Témoigner
C’est par période que ce que j’aime le plus me dégoute le plus. Dire par exemple le mot artiste, je crois que je l’ai tant désiré que c’est normal d’en ressentir cette dégoûtation actuelle. Parce qu’un glissement s’est effectué. Avant artiste était auréolé. Désormais je ne sais pas de meilleur synonyme à ce mot qu’austérité. C’est à dire qu’il faut enlever beaucoup de choses que l’on projette , comme sur tant d’autres et qui ne nous appartiennent pas. Je crois que j’ai fabriqué avec le temps ma propre définition des mots, dont celle d’artiste. Je l’utilise avec parcimonie, et jamais vis à vis de qui je suis. Sauf quand j’y suis contraint et en m’en moquant intérieurement comme pour exorciser toute diablerie encore possible.
C’est que les mots ont de l’importance. C’est sans doute la chose qui a le plus d’importance puisque il n’y aurait pas de monde pour nous sans les mots. C’est probablement la seule chose digne d’une importance. Ou encore, je ne me sens plus capable vraiment d’accorder une importance à autre chose qu’aux mots. Je sais qu’il faut se méfier de ce mot d’importance. Que ce mot autrefois a vidé le monde entier de ses nombreux attraits vers lesquels j’ai pu être attiré en me fiant à la définition des dictionnaires, ou à l’éducation qui m’a été donnée.
On ne peut que témoigner du temps qui passe et ce chacun à sa façon. En vivant tout d’abord, en espérant, en renonçant. Il n’y a rien de triste à se répéter que nous sommes semblables aux saisons, que la lune a autant d’influence sur nos désirs que sur les marées. Toujours les mêmes et changeant en même temps. Si on tient à témoigner. C’est à dire se sentir appelé à une barre dans un procès quelconque. Si on se sent contraint par son envie ; le devoir civique ou la force publique.
Mais l’art n’est pas un procès, on ne peut pas s’en servir pour témoigner ou juger. Ce serait trop exigu. L’art se transmet depuis la nuit des temps, c’est un véhicule. Ensuite se demander s’il utilise des énergies fossiles, des moyens modernes, écologiques, c’est sans doute une question de mode. Une question à la mode pour ce que ça vaut. Comme peut l’être la mode de s’engager pour une cause ou pour une autre afin souvent de se livrer à une pulsion grégaire par la médiation des mots d’ordre, des slogans.
On a beaucoup trop parlé d’art, moi le premier. Sans doute parce que je cherchais ma définition celle qui me semblait la plus juste à mes yeux. Non pour avoir raison, mais pour mieux aligner ma pensée avec mon expérience. Car au bout du compte une définition, qu’elle soit créée par des millions ou par un seul c’est toujours une tentative d’alignement entre le mot et la chose, entre la pensée logique et une sensation d’irrationnel.
Je crois- car c’est bien sur le bilan d’un ensemble de croyances que l’art est en toute chose, l’art est comme le rire, propre à l’être, à la conscience et ne se limite pas aux catégories humaines. En percevant cela tout s’y trouve impliqué de la particule au mastodonte. depuis l’infime mouvement jusqu’au gigantisme des cataclysmes. C’est une expérience, un véhicule qui dépasse de beaucoup notre entendement qui ces derniers temps épouse un peu trop souvent la forme d’une autoroute.
Donc, peut-être qu’il serait au bout du compte encore plus juste de refuser toute définition au mot art. De parvenir jusqu’à l’oubli de ce mot même en tous cas tant qu’il sera aussi proche de cet autre , l’artificiel.
Je crois aussi que l’art est quelque chose de simple, de vivant, de naturel, c’est tout ce dont je pourrais témoigner si j’avais l’obligation ou le désir irrépressible de le faire.
Pour continuer
Carnets | mai 2023
Disparitions
Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}
Carnets | mai 2023
31052023
Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Assemblage
Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}