Images glissées, cassées

Paysage à Salaise sur Sanne Dimanche du mois de mai tôt le matin sur le parking du LIDL

En train, en mouvement, la vitesse, dans la ville, le lieu, la lenteur , confrontation du regard vers l’extérieur, l’intérieur.
Quelques bribes volées à Bernard Noël

FORBACHTGV
partout les temples de la vieille misère
maisons de peine et d’attente et de trop peu
être humain est un long travail d’illusion
la neige et le froid un bien petit hiver
à coté des exigences de l’espoir
le regard cherche à sentir son invasion
une fumée trois maisons un trait de neige
comment voir la pénétration du l’image
son reflux quand les mots la jettent dehors
mais rien et rien et rien un rond de lumière
quelques formes à peine vues dans la vitesse
langue balayée par la ventée du temps
le noir a déjà imbibé tout l’espace
chaque chose ainsi réduite à sa fumée
la solitude s’étend sur la fenêtre

Extrait d’une double page de son ouvrage le reste du voyage chez POL

Des points de vue dissociés entre ce que l’on voit à l’extérieur depuis un endroit fixe ( ville de Forbach) et un voyage en train pour rejoindre (peut-être) cette ville.

On est à Forbach et partout les temples de la vieille misère sont visibles à l’ extérieur, mais avec une considération issue de intérieur

ce que sont ces temples de la vieille misère, le lecteur peut l’imaginer comme des bâtiments, peut-être des usines. Puis un semblant de précision est fourni avec les mots peine, attente, trop peu

ensuite une réflexion être humain un long travail d’illusion

L’explication fournie est l’exigence de l’espoir à côté de quoi l’hiver est moindre


Je ne sais pas si c’est utile de décortiquer ça ne donne guère qu’un son de cloche semblable à ces glissements.

ce qui est plus intéressant ce sont les images que les groupes de mots déclenchent, produisant des images parallèles.

Partout les temples de la vieille misère

Dans le RER pour Paris, le matin avant l’aube, la traversée des paysages urbains que l’on devine plus qu’on ne les voit aux travers des vitres Ce mélange déjà entre les images extérieures, par delà les vitres. Des immeubles, des zones pavillonnaires, des arbres, des terrains vagues, des temples bouddhistes, des clochers d’églises

mais pas uniquement, il y a aussi les images de l’intérieur du wagon qui se reflètent sur la vitre et donc celles du paysage extérieur. Des silhouettes, un visage qui regarde vers le dehors aussi, le mouvement des passagers dans l’allée, ou encore si on entre dans la gare souterraine de Vincennes, la perspective démultipliée des différents quais, des foules, des lignes et des lueurs artificielles.

Gare de LYON, le regard cherche l’escalier, le regard traverse tout, murs affiches voyageurs il ne veut voir qu’un escalier qui mène vers les étages supérieurs le départ des grandes lignes. Escalier ou escalator. La gare de Lyon est une escale et, suivant l’itinéraire décidé, on choisira Grandes lignes ou métro pour se diriger, mais tout commence par l’escalier. L’impératif de l’escalier, l’effort à produire pour gravir, pour s’élever, pour arriver à l’étage.

Temples de la misère pour dire usines, ou lieux de torture, ou travail. Ce que je vois en sortant à la station Bastille, en étant recraché dans la rue Saint Antoine face à l’immeuble de la Banque de France . Une perspective qui continue avec la rue de Rivoli, et qui, si je réunis tous les souvenirs de l’avoir arpentée me mène au Chatelet, au Louvres, puis à la Concorde. Chacun de ses mots pèse son poids d’émotions, de souvenirs, de petites joies et de petites misères, mais tellement personnelles que ça devrait le rester.

Comment parler de ce qui reste entre ces souvenirs, ces émotions. Comment trouver les mots pour me débarrasser de tout ça. Est-ce un but que celui de vouloir s’en débarrasser. Ou au contraire déposer une bonne fois pour toutes tout ça en un lieu, un écrit, une tombe, un ici-gît...

Une trouée dans la ville depuis Bastille qui s’ouvre comme une fente, une fente importante de la ville, plus étroite que la longue rue de Vaugirard dans laquelle j’ai moins de souvenirs et d’émotions mais qui fait toujours ressurgir ses abattoirs. J’ai plus pénétré la ville par cette fente première que par la seconde dans laquelle je ne me suis qu’ hasardé. Pénétrer la ville de part en part. La connaitre par ses artères, ses rues ses venelles, ses impasses, en connaitre chaque quartier, ses raccourcis, ses détours. Avoir des engouements qui poussent à revenir dans tel ou tel quartier de la ville, des répulsions à revenir dans d’autres.

Juste quelques bribes de poésie lues ce matin et déjà je pars en prose, comme on s’enfuit d’une chambre d’hôtel à la cloche de bois.

En parlant des chambres il y a de la matière. Bien qu’il n’y ait toujours qu’un lit, une table, un évier, une vague armoire, une chaise et une fenêtre. L’ameublement est toujours à peu près le même. Et pourtant il y a tellement de chambres dans ma tête. Tellement que la chambre devient un symbole. Il suffit que je me dise une chambre pour que ça devienne une image kaléidoscopique. D’autant que l’âge n’arrange pas les choses, les images se chevauchent se confondent tout comme les époques, les lieux les personnes associées à chacune de ces chambres .Une vie entière passée de chambre en chambre. La chambre comme un long corridor. La chambre l’antichambre de la naissance et de la mort.

L’étonnement de se retrouver seul dans une chambre inconnue. Entouré d’objets inconnus. Un lit inconnu, une table inconnue, une armoire inconnue, une fenêtre par laquelle aucun regard encore n’a traversé les vitres. Au contact d’une chambre inconnu on est un inconnu. Il n’y a que de l’inconnu. Ce n’est pas désagréable d’éprouver cette sensation. Ce qui est désagréable c’est de vouloir rester qui l’on croit être. d’éprouver un tremblement dans le connu. Une chambre inconnu remet en question qui l’on croit être. C’est pour cela qu’on s’assoit sur le lit pour tester le matelas, que l’on déplace la chaise, la table pour les mettre à une autre endroit, ou l’armoire pour mesurer encore sa force. On réorganise les meubles d’une chambre inconnue pour agir sur l’impression désagréable de ne pas se sentir chez soi . Mais la sensation peut malgré tout persister une fois cette action effectuée. Le peu de répit que provoque l’illusion de vouloir s’accaparer un lieu, peut être suffisant pour retrouver une illusion d’espoir. Pour ne pas s’allonger sur le lit, cesser de respirer, vouloir crever. Et même si poussé par une sorte de lucidité poussée à outrance, on va jusqu’à s’allonger sur le lit, essayer d’arrêter de respirer pour crever on se rend compte que ce n’est pas si facile. Que la vie est plus forte. Qu’on est d’une certaine façon obligé de s’y tenir, de s’accrocher à quelque chose, n’importe quoi peut à ce moment là faire affaire. Comme donner un coup de poing sur les couvertures. Ce qui est risible. Un rire peut nous faire glisser d’une envie de mort à une envie de vivre. Il faut s’entrainer encore pas mal avant qu’un rire puisse nous emporter à un second degré, c’est à dire passer d’une idée d’importance à l’indifférence totale. Ce qui n’est pas si désagréable qu’on peut l’imaginer aussi.

Marcher dans les rues pour se rendre au travail. Etre disponible pour voir ces rues, pour expérimenter de nouveaux itinéraires, pour observer les modifications liées à la saison. Les devantures, les vitrines, l’encombrement des rues à certaines heures, ou au contraire la tranquillité de celles-ci, entendre son propre pas rebondir contre les murs. Rue du pas de la Mule, sous les arcades de la Place des Vosges, rue de Turenne, rue vieille du Temple. Les bruits propres à chacune de ces rues. Les périodes au cours desquelles on sera plus attentif à ces bruits, ces odeurs, ces brillances, ces changements subtils de luminosité, et qui semblent contraster avec les périodes d’encombrement de soi-même. Etre disponible ou indisponible. Etre pris dans la glue de l’habitude. Etre occupé. Se sentir occupé, avoir des soucis, des peines, des chagrins, des malheurs qui nous rendent indisponibles. Qui déclenchent soudain des envies intempestives, pousser la porte d’une boulangerie, acheter un croissant l’engloutir en marchant, avaler quelque chose de doux en marchant dans l’aridité des rues. Le contact honteux de la main sur la poignée d’une porte. La colère qui s’empare du corps. Les pensées noires que l’on distille au fond d’une pièce aveugle. la bouée qu’on trouve en dégottant les vies de Plutarque. Se calmer par la lecture acharnée, pour résister à toutes ces heures qu’on donne à des étrangers pour qu’ils nous permettent de payer un loyer, d’acheter un croissant, de vivre tout simplement. Avaler des livres pour s’enfuir comme on avale un croissant pour se souvenir du doux dans la dureté des trajets.

Lire des livres en pagaille. Orgies de lectures, lectures anarchiques. Une bibliothèque immense dont l’image nous aidera à créer une image de l’inépuisable. Désirer épuiser l’inépuisable. S’épuiser dans l’inépuisable. S’oublier dans l’inépuisable comme dans une sensualité morbide. S’oublier et se souvenir de quelque chose qui sans cesse s’échappe. Se trouver et tout de suite se perdre, s’égarer encore plus loin. Marées de l’inépuisable dont il faudrait noter les heures afin de mieux les prévoir, trouver des gués, un rythme, une organisation, un emploi du temps. Apprendre à lire à des heures régulières. Cesser de se goinfrer de lecture. Jeuner au besoin. Comment digérer ensuite l’inépuisable dont on aura arraché la chair avec avidité. l’inépuisable dans le sang, dans les viscères continue à faire son petit bonhomme de chemin. Les rues que l’on emprunte dans la ville appartiennent à d’autres histoires comme les chambres dans lesquelles on se réveille ont connu d’autres locataires. Et plus on pénètre dans l’inépuisable plus on s’épuise, on épuise quelque chose que l’on ne comprend pas, on sent bien qu’il s’agit d’un combat inégal. On s’épuise, on perd une idée d’importance comme une façade rénovée son échafaudage.

On n’est plus si important qu’on croyait qu’on voulait. On habite seul une chambre dans la ville, on se rend à pied à son travail, on passe toutes ces heures qui semblent perdues à tout jamais au profit de patrons qui vous les rémunèrent chichement. On subit de toute évidence au début une injustice. Est-ce que c’est seulement ça gagner sa vie ? Se contenter de ce qu’on veut bien nous donner, des restes, des os, jeter depuis la grande tablée des banquets. Où est la dignité à manger à même le sol les reliefs des riches. Est-ce que s’en plaindre y changera quelque chose. Est-ce que se mettre en rogne changera la donne. Est-ce que devenir zélé, servile, sera vraiment utile. S’apercevoir dans la rue marcher vers un destin partagé par des millions et ne pas parvenir à saisir le mot solidaire. Prendre l’inverse alors. Désirer le pire. Se débarrasser de toutes les épines. Jeter à bas la couronne, l’auréole, la croix et la bannière. Se révolter comme on implose, en silence, entrer dans une librairie, acheter un carnet, un stylo, trouver un café ensuite, s’attabler, écrire. Puis trouver ça tellement puéril, dépasser encore ça le puéril. Puis y revenir, se relire.

Carnets | mai 2023

Disparitions

Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}

Carnets | mai 2023

31052023

Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mai 2023

Assemblage

Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}

Autofiction et Introspection