La boue

Il a plu et il fait beau à nouveau, c’est un matin sans école, un jeudi. Tu dévales le grand escalier sans t’attarder à en observer chaque marche que tu connais par coeur, la main glisse légère sur la rampe noueuse de ciment armée sensée représenter du bois par son relief noueux et veiné. Tu jettes un regard sur la porte de la cave, bouche noire sertie dans un désordre de lierre et de glycine. Tu dévales le grand escalier qui mène depuis l’étage vers l’en bas, jusqu’à la terre assombrie par les pluies d’automne. De grandes flaques d’eau s’étendent comme des miroirs posés dans la cour. Mais tu ne te mires pas. Tu plonges les mains à l’intérieur pour aller racler le fond, en extraire un peu de boue. Grâce à celle-ci que de possibles, que de constructions. Tu échafaudes des palais, des forteresses, des canaux, plusieurs Venises avec de petits ponts, des Rialto. La boue élément indispensable, providentiel grace auquel la main trouve une intelligence pour construire la ville, mais surtout les ponts qui relient les rives, les gens, qui créent du trafic, de la communication. Tu peux rester là accroupi toute la matinée, personne ne viendra te déranger, te demander de jouer, t’ordonner quoique ce soit. Le père est sur la route, la mère dans sa nostalgie. Tu es tranquille, tu entretiens cette relation sensuelle avec la boue, que demander de plus ?
Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}