septembre 2021

Carnets | septembre 2021

Les contes de fées.

Parfois, il m’arrive de regretter cette perméabilité à la magie dont nous bénéficions tous à la naissance. À ces moments-là, je me secoue dans tous les sens, pratiquant une danse de saint Guy à ma sauce. Par ce truchement assez médiocre, il faut bien l’avouer, je tente ainsi de rejeter au loin ce regret-là en particulier, plus deux ou trois choses du même acabit – appelons cela des espérances déçues –, comme les histoires d’amour à l’eau de rose, l’idée de devenir un jour un peintre célèbre, et également l’amnistie générale levant d’un coup ma collection de PV accumulée depuis des années. Mais c’est en vain. Systématiquement, non pas que je boive comme dans la chanson « J’suis snob », mais je m’obstine à rester sur une fréquence mentale assez saugrenue d’éveil que j’appelle « lucidité ». Cette soi-disant lucidité ne m’offre, à proprement parler, aucun avantage, à bien y réfléchir. Tout au contraire, elle m’handicape copieusement, m’entrave sans relâche. Je ne peux pas croiser un seul de mes contemporains sans presque aussitôt flairer l’hypothétique vacherie qu’il se prépare à commettre. Mais ce n’est pas tout. Parfois, j’arrive à lire en lui avec une telle acuité que je pourrais tout à fait m’équiper d’un gourbi, genre caravane, et m’installer comme voyante ou diseuse de bonne aventure. Car la plus belle faiblesse, je la connais : c’est de se croire particulier. Le tout étant ensuite de toucher ceci en chacun sans se fatiguer, avec quelques ingrédients de base. Une boule de cristal et un jeu de tarot sont le minimum syndical. Mais si, en prime, vous savez raconter des histoires, particulièrement des contes de fées, jamais plus de votre vie durant vous n’aurez faim. Car dans les contes, le fait est que pour chaque problème il existe une solution. Et s’il n’y en a pas de rationnelle, aussi sec, une magique arrive à la rescousse ! Prenons le problème numéro un en tête de gondole : la pauvreté. Forçons même un peu plus le trait en évoquant la misère. Il était une fois un homme très pauvre qui avait quatre fils affamés et qu’il ne pouvait nourrir qu’en récoltant de vieilles godasses de porte en porte. Partir de l’invraisemblable et donner quelques détails réalistes. Ici, la description de la vieille godasse qui baille lamentablement, le sourire de la brave dame qui pense faire une bonne action en cédant la paire au brave homme. Puis la porte se referme, une porte en PVC blanc fraîchement posée, le silicone du joint du seuil est encore presque propre. Mais pas trop de détails réalistes non plus. C’est tout l’art des sauces que de savoir doser les épices et les condiments. La concentration du lecteur n’étant pas infinie, il est bon aussi de lui faire visiter des paysages variés. Après cet exploit d’avoir récupéré une paire de pompes magiques, notre brave homme sort de la ville pour se retrouver face à une plaine qu’il devra traverser pour arriver à une montagne qu’il devra traverser encore afin de rentrer chez lui. Durant la platitude du relief, faire gaffe surtout que ce ne soit celle du récit, et donc en profiter pour faire voler un ou deux oiseaux de mauvaise augure. Installer une sorte de menace qui plane tiendra le lecteur en haleine quelques minutes de plus. Et là, paf ! Intervention magique. Un des oiseaux se pose devant le misérable et dit : — C’est une attaque de diligence sans diligence. Refile le magot ! — Mais bon sang de bonsoir, dit le loquedu, pour un voleur t’es un brin couillon : j’ai qu’une paire de godillots usagés. L’oiseau noir – est-ce une pie, un corbeau ou une corneille ? L’histoire ne le dit pas – penche la tête de côté pour voir si le gars blague ou est sérieux. — Comment ? Mais tu ne le sais même pas ? Tu viens de récupérer la paire de godillots du mage Élihasard, qui ont le fabuleux pouvoir d’aider celui qui les chausse à atteindre la lune, puis les planètes, et encore à sauter par-dessus le soleil et même, avec un petit entraînement, à parvenir jusqu’à la Grande Ourse ! — Oh ben zut, non, je savais pas, dit le bougre en souriant sous cape. Car l’information que lui donne le piaf est capitale et change totalement la donne. — Et donc, tu veux récupérer mes godillots magiques, c’est ça ? s’enquit-il pour se laisser un temps de réflexion. Bouilli ou à la broche, amstragram, pic et pic et colégram, songe-t-il en aparté. C’est vrai que c’est agaçant, un oiseau qui pérore, non ? Et se remplir la panse ne serait pas de trop après toutes ces journées de diète. Et là, vlan ! D’un coup, la paire de godasses s’abat sur le crâne du malfaiteur ailé trop bavard. Le quasi-rachitique le flanque dans son cabas et continue son chemin. Comme quoi, on peut traverser quelque chose d’ennuyeux a priori, comme une morne plaine, et trouver quelques occupations pour passer le temps. Et si j’essayais cette paire de grolles ? se dit le brave homme. Je pourrais peut-être sauter haut pour cueillir quelques fruits sur un arbre magique d’une planète lointaine, devenir riche, me rendre au supermarché et enfin vite arriver chez moi, et me remplir enfin la panse comme celles de mes marmots ? Il ôte ses sabots aussi rapidement qu’un mécanicien change un pneu sur un prototype rutilant qui redémarre en trombe, et le voilà chaussé des écrase-merde dont le bout baille. Tentons un petit saut pour voir, se dit-il. Rien ne se passe ; la pesanteur n’est toujours pas vaincue. Autre essai, même constat… Tout ça, ce ne sont que des conneries, se dit l’anéanti. Et il reprend sa route avec son sac sur le dos. Au moins, un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras ; il n’y aura qu’à mettre à bouillir les semelles pour les attendrir un peu. J’aurais encore fait pour ce jour mon travail de père, pas plus, pas moins. Et le brave homme de reprendre son chemin en sifflotant pour alléger sa peine et se donner du cœur au ventre. Oui, des fois, je regrette vraiment cette perméabilité à la magie dont nous bénéficions tous à la naissance. Et puis, ensuite, je passe à autre chose, évidemment, parce que les poulets ne tombent pas rôtis du ciel, ça se saurait.|couper{180}

Carnets | septembre 2021

Se retenir d’être génial

La plupart des cons, "comme vous comme moi", dixit Georges Brassens, après moult réflexions et circonvolutions, ne le sommes qu'en raison d'un frein invisible sur lequel nous appuyons pour ne pas abuser de notre génie. Sans doute à cause de cette histoire de lampe magique. Trois souhaits seulement, ça fait réfléchir… parfois durant des années, parfois toute une vie, et malheureusement en vain. Force est de constater qu'à la fin, on se retrouve avec un billet de loto gagnant, mais qu'il y a, hélas, prescription. Le génie sort alors de la lampe sans qu'on ne lui ait rien demandé. Et là, il dit simplement : "Pour un con, tu te poses là !" Et pfffuittt… il s'évanouit en volutes serpentines dans le néant, dans lequel assurément nous finirons par lui emboîter le pas, tôt ou tard. Plutôt tard. Comment faire alors ? Faut-il souhaiter, en premier lieu, pouvoir souhaiter autant de choses qu'on le désirerait tout au long de la vie, ou bien souhaiter s'affranchir une bonne fois pour toutes du souhait en général ? Les deux se valent probablement. Mais tout cela, évidemment, ne fonctionne que si on ne loupe pas la première marche : croire en son propre génie ! »|couper{180}

Carnets | septembre 2021

Peindre et penser

On peut se goinfrer de savoir, et par la suite s’amuser à ce petit jeu des références dans les divers pince fesses dans lesquels une carrière d’artiste vous projette peu ou prou…si vous avez deux sous de jugeote vous ne pourrez pas vous aveugler. S’extraire de ce clivage entre être et paraître nécessite plus que du courage. Il faut vivre. Vivre et s’apercevoir peu à peu combien la pensée peut devenir néfaste lorsqu’on l’utilise avec de très mauvaises intentions. Les mauvaises intentions tout à chacun les connaît sans pour autant parvenir à se les énoncer clairement. La vanité. Ce n’est pas non plus engager un combat contre la pensée qui arrangera les choses. Mimer la pseudo sauvagerie, ou encore se réfugier dans l’écriture automatique, la peinture dite intuitive, ou le barbouillage inconsidéré qui peut sauver la mise. Tracer une frontière trop évidente entre penser et peindre n’apporte qu’un surplus de confusion, de division, quelque chose de diabolique au sens du diabole, de la dispersion. Reste la poésie et quelques éclairs dans les lointains. Pessoa et son utilisation de la navigation. Vivre cela n’est rien, naviguer c’est tout. Naviguer dans ce cas entre la pensée et la peinture entre le geste et l’immobile. Accepter le temps pour ce qu’il est. Un incubateur ou un révélateur photographique. Les noirs montent à l’assaut les premiers et il faut patienter pour voir la nature des blancs. Au final un étalonnage se base sur un accord de gris, un renoncement au contraste trop clinquant, à l’épate. C’est ni trop ni pas assez le passage se dit-t’on pour se rassurer et suivre une soit disant « voie du milieu ». Mais où est le milieu entre deux continents inexplorés…peinture et pensée… ? Celui que chacun décidera sans doute après avoir passé en revue tout ce à quoi il est vraiment difficile de renoncer. Et même une fois ce stade atteint, vivre nécessite pour vivre de l’abandonner.|couper{180}

Carnets | septembre 2021

La maison XII vide.

Un astrologue m'a dressé mon thème astral, un jour. Il a relevé le nez de ma carte du ciel et s'est exclamé : « Flûte, tu n'as rien du tout en maison 12. » J'ai fini mon petit verre de Payse avec lui en silence, parce que visiblement, cela semblait tragique. C'est en reposant son verre vide qu'il a poursuivi : « Tu n'auras aucun ami, il faut t'y faire dès à présent. » J'ai accusé le coup comme d'habitude, en hochant la tête. Après tout, que pouvais-je bien faire d'autre ? Puis, un peu plus tard, les lumières de l'automne m'ont semblé consolatrices de cette blessure congénitale qui me paraissait tout à coup évidente. Et puis je suis rentré dans un bar. J'ai oublié tout ça comme on oublie ses dettes et ses trahisons. Je n'y avais plus pensé durant toutes ces années. Mais aujourd'hui qu'arrive la cohorte sempiternel­le des bilans, je m'interroge : ai-je eu le moindre ami véritable en cette vie ? Et tout d'abord, qu'est-ce que je comprends de ce mot ? Oui, bien sûr, le fait est que j'ai utilisé ce terme. « Je dîne avec des amis », « j'ai rendez-vous avec un ami ». Presque tous se sont dissous dans la distance que la vie a posée entre nous. La vie, le quotidien, et peut-être aussi une certaine forme de désillusion. Au bout du compte, je suis bien obligé de reconnaître que la prophétie était on ne peut plus juste. À une différence près, et qui n'est pas la moindre : je suis devenu mon propre ami désormais. Tout ce que j'ai autrefois rêvé de vivre, de partager en amitié, je ne le vis qu'avec moi-même. Et partant d'où je suis parti, je dois admettre que c'est un fameux progrès.|couper{180}

Carnets | septembre 2021

La langue des oiseaux en peinture

Je fais toujours du rangement et pour autant ne cesse de vivre dans un désordre qui me rassure. J’ai fini par accepter ces deux vecteurs qui semblent contraire seulement en apparence. Une petite toile m’attend tout en bas d’une pile rangée dans mon grand buffet ici dans ma remise. Je la prends dans les mains et l’emporte dans l’atelier pour l’examiner en buvant mon café du matin. Il y a quelque chose, un je ne sais quoi. Des gris agréables à l’œil mais ça manque de quelque chose. C’est plat. Je trouve comme par magie ma boite de pastel à l’huile et verse un fond de whyte dans un gobelet…et comme une chance arrive rarement seule je tombe tout de suite sur le petit pinceau qui va bien. Une demie heure plus tard voici la petite toile posée sur l’étagère et moi 5 pas en arrière. Quelque chose de l’ordre d’une mise à jour informatique. Et le plus beau je m’étais fait un joli tour de dos en accrochant des tableaux lourds la semaine passée et j’ai grogné durant tout le week-end voici que soudain je ne sens plus rien du tout ! Élever la fréquence en usant de l’ordre et du désordre, laisser l’intuition faire le job, puis tirer la langue sur le côté en se pliant à l’air ambiant et en y allant de bon cœur n’est plus un secret. Je ne cesse de le répéter. Pour sans doute m’en convaincre encore tout seul. Et puis voilà quelque chose re fonctionne soudain c’est un reboot comme nous en traversons des milliers sans même nous en rendre compte. Se rendre compte voilà une clef qui n’a pas l’air. Une clef comme on commence une portée pour inscrire la petite mélodie dictée par les oiseaux.|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

contre-don

Contre-don Il existait une langue sous la langue. Celle du frottement d’ailes et de la palpitation des étoiles. Je croyais que peindre était la parler. Puis vint le temps où le don lui-même devint une marchandise. Où la gratuité fut mise en scène, likée, monétisée. Un grand dégoût m’a saisi. J’ai déposé les pinceaux. Je ne pouvais plus offrir ce qui était déjà volé, recyclé, prostitué dans la grande mascarade connectée. L’innocence était morte. Alors j’ai compris que le vrai combat ne commençait qu’après. Qu’il fallait cesser de chercher à « bien parler » cette langue, et accepter de barbouiller contre. Contre le calcul, contre la possession, contre le spectacle du don. Le gribouillage, l’écriture automatique, le n’importe quoi qui surgit : ce ne sont plus des prières naïves adressées à la lumière. Ce sont des actes de sabotage. Des gestes vains, héroïquement vains, comme celui de Don Quichotte chargeant les moulins. On ne peint pas pour atteindre la langue. On peint pour délimiter son absence. Creuser le vide qu’elle habite. Tracer, par la répétition du geste, un périmètre sacré autour de ce qui nous manque. Le résultat n’a aucune importance. La toile aboutie est une illusion de plus. Ce qui compte, c’est la lutte elle-même. La qualité de l’attention, la férocité du désir de donner malgré tout. Je ne peins plus pour me souvenir de la langue. Je peins pour résister à l’oubli de son existence. C’est un contre-don. Une offrande faite dans la pleine conscience de son inutilité radicale. C’est là, dans ce geste sans espoir, que réside peut-être la dernière parcelle de vérité. .|couper{180}

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Carnets | septembre 2021

Voir plus loin que le bout de son nez

Une semaine chargée s'achève et mes pensées que j'avais mises en suspens afin d'agir le plus fluidement possible, peuvent reprendre leur cours. Une exposition collective où se mêlent professionnels et amateurs au centre culturel de Champvillard à Irigny près de Lyon. Au début tout était flou. Ce projet comme cette nomination soudaine en tant que "commissaire d'exposition" ou "directeur artistique" selon les appellations diverses. J'avais été à la fois surpris et angoissé que la direction du Centre Culturel m'appelle au téléphone pour me proposer ce projet il y a de cela quelques mois. Les expositions collectives ne sont pas ma tasse de thé. Je n'y participe que très rarement et la plupart du temps à reculons. Alors que l'on me confie cette mission d'en organiser à la fois la sélection et l'accrochage me semblait tout en même temps insolite, flou et presque ridicule. Cependant il y a un budget, je serai rémunéré et à cette seule nouvelle je n'étais pas vraiment en mesure de refuser. Il allait même falloir que j'y adhère du mieux possible. J'ai donc dit oui sans plus réfléchir. Puis les semaines ont filé comme toujours. La date est arrivée, j'ai retroussé les manches et j'ai pris le volant pour me rendre à la fameuse soirée de sélection des œuvres avec une petite boule au creux de l'estomac. Qui suis je pour décider de la valeur d'une œuvre ? c'était cette question qui ne cessait pas de revenir en boucle durant le trajet, heureusement suffisamment long pour que je n'y songe plus à l'arrivée. Entre 16h et 19h ce lundi j'ai vu arriver les artistes avec leurs œuvres sous le bras. 30 participants que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam. Pour la plupart des Irignois, des peintres amateurs et quelques professionnels. Des choses de tout acabit mais plutôt propres dans l'ensemble que je me suis mis à empiler sur les tables en rédigeant chaque fiche. Peu de conversation avec chacun, juste en revenir aux règles : 4 œuvres pas plus et la vérification du système d'accroche. Ce dernier souvent défectueux. Puis un ou deux conflits évidemment. Cette femme par exemple qui n'en démord pas de vouloir absolument présenter une série de dix dessins et que je tente de contenir tout en accueillant les autres pour ne pas perdre de temps. Je vous ai dit 4 c'est 4.. Mais ça n'a aucun sens puisque je vous dit que ces 10 tableaux vont ensemble... et de soliloquer sur l'histoire de chacun. Il y a eut un incendie et mon grand-père a tenté de sauver quelques effets personnels c'est lui là sur ce tableau en paysan, vous voyez que vous ne comprenez rien à mon travail. Il a tenté de sauver la photo de son fils mort à la guerre mais le feu a tout emporté. Je vous dit 4 c'est 4 madame, je n'en démords pas non plus. Mais vous ne comprenez rien à rien décidémment. Non il y a des règles, essayez d'imaginer... 30 participants, 10 tableaux chacun, je les mets où ? sans compter que ce serait injuste pour les autres qui ont joué le jeu vous voyez. ( encore aimable encore poli) Mais vous ne comprenez rien puisque je vous dit que ces 10 œuvres sont indissociables... A la fin je dis c'est 4 ou bien vous repartez avec vos tableaux. et je continue, au suivant, au suivant. Durant un bref instant ça me rappelle des choses peu agréables vécues en entreprise. L'efficacité, la rapidité de décision, le saquage, le laconisme de rigueur. Technique ? c'est du pastel bien , le système d'accrochage ce n'est pas ça. Et vous le vendez combien ? quoi ? 20 euros ? vous pensez que c'est bien sérieux ? ça n'a aucun sens de vendre ça 20 euros, mettez 150. ah bon tant que ça ? mais ça ne va jamais se vendre ! à 20 euros autant le donner vous savez. Et puis quand les choses n'ont pas un prix sérieux, on pense vite qu'elles ont été bâclées, que ça ne vaut rien... vous avez lu mon tutoriel sur comment proposer un prix correct à ses oeuvres ? ... Normalement tout le monde l'a eut, vous auriez du prendre un peu de temps pour le suivre. Suivant ! Bon alors d'accord je ne vous en laisse que 8...? c'est mon dernier mot. 4 je vous ai dit pas un de plus. Soudain une éclaircie, cette femme qui m'apporte 3 œuvres magnifiques, le système d'accrochage est parfait, le prix parait juste, tout roule au poil, l'affaire est réglée en 20 secondes, j'adore... Et j'ai préparé des textes pour mettre avec les 10 tableaux ça n'a pas de sens vraiment ... je n'écoute plus, c'est une sorte de bruit de fond avec lequel composer. Comme les klaxons de voiture, le cri des martinets, la sueur qui perle dans le dos. Ces deux femmes la mère et la fille ensuite. Nous avions échangé en amont sur mon compte Instagram. J'avais déblayé le terrain en la rassurant, en donnant des conseils, elle a lu le tutoriel. Je me demandais si elle était jolie. Mais là avec le masque pas le temps de s'attarder. A peine quelques mots échangés : technique c'est de l'acrylique le format, le prix parfait c'est fini, au vernissage alors on aura plus de temps pour discuter... La femme aux dix tableaux est une sorte de mélange entre madame Mac'Mich et Thatcher. Quelque chose de militaire dans la posture, et cette lèvre inférieure qui baille lorsqu'elle parle comme la semelle d'une vieille godasse. Le fait de trouver une chose risible pour désamorcer le drame fonctionne. Je me détends. alors ces 4 vous avez fait votre choix ? Je n'attends pas de réponse je passe à la suite. 3 cadres 80x80 avec un énorme cœur en relief chacun. Lacérés avec je ne sais quel engin les cœurs. Noir c'est vraiment noir et pour agrémenter le tout les mots Réfugiés, émigrés, America pour titre oh ben ça va plaire à la municipalité c'est certain je pense Et celui ci je l'offre à la mairie. Un grand format 150x60... on dirait un immense paillasson coloré. je suis un peu salaud évidemment mais lui pas vraiment sympa non plus. D'accord c'est de la sculpture plutôt non ? Et quels sont les prix ? Ah mais ils ne sont pas à vendre ! Et le grand là c'est un cadeau pour la mairie... Il me faut des prix pour les assurances. Mettez ce que vous voulez ... vous êtes vraiment rigide ça n'a aucun sens 4 tableaux Regardez si je mets cet afghan en plus à coté ... Il est beau votre afghan mais il n'a absolument aucun lien avec les autres je dis. Quoi ? mais vous dites n'importe quoi monsieur avec l'actualité en Afghanistan, vous ne voulez pas de celui là !!!! Je dois accrocher une exposition madame ça n'a pas grand chose à voir avec l'actualité vous savez Vous êtes vraiment obtus. une voix dans ma tête me dit c'est vrai putain tu es vraiment focalisé sur tes 4 trucs... tu tiens à ton putain de cadre hein t'en démordras pas. Je ris sous cape. Pour un artiste c'est presque jouissif d'imposer à d'autres cette contrainte. Mais sans contrainte pas de liberté n'est ce pas, tu te rassures comme tu peux. Non je ne prendrai pas l'afghan, je vous le dis tout net et sinon vous remballez l'ensemble et allez au diable ! Je dois faire peur un peu aux autres qui ne savent plus s'ils doivent sourire ou grincer des dents. J'ai envie de me lever et de monter sur la table en criant allez c'est pour rire mettez toutes les merdes que vous voulez on va faire une boucherie. A poil tout le monde ! Un ange passe. Abattage, 5 artistes en 5 minutes. Puis une accalmie soudaine. J'entends un oiseau. Envie de fumer une clope, il est pas loin de 18h. Time break. je me lève , elle me regarde et au miracle enfin je vois les 4 tableaux alignés. Deux dessins deux aquarelles. Je ne dis rien, je sors pour fumer, pas de quartier. au loin les collines, les monts du Lyonnais, une vapeur bleutée. Je savoure bouffée après bouffée. Ca passe vite malgré tout. donc 4 tableaux sous verre, voyons donc le système d'accrochage ... aie ! ce n'est pas ça du tout.. mais je vais m'en arranger. Ensuite le format, la technique, le prix ? On est fatigué tous les deux la vieille et moi mais elle veut encore avoir l'avantage ça se voit. vous êtes vraiment borné elle me dit. je réponds pas je lui laisse le fameux dernier mot. Quelles soient jeunes ou vieilles ça leur fait tellement plaisir j'ai remarqué. Puis elle disparait enfin et la pièce reprend ses dimensions naturelles. Il est presque 19h lorsque la voiture se gare. Un couple franco japonais. Des boites en cartons ... je crains le pire. Mais c'est magique, la petite dame japonaise extirpe ses objets avec une extrême délicatesse et les place sur la table. L'homme lui tend un tréteau auquel elle suspend des boules constituées de dizaines de fleurs en papier plié. Je reste bouche bée comme un gamin émerveillé. Une magnifique installation vient de se monter par delà le bout de mon nez. Le monde au delà devient un peu moins flou. De moins en moins flou. Une joie soudaine s'empare de nous le courant passe fort et j'ai le sentiment de les connaitre depuis toujours. Ils sont repartis comme ils sont venus sans rien déranger. C'était la fin de la journée, de cette première journée. tout était désormais éparpillé dans la salle 111 œuvres au total et une harmonie à découvrir dans tout ce fatras. J'ai dit au revoir à la personne chargée de refermer les portes du centre car il n'y avait plus personne dans les bureaux. Puis j'ai repris la route vers chez moi. Après Vienne un long ruban que forme la RN7 et je pouvais voir au loin, très loin comme si l'horizon ne se trouvait plus du tout masqué par le bout de mon nez.|couper{180}

Carnets | septembre 2021

Vaincre la timidité.

C'est par email que ça arrive désormais. Jadis c'était dans les encarts publicitaires de Rustica ou du Chasseur Français. Peut-être aussi dans Nous deux et dans les pages de Pif gadget, mais je ne me souviens plus très bien. Comment vaincre la timidité. Il y avait aussi ces réclames pour prendre du muscle avec une photographie "avant" "après". Et puis le mot freluquet. Un mot qui a totalement disparu en moins de 60 ans. Mais globalement si on regarde bien le fond n'a pas vraiment changé. Je veux parler des arguments de vente. Cette timidité était bien plus paralysante que quoique ce soit d'autre je m'en souviens. Lever le doigt, ouvrir la bouche, aller vers les autres n'était qu'une somme d'empêchements qui me pétrifiait. Je m'étais fabriqué à la fois un silence et une invisibilité constitué de bric et de broc comme un nid d'hirondelle. Je ne me souviens plus vraiment comment j'ai eu soudain ce désir- en était ce d'ailleurs un ? de sortir enfin de cette timidité. Je me souviens que la glace de la salle de bain m'a énormément aidé. Le petit miroir de la chambre aussi devant lequel j'apprenais mes poésies en m'essayant à trouver le ton. Des milliers d'heures de répétition pour trouver la justesse du ton. Ce que j'imaginais moi petit bonhomme être "juste". Il fallait le plus souvent que les larmes me montent au yeux et commencent à rouler sur mes joues pour que je me dise : j'y suis. C'était toujours la tristesse le plus juste jamais vraiment la joie. La joie me donnait du fil à retordre. Des grimaces à n'en plus finir en me tortillant comme un vers de terre. ça sonnait tellement faux que le rouge me montait au front. Il fallait vraiment que j'observe l'autre, que je le recopie à la perfection en usant de toutes mes capacités de mimétisme. Et encore si j'arrivais à donner le change lorsque je me levais pour réciter du Prévert je savais bien au fond de moi que tout ça était artificiel. Derrière l'apparente gaité des poésies je ne cessais de déceler le drame, la tragédie, l'effroi. Peut-être que si j'avais été stoppé à temps ma vie n'aurait pas été aussi difficile. Peut-être que si Madame Blaisot-cette femme admirable en tous points pas seulement plastiquement- m'avait juste mis un mauvais point pour faux et usage de faux, je serais alors parvenu à rentrer dans le rang plus ou moins inconsciemment comme tout à chacun de mes camarades. Mais le fait est que la supercherie dont j'étais le triste auteur, mimer les émotions humaines ainsi-dans le cadre scolaire si cette tricherie m'avait permis de dépasser ma timidité, cette dernière n'avait abouti au final qu'à son revers : la vanité et l'orgueil. c'est bien plus tard que j'ai compris ce qu'était cette timidité mais il était déjà trop tard, le mal était fait et bien fait. Il m'aura fallu détruire et recréer tellement fois de ma vie en raison à la fois de ma timidité et de mon orgueil qu'à tenter de les compter ça me flanque illico le tournis. Je ne m'accable pas plus que ça cependant. A toute chose malheur est bon n'ont jamais cessé de rabâcher les paysans de mon enfance. Peut-être que je n'aurais pas fait le dixième de tout ce que j'ai fait en cette vie, peut-être n'aurais je jamais peint ou écrit. je ne sais pas si on peut considérer ça comme un gain, une victoire d'ailleurs ce serait encore faire preuve d'un excès de vanité, ou bien tenter de m'excuser comme d'habitude d'exister.|couper{180}