Janvier 2019

5 janvier

Alors il faut attendre que ça passe. Attendre que les pensées se fanent. Attendre que le souffle se vide et se remplisse. La contrôleuse avance : « Monsieur, votre titre de transport, s’il vous plaît ? » Le flux se coupe net. Autour, les autres passagers redeviennent visibles : rangés, muets, à demi endormis, en attente d’eux-mêmes. Ça attend aussi, collectivement, sans savoir quoi. « Mais quand est-ce qu’on va nager ? » L’eau se retire toujours.

7 janvier

J’ai vécu avec une certitude étrange : on échoue. On échoue d’abord, on échoue beaucoup, et la réussite n’est qu’un accident fragile. Le jour où j’ai compris que je cherchais l’échec autant que d’autres cherchent la réussite, un verrou a sauté. Dans la photographie, j’ai appris à tirer du négatif un positif.

8 janvier

Je m’en fiche de m’en foutre en prime. Je nage le regard perdu dans le bleu sec et froid. Tout est déjà fini m’a dit l’ombre d’un merle sur la branche d’olivier cet hiver.

23 janvier

Rien que le vent : il prend les cimes, les tord, redescend en nappes. Je lui ai donné ma vie, ou peut-être est-ce lui qui m’a pris. Le vent ne promet rien ; il passe, il insiste, il recommence. Je bats des mains encore une fois, presque contre moi-même, et le souffle revient.

26 janvier — Tuer un oiseau

L’enfant a pris un caillou, a tendu, puis a lâché. L’oiseau s’est couché sur le côté. Il a compris, d’un coup, qu’il avait tué un oiseau. « Donc le hasard peut faire ça aussi. » Ce qui lui faisait peur, ce n’était pas seulement l’oiseau mort, mais le fait que sa main avait agi avant lui.

29 janvier

Ma belle petite-fille a dit « ahcheveux ». J’ai ouvert le frigo. « Ah je veux », j’ai compris. Ce matin, je pesais ces deux mots : achevé, inachevé. Achever, c’est aussi porter le coup de trop. Je laisse tant de toiles à demi levées, non par paresse mais par refus de la mise à mort de l’idée.

Mensonge et vérité

Je ne crois pas à une vérité commune où l’on se retrouverait tous. La vérité est morcelée, locale, liée à un corps. Une toile qu’on n’arrive plus à finir, une phrase qui sonne creux. Là, quelque chose tombe. À la fin il ne reste qu’un silence net.

Désobéir

La désobéissance surgit quand une injonction me demande de renoncer à quelque chose d’essentiel. L’artiste qui cède à cela peint avec la main de quelqu’un d’autre. Peindre des paysages « jolis » comme si le monde n’était pas en train de se durcir, c’est ajouter une couche de somnifère à une époque déjà anesthésiée.

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