absorbe peu à peu comme une constance sans importance en respirant. Et le soir je quitte la chambre, je vais marcher par les rues, attiré par Montmartre proche j'en gravis ses pentes en regardant les passants attablés aux comptoirs des cafés ou sur les terrasses pas encore rentrées. Un besoin de chaleur humaine sans doute me fait visiter tous les bars sur le parcours régulier que j'emprunte, je bois quelques verres et pour finir je rentre en titubant vers l'hôtel, plus dégoûté encore que jamais de cette compromission que je dois effectuer pour tenir dans mon existence merdique de solitaire désormais. L'alcool me désinhibe, me donne du courage pour aborder l'autre, dans le fond j'ai toujours été d'une timidité maladive. Je pontifie, déblatère, vocifère et conspue en public dans une toute-puissance de pacotille qui s'évanouit à l'aube dès que j'entreprends d'aligner mes pauvres mots sur la feuille blanche. Comment donc s'appelait cette foutue garce de prof de français qui m'avait déclaré que je n'étais qu'un nul en orthographe, en conjugaison, en tout ce qu'il faut en fait pour rédiger... son nom m'aura échappé. Et puis il y a aussi cette réminiscence perpétuelle de la voix du père qui ne cesse de m'affliger de tous ces « tu n'y arriveras jamais, tu n'es pas assez endurant, tu te fais des illusions, tu ne vaux pas tripette, tu es décevant ». La nuit je ressors pour aller chercher des cartons et des vieux journaux. Avec de la farine et de l'eau je fabrique de la colle et je fais des personnages en papier mâché, des masques. Ça me détend et ça me regarde d'une façon neuve, une familière étrangeté qui peu à peu balbutie dans le silence de la chambre. En commençant à écrire il y a maintenant des années de cela j'ai l'impression d'être parti un jour pour m'attaquer à un Everest imaginaire. Je ne saurai dire aujourd'hui si j'ai jamais atteint son sommet, probablement pas et peu importe dans le fond. Mais j'ai sûrement bénéficié d'une grâce due de façon collatérale à l'écriture et à la discipline qu'elle m'a toujours imposée de chercher : la justesse. Et puis j'ai pu, et ce n'est pas la moindre des choses, remonter le fil de nombreux mensonges, ceux que je me suis inventés moi-même et ceux des autres bien sûr. La trace de Nabucho s'évanouit peu à peu, les mois et les années passèrent et je me retrouvai à Montrouge dans un nouveau job quand je reconnus une voix familière qui m'appelait dans la rue un soir. C'était son épouse qui habitait là désormais avec son petit dernier. Elle m'invita à boire le thé pour connaître la fin de l'histoire.|couper{180}

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Nabuchodonosor 2

Pour gagner sa vie de poète exilé, Nabucho intervenait dans les écoles et apprenait aux enfants à réaliser des masques en papier mâché. Il ressemblait à un gros nounours noir et sa voix était douce comme une caresse lascive et qui charriait pourtant des armes tranchantes aux gamins des cités. Il avait passé son enfance dans une famille modeste de Salvador de Bahia, oh pas une famille pauvre, il ne marchait pas pieds nus tous les jours. Quand il allait à la maison des Saints, il mettait ses belles chaussures du dimanche et sa veste aux manches un peu trop courtes. Déjà à l'époque il affectionnait d'apparaître un peu ridicule. Certains soirs de mai, il prenait sa guitare pour honorer Iemanja, la nature incarnée dans ce drôle de syncrétisme cathoyorubesque, mélange de vierge Marie et de Lilith africaine. Mais alors sa voix vous attrapait l'âme tout entière en vous cajolant de son intonation parfois enfantine. Il était ami avec toute la diaspora brésilienne et lorsque Gilberto Gil, de passage à Paris, l'appela au téléphone alors que nous étions en train de déguster une de ses succulentes feijoadas, il m'invita à l'accompagner. À la vérité, j'ai oublié le lieu où se jouait le spectacle depuis, j'ai oublié le concert aussi. Non, tout ce qui m'est resté de ce soir-là, ce sont leurs deux regards d'amitié. Une tendresse énorme et une intelligence du cœur accompagnée évidemment des débordements nécessaires afin de conserver un semblant de pudeur. Ce fut ce jour-là que je compris que tout ce que Nabucho disait n'était pas toujours des histoires, des inventions, des mensonges et je me surpris à l'admirer, moi qui n'admire pas grand monde en général. La pauvreté qui accablait le foyer provoquait des crises conjugales à répétition et toutes se soldaient généralement par une porte qui claquait et qui conduisait Nabucho au bistrot. Quand le boxeur fit son arrivée, ma vie changea. Je payais une petite fortune pour la chambre que j'occupais à l'hôtel voisin et il me proposa une chambre dans leur appartement. Le boxeur, sa compagne, une Serbe de dix ans son aînée, et un adolescent taciturne qu'elle avait eu d'un premier mariage, vivaient non loin de là dans des immeubles modernes, code de sécurité, parking vidéosurveillé, ascenseur en bon état de fonctionnement. J'étais tellement léger d'argent à ce moment-là que ce fut une bénédiction en apparence et je n'oubliai pas de remercier la providence. Mais en fait ce fut vraiment là que je compris totalement l'expression « il vaut mieux un petit chez soi qu'un grand chez les autres ». Car à peine avais-je posé mon sac dans cette nouvelle chambre que je compris le but recherché par le boxeur. Il ne désirait pas moins que je satisfasse sexuellement sa compagne qui avait en cette matière un appétit d'ogresse. En tout cas cela me permit, je veux dire cette économie sur mon maigre budget, de remonter une pente financièrement abrupte. Peu de temps après, je changeai de job en même temps que je levai le pied sur l'alcool. J'avais trouvé un job de responsable commercial dans un magasin de matériel paramédical à deux pas. Je ne voyais plus guère mon ami Nabucho étant rentré dans le ronronnement des semaines qui s'enfilent selon un rythme laborieux, les saisons passaient et je ne les voyais guère que par les vitres de l'autobus qui me conduisait à mon nouvel emploi. Les deux acolytes qui étaient alors mes patrons avaient été épatés à l'embauche par le simple fait que je ne me démonte de rien. Ils avaient pourtant essayé en m'assaillant de questions loufoques juste pour voir si je perdais ou non mon calme. Une sorte de test paramilitaire qui m'avait surpris bien sûr mais bon, j'avoue que désormais il n'y a plus vraiment de règles pour l'embauche, c'est la foire d'empoigne et puis voilà. Mon boulot demandait effectivement des nerfs. Je voyais arriver là tous les culs-de-jatte du monde, quand ce n'était pas les mères pondeuses à répétition qui s'enquéraient régulièrement des prix des couches. De temps en temps je lâchais une ou deux canules entre quelques ventes de fauteuils roulants ou de lits médicalisés. Mais le pire à endurer était la livraison des bonbonnes d'oxygène aux presque mourants du coin. J'en ai vu des jeunes et des moins jeunes m'accueillir avec des râles de joie et des regards mouillés de soulagement. J'étais le pourvoyeur d'air pur dans des univers à l'atmosphère épaisse épicés d'odeur de merde et de pisse. J'ai dû tenir une bonne année par tous les temps et je serais sûrement resté si mes patrons ne s'étaient pas soudain ouverts à moi d'une lubie que je n'avais pas encore relevée chez eux. En effet, un soir, alors que je faisais les comptes du magasin, le plus jeune poussa ma porte avec un sourire de faux cul magnifique et me demanda si je m'intéressais à la religion. Je répondis que je n'étais pas pratiquant de rien mais qu'accessoirement je croyais à une sorte d'au-delà. Du moins vu le merdier de l'ici, ça aidait à tenir qu'il puisse exister un ailleurs fabuleux. Et le voilà à me narrer tout de go qu'ils appartiennent tous les deux à un groupe de personnes qui « savent » parce qu'ils sont conduits par une magicienne incroyable qui aurait le pouvoir de lire les âmes, dénouer tous les nœuds énergétiques, j'en passe et des meilleures, pour arriver au fait : ils voudraient, ces deux-là, que je puisse les accompagner un soir pour me présenter. Ce que j'ai compris, c'est qu'il fallait qu'ils m'amènent pour être ausculté par leur mentor et savoir si j'étais tellement une personne de confiance que ça. Ils n'avaient pas complètement tort à vrai dire vu que j'empochais quand même un billet par-ci un billet par-là que je ne fourrais pas dans leur putain de caisse enregistreuse.|couper{180}

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Traverser le miroir

Pour la plupart des gens, quand ils voient un type en guenilles, un clodo, ils regardent leur montre, leur portable, le sol ou je ne sais quoi du moment que ce n'est pas justement ce type. Ils ne prennent même pas un instant pour y penser, ils zappent. Ils continuent leur trajectoire pour se rendre à un lieu plus ou moins déterminé dans leur esprit, le seul fait d'avoir une destination les réconforte, si on peut dire. C'est comme ça que j'ai aperçu le type sur le banc en train de s'enfiler une bière à haute teneur en alcool, une grosse canette noire et argentée et quand je passe à sa portée, évidemment, il me hèle pour me réclamer deux ronds. Du coup, c'est pas le jour, je me dis, je continue ma route sauf que moi je n'ai pas vraiment de destination ce matin-là précisément. Du coup je me retourne et je lui fais un joli doigt d'honneur. Y a des matins comme ça où je ne suis pas à prendre avec des pincettes. Et puis je l'entends gueuler évidemment, « connard » et là j'ai envie de revenir sur mes pas pour lui en flanquer une mais bon je me dis : ce pauvre type n'y est franchement pour rien si tu t'es séparé d'avec Françoise. Du coup c'est une petite éclaircie et je me sens généreux rien que pour ça, alors j'y retourne et je m'assieds même à côté de lui. Tu me traites de connard parce que je te file pas deux ronds ? je demande. Il est un peu étonné que je me sois assis alors il bégaie... Non mais ras le bol, ça fait deux heures que je fais la manche, personne ne me regarde. Du coup moi je te regarde, je réponds. Effectivement il est en lambeaux, il doit traîner dans la rue depuis des jours et il schlingue. Bon, admettons que je te file deux ronds comme tu dis, ça va t'avancer à quoi ? Ça va pas modifier ta situation en profondeur. T'es psy ? il me lance. Non, je ne suis pas psy, je suis juste en train de me demander ce que je ferais moi dans ta situation. Oui mais t'es pas dans ma situation, personne ne l'est, y a que moi dans ma putain de situation, tu piges ? Je sors mon paquet de clopes et je lui en propose une, il me propose sa canette mais je décline poliment. On ne dit rien, on fume. On regarde passer les gens qui ne nous regardent pas. À un moment j'ai envie de lui raconter ma séparation d'avec Françoise mais je me retiens. Ce mec n'est pas une serpillière, merde, un peu de dignité. Et puis en même temps c'est lui qui l'a cherché, non ? Alors hop, j'entonne mon couplet sur Françoise qu'est une salope et moi évidemment un mec très bien sous tous rapports. Il se marre et me traite de gros con. Je souris béatement, je l'ai pas volé et en plus je suis content qu'il soit moins con que je le pensais. En même temps je rougis un peu, j'ai honte, putain, ça fait combien d'années que j'ai pas ressenti de la honte, je ne compte plus. Tu te crois malin parce que tu es bien habillé, qu'il me rétorque, mais t'es qu'un pouilleux de crétin à la noix, et en plus je parie que tu y connais rien en matière de bonnes femmes. Je tire sur mon mégot un peu nerveusement, il m'agace. Les bourgeoises tu les traites comme des salopes et les salopes tu les traites comme des princesses et tu verras, tu seras plus jamais emmerdé, me lance-t-il. J'analyse rapidos le propos, il faut dire que ce genre de logique ne m'avait jamais vraiment traversé, puis en remontant dans ma mémoire à la vitesse de l'éclair je me dis... ben peut-être qu'il n'y a pas que du faux là-dedans. Françoise, je l'aurais trop respectée, bourgeoise comme elle est, si je lui avais flanqué une bonne main au cul d'emblée ça aurait peut-être fait basculer toute l'histoire d'un coup. Une main au cul ou une bonne raclée dans le fond, non ? Paraît que ça existe des femmes qui aiment qu'on les maltraite... En même temps ça me fait chier de penser à ces conneries, cette espèce de petit jeu pour se faire aimer ou respecter ou je ne sais quoi, je le trouve nul et je le dis au type. Oui, avec une logique comme ça je comprends pourquoi t'es sur un banc. Connard, c'est moi qui ai choisi d'être sur ce banc, c'est pas une fatalité. Ah bon, intéressant, je rétorque. En fait je ne sais pas trop quoi dire à ça. Je ne savais même pas qu'on pouvait décider de devenir SDF dans le fond. La conversation tourna en queue de boudin, il me raconta ses années de Légion étrangère et comme je n'adhérais pas à sa nostalgie militaire, je décidai de tirer une bordée vers Saint-Michel. Je lui tendis tout de même la main poliment, et il me la serra en ajoutant : Tu sais, petit, l'important dans la vie c'est de savoir traverser le miroir.|couper{180}

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Au delà de l’art

Au-delà de l'art et du mensonge que nous inventons sans cesse pour approcher sa présence silencieuse, c'est tout l'être qui se tient immobile dans une attente angélique. Angélique, c'est-à-dire avec un sourire, les mains dans les poches, dans une sorte de désabusement inouï, entre les démons et les gentils qui s'empoignent sans relâche dans leur soif immense de reconnaissance. Au-delà de l'art, c'est sans doute ici que je me sens le mieux dans le fond, à fumer avec l'ange et à faire des ronds de fumée. Au-delà de l'art, tout ce brouhaha s'évanouit lentement mais sûrement et alors tinte la clochette de la rosée sur la feuille de catalpa, comme augmentée par tous les dièses et les bémols effondrés. C'est sans doute là que la paix réside, ici et là tout en même temps. C'est cette intuition qui remonte à loin et qui de temps en temps, dans une sorte de grâce parfumée, me monte au nez. Au-delà de l'art il n'y a plus d'urgence, plus de temporalité, un dessin d'enfant vaut tout autant que celui des plus grands maîtres incontestés. Au-delà de l'art, n'est-ce pas ici et là le paradis finalement ?|couper{180}

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Le non-faire

Un matin, il s'aperçut clairement qu'il était à côté de la plaque. Ce n'était pas sa vie, il marchait à son côté, séparé d'elle par la haie que formait la mémoire. Il tentait de temps en temps de traverser celle-ci bien sûr mais s'écorchait la peau. Alors il eut une idée simple, parfois il faut du temps et ce jour-là il fut prêt, il le sentait, c'était maintenant ou jamais. Le premier pas qu'il effectua en arrière fut un peu maladroit, la peur de chuter était toujours présente. Au second, il commença à prendre un peu d'assurance, mais ce ne fut vraiment qu'à partir du cinquième qu'il atteignit enfin la bonne vitesse de croisière. Il avança, si l'on peut dire ainsi, à reculons depuis le frigo jusqu'à la fenêtre comme il le faisait normalement chaque matin pour ouvrir le volet roulant de celle-ci. Il lança alors la main droite pour appuyer sur le commutateur puis la retint et envoya à sa place la main gauche en exploration tout en fermant l'œil droit. Ainsi donc il pouvait avoir un pouvoir de modifier l'habitude, cette habitude même dans laquelle il s'était confortablement installé depuis des années. Cette première journée, il ne fit rien comme d'habitude justement, c'était une journée test. Il dit bonsoir au lieu de bonjour, il demanda à la boulangère une miche au lieu d'une baguette, il prit le bus plutôt que le métro et, arrivé devant la grande bibliothèque, il bifurqua soudain pour se rendre au bistrot. Il commanda un scotch sans glace et le but d'un trait puis attrapa le journal qui traînait sur le comptoir et commença à le lire à partir de la dernière page, c'était du sport et il se disait qu'il détestait le sport, mais justement, pourquoi donc détestait-il le sport après tout ? Et il s'enquît auprès de son voisin d'un pronostic éventuel sur le match qui allait opposer l'Allemagne à la France dans la soirée. Il fut étonné d'entendre une réponse mais ne la prit pas en compte, il misa un gros billet sur le contraire de ce qui lui avait été dit. Il perdit bien sûr son argent et, au lieu de se désespérer, il se rendit chez un traiteur de luxe pour acheter des huîtres et du champagne, racola un SDF dans la rue qu'il invita à partager son magnifique repas. Son manège dura ainsi quelques jours et cela allait devenir une nouvelle routine assez vite, il le sentait, quand il se toucha le menton et sentit une barbe drue pointer sous la pulpe de ses doigts. Installé devant la glace, il empoigna la bombe de mousse à raser et, levant les yeux vers son reflet dans la glace, il sursauta car devant lui désormais se tenait un inconnu.|couper{180}