octobre 2021

Carnets | octobre 2021

Résistance

« Il y a plusieurs sortes de résistances, mais aujourd’hui je me concentrerai seulement sur deux que je suis parvenu à identifier. » Je me retins de ne pas pouffer de rire tout de suite parce que je savais qu’on allait encore avoir affaire à une espèce de cours magistral dont il avait le secret. « La première et non la moindre est ce que l’on pourrait appeler une résistance inconsciente. Ce sont toutes ces petites choses qui surgissent comme par inadvertance et qui semblent se mettre en travers de nos intentions. Cela peut aller de la simple étourderie à la bévue magistrale et on ne s’en rend compte qu’une fois que l’on tente d’effectuer le bilan d’un cheminement, la plupart du temps pour voir ce qui ne s’est pas passé comme on le désirait. » En regardant ses chaussures, je vis que l’un de ses lacets était défait, comme à l’ordinaire. On pouvait le rencontrer en toutes circonstances, au marché, à la messe, au bistrot, c’était toujours ainsi : il ne semblait pas pouvoir supporter les nœuds. Une sorte de manie à l’envers, si on veut... « Dans ce domaine, je crois que je mérite souvent le pompon, reprit-il. Mais avec le temps, ce que j’en retire comme enseignement, c’est de m’interroger encore plus sur la fameuse intention de départ, tout cet imaginaire qui, chez moi, accompagne presque toujours toute intention. C’est arriver avant d’être parti, en quelque sorte. On tire des plans sur la comète, on se demande ce que l’on va faire avec tout le gain obtenu avec le petit pot au lait qu’on trimballe vers le marché et puis là, patatras ! on bute sur une pierre et on se vautre, le pot au lait se brise, circulez, il n’y a plus rien à voir. J’imagine que l’inconscient parvient à décoder formidablement bien la nature véritable de nos intentions et que, s’il nous propose des embûches, c’est la plupart du temps pour atteindre ce but qu’on ne s’avoue pas clairement. En ce qui me concerne, il m’est arrivé de nombreuses fois de me tromper d’intention. C’est-à-dire de rester sur une couche superficielle de celle-ci. Comme, par exemple, vouloir être reconnu pour mon art, c’est-à-dire vouloir être accepté ou aimé suivant les diverses nuances que l’on peut accorder à ces termes. » J’ai retenu ma respiration car, à un moment, j’ai bien cru qu’il allait se vautrer en marchant sur le lacet défait, mais, par un rétablissement étrange, il écarta l’autre jambe et trouva un équilibre nouveau. « Mais si je réfléchis à toutes les embûches que je me serais placées tout seul pour rater ce but, c’est qu’au fond il y avait bel et bien quelque chose de confus dans l’intention. L’incident, l’accident, l’étourderie et la bévue ne sont que des outils qu’une part de soi utilise pour renseigner l’autre, c’est-à-dire cette infime partie qu’on appelle conscience. Au bout du compte, comment savoir si une intention est juste sans passer par tout ce parcours de jeu de l’oie ? On peut tenter de réfléchir en amont, prévoir, élaborer une stratégie, planifier tout une série de tâches, et suivre au pied de la lettre chaque to-do list que l’on punaise sur son mur, ça ne change pas vraiment grand-chose. Sans doute parce que tout ce que l’on imagine, même au plus près de ce que nous appelons la réalité, en est toujours extrêmement éloigné. » Il va au tableau, le lacet traîne : l’atteindra-t-il ? mais oui, encore un jeu de jambe ; il s’empare de la craie et note TODO sur le tableau noir. « Et les embûches, finalement, ne servent qu’à comprendre à quel point nous sommes souvent trop compliqués dans notre interprétation de cette réalité. Pour parvenir à la simplicité, voire à l’efficacité, à la clarté, il ne faut pas compter sur tout ce que l’on pense mais plus sur ce que l’on fait véritablement. Or j’ai remarqué que nous en faisons souvent bien moins qu’on l’imagine. C’est-à-dire qu’on n’arrive pas à trier par la pensée l’enroulement le plus simple des actions à effectuer et qui doivent être parfaitement en accord avec l’intention de départ. On pense trop et mal. Parce qu’on ne voit souvent que l’aspect négatif de tel ou tel choix, en imaginant que si on avait fait un autre choix, cela aurait été mieux. En fait, peu importe le choix que l’on effectue, il n’y a pas de chemin sans embûche. Mais on peut avoir un point de vue différent que celui qui nous entraîne dans la plainte, l’accablement, à chaque fois que l’on trébuche sur un caillou. Dans l’intention d’être accepté ou aimé, qui est certainement la première de toutes les intentions de tout à chacun, on élabore des stratégies sur des on-dit. C’est-à-dire que l’on copie ce que nous pensons bénéfique à partir de canevas, de modèles, sans nous rendre vraiment compte qu’il s’agit bien plus de diplomatie, de politesse, que d’affection authentique. Par exemple, le fait de ne pas savoir dire non. Cela a toujours été un problème pour moi ; la plupart du temps, plutôt qu’avoir à expliquer mon refus, j’ai dit oui sans vraiment réfléchir à toutes les conséquences de ce hochement de tête affirmatif. Si vous voulez, de l’âge de 10 ans jusqu’à la cinquantaine, j’aurais trouvé ma place parfaite sur le haillon arrière d’un véhicule, à l’instar de ces petits chiens qui hochent la tête toute la sainte journée. Je disais oui puis j’oubliais, tout ça pour ne pas entrer en conflit, pour me faire accepter, pour me rendre aimable. Ce ne m’a apporté que des déboires en pagaille. Et j’ai été le plus misérable des hommes en me rasant le matin devant ma glace, devant l’énorme tas de trahisons que j’imaginais avoir ainsi entassées par le seul fait d’avoir dit oui à la légère. Lorsqu’à la cinquantaine m’est venue l’idée fameuse du non, étant novice en la matière, il ne m’aura fallu pas moins de 10 années encore pour comprendre que je faisais exactement la même chose qu’avec le oui. Je disais non pour me débarrasser des gêneurs de la même manière. N’est-ce pas ironique ? Et tout ça à cause d’une intention mal placée. Une intention d’être aimable, ou bien une intention de ne plus prendre d’engagements foireux qui me desserviraient aux yeux des autres. Et si on soulève encore le tapis plus loin, l’intention qui se dissimule derrière tout cela, ce n’est pas d’être accepté par les autres, pas d’être aimé non plus, mais juste acquérir un peu de confiance en qui je suis véritablement. Pouvoir compter sur soi, ce n’est pas compter uniquement sur l’intelligence, sur l’habileté, c’est aussi accepter toutes ces choses que l’on commet inconsciemment, que l’on appelle des bêtises, des bévues, de l’étourderie, et qui, si l’on prend le temps de décortiquer tout cela, sont d’un enseignement incroyable sur ce que j’appelle la justesse, la clarté, l’impeccabilité. Avec un humour de potache, l’inconscient se moque magistralement, à l’aide de la maladresse, pour que l’on saisisse peu à peu la douceur d’un sourire sous la violence d’un rire. Quelle que soit l’habileté que j’ai pu penser, à un moment ou à un autre, posséder dans un domaine, il y a toujours eu un moment où l’inconscient a surgi comme un diable d’une boîte pour tout flanquer par terre et me dire : “Alors, mon petit pote, tu te crois plus fort que qui, déjà ?” Ce qui force l’humilité à la longue, s’il nous reste un peu de jugeote. L’autre type de résistance serait consciente, logiquement. C’est-à-dire que l’on s’opposerait volontairement à quelque chose. On peut manifester, descendre dans la rue pour brandir des pancartes contre telle ou telle réforme, tel ou tel scandale. On fait acte de résistance. C’est ce que l’on imagine facilement. Quelle intention se cache derrière la résistance du militantisme ? Pourquoi s’insurge-t-on, se révolte-t-on vraiment ? À quoi cela nous sert-il sinon à déclarer que nous ne sommes pas d’accord avec ceci ou cela, en imaginant que nous possédons une importance quelconque pour changer quoi que ce soit ? Je crois même qu’il peut y avoir une mode qui revient régulièrement de résister pour résister tout simplement. Comme une mode pour dire non après s’être trop longtemps fatigué à dire oui. Mais que l’on résiste ou pas à quelque chose, je me demande si, au final, ça change profondément les choses. Sans doute que ça peut les retarder un moment, sans plus. Les résistants auxquels j’ai pensé le plus furent des personnes comme Jean Moulin, par exemple, qui ne voulait pas que la France devienne l’Allemagne. Bien sûr, il y a eu cette victoire mais, lorsqu’on regarde les choses attentivement désormais, c’est bel et bien l’Allemagne qui donne le la à l’Europe tout entière, et nous, Français, sommes tellement engagés dans ces relations franco-allemandes qu’on ne remarque même pas l’ironie provoquée par une sorte d’inconscience européenne qui tirerait toutes les ficelles d’une Europe à venir qui, probablement, une fois réglées toutes les difficultés, sera un grand pays. » Un peu de plus et il va nous passer la cassette habituelle, l’enregistrement de la voix de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon... JEEEANN MOUUUUULIN.... « Voir plus loin que le bout de son nez, cela nécessite avant tout de comprendre où il s’interrompt pour laisser place au monde comme à la réalité. S’il faut résister à quelque chose, en final, c’est bel et bien à notre ignorance congénitale, surtout lorsqu’elle se pare des vêtements doctes du savoir. C’est cette résistance-là qui m’intéresse le plus désormais en peinture comme dans tous les domaines de la vie. Continuer à résister contre toute velléité de possession en matière de savoir. Et vois-tu, depuis que j’ai pris les armes, que j’ai sauté derrière la barricade, je ne m’en porte pas plus mal : cela me fait voir le monde différemment, ça me change et, probablement, qu’au bout du compte ça finira par le changer lui aussi, à force de résister. »|couper{180}

Carnets | octobre 2021

La satisfaction.

Je crois qu’il existait autrefois un terme pour désigner la fatuité : on disait d’une telle ou d’un tel qu’il arborait un « air satisfait ». Ça ne s’utilise plus qu’en littérature et encore ; un « air con » fonctionne sans doute beaucoup mieux désormais. Le terme de con étant tellement générique dans la langue que l’on pourrait considérer qu’il frôle le surnaturel. Suivant l’intonation avec laquelle il sera prononcé, il sert de synonyme à une kyrielle de termes plus ou moins oubliés. Il y avait aussi le terme de « ravi » qui me faisait sourire à propos de Michel Rocard, notamment. Ou encore un « air béat » comme celui qu’adoptait ma voisine Michelle lorsque, soudain, elle constatait que je n’étais pas le gentil garçon qu’elle avait dédaigné par ennui. Sans doute est-ce en partie la raison pour laquelle je me suis toujours méfié de la satisfaction ? Que sitôt celle-ci atteinte, je m’empressais de passer à autre chose pour ne pas rester englué dedans. Et comme ce n’était pas normal, j’ai eu de nombreuses fois l’idée de consulter. Mais à la pensée de régler ce petit souci, d’être satisfait de comprendre pourquoi je n’étais jamais entièrement satisfait, évidemment, j’ai botté en touche. En ce qui concerne l’idée de la réussite, c’est exactement la même chose. Il suffit que l’on me dise : « Tu es à deux doigts d’y arriver » pour que le trouble, le malaise naissent. D’ailleurs, il m’arrive de m’effrayer régulièrement tout seul à cette pensée ; je n’ai pas vraiment besoin de quiconque. Et si soudain je réussissais, et si soudain j’étais satisfait… quelle catastrophe ! J’en plaisante bien sûr, car je ne vois pas vraiment que faire d’autre que d’en sourire. La vérité est que, tout bien pesé, tout bien considéré, la satisfaction comme la réussite ne m’ont jamais vraiment appartenu. Ce ne sont rien d’autre que des opinions extérieures que j’ai dû faire miennes à un moment ou à un autre lorsque j’atteignais un résultat dans une suite d’opérations. Cette suite d’opérations n’avait pas pour but la réussite ou la satisfaction : c’était bien plus généralement l’envie de préciser une définition, d’explorer une théorie personnelle, de tenter quelque chose dont je n’avais pas vraiment la netteté mais que je devinais au-delà de la confusion. Or le sentiment de satisfaction ou de réussite m’auront toujours entravé, me barrant la route, me frappant en plein vol tel un col-vert buté par un chasseur. Il me semble que c’est vers le soleil, la lumière, la clarté que je fais route maintenant, après avoir traversé toute la noirceur de la nuit, ses chimères et ses désirs troubles. Comme si, au final, un choix tout de même s’était opéré entre l’ombre et la lumière. C’est ce choix qui est important, sans doute le plus important de tous les choix ! Et il serait vraiment dommage de le perdre de vue désormais en accordant un crédit exagéré à toute idée de satisfaction comme de réussite. Il n’y a pas d’oasis, pas de halte qui tienne, comme il n’y a pas de vieillesse, pas de fatigue. Il n’y a que des vues de l’esprit. Cet esprit qui se réfugie parfois dans la paresse par peur d’être aveuglé par la lumière, de se dissoudre totalement en elle.|couper{180}

Carnets | octobre 2021

Les temps sont en train de changer.

Réveil de bonne heure avec arrière gout de splif. Une remontée bizarre puisque cela fait bien 25 ans que je ne touche plus à rien. Est-ce qu'on peut avoir des hallucinations aussi de ce coté là… ? bizarre bizarre et cette chanson qui tourne en boucle pour accompagner l'odeur de cannabis comme il se doit : “The Times They Are A-Changin" de Bob. Les temps sont en train de changer. Est ce le temps qui change ou bien les êtres ?, on pourrait se poser la question. Si j'avais du temps à perdre comme on dilapide un héritage. Mais non j'ai un tas de choses "à faire", il faudrait que je m'y mette de toute urgence. Et c'est justement à cause de ça que je m'installe devant mon clavier pour écrire ma bafouille matinale. C'est toujours comme ça, l'urgence crée la résistance. Sans urgence, sans menace, personnellement je ne ferais probablement pas grand chose en dehors des clous. Je crois que je vivrais "au ralenti" comme une marmotte sous la neige. Le danger m'oppresse et en même temps m'inspire. Et évidemment tout cela influe terriblement sur la perception du temps, cela donne même parfois l'impression de le contrôler. Mais je n'ai pas envie de contrôler le temps pas plus que d'être contrôlé par celui-ci. Alors si les temps doivent vraiment changer c'est justement sur la perception que nous en avons, pas vraiment sur quoi que ce soit d'autre. Je pense à tout ça en triant des photos de mes tableaux, ce qui me plonge dans une multiplicité de moments justement à chaque fois. Ces tableaux peints à différents moments de ma vie, je leur trouve une unité désormais alors qu'auparavant je cherchais cette notion d'unité à l'extérieur de moi-même. C'est à dire que je ne me posais pas la question vraiment de savoir ce que pouvait représenter cette unité pour moi. Je faisais confiance à la notion d'unité collective comme on faisait confiance à un médecin qui diagnostique un cancer. vous savez suivant le médecin les chances de s'en sortir peuvent varier de 1 à 600... c'est dire comment on nous a pris et comment on nous prend encore pour des couillons. Rien qu'un exemple, ma mère, son généraliste lui avait dit d'avaler du charbon car elle se plaignait de flatulences à répétitions. Cela a duré quelques années comme ça jusqu'à ce que finalement elle ose aller voir un autre toubib qui lui n'a pas lésiné sur les examens. Au final on lui a diagnostiqué un cancer du colon au stade 4. Autant dire qu'elle n'avait plus la moindre chance d'en sortir indemne. Au delà de la colère on peut réfléchir sur cette confiance aveugle que l'on accorde aux mots comme à certains experts. C'est en cela que les temps sont en train de changer aussi je crois. Grâce à internet notamment. Attention je ne parle pas des réseaux sociaux et des mille et un avis de tout à chacun sur une pandémie. Non je parle d'un accès libre à un savoir véritable. Doctissimo, Wikipédia pour ne citer qu'eux voilà ce qui va probablement provoquer des changements, qui les provoque déjà. L'ordre des médecins, comme tous les ordres du même acabit, c'est à dire les lobbies n'ont plus qu'à bien se tenir. internet, c'est le dernier bastion de la démocratie. N'importe qui peut accéder au savoir désormais quasiment gratuitement, n'importe qui peut prendre la parole et s'exprimer, donner son avis. Tout le monde est au même niveau sur internet. Tu peux dire que ce restaurant est dégueulasse dans un avis, que le pain de cette boulangerie est fabuleux, tu peux dire que ce médecin est un charlatan ou qu'il est excellent. Ton avis compte au même titre que n'importe quel compte d'entreprise. A condition de savoir comment faire évidemment, mais cela aussi s'apprend gratuitement. En France par contre donner son avis c'est souvent dire que ça ne va pas si on remarque bien. Parfois je me dis que je suis pareil, je vois les choses en noir, en négatif, mais ce n'est pas moi seul c'est toute la population française je crois qui adore se baigner dans la fange des critiques. On doit avoir ça dans le sang comme un cancer qui nous ronge petit à petit. Du coup c'est ainsi qu'on a inventé le minitel tandis que les autres pariaient sur internet.... Parce que des ingénieurs avaient eu une idée de génie, des experts en qui on faisait une confiance aveugle. 3615 Domina évidemment y avait de quoi casser 3 pattes à un canard. Du coup on a pris un peu de retard à force de se regarder le nombril évidemment. Je suis descendu me resservir une tasse de café, machinalement je mets la radio.... Bla bla bla les élections, le chômage, il faut créer des emplois, l'écologie va tous nous sauver et caetera. Le boniment des camelots de la foire d'empoigne. Je ne crois plus vraiment à l'emploi. Je crois qu'il va y en avoir de moins en moins des emplois. Quelqu'un a déjà inventé l'aqueduc qui mettra un terme au métier de porteur d'eau. Comme Uber met un terme à la profession de chauffeur de taxi. C'est comme ça c'est la vie. Les temps sont en train de changer. Les mentalités avec. Cela a toujours été ainsi et on pousse des cris d'orfraie à chaque fois. ça doit venir du cerveau pas de doute, tu sais , le truc qui existe entre les deux oreilles et qui ne sert à rien pour la plupart des gens parce qu'ils l'ont remplacé par l'habitude, la routine, le train train. Lorsque ça déraille ça fait mal. Tôle froissée, pleurs d'enfants, sans compter la clameur des camelots qui se fait d'autant plus forte que le silence après l'accident est insupportable. https://youtu.be/90WD_ats6eE|couper{180}

Carnets | octobre 2021

La publicité

Encore un voyage vers Lyon et j’allume le poste de radio pour tomber sur une émission de France Culture. Une interview de Mercedes Erra. Présidente exécutive de Havas Worldwide, spécialisée dans la gestion des grands comptes. Elle fonde en 1995, avec Rémi Babinet et Éric Tong Cuong, l’agence BETC Euro RSCG, spécialisée dans la communication et la publicité. Elle est aussi notamment : membre actif du Comité français de Human Rights Watch ; l’une des membres fondatrices du Women’s Forum for the Economy and Society ; membre permanent de la Commission sur l’image des femmes dans les médias ; présidente du conseil d’administration du musée national de l’Histoire de l’immigration. Bon, ça va parler de publicité, ce qui n’est d’emblée pas ma tasse de thé, et je m’apprête à changer de station lorsque, après quelques phrases prononcées par la dame, je ne trouve pas bête ce qu’elle dit. Je n’aime pas le mot marketing, je préfère parler de communication. Une entreprise qui ne communique pas ne va pas bien. On peut faire de quelque chose de petit, a priori, quelque chose de bien plus grand. Les anglo-saxons étaient partout, je me suis battue pour imposer une autre vision... Du coup, tiens, où en suis-je avec mes difficultés personnelles en matière de communication ? Suivent quelques anecdotes, notamment sur la promotion de la Peugeot 106 qui, a priori, était considérée par les hommes comme une voiture de femme d’une façon péjorative, ce qui, du coup, donne une piste de campagne surprenante et qui fonctionnera au-delà des attentes. Montrer tout à coup que même les hommes sont prêts à tout pour utiliser cette voiture — placer des sentiments comme l’envie, la jalousie, attribués généralement aux femmes, comme motivation masculine — c’était évidemment très fort. Voilà bien la fonction de la créativité. Celle de résoudre un problème avant toute autre chose. Sur quelques signaux faibles, imaginer un autre monde qui pourrait advenir, comme un changement de mentalité, par exemple. On évoquera également la campagne pour Air France : « FAIRE DU CIEL LE PLUS BEL ENDROIT DE LA TERRE ». Et la dame ajoute : imaginez une hôtesse de l’air qui tend une assiette à un passager, avec un tel slogan, avec les valeurs que ce slogan induit, c’est autre chose que d’être seulement dans un avion à servir la soupe. Bon. Je ne sais pas si les hôtesses ont apprécié tant que ça, si cela a véritablement changé leurs vies. Ce qui est certain, c’est que la direction d’Air France a été séduite et c’est évidemment tout ce qui compte puisque un client satisfait, c’est un client qui revient. Par contre, sur la méritocratie que madame Erra prône, je suis mi-figue mi-raisin. Sans doute parce que je n’ai jamais marché dans cette combine-là depuis l’école. Sans doute parce que mériter quelque chose par la production d’efforts a surtout entraîné l’effet inverse chez moi : des trempes quand j’avais de mauvaises notes. Et sans doute que tout mon masochisme aura pris sa source dans ce constat que j’étais plus doué pour rater les choses que pour les réussir, d’après les dires de mes parents, très à cheval sur cette notion d’effort et de réussite, à s’en gangréner la santé d’une façon exagérée. Sans doute aussi parce que, plus tard, j’ai voulu rattraper le temps perdu et que j’ai mis les bouchées quadruples en travaillant comme un dératé, ce qui n’amène rien de bon justement, à part la jalousie, la méfiance chez les collègues comme chez les supérieurs. Pourtant, gamin, j’avais senti rapidement que faire des efforts pour réussir appartenait à une époque révolue, que ma génération allait devoir payer les pots cassés de cette facilité avec laquelle la génération de mes grands-parents, de mes parents, s’en allaient à la guerre avec des étoiles dans les yeux. Cet arsenal d’outils afin de cultiver en soi le belliqueux, le rageur — on dirait aujourd’hui le mindset du winner — était gardé par des lieutenants inflexibles : la discipline et la volonté. Tout ce qui me faisait cruellement défaut, même en ayant essayé de m’y employer de tout mon cœur, de toute ma ferveur enfantine, pour faire « plaisir » à papa et maman. Ça ne me faisait pas plaisir du tout, voilà la vérité. Ça m’emmerdait même absolument de faire des efforts. Je n’en faisais donc que le moins possible afin de conserver mon intégrité. À côté de ça, je développais autre chose, sûrement, sans que je n’en prenne véritablement conscience. Hasard et nécessité, j’ai depuis longtemps fait la paix avec tous ces troubles. C’est grâce à cette résistance à l’effort, finalement, que je me suis tant intéressé à ce qu’il était vraiment, ses motivations profondes, et aussi la notion de résultat — cette fameuse réussite — que l’on se passe comme un témoin sans jamais remettre en question la forme. Des générations de somnambules qui, pour réussir, seront passées à côté de leurs vies. Il y a quelque chose d’ingrat, tout de même, à écrire ces choses. J’ai bénéficié, dans ce mouvement vers l’Eldorado, d’avoir été logé, nourri, blanchi, privilèges que d’autres n’ont pas eus. Ce qui, en outre, aura provoqué ce sentiment de culpabilité, de trahison d’un membre qui rejette son groupe, sa caste, qui ne fait rien pour continuer à porter le flambeau. Quelle publicité pourrais-je faire sur moi-même qui ne me ferait pas vomir dans la foulée ? Quel slogan inventer pour reconstruire toute une histoire mal lue, sans doute ? Je n’ai plus l’âge, voilà ce que je me dis, il est trop tard, c’est fichu. Voilà ce que dit une voix probablement paternelle. Tandis qu’une autre, féminine, lui répond : tu te trompes, tu y as mis le temps mais te voilà enfin prêt. La conviction : voilà également un mot clé important pour réaliser une campagne publicitaire. Il faut un alignement authentique, incontestable, être convaincu que l’histoire à vendre tient debout. Et le miracle, c’est qu’une fois que l’on s’en convainc, elle devient la seule histoire, celle qui balaie toutes les autres. J’ai éteint le poste de radio sans écouter la suite ; je me suis dit qu’il y avait là déjà suffisamment de matière à réflexion pour la journée.|couper{180}

Carnets | octobre 2021

Le format

La chose est assez simple à comprendre, tellement simple que tout le monde s’en fout. C’est comme si c’était entendu depuis le départ, comme pas mal de choses que l’on fait ainsi, sans y penser. Et pourtant j’ai beau le répéter, ça rentre par une oreille et ça ressort intact de l’autre. Pas un pli, pas une strie, propre comme un sou neuf, l’information est comme une assiette d’amoureux transis. C’est juste un peu plus froid à l’arrivée. Et à chaque fois je rencontre des yeux ronds et une bouche bée. Tu es sûr ? Tu nous l’avais vraiment dit ? Oh ben je l’ai dit déjà 1 000 fois au moins, comme tout un tas d’autres choses ; il se peut même que sur ces 1 000 fois tu m’aies écouté pratiquement tout le temps. Le problème, c’est que l’information n’a pas dû passer par le cerveau. Si tu as un truc à dire, pense au format dans lequel tu vas le dire. Ça ne sert pas à grand-chose de peindre une tasse à café sur un tableau de 1 m sur 2. Encore que désormais on nous ferait croire que tout est possible, et même pire. Si tu veux provoquer, oui, tu peux. Tu peux faire une fresque sur le mur est de la mairie en ne peignant que des poils de cul vus au microscope si ça te chante. On vit une période où il faut surprendre coûte que coûte et surtout, alors vas-y, ne te gêne pas. Par contre, moi, je reste sur ma position, par respect envers tous ceux qui ont réfléchi un tant soit peu à cette question. Le format est important, je n’en démords pas. Et puis il y a une histoire, on ne peut pas balayer l’histoire d’un revers de manche à sa guise, nom de Dieu ! Imagine un peu le Sacre de Napoléon sur un timbre-poste pour prendre les choses à l’envers... Comment ? Ce serait rigolo ? RIGOLO ???? Et les Nymphéas en pin’s, pardi, hilarant ! Mais bon, je ne dois plus vraiment être dans le vent, t’as raison ; après tout, aujourd’hui, tout est comme ça. On parle de tout et de rien n’importe comment, n’importe où, tout est sans dessus-dessous. Comment ? Je parle comme un vieux réac ? Mais c’est quoi, pour toi, un réac ? Juste quelqu’un qui te rappelle qu’il existe quelques règles de base dans la vie... voilà tout. Le réac, comme tu dis, c’est le dernier bastion avant la foire d’empoigne totale, avant la boucherie générale : le libéralisme 3.0. Le format est une résistance au chaos depuis que l’on trouve des troisièmes voies partout pour tout embrouiller. Et à dessein ! D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder ce que propose cette troisième voie en général : c’est le chaos et pas grand-chose d’autre. Les Tony Blair, les Macron et tous ces petits malins profitant de la confusion généralisée entre fond et forme en politique comme dans l’art contemporain, tu vois où ça nous mène ? Au bordel ! Ce qui ne sert plus à grand-chose vu qu’on a fermé les maisons closes. Ah, ça te fait rire ? T’as raison, esclaffe-toi, rira bien qui rira le dernier !|couper{180}