21 décembre 2025
Le mal de dent ne me lâche plus depuis une bonne semaine ; c’est ce qui me réveille. Je traverse la cour pour aller nourrir la chatte, surpris que le carrelage ne soit pas glissant, surpris aussi par la douceur de cette fin décembre. Je ne connais rien de personne sauf ce que j’en imagine, et quand cette phrase arrive, je sais que la journée sera bonne : elle remet le monde à sa place. Alors je peux aller à la boulangerie avec le plus grand détachement, c’est-à-dire rester ouvert à toute possibilité, comme si, à l’instant de pousser la porte, je pouvais tout aussi bien obliquer par la rue du Puits de la Tour et, de là, prendre la route vers Marseille, celle vers Paris, comme si tout devait m’être égal, l’itinéraire comme la destination, le pas suivant comme le précédent. Je marcherais nuit et jour sans me soucier du froid, de la pluie, de la fatigue, de la faim, des ampoules aux pieds ; non pas par courage, mais parce que rien ne pèserait assez pour m’arrêter, et rien ne compterait assez pour me retenir. Et une fois Marseille atteinte — ou Paris — que ferais-je, sinon me fixer un nouveau but et tout recommencer, encore et encore : cette mécanique du départ qui ne mène qu’à sa propre relance, ce mouvement pur qui se nourrit de lui-même. Il faut donc garder un point fixe, non pour se rassurer, mais pour couper court à l’infini : écrire chaque jour dans ce carnet, encore et encore. Et je crois que je n’aurais pas pu revenir à ce point fixe sans être déjà passé par deux reprises : les textes de été 2023, puis Enfances, écrit à l’automne de la même année. Les réécritures m’ont laissé une impression nette : l’énervement, une urgence mêlée d’énervement, et, derrière, un malaise que le texte semblait vouloir curer à toute vitesse. Malaise dont le lecteur n’a que faire. Hier, j’ai osé en finir avec une certaine idée du site. J’ai avancé à tâtons, en créant, pour chaque mois de 2019 (encore 2019), une sous-rubrique « Atelier ». Tous ces longs textes énervés ont atterri dans cette boîte, et je n’ai conservé que très peu de chose pour recomposer le condensé de chaque mois. Ce qui m’a surpris, c’est la rapidité avec laquelle j’ai taillé dans le vif. Photographie de quelques outils dont je pense ne plus avoir besoin, pour les vendre sur Leboncoin. S. est très excitée à l’idée de quitter les lieux, d’imaginer la vie dans ce nouvel appartement. De mon côté, mi-figue mi-raisin, comme d’habitude dès qu’il est question de « projet ». Ce qui me ramène encore à une impression erronée : je me crois rapide, et je suis très lent. J’avance par à-coups, à pas rapides, dans le seul but de me ralentir — et je me donne, sans le dire, la contrainte de revenir en arrière, de recommencer.
Pour continuer
Carnets | décembre 2025
début, milieu, fin
Ce matin, une phrase m’est venue devant un pot à cuillères : la beauté change avec la lumière, et je ne sais pas toujours si ça “veut dire” quelque chose. Entre Jules Verne (début, milieu, fin), Scribus (table des matières) et Rabelais (Thélème), je tourne autour d’une même question : comment tenir une forme sans glisser vers le poison de la reconnaissance et les mondanités.|couper{180}
Carnets | décembre 2025
L’air du temps
L’effort, le courage, la volonté : j’ai des doutes. Non, je crois que ça part d’une soif, sinon ce n’est pas la peine. Cette réflexion me vient après la lecture de ce billet d’humeur , et elle m’amène à me demander ce qu’est, au fond, un billet d’humeur : est-ce que ça « tient » dans la durée ? Je crois que c’est une de mes préoccupations principales, et c’est sans doute ce qui fait que je n’en écris plus tellement. De même, j’essaie de me restreindre sur mes percées pseudo-philosophiques, comme sur l’auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces réécritures, m’y forcent. Je vois presque aussitôt ce qui gêne à la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer « l’air du temps ». Difficile à définir, d’ailleurs, cet air du temps, ou du moins à définir ce qui ne résistera pas… au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne résisteront pas : les pulls et les pushs. À moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller à l’école, et cela fait des mois que ça dure. Au bout du compte, la décision est prise de l’emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C’est révoltant. Et en même temps, nous sommes tous impuissants vis-à-vis de la situation. Je sens remonter de vieux réflexes disant : il suffirait d’un peu plus de fermeté, d’un coup de pied au cul, mais l’air du temps rend ces pensées insupportables, évidemment. Ce que je sais, c’est la vitesse à laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, ça marche ; on recommence ; il y a un peu de résistance le surlendemain, on trouve de nouveaux prétextes, une stratégie nouvelle ; et au final on s’embourbe de plus en plus, avec toutes les difficultés du monde à revenir en arrière, à revenir à cette fameuse normalité qui veut qu’un gamin ne reste pas toute une journée dans l’appartement à jouer à un jeu vidéo débile. Si au moins il lisait, je serais tenté de penser, mais je sais que ce n’est pas une solution non plus. En même temps, chacun doit faire sa propre expérience, affronter ses propres démons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l’on effectue et envisager les conséquences de celui-ci. Mais bon, là encore, il faut se rentrer ça dans le crâne : nous ne vivons pas tous en même temps dans le même monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des œufs durs. Je pense que c’est en revenant sur certains textes évoquant Vania que cette envie m’est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle été 2023 de l’atelier d’écriture du Tiers Livre : première passe de correction rapide hier soir. Découverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j’étais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en résumant, pour chacun, la proposition d’écriture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver à partir de ce que j’ai écrit. L’idée serait de créer un PDF et de le donner en accès libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acquérir de plus en plus de fluidité sur Scribus. Je n’ai pas vu l’heure : il me reste à peine un quart d’heure pour relire ce billet, car à 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof.|couper{180}
Carnets | décembre 2025
L’ami d’un ami
Ce genre d’amitié est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent « c’est un ami » et les barrières font semblant de tomber. C’est pour ça que ça passe crème aussi quand ils disent « c’est l’ami d’un ami ». Les caves croient qu’il s’agit d’une histoire d’amitié, alors qu’en fait c’est une simple affaire de mot de passe. J’en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n’y a jamais eu la moindre amitié là-dessous. Au contraire, on n’hésitait pas à vous planter dès que vous aviez le dos tourné. Pourquoi ce serait différent ailleurs que chez les mafieux ? C’est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l’autre : de la porte de Clignancourt à la porte d’Orléans, tout du pareil au même. Et je ne parle même pas de la banlieue. Même dans le trou du cul du monde, tu n’es jamais sûr d’être tout à fait anonyme. Il y aura toujours l’ami d’un ami d’un ami qui te reconnaîtra, et qui se rappellera que tu dois un chien — le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette période, c’est que je n’étais jamais vraiment tranquille. Je m’attendais toujours à croiser l’ami d’un ami au coin d’une rue, et ce qui était certain, c’est qu’on ne se demanderait pas des nouvelles d’untel ou d’unetelle à ce moment-là. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’on gagne un temps fou à fréquenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en général vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embués du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l’espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n’arrivais plus à téléphoner à mon comptable ; d’ailleurs je ne devrais même pas dire « mon » : c’est encore un piège du langage. Ce qui autrefois était pratique pour vous faire croire que vous possédiez quelque chose — l’article, le pronom personnel — tout cela est devenu du vent en à peine quelques décennies. Encore que je ne sache pas si ça ne l’a pas toujours été. Peut-être que ça fait aussi partie de l’apprentissage du monde accéléré. On n’est pas tous à lire le même genre d’Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu’aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-delà du périph. À la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j’ai rangé assez vite ma boîte à musique pour ne plus jamais la ressortir. J’ai pris ma place dans la file et j’ai payé mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pinçant de temps à autre, histoire de rester réveillé — jamais vraiment convaincu de l’être tout à fait. Car ici, la réalité est un labyrinthe aussi alambiqué que les rêves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l’œil, chaque bouffée d’espoir un morceau de gruyère sur un piège à rats. Si vous ne vous mettez pas dans le crâne, très vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous traînez : une pénitence qui n’en finit pas de vous brûler les genoux. Au lieu de ça, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux décider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu’il ne sert à rien de vouloir soutenir son regard — ce n’est pas une question de courage. C’est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais très bien, que ce « partout » est une facilité : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits où personne ne vous connaît et où, pendant une heure, vous respirez sans arrière-pensée. Le problème, c’est que je les repère mal, ou trop tard, parce que l’apprentissage a tordu le regard ; il m’a rendu rapide, mais il m’a rendu avare en confiance. Parfois il m’arrive encore d’avoir des relents, des remontées acides — des nostalgies de cette époque où, quand on me disait « c’est un ami », je ne voyais pas à mal. J’étais même assez candide pour payer la nouvelle d’un sourire, d’une poignée de main, d’une tournée. J’avais le sentiment d’appartenir, au moins, à quelque chose. Ce sentiment-là n’est pas très regardant, au fond. Pas besoin d’aller chercher midi à quatorze heures. Faire partie d’un groupe, ne pas être seul : voilà à quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c’est de la littérature, mieux c’est — ou pire c’est, je ne sais pas. Mais je n’aurais pas aimé, plus jeune, passer à côté de cette vérité-là. À la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-être un bouquin ou deux, des ambiguïtés, quelques traces, et ce sera déjà beaucoup. J’aurai surtout essayé de tenir : me relever quand je suis tombé, arrêter de mendier, arrêter de faire du bruit pour qu’on me voie. Et cette voix, au fond, était-elle vraiment la mienne ? Ça restera l’énigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus très bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriquées pour éviter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant à savoir si les histoires sont faites pour être vécues ou racontées, je laisse ça en suspens. Je n’ai pas de point final à fournir avant d’entrer dans la Grande Muette. Après ça, je suis parti faire mon marché. Grosse promo sur l’oignon : j’ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes — de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe à l’oignon suffit au repas. Il ne fait pas très froid. On ne chauffe plus toutes les pièces de la maison. Économie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport à novembre 2024, m’apprend l’e-mail du fournisseur. J’ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : déjà quelques inscriptions. Plus Noël approche, plus je vois approcher la dépression ; il y a encore des gisements de fragilité, de vulnérabilité, à creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus réécrire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout ça à la bonne place dans SPIP. Mais je sais déjà que je vais faire des sélections ; j’ai mis en place un système d’étoiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes — ou un seul si je parviens à fusionner, à trouver la logique de fusion. L’idée serait de proposer d’abord une sélection en page d’accueil, de me laisser une chance de trouver un éditeur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande réflexion, parce qu’une fois un pied mis dans Amazon, ce sera terminé pour l’édition “normale”.|couper{180}