Carnet 38
proposition 38/40 atelier d’écriture
stage matières et surfaces travail d’élève.
Disons que je choisis exprès un titre-étagère. Un titre qui ne veut rien dire en lui-même, mais qui indiquerait qu’ici s’écrivent, de façon composite et plurielle, les différents vecteurs qui nous relient à l’art de rêver. Parce que bien sûr, « moi je ne rêve pas » diront certaines et certains, et on sait bien que c’est faut : le rêve est lié organiquement à notre activité mentale dans les différentes phases de sommeil, y compris les techniques de sommeil fractionné si fréquentes en littérature. De même, il fait partie du rêve qu’il tende à nous effacer son propre souvenir, d’où la permanente nécessité de ces exercices du rêve, aller voir dans les Manifestes du surréalisme pour quelques solides exemples, mais toute une liste d’astuces ressassées, s’endormir avec la volonté d’être attentif à ses rêves (et garantie obligée qu’au bout de trois jours vous vous rêverez en train de recopier avec précision et netteté votre rêve pour découvrir au réveil la page vierge du carnet posé tout auprès du lit), l’astreinte, sur une période déterminée, de noter ce qui reste des rêves, même lacunaire, même bribes disloquées, avant tout autre activité matinale (le café n’en sera que meilleur, pour le thé je ne sais pas, ce n’est pas mon univers). Puis les exercices qu’on décide aussi au moment de s’endormir : arrêter le rêve et tourner le regard à la perpendiculaire pour voir ce qu’il y a sur le côté, oui c’est première étape facile. Être capable de discerner ses mains dans son rêve, c’est autrement difficile – bien plus que voir son visage dans miroirs ou reflets – mais certes on y arrivera. Si vous travaillez en classe sur les problématiques du rêve, sur vingt visages au moins deux voire trois qui commencent leur rêve par se voir dormir, se voir du dehors. Le caractère indispensable de la Traumdeutung de Freud, c’est que le premier tiers du gros ouvrage est uniquement consacré aux différentes approches du rêve dans l’histoire (de notre propre civilisation, on n’est pas chez le merveilleux Cataneda, qui en propose bien d’autres, d’exercices), et que le deuxième tiers de l’ouvrage soit une tentative de catégoriser l’ensemble des archétypes du rêve. Pour chaque archétype ici décrit (rêves de vol contre rêves de chute, rêves récurrents, rêves de paralysie ou poursuite, rêves avec morts : quel âge les visages qu’on voit dans son rêve ?) reviendront, flottants et impalpables, des souvenirs de notre propre art du rêve – on pourra ainsi commencer le travail. Des rêves dont la relation produirait une œuvre littéraire majeure ? Bien tristes, les compilations de rêves, et pourtant quelle importance de les traverser : de Swedenborg à Jean-Paul Richter, avant La boutique obscure de Georges Perec, et même cherchez donc sur le web le site « les rêves de Leda » (il y en a d’autres). Par contre, et c’est le caractère impératif de la présence de cette proposition dans notre cycle : quelle œuvre littéraire, dans sa gestation, n’utilise pas le rêve comme médiation de l’accès à elle-même ? Relire les deux premières pages de la Recherche. Mais quel journal d’auteur ne comporterait pas de ces bribes ou seulement malaises, ou quand même émerveillements, ou terreurs, rapportés des rêves ? On sait probablement chacun retrouver la dizaine de rêves inscrits par Kafka dans son Journal : quelle relation entre cette crispation de son bras sur son visage, lors d’une brève méridienne d’après la compagnie d’assurances, sur son canapé, et le rêve d’une patte de chien posée sur son visage, et à peine quelques jours plus tard l’écriture à grands traits de la Métamorphose ? Plus curieux Baudelaire : une bonne douzaine de rêves, et plusieurs poèmes (« rêve de cristal », « la chambre double ») installant narrativement le rêve comme contexte et contenu, mais le corpus de ses rêves c’est dans la correspondance – on est troublé par un rêve, alors on l’écrit mais surtout on s’en sépare, on l’expédie à un interlocuteur (ou interlocutrice : sa mère) pour qui ce fatras n’aura pas d’importance, mais permettra, un bon siècle plus tard, que Michel Butor écrive ce livre qui nous concerne, quant aux fonctionnements de tout cela : Histoire extraordinaire, essai sur un rêve de Baudelaire, quel plaisir de simplement en recopier le titre. Et moi je vous laisse avec ce petit montage issu d’un texte fondateur d’Henri Michaux : Le rideau des rêves. Parce que, pour Michaux, il ne s’agit pas de proposer un récit de rêve (s’il vous plaît, je vous en supplie même sachant que je n’y arriverai pas : n’allez pas nous raconter un rêve, gardez ça pour vous), mais de rassembler comme une sorte de dictionnaire des éléments qui interviennent pour lui dans le rêve : couleur ou noir et blanc ? animaux, lesquels ? habillé, comment ? discours ou musiques ? Et l’oubli, et l’effacement ? Alors, pour cette journée « rêve » de notre « grand carnet », et si chacune et chacun ne traitait que d’un seul thème, mais qui pour elle ou lui a importance particulière : noter ou pas, en quelle période et comment pourquoi ? Rêves récurrents, rêves qu’on sait avoir déjà rêvés ? Villes et lieux reconnus dans les rêves ? Bribes séparées de tout mais qui nous ont laissé rémanence matérielle ? Les dents, les serpents ? Rêves où on écrit ? Qu’on choisisse un petit timbre-poste dans la gigantesque complexité du rêve, et qu’on s’astreigne à ne traiter que de ce petit timbre-poste. Il fallait absolument, tout au sommet de la course, ce chapeau à notre travail. Aujourd’hui on travaille du bonnet (et de ce qu’il y a dessous).
techniques du rêve.
Important de comprendre intuitivement le moment—quand on passe la frontière.
Divers indices à collecter.
-concernant notre aspect physique
aucune certitude que l’on soit ce que l’on croit être dans le rêve. l’aspect physique du rêveur est souvent différent de l’aspect physique en état de veille. Mais connaît on vraiment notre aspect physique dans l’une ou l’autre de ces catégories. Nous n’en avons qu’une vague idée dans les deux cas. Nous avons un ressenti intérieur qui diffère souvent du reflet que nous renvoient les glaces les miroirs ou les autres.
-concernant la conscience de soi et des autres
Aussi trouble que dans l’état de veille. Car qui peut dire sans que ce soit ridicule j’ai conscience de moi-même. À la rigueur on peut tenter parfois même avec succès de prendre conscience d’être plus ou moins doté d’une conscience. Ce qui n’est déjà pas si mal.
-concernant le décor
globalement l’attention au décor sera la même que dans un état de veille. Mais cela ne signifie pas que notre attention au décor en état de veille soit meilleure ou pire que dans un rêve. Cependant en exerçant son attention durant la veille il est possible qu’une amélioration surgisse dans la vie onirique. Ou encore si l’on n’est attentif à peu de choses en état de veille le rêve au contraire nous incitera à porter une attention exagérée, sorte de caricature de notre attention habituelle. Pour mettre probablement l’accent sur cette carence.
-concernant les sons
même chose que pour le décor une affaire d’attention si vous n’avez pas du tout l’oreille musicale fort possible qu’en rêve vous soyez touché par la musique des sphères. une musique extraordinaire. mais à cette seule fin que vous ayez envie de vous pencher sur son absence en état de veille.
-concernant les odeurs
à débattre avec d’autres rêveurs fumeurs et non fumeurs. Le fait d’inhiber tout un monde d’odeurs est sans doute un des nombreux buts cachés de la cigarette. pas étonnant que les odeurs reviennent soudain à la charge dans les rêves. Sauf si même en rêve on ne peut se retenir de s’en griller une petite.
-concernant l’atmosphere, la couleur générale, le contraste
noter les différences qui peuvent surgir pour soudain contredire une impression renvoyée habituellement en état de veille. Ce qui permet de remettre en question une relation avec la couleur. il peut arriver qu’une couleur vienne plaider sa defense en rêve, une couleur délaissée, et qu’ainsi les relations avec celle-ci s’améliore en état de veille. Ou tout le contraire.
-concernant l’empreinte générale que laisse le rêve au réveil.
redoubler d’attention à la sensation laissée par le rêve permet de découvrir par cette sensation justement ce que nous n’atteignons pas par la pensée. une sorte d’intuition. d’ailleurs si on examine régulièrement cette sensation elle est souvent la même qu’elle soit agréable ou désagréable elle se re présente jusqu’à ce qu’un déclic- une prise de conscience s’opère. Souvent on en finit avec cette représentation par l’humour qui est une forme de détachement assez usuelle.
Lois du rêve
-loi une : Le rêve peut surgir à tout moment, un entraînement (plus ou moins long, douloureux etc.) est nécessaire pour se souvenir de cette première loi.
-loi deux. ce n’est pas le récit du rêve qui est important c’est l’interprétation personnelle de celui-ci.
-loi trois : le récit d’un rêve n’est pas le rêve.Il peut arriver que ce récit soit un nouveau rêve issu du précédent ou n’ayant que très peu de relation avec celui-ci.
-loi quatre : Le souvenir d’un rêve est une forme de récit, un réarrangement du rêve. Ce souvenir n’est pas le rêve non plus.
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}