AAAAAH AAAAAAAH (voix de tête comme un cri de rapace très haut dans le ciel)
AAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAH (on peut modifier la longueur du second phonème, ça change le ton)
AAAAAH AAAAH AAAAH AAAAH (sinon, on peut tenter la répétition exacte d’un même son avec différents intervalles de silence ou en changeant d’octave, mais progressivement. Ne pas partir des aigus pour descendre aussitôt dans les graves, cela créerait un "effet", et l’effet est à bannir absolument ici)
Il faut gémir de tout son cœur, pas de sa tête.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
Si on sent le moment de pousser une plainte majuscule, il faut entrer tout entier dedans.
C’est-à-dire ne pas laisser un bras, une jambe, un cheveu en dehors. C’est à CE PRIX que la plainte sonne juste, comme deux couleurs qui se trouvent, forment un accord, à corps pas pour des prunes.
Proférer est un art perdu qu’il est urgent de retrouver.
Si on s’y prend correctement, il n’est pas rare de créer la pluie si on sait bien proférer.
Si on abandonne la chape de plomb sous laquelle l’âme est écrabouillée par la pensée.
L’individu n’est qu’un tout petit morceau de l’âme, il est presque totalement insignifiant sauf quand il profère avec cœur et justesse.
Jésus profère encore doucement, c’est son truc. Mais très peu l’entendent parce qu’ils pensent.
Dieu vocifère en vain à travers les bouchons de cérumen, de cire humaine fabriquée par les informations mâchées, prémâchées, qui pénètrent 24/24, 7/7 dans le conduit auditif, brouillent l’écoute.
On se prend pour des abeilles, comme la grenouille veut être bœuf. Ça éclatera.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
(Mantra : le gémissement permet de se concentrer vers l’intérieur de soi, il agit comme un...)
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH (Il peut arriver qu’un gémissement soit interrompu par une pensée. La honte de gémir en public, par exemple. Mais se rappeler qu’on n’en sait rien de ce que voient ou entendent les autres, il ne sert strictement à rien d’y penser, de s’en faire la plus petite idée, ni même d’en éprouver de la culpabilité ou de la honte)
AAAAAAAH AAAAAH AAAAAAH AAAAAAH
Recommencer l’opération jusqu’à ce que les premières gouttes tombent des nues, les premières VRAIES LARMES coulent sur les joues.
Le gémissement permet d’évacuer toutes les toxines du corps si on y va franco. Si on s’arrête en chemin pour une raison ou une autre, on ne fait pas un cycle complet, le corps tout entier reste pollué. S’il reste une seule pourriture, tout est corrompu.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
La respiration joue un rôle essentiel dans l’art de gémir. Il existe différentes façons de respirer, beaucoup ont été perdues au cours des âges. La respiration qui s’effectue entre la gorge et le plexus solaire est la meilleure, c’est-à-dire celle par laquelle tout doit commencer. Ne surtout pas chercher à respirer par l’abdomen.
Faire monter le son dans le crâne, sentir le son tourner à l’intérieur de celui-ci, exciter peu à peu la dure-mère endormie.
AAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AH
On peut tenter l’asyncope, ne pas chercher à faire de la musique non plus. Ne pas chercher à gémir beau, à gémir paraître. Gémir comme on est. Gémir être.
Se laisser emporter par ce gémissement, c’est comme grimper sur les feuilles d’un plant de haricot qui monte au ciel. En plissant les yeux pour gommer tout détail superflu, on verra l’essentiel — Des anges nous accompagnent dans l’ascension ou la chute. (Les hauts et les bas participent du concert général, mais : ne pas les considérer comme des récompenses, des gains ou des pertes, des punitions)
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
Aux premières larmes, aux premières gouttes de pluie, il est conseillé d’interrompre le gémissement, de se retenir pour ne pas laisser fuir les humeurs trop rapidement du corps. (Cette étape ne peut s’effectuer qu’une fois un certain niveau de maîtrise atteint, quand le corps tout entier a déjà été nettoyé)
Il faut conserver le désir de gémir, c’est pourquoi gémir peu mais gémir bien sera recommandé dans le temps pour acquérir la connaissance profonde de cette puissance infinie, accéder à sa maîtrise. On ne peut y parvenir jeune, et trop âgé, ça ne sert plus à grand-chose. Il faut apprendre à gémir à temps. Gémir au bon moment, sans se presser mais sans trop traînailler non plus.