Planche 1- Estonie, souvenirs, origines

Extraits contenant : "estonie"

  • vue chronologique

4 octobre 2019

Embrasser un mort

Ma révolte éclate tranquillement vers sept ans, provoquée par une injonction maternelle qui me pousse à embrasser la peau glacée de mon aïeul que j’adorais sur son lit de mort. Ma mère est d’origine estonienne, son éducation orthodoxe se mêle à sa volonté d’intégration et cela donne régulièrement d’étonnants résultats.


10 octobre 2019

Eduard Wiiralt

Peintre et graveur estonien (1898-1954). Ma grand-mère l’avait connu à Paris, dans les années trente. La diaspora balte. Les exilés. Les artistes fauchés. Il est mort à Paris, usé, désespéré. Quand les deux Estoniens sont venus en novembre 2019 pour faire un film sur lui, ma grand-mère a pleuré. C’était la première fois que je la voyais pleurer.


15 octobre 2019

histoire de la porte

15 octobre [RÉCIT] — Le petit juif chétif avec son histoire de porte. Rêve récurrent, porte close, nullité effroyable. J’ai tout mon temps pour l’écouter. Décidé d’être juif depuis quelques années. Grand-mère estonienne éludant toujours, Disque bleue et fumée bleutée. L’exégèse m’est congénitale. Une petite salope certaine que je l’étais. N’ai jamais revu le petit juif, mais j’avais saisi le message. Les portes ne m’ont jamais posé problème, j’en ai défoncé plus d’une.


15 novembre 2019

15 novembre 2019

Ils arrivèrent en novembre. Deux hommes du Nord. Le plus grand, Estonien. L’autre, Russe. La grand-mère prononça des mots dans une langue inconnue. Marc sourit. Il sortit des présents : thé, conserves, poupées gigognes, jeu d’échecs magnifique. Ils étaient venus pour un film sur Eduard Wiiralt, peintre estonien que la grand-mère avait connu à Paris. Diaspora russe et estonienne, pauvreté, espoir, idées, art. Wiiralt mort à Paris, achevé par le désespoir. Après leur départ, le jeune homme se découvrit des origines nordiques. Il se plongea dans le Kalevala. Il se mit à marcher dans les bois, sur les collines. Voulait surprendre dans le vent de vieilles paroles oubliées. Prolonger ces vies, ces histoires, afin qu’elles ne disparaissent pas dans l’oubli.


22 janvier 2020

La Varenne

L’avenue des Piliers, plantée de peupliers. Une porte lourde. Un couloir bref. La porte de droite : Valentine Musti / Jean Antipine. Deux noms sur la porte. Ma grand-mère estonienne et mon beau-grand-père russe. Vania. L’appartement sentait la cigarette et le désordre. Des cravates partout. Une machine à coudre Singer. Un nuage de fumée bleue. "Ma séri", disait-elle. Mon chéri, dans son français haché.


3 juillet 2020

Vania

Il était là, dans l’appartement de La Varenne, avec ma grand-mère Valentine. Un Russe chez des Estoniens. On ne parlait pas de lui, on vivait avec lui. Il était devenu "leur père" pour les quatre enfants de Johannes Musti. Pas le mien. Je l’appelais Vania. On allait pêcher ensemble au bord de la Marne. Il ne disait rien. Moi non plus. C’était bien comme ça.


11 août 2021

Le dibbouk

C’est une créature du folklore juif d’Europe de l’Est. Un esprit qui s’accroche à toi, qui te possède, qui parle à ta place. Ma grand-mère estonienne ne m’a jamais raconté cette histoire. Mais je l’ai trouvée moi-même, en cherchant d’où je venais. Le dibbouk, c’est celui qui porte la mémoire des morts, qui refuse de laisser partir ce qui devrait être enterré. C’est mon double, mon ombre, celui qui écrit quand je n’ose pas dire.


15 juin 2022

15 juin 2022

Première version à chaud, juste après avoir lu le texte de F. qui est apparu soudain alors que je visitais son site. Considérer que cette apparition est déjà une forme d’énoncé, que l’exercice est intéressant à faire d’après un présupposé. Avant d’avoir les infos dans leur exhaustivité ( si on peut parler d’exhaustivité ici car l’imagination part presque aussitôt sur mille pistes) Ensuite sont apparus, dans l’ordre chronologique le texte de présentation de #05,caméra tournante sur la page Patréon. Puis la vidéo. C’est aussi là que j’ai constaté à quel point j’attendais la consigne du 5 ème jour, à quel point je suis mordu. Avenue des piliers plantée de part et d’autre de peupliers, à la Varenne-Chennevières, trois petites marches, non une seule, après vérification effectuée sur Google Earth ( je m’améliore, mais c’est surement une impression) une porte, lourde, un bref couloir, 1, 2, 3, 4 pas et tout de suite la porte droite, Valentine Musti/ Jean Antipine, deux noms, celui de ma grand-mère estonienne et de mon beau grand père russe. Mais on ne dit pas Jean on dit Vania. Frappe avant d’entrer dit une voix off, ma mère certainement, mais pas la peine la porte s’ouvre, ils nous ont vu arriver par la fenêtre. Retour dans la rue, oui il y bien une fenêtre qui donne sur la rue et les peupliers. Si je reviens vite à l’intérieur je peux vous dire ce que je vois par cette fenêtre : des arbres dont je connais le nom et qui se font appeler peupliers et puis en regardant la photo google, doute que ce soit vraiment des peupliers, c’est peut-être autre chose. Pas assez calé cependant sur les essences d’arbres, passons- et des maisons plutôt chics avec des jardins, des portails. Pas du côté de la rue où je suis, c’est plus mitigé, immeubles avec cour intérieur, derrière, sols en ciment, et maison ouvrières. Revoir le même appartement ce sont des couches et des couches qui se superposent comme dans un film, tantôt le mise au point est un peu flou, comme dans un super 8 d’amateur puis ça se modifie, ça change, le temps est bizarre lent parfois ou à l’accéléré, les objets bougent et fabriquent le fameux désordre, cette habitude du désordre dont on s’entoure vous savez. Vania torse nu tente de combattre mais en vain, des bataillons entiers de cravates le submergent. Et Valentine avec sa voix de fumeuse invétérée dit quelque chose, mais la bande son saute, bégaie, est hachurée, ou bien se mixe à d’autres mots pour que le tout devienne incompréhensible, mélange d’estonien de français et de russe. Et elle, Valentine ponctue tout ça en lâchant une bouffée de fumée et un je vous merde qui surnage dans la mémoire des sons, la mémoire des voix.


16 octobre 2022

Octobre 2019

16 octobre — Le petit juif chétif avec son histoire de porte. Rêve récurrent, porte close, nullité effroyable. J’ai tout mon temps pour l’écouter. Décidé d’être juif depuis quelques années. Grand-mère estonienne éludant toujours. Disque bleue et fumée bleutée. L’exégèse m’est congénitale.


2 décembre 2022

Johannes Musti

Il était grand, ou petit, je ne sais plus. Il venait d’Estonie, de Tallinn peut-être, ou d’ailleurs. Il est passé par Saint-Pétersbourg pour apprendre à peindre, puis il a débarqué en France, à Épinay-sur-Seine, pour faire des décors de cinéma. Il buvait. Il avait quatre enfants. Il est mort. C’est à peu près tout ce que je sais de lui. Ma mère avait neuf ans. Elle ne parlait jamais de lui, ou presque. Juste des bribes. Des silences surtout.


9 décembre 2022

Père

À la Varenne-Chennevières, avant les années soixante-dix, mon grand-père russe et ma grand-mère estonienne. J’y allais peu, on m’y traînait. L’appartement était toujours dans le désordre. Bazar de cravates, cigarettes Disque bleu dans le cendrier, voix éraillée de la grand-mère, présence silencieuse du Russe, Vania. Il avait remplacé le grand-père estonien, Johannes Musti, peintre, dont personne ne parlait jamais. Mort trop tôt. Quatre enfants à élever. Ma mère, l’aînée, neuf ans. Puis Vania est entré dans leur vie. "Notre père", disaient-ils. Mais pas le mien. Pour moi, c’était juste Vania.


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18 janvier 2023-6

L'histoire officielle, celle que l'on découvre dans les manuels scolaires et qu'on est bien obligé d'accepter puisque c'est pour l'essentiel une relation à l'autorité. Si on ne l'accepte pas, c'est tant pis pour soi. "Tant pis", vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des nôtres. C'est à partir de ces "tant pis" que l'on finit par s'éloigner peu à peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l'eau d'une baignoire. Une baignoire remplie d'eau glacée dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de résister ainsi. Et de s'étonner que ce soit, après la douleur de l'imagination surtout, encaissée, la découverte d'une pratique vraiment roborative. C'est durant la guerre que les trois frères de ma mère et elle-même durent s'éloigner de Paris. On les confia à des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l'histoire, tu l'avais presque totalement oubliée tellement elle fut recouverte de rancœurs, d'amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue désormais, et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses frères gardèrent les vaches, elle en plaisantait, alors qu'elle eut plus de chance, confiée à des agriculteurs plutôt riches et qui possédaient des employés. Ce qui ne l'empêcha pas d'être conspuée par les gamins des écoles qu'elle fréquentait. "Sale étrangère", le mot lui était resté. Et je ne comprenais pas cette méchanceté qu'elle me relatait parfois, la gorge serrée. L'Estonie, tu ignoras longtemps que ce pût être même un pays, une terre. Et quand tu le découvres enfin à l'adolescence, tu comprends encore moins la véhémence des gosses de jadis envers ta mère. Les Estoniens ne sont ni noirs, ni arabes, ni portugais, pas même italiens ; ils sont pour la plupart blancs comme tout un chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors… c'est étonnant. Et même le peu de gamins croisés en chemin durant ton propre parcours scolaire - des Roumains, des Russes, des Belges, des Slovaques - tu ne te souviens pas qu'ils eurent à souffrir trop de l'invective ni des moqueries. Ensuite, que tu apprennes en pension, en revoyant chaque année toujours le même film, l'histoire du père Kolbe, un catholique qui se sacrifie pour des juifs… tu feras peu à peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l'époque de l'Occupation, ça te mettra comme on dit la puce à l'oreille. Le martyre des juifs te toucha jusqu'aux os. Le désespoir que tu en éprouvas alors et cette magistrale colère restent étrangement toujours aussi vifs. Pourquoi certaines choses semblent dévoiler des parties intimes de nous-mêmes alors que d'autres nous laissent de marbre, indifférents ? Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie, pour que tous ces petits fragments s'agglutinent ensemble par nature, par catégorie, comme les déchets qui te fascinaient quand tu les examinais durant des heures, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l'histoire s'avance comme tu as toujours eu l'intuition qu'elle devait avancer, par une suite d'eurêka toujours plus douloureux les uns que les autres et non à travers les gloires, les victoires dont on sature les manuels d'histoire.


[18 janvier 2023->https://ledibbouk.net/l-histoire.html">18 janvier 2023

l’histoire

L’histoire officielle, celle que l’on découvre dans les manuels scolaires et qu’on est bien obligé d’accepter puisque c’est pour l’essentiel une relation à l’autorité. Si on ne l’accepte pas c’est tant pis pour soi. Tant pis vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des nôtres. C’est à partir de ces tant pis que l’on finit par s’éloigner peu à peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l’eau d’une baignoire . Une baignoire remplie d’eau glacée dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de résister ainsi. Et de s’étonner que ce soit, après la douleur de l’imagination surtout, encaissée, la découverte d’une pratique vraiment roborative. C’est durant la guerre que les trois frères de ma mère et elle même durent s’éloigner de Paris. On les confia à des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l’histoire tu l’avais presque totalement oubliée tellement elle fut recouverte de rancœurs, d’amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue désormais et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir, qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses frères gardèrent les vaches, elle en plaisantait, alors qu’elle eut plus de chance, confiée à des agriculteurs plutôt riches, et qui possédaient des employés. Ce qui ne l’empêcha pas d’être conspuée par les gamins des écoles qu’elle fréquentait. Sale étrangère, le mot lui était resté. Et je ne comprenais pas cette méchanceté qu’elle me relatait parfois la gorge serrée. L’Estonie tu ignoras longtemps que ce pusse être même un pays, une terre. Et quand tu le découvres enfin à l’adolescence tu comprends encore moins la véhémence des gosses de jadis envers ta mère. Les estoniens ne sont ni noirs ni arabes ni portugais,, pas même italiens ils sont pour la plupart blancs comme tout à chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors… c’est étonnant. Et meme le peu de gamins croisés en chemin durant ton propre parcours scolaire, des roumains, des russes, des belges, des slovaques, tu ne te souviens pas qu’ils eurent à souffrir trop de l’invective ni des moqueries. Ensuite que tu apprennes en pension, en revoyant chaque année toujours le même film l’histoire du père Kolbe un catholique qui se sacrifie pour des juifs… tu feras peu à peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l’époque de l’occupation, ca te mettra comme on dit la puce à l’oreille. Le martyr des juifs te toucha jusqu’aux os. Le désespoir que tu en éprouvas alors et cette magistrale colère, restent étrangement toujours aussi vives. Pourquoi certaines choses semblent dévoiler des parties intimes de nous-mêmes alors que d’autres nous laissent de marbre, indifférent. Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie pour que tous ces petits fragments s’agglutinent ensemble par nature, par catégorie, comme les déchets qui te fascinaient quand tu examinais ceux-ci , durant des heure, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l’histoire s’avance comme tu as toujours eu l’intuition qu’elle devait avancer, par une suite d’eureka toujours plus douloureux les uns que les autres et non aux travers des gloires, des victoires dont on sature les manuels d’histoire.


15 mars 2023

Singer

À la Varenne, l’appartement comptait trois pièces. L’une servait d’atelier de couture et de chambre pour ma grand-mère estonienne, Valentine. Un nuage de fumée y flottait en permanence. Elle fumait des « disques bleus ». La cigarette lui avait éraillé la voix. Elle confectionnait ses cravates, cigarette au coin des lèvres, sans cesser de travailler.


8 mai 2023

Esquisse d’une sensation ( exercice d’écriture )

Ce que déclenche en tout premier lieu, l’idée de la variation d’une phrase, c’est mon inaptitude à la réécriture. Ce blocage face à la musique. Cet excessif respect face à toute musique désormais après en avoir tâté et reconnu cette inaptitude. Après m’être fourré cette sensation d’inaptitude dans le crâne surtout. La sensation qu’on ne peut pas refaire ce qui vient d’être fait. Qu’il faille passer par une forme de destruction irréversible du passé pour recréer à vif. Et aussi, en opposition, cette sensation que ce qui est fait ne l’est pas entièrement par moi ou je. La sensation que réécrire c’est mettre un peu trop je en avant comme chef des opérations. La sensation que je ne suis pas que je quand j’écris. La sensation qu’éprouve le petit je ballotté par la langue , qu’ il le sait pertinemment, que ça, la langue, n’appartient pas qu’à lui. La sensation de vouloir entrer dans une langue qui en grande partie se refuse en raison d’une croyance qu’on y est avant tout pour moitié étranger. La sensation que si je me voue entièrement à la langue française je trahis la langue maternelle. Je les trahis car j’emprunte une autre langue, je les trahis tous ceux qui s’exprimèrent autrement qu’en français, en estonien, mais aussi dans le français de tous les jours, le français ordinaire, le français d’une époque, le français d’une période économique, politique, le français comme creuset de tous les drames, de toutes les tragédies, le laisser aller du français dans la violence verbale, la médiocrité, et parfois aussi sa tendresse très privée. L’exercice qui consiste à partir d’une sensation, de la tentative d’écriture de cette sensation, du manque que l’écriture en premier lieu ne peut dire. Comment est-ce que je m’en sors, ou plutôt ne parviens jamais à m’en sortir, de cette traduction personnelle de la sensation. Comment je l’esquive, comment je ne m’y appesantis pas alors que je m’appesantis sur tellement d’autres choses. comme pour me divertir, pour m’aveugler par et dans le divertissement. Comment je peux aussi me mettre à délirer au travers de cet exercice de traduction, devenir fou à lier parfois, en essayant de rejoindre quelque chose qui m’échappe en lui échappant moi-même le plus souvent. C’est à dire en bottant en touche.


5 juin 2023

Ma nuit arctique

Il y avait, je crois, en tout premier, une sorte de complexe d’infériorité culturelle énorme — et, en parallèle, une histoire d’immigration croisée. Elle, sa famille venait du sud, le berceau de la civilisation. Encore que la Sicile ait longtemps été une terre envahie par à peu près tout le monde. Et ma famille, elle venait du nord, de chez les barbares vêtus de peaux de bêtes — encore que l’Estonie ait bien des points communs avec la Sicile, question envahisseurs.


23 septembre 2023

Peindre

Peintres, peinture, Estonie, Saint-Pétersbourg, grand-père inconnu, maman, huile, cuisine, toile, boite à couleurs, marchand de couleurs, pinceaux, touche, tube, palette.


29 octobre 2023

29 octobre 2023

Les ponts ne se construisent qu’avec le temps. Avant, une idiotie salutaire nous en empêche. Il faut vivre. Deux femmes. Deux figures. Deux juives, élégantes, raides. Ma grand-mère estonienne. Cette restauratrice. Toutes deux comptaient. Les tranches de pain, les souvenirs.


15 janvier 2024

15 janvier 2024

A cause de la couleur cette année là— 1975— une couleur chaude entre l’orange la terre de Sienne l’ocre et toutes nuances, tons, valeurs se heurtant, s’épousant et se heurtant encore —au froid bleu du ciel, aux reflets de turquoise de la mer vineuse— mais qui ne sont pas plus désormais qu’ une photographie jaunie semblable à toutes ces autres photographies servant autrefois de lanceurs, de supports — provenant d’Estonie, mais dans lesquelles un petit bout d’étrangeté scintille sourd comme tout ce qu’on ne peut dire, qui est là et qu’on ne peut pas dire— mais qu’en reste t’il vraiment, à part ce que nous voyons encore dans le présent dans ce présent même où l’on se souvient de cette éternité vécue. Des gestes, des voix, des odeurs, des joues effleurées, des corps étreints, le goût des mets, l’impression laissée par les ambiances traversées, celles qui nous traversent que nous traversons. A cause de la couleur alors celle que peut prendre notre adolescence à ce moment-là et encore ici, bien après 1975, et cependant ne pas y sombrer, mais revenir dans la danse, spectateur et danseur, juste un instant, un petit moment pour être là, cette année là 1975, ce jeune type sur la photographie.


30 mars 2024

Gestes et usages

A cause de la couleur cette année là— 1975— une couleur chaude entre l’orange la terre de Sienne l’ocre et toutes nuances, tons, valeurs se heurtant, s’épousant et se heurtant encore —au froid bleu du ciel, aux reflets de turquoise de la mer vineuse— mais qui ne sont pas plus désormais qu’ une photographie jaunie semblable à toutes ces autres photographies servant autrefois de lanceurs, de supports — provenant d’Estonie, mais dans lesquelles un petit bout d’étrangeté scintille sourd comme tout ce qu’on ne peut dire, qui est là et qu’on ne peut pas dire— mais qu’en reste t’il vraiment, à part ce que nous voyons encore dans le présent dans ce présent même où l’on se souvient de cette éternité vécue. Des gestes, des voix, des odeurs, des joues effleurées, des corps étreints, le goût des mets, l’impression laissée par les ambiances traversées, celles qui nous traversent que nous traversons. A cause de la couleur alors celle que peut prendre notre adolescence à ce moment-là et encore ici, bien après 1975, et cependant ne pas y sombrer, mais revenir dans la danse, spectateur et danseur, juste un instant, un petit moment pour être là, cette année là 1975, ce jeune type sur la photographie.


30 avril 2024

Recherche sur la nouvelle

Difficile de donner une définition claire de cet endroit où l’on range des livres. Ranger c’est chinois dans le genre chinoiseries. La première bibliothèque dans le bureau du père, en faux acajou, de chez France Loisirs. L’odeur du feu de cheminée. L’odeur d’Amsterdamer. La collection de pipes ( il lit Simenon) La lampe Napoléon, le bureau Empire à sous-main vert olive. Le facteur, chaque semaine, ou peut-être deux fois le mois, livre les colis. Des livres brochés, à couverture rigide, lettres dorées , souvent, gravées dans ce qu’il faut sans doute imaginer être du cuir. Quelque chose qui fait penser au fer rouge. Il est interdit de toucher aux livres. En ôter un laisse une béance. Visible immédiatement. Donc pas touche. La bibliothèque de l’arrière grand père qui vit au rez-de-chaussée n’est pas visible au tout venant. Elle se trouve dans sa chambre à coucher. Limitée à deux ou trois étagères seulement. Tout François Coppée. Tout Alexandre Dumas. Tout Victor Hugo. Deux gros Bouillet. Ce sont des grands livres en cuir véritable avec des gravures. Ils sont peu pratiques à manier. D’ailleurs je ne les manie pas. On me les montre, parfois on en ouvre un sur la table de la cuisine. C’est une opération quasi religieuse. Tourner lentement les pages, lire lentement, regarder lentement. Parfois c’est seulement deux pages et pas plus. Puis on emporte l’objet pour le remiser à sa place. Ici la béance est seulement temporaire et vite rebouchée. La bibliothèque du père de mon père est succincte. Elle tient sur trois étagères dans un meuble en pin naturel . Ce sont des séries noires, des S.A.S. Et son Darwin : » L’origine des espèces » couverture rigide, usée car beaucoup utilisée. La bibliothèque de la mère de mon père est encore plus succincte : Un gros Tout en Un et quelques piles de Nous-Deux, Modes et Travaux, Rustica. Dans Nous-Deux il y a des romans photo en noir et blanc , pas très passionnant. Sans oublier, bien sur, le catalogue de la Redoute. Le tout tient dans la table de chevet. Le Tout en Un est près de la lampe , tout le reste est empilé sur les étagères en dessous. La bibliothèque de ma mère est grosso modo la même que celle du père. Elle peut emprunter tous les livres qu’elle veut. Mais elle les range une fois lus à leur place. Elle est ordonnée. Sur ce point elle est aussi vigilante que le père en matière de béance. Elle a conservé de sa vie d’avant leur rencontre 4 tomes dépenaillés d’U.H Tammsaare roman estonien , genre de saga intitulée « La terre des voleurs ». Chose étonnante je les ai encore avec moi. Je n’ai jamais eu de bibliothèque à proprement parler s’il s’agit d’un meuble où ranger des livres sur des étagères avant l’âge de 18 ans. Dans la chambre à coucher, les livres étaient empilés à même le sol près du lit. Et puis parallèlement j’ai fréquenté beaucoup de bibliothèques publiques. A partir de 8 ans, emprunter des livres me mettait en joie. Posséder un livre, l’idée m’est venue assez tardivement. A l’âge de 18 ans je bénéficiai soudain d’une occasion me permettant de me dire « j’ai moi aussi une bibliothèque ». Mais ce n’était probablement une chose que j’avais brigué intensément. Juste des pensées fugaces parfois. L’appartement que m’avait proposé un de mes oncles à la location était petit mais l’espace était exploité d’une manière incroyablement judicieuse. Dans ce qui faisait office de salon, des étagères avaient été construites dans des niches qui devaient être à l’origine des encadrements de portes menant d’une chambre de bonne à l’autre. Il y avait au moins 10 étagères de disponible. Ce fut l’occasion d’amasser plus que jamais. La plupart du temps des livres de seconde main, lors de promenades sur les quais. A l’âge de 20 ans je laissai soudain toute ma bibliothèque car je n’avais pas assez de place dans mon sac pour la transporter. J’errais de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel. Les livres que je lisais à cette époque étaient empruntées aux diverses bibliothèques auxquelles j’étais abonné. 9. Ici il faudrait que je parle sans doute de mon rapport avec les bibliothèques publiques. Notamment la bibliothèque du centre Georges Pompidou. Mais n’allons pas trop vite. Inscrivons Beaubourg sur un post it


[13 mai 2024→<a href="https://ledibbouk.net/13-mai-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/13-mai-2024.html**]

13 mai 2024

Est-ce que la vie ressemble à une éponge ou à une peau de chagrin ? Trouver la bonne distance avec les autres n’est pas une mince affaire. Trop proche, et on risque de se perdre soi-même ; trop loin, et c’est la solitude qui s’installe. Ma grand-mère estonienne parlait souvent du « juste milieu », et aujourd’hui, je pense comprendre ce qu’elle voulait dire. C’est un peu comme marcher sur un fil tendu entre deux tours : il faut un équilibre parfait pour ne pas chuter.


[22 mai 2024→<a href="https://ledibbouk.net/22-mai-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/22-mai-2024.html**]

22 mai 2024

Peu à peu, je m’aperçois aussi que je me suis mis à rejeter plus que l’idée de famille, celle de l’espèce tout entière. Ma mère, d’origine estonienne, se plaignait toujours de la négligence des gens en matière de sentiments. D’une grande sensibilité, elle se déséquilibrait à la moindre fausse note. Elle voyait l’Estonie comme une terre merveilleuse où les gens étaient plus attentifs, plus délicats, plus cultivés. Comme si je découvrais que je suis d’une espèce différente. En ce cas, le meurtre de la bête jadis serait, je l’ai souvent pensé, une des pires choses faites dans ma vie ou dans mes rêves. Le meurtre symbolique ou très réel d’une partie intime de moi-même au profit d’une part plus policée, domestiquée, celle des humains vivant en société, comptant sur l’idée de celle-ci pour s’inventer autant que se rassurer.


[19 juin 2024→<a href="https://ledibbouk.net/19-juin-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/19-juin-2024.html**]

19 juin 2024

Une chose à savoir c’est que les africains paient depuis très longtemps leurs factures de gaz avec leurs mobiles. Depuis plus longtemps que les estoniens. C’est qu’il fut certainement plus pratique de passer du téléphone arabe au portable, les coûts des infrastructures dont nous bénéficions nous, européens, leur étant exorbitants.


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Anthologie

Quelqu’un t’a prise en photo. Je ne sais pas qui. Peut-être quelqu’un qui te trouvait jolie. Quelqu’un qui était amoureux de toi. Bien que l’image soit en noir et blanc, que le tirage soit abîmé par endroits, je t’ai reconnue tout de suite à tes taches de rousseur. J’ai retrouvé ce carton parmi les affaires laissées par papa. Une chose conservée sans savoir pourquoi. La plupart des photos trouvées là ne m’évoquaient rien. Des visages inconnus, ou des gens que j’ai peut-être connus bien plus tard, plus âgés, mais que je ne suis pas parvenu à reconnaître. Il y avait aussi des clichés de la famille estonienne, légendés à la main, mais illisibles.


[23 mars 2024→<a href="https://ledibbouk.net/23-mars-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/23-mars-2024.html**]

23 mars 2024

J’ai misé beaucoup sur la créativité dès le départ ne voulant pas entendre grand chose de l’apprentissage, du travail à fournir, des traditions que nous sommes sensés suivre pour parvenir à une maîtrise. Je suis donc passé par beaucoup de difficultés et de doutes, risquant de nombreuses fois d’abandonner , de vouloir rentrer dans le rang, mais quelque chose d’impérieux m’en a toujours préservé. Il y a donc une sorte de détermination qui depuis le début ne cesse de me conduire à m’obstiner diront certains. Il fallait que je sache si cette détermination provenait de la vanité, de l’orgueil, d’un absolu manque de confiance en soi, ou bien d’autre chose, un démon, un ange, une force extérieure ou intérieure qui ne voulait pas s’en laisser compter et qui toujours me ramenait à sa propre intention mystérieuse. Puis au bout de mes considérations sur cet attachement à la créativité seule, je basculai soudain, d’abord imperceptiblement, comme un de ces grands arbres que l’on coupe dans les forêts d’Estonie. Puis je m’abattis de tout mon long sur le sol et je restais un long moment immobile.


[29 mars 2024→<a href="https://ledibbouk.net/29-mars-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/29-mars-2024.html**]

29 mars 2024

La route est longue pour Tipperary, d’ailleurs c’est marqué sur le panneau de la ville désormais, et c’est de l’humour irlandais, pas tout à fait le même que le british, enfin c’est sensé être marrant tout de même. Qu’est-ce qui a bien pu prendre à Jack de chanter cette chanson en 1912 ; en 14 elle deviendra un chant guerrier ; il faut se méfier de ce que l’on écrit comme de ce que l’on chante ; que ce soit pour se rendre à Tipperary ou ailleurs. G. était bien content ; ça se voyait ; il dansait littéralement au beau milieu de la grande salle de l’exposition son tas de papiers dans les mains ; une vingtaine de personnes étaient arrivées quelques minutes auparavant ; on n’y croyait même plus ; il avait tout préparé aux petits oignons ; grâce aux photos et vidéos que je lui avais envoyées ; réglage fin, 15 minutes chrono, 15 tableaux, un texte par tableau. Ensuite nous sommes revenus aux « Gourmands disent » rue Brossolette ; une entrecôte énorme ; je note en passant la bonne idée de remplacer les frites par des navets en tranches comme accompagnement. G. me propose que nous réitérions en octobre prochain notre collaboration picturo-poétique ; Ce sera au-delà d’Albertville, vers Moutiers, dans un village où vit S.B l’actrice et son compagnon musicien célèbre de Jazz, qui sont d’ailleurs des amis de notre futur hôte ; c’est loin octobre je me suis dit ; est-ce que je serais encore vivant en octobre tout de suite après. C. n’a pas dit grand-chose, elle était très calme ; ce qui l’a change du tout au tout. Ils partent en voyage en Europe centrale cet été à la rencontre des personnes rencontrées sur MyHeritage ; avec une carte Interrail. Ce qui me rappelle notre projet avorté de nous rendre S. et moi, en Estonie, presque aussitôt. Ce journal est avant tout un journal. Il faut que je note des faits divers. Les élucubrations littéraires ou pseudo intellectuelles sont de trop. Ce qui peut me fournir une piste de relecture éventuelle. En supprimant tout ce qui n’est pas du fait brut, une bonne cure d’amincissement. Le temps ne compte pas. Parfois je me retourne je me dis ça fait combien de temps mais le temps ne compte pas. Tout ce qui compte c’est de faire le job chaque matin. Cette journée de dimanche s’avère déjà épuisante ; il faut vider tout le bureau et retirer les lattes du parquet afin que N. puisse le refaire à neuf avec les anciennes lames de l’ancien parquet de la cuisine ; celles qui n’ont pas été déformées par l’inondation. Mais en m’organisant bien cela ne devrait pas me prendre plus que la matinée, ensuite si j’ai fini avant 11h, je peux même prévoir un voyage à la déchetterie pour finir l’affaire en beauté.


[9 avril 2025→<a href="https://ledibbouk.net/Double-Voyage.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/Double-Voyage.html**]

Double Voyage

Tu t’es réveillé en sueur, sans rêve en tête, mais avec cette sensation précise d’avoir oublié quelque chose d’essentiel. C’était la nuit d’avant. Celle où tu t’étais juré de partir. Tu avais encore hésité. Pesé, repesé. L’envie de fuir contre l’impossibilité de lâcher. Et puis tu avais compris : tu ne fuyais rien, tu cherchais à revenir. À cet homme que tu n’as jamais connu, ton grand-père. Parti d’Estonie, passé par Saint-Petersbourg, échoué à Paris. Tu portes sa blessure en creux dans la tienne. Tu repensais à ta mère. À sa manière de tout tenir sous un "ne t’inquiète pas", alors que tout s’écroulait. Et là, sur le bord du lit, tu avais su. Ce n’était pas un départ. C’était une tentative d’approche. D’un lieu. D’un fantôme. De toi.


[9 avril 2025→<a href="https://ledibbouk.net/Figures-absentes.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/Figures-absentes.html**]

Figures absentes

Johannes Musti est d’abord évoqué par une suite de suppositions : il est grand ou petit, selon l’humeur. Il quitte l’Estonie, fait un détour par Saint-Pétersbourg pour apprendre à peindre, puis atterrit à Epinay-sur-Seine pour participer à la création des décors de cinéma. Déjà là, le texte signale l’incertitude, la transmission lacunaire, la fabrique mémorielle : il boit, il a quatre enfants, il meurt. Et tout cela dans une économie narrative où chaque mot est une tentative de conjuration de l’oubli.


[11 avril 2025→<a href="https://ledibbouk.net/photofictions.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/photofictions.html**]

Photofictions

éblouissement total sitôt passé le seuil contraste brutal entre le soleil cru du dehors et le noir dans la pièce elle avance pourtant le panier déjà plein les poireaux qui dépassent elle commente les visages les trouve expressifs parle du marché parle de son mari peintre il a 94 ans il n’y voit plus elle parle d’un autre peintre elle dit Truphémus c’était plus fin avant maintenant c’est trop rapide trop flou elle ne trouve pas le mot le mot ne sort pas son dos se plie davantage elle ne monte pas l’escalier pas aujourd’hui elle préfère pas elle s’appuie contre le mur le pan de lumière l’avale presque elle me remercie me dit qu’elle le dira à son mari que c’était très beau il sera content elle sourit un peu puis repart et dehors c’est toujours aussi blanc deux enfants sur le seuil la mère derrière un chien couleur rouille tout est retenu mais tout veut entrer les enfants les regards tirent vers l’intérieur leurs jambes tendues leur mère qui les rattrape d’un mot d’une laisse il a les pattes mouillées il a couru dans l’eau dit-elle elle a honte de la terre sur les semelles les enfants ont déjà franchi la ligne ils grimpent au premier étage tout voir vite ils redescendent aussi vite leur souffle en morceaux dans l’escalier elle n’attache plus le chien ce n’est plus la peine merci monsieur bon dimanche dit-elle et ils glissent dans la lumière en laissant une odeur humide derrière eux ils s’arrêtent devant elle le tableau une jeune estonienne les enfants blonds l’accent de la mère bulgare ou estonienne elle dit c’est là vous vous souvenez sur la carte les enfants hochent la tête la femme lit le cartel moi je parle seul à voix basse les mots tournent je dis que ce n’est pas un portrait que c’est autre chose une relation avec une familiarité qu’on dérange une maladresse volontaire pour casser l’image je ne suis pas sûr que quelqu’un m’écoute je parle quand même je parle pour que ça sorte comme une coulée lente la femme surveille ses enfants qui touchent à rien mais bougent tout le temps ça fait du bien de parler de la vider cette voix comme on vide une boîte sans fond dans un musée vide elle arrive je savais qu’elle viendrait deux chiens rouge foncé langues dehors elle s’assoit les chiens aussi elle ne regarde pas elle parle déjà trop elle m’écrase de ses phrases elle me choisit comme on choisit un siège dans un train vide elle sait que je ne bougerai pas elle sait que je suis le genre à écouter à tout absorber elle le sait parce que c’est pareil chez elle orgueil miroir ce qu’on donne en échange de rien je demande pourquoi suisse trop tard elle déroule une heure un torrent ses mains bougent son front se détend elle repart plus légère moi j’ai plus de jambes heureusement que j’ai mon sandwich il est tiède mais vivant en train de manger mon sandwich assis sur la marche les cyclistes arrivent bras tendus ils tournent s’arrêtent demandent si c’est ouvert je dis oui sans savoir ils descendent ils grincent casque sur la tête ça craque quand ils les retirent vous êtes d’ici Soucieu-en-Jarrest non c’est à deux kilomètres on fait les expos quand on peut c’est divertissant elle dit divertissant il regarde le prix elle regarde les couleurs un tableau une mosaïque ils regardent tout sans parler ils repartent le frein de son vélo grince encore je reste là je mâche sans bruit je regarde les fleurs devant la tour une lumière basse les traverse je vois des insectes très petits ailes vives battement trop rapide pour l’œil ils passent de fleur en fleur comme des colibris miniatures comme des secrets


[1er août 2024→<a href="https://ledibbouk.net/1-er-aout-2024.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/1-er-aout-2024.html**]

1er août 2024

Je me souviens de la mère de ma mère , Vally, ma grand-mère estonienne. J’essaie de me souvenir d’elle afin de traquer les signes d’une fatigue plus ancienne. Vally était, au moment où nous la connûmes, mon frère et moi, une femme dépourvue de tendresse, dépourvue d’affect – du moins c’est l’idée qui me vient aussitôt que je me rappelle la difficulté des rencontres, tous les stratagèmes pour éviter les embrassades, les étreintes, et aussi l’indifférence cruelle dans laquelle elle nous tenait en tant qu’enfants. On ne pouvait pas en vouloir à Vally pour cela, elle était notre grand-mère maternelle, et l’histoire qu’on nous racontait sur elle n’était pas de la catégorie des histoires à l’eau de rose. Elle avait quitté l’Estonie avec son époux en 1917, à une époque où les bolchéviques, ayant conquis les terres baltes, les mettaient à feu et à sang. En fait la vérité je la su des années après, et encore après de nombreux doutes et tâtonnements, la véritable raison de leur exil c’était à cause des pogromes. J’avais toujours pensé jusque là qu’il avait fallu attendre les nazis, pour qu’on s’en prenne aux juifs ce qui ne collait évidemment pas avec les dates, mais en fait pogrom est un mot russe à l’origine. Entre 1881 et 1921, bien avant que les allemands ne s’en mêlent les juifs sont déjà des boucs émissaires en Russie et dans les pays baltes ; mais on s’en tiendra généralement pour l’histoire officielle à la Révolution, aux rouges. C’est ce que l’on dira pour expliquer leur exil et l’anticipation d’un manque de liberté qui freineraient leurs ambitions. Lui était peintre, elle couturière mais de haut vol puisque sa propre mère avait été au service des Rostopchine, peut-être même de Sophie, qui deviendra plus tard la comtesse de Ségur, lorsqu’elle s’installa à Paris.


[5 août 2025→<a href="https://ledibbouk.net/1965-la-varenne-chennevieres-bois-sombre-veinage-presque-efface-lames.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/1965-la-varenne-chennevieres-bois-sombre-veinage-presque-efface-lames.html**]

Emblème

mars 1975, Limeil-Brévannes L’adolescent saute du premier étage, les pieds s’enfoncent dans la terre meuble. L’odeur d’humus froid remonte avec l’impact. La lune éclate derrière les nuages puis disparaît. Un frisson lui parcourt les bras. Peut-être que le corps sait avant l’esprit. Peut-être qu’il porte du sang slave. Peut-être pas russe : estonien, finlandais, danois. Peut-être un sang sans patrie, sans drapeau. Peut-être que cette vérité restera endormie longtemps. Le jardin est aujourd’hui grillagé. La fenêtre a été remplacée par un vitrage coulissant. Je ne saute pas. Je sirote un café tiède. Le ciel est vide. Pas de lune pour bondir.


[7 août 2025→<a href="https://ledibbouk.net/la-remplacante.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/la-remplacante.html**]

la remplacante

La boulangère est partie en vacances. Une autre femme la remplace. Par de nombreux aspects — taille, regard franc, port de tête, voix extrêmement affirmée avec un léger accent — elle me rappelle ma grand-mère Valentine, la mère de ma mère. Mais je pense qu’elle est plus ukrainienne qu’estonienne. Ou peut-être ni l’une ni l’autre. J’ai immédiatement envie d’être aimable avec elle, sans pour autant être obséquieux. Depuis quelques jours, suite à un problème de monnaie rencontré avec sa machine, je fais les fonds de tiroirs pour rassembler toute la ferraille qu’on n’utilise jamais. Ces pièces de 2 ou 5 centimes, parfois 10. J’arrive devant la caisse, je la regarde et je lui dis : j’ai pensé à vous. Et là je sors ma poignée de pièces de ma poche pour la flanquer dans la bouche auréolée de vert de la machine. La femme qui me fait penser à ma grand-mère se rengorge imperceptiblement. Un léger mouvement du buste et du cou fait que le menton s’élève et qu’elle me regarde avec presque un sourire d’aise — de haut, si je puis dire. J’aime aussi suivre sa main, longue, fine, nerveuse mais musclée, lorsqu’elle la fait virevolter vers le panier à pain et qu’elle s’apprête à s’en saisir d’une. Celle-ci ? me demande-t-elle en l’indiquant alors de l’index. Celle-ci, je dis. Et elle l’empoigne avec une fermeté inconnue. Je veux dire que de mémoire, je n’ai jamais vu une main de femme empoigner quelque chose — fût-ce une baguette — avec une telle conviction. Une conviction qui va, si je puis dire, jusqu’au bout des ongles. Puis, une fois le pain inséré dans son pochon de papier, elle le pose sur le comptoir. Elle ne me le tend pas. Et là je me dis : ah, c’est encore autre chose. Quelle femme. Et je repars. En revenant chez moi, il y a un mélange bizarre d’images télévisuelles qui s’entrechoquent. Des images de l’Ukraine en guerre, des images de caves, et de femmes que j’imagine tout à fait semblables à celle-ci. Puis je pense aux hommes de ces femmes. Comment sont-ils ? Qu’est-ce qui fait qu’une femme comme celle-ci peut être attirée par un homme parmi ceux-là ? Je me demande. Puis je rentre chez moi, la vie poursuit son cours et je ne me demande plus rien à propos de cette femme. Jusqu’au lendemain matin.


[2 novembre 2025→<a href="https://ledibbouk.net/tallinn-1922.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/tallinn-1922.html**]

Tallinn 1922

illustration : Cette photo capture un moment très précis de l’histoire estonienne. En 1920, l’Estonie était en pleine Guerre d’Indépendance (1918-1920) contre la Russie soviétique. Les Britanniques ont fourni un soutien militaire important aux États baltes, incluant des chars comme celui-ci.


[5 décembre 2025→<a href="https://ledibbouk.net/5-decembre-2025-3715.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/5-decembre-2025-3715.html**]

5 décembre 2025

Quand aujourd’hui je relis les textes de 2019, je retrouve tout cela que j’ai envie de renier, je vois aussi le bricolage à l’œuvre : une manière de parler en « je » tout en gardant une distance de sécurité. Autrement dit, la naissance du dibbouk – ce double qui parle à ma place et encaisse pour moi – doit remonter à peu près à cette période, entre l’Oise noire, le cours de français et le fou rire étouffé de la classe, à moins qu’il ne vienne d’encore bien plus loin, d’un secret conservé de mère en fille depuis les pogroms d’Ukraine et de Biélorussie, et des quelques survivants réfugiés en Estonie, appartenant encore à l’Empire russe mais non comprise dans la zone de résidence.


[18 décembre 2025→<a href="https://ledibbouk.net/ete-2023-00-l-embarras-du-choix.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/ete-2023-00-l-embarras-du-choix.html**]

été 2023 #00 | L’embarras du choix

Elle vient d’une famille qui n’a rien à voir avec ma famille. Je veux dire que sa famille a du goût pour les belles choses, l’art, alors que nous, vu comme ça, sous cet aspect-là, nous serions plutôt du genre décati, néandertalien. Je crois que le désir de lire l’auteur dont elle me parle vient surtout de ce complexe familial. D’ailleurs, elle dit « les ignorants » quand elle détecte qu’on ne s’intéresse ni à l’art ni à la littérature, à rien d’autre que de tenter de joindre les deux bouts, en fait. La façon dont elle m’avait parlé de ce petit livre d’une centaine de pages m’avait donné l’envie, de même que la façon qu’elle a de pincer les lèvres d’une certaine manière m’avait donné envie de l’embrasser. Dans le fond, je me demande si ce pincement de lèvre très particulier, elle ne l’avait pas chipé à un bouquin d’Elsa Morante. Cette histoire de sourire codifié dans « Oublier Palerme ». Mais le livre en question n’était pas d’Elsa Morante, pas plus que de Doris Lessing. Elle m’avait aussi pas mal tarabusté avec son Carnet d’or, mais vu le volume de la chose j’avais reculé en arrière de dix mètres aussitôt. Que les choses soient bien claires. Il vaut mieux supprimer les fausses pistes tout de suite. Il y avait ça, je crois, en tout premier : une sorte de complexe d’infériorité culturel énorme, et en même temps une histoire d’immigration parallèle. Elle, sa famille venait du Sud, le berceau de la civilisation, encore que la Sicile fût, durant une grande période, une terre envahie par à peu près tout le monde ; et la mienne de famille, provenant du Nord, de chez les barbares, vêtus de peaux de bêtes, encore que l’Estonie ait beaucoup de points communs avec la Sicile, question envahisseurs. D’une certaine façon, elle m’accultura exactement comme ces pays envahis, parfois, peuvent le faire. Par petites touches, elle m’aida à m’extirper de ma nuit arctique. Après la lecture de ce livre, je ne fus plus tout à fait le même. J’avais compris l’essence du désir, la présence d’un tiers nécessaire, surtout pour l’aiguiser au paroxysme, ainsi que la jalousie qui soudain en découle, et une belle envie de meurtre. Mais je ne saurais pas expliquer mon engouement pour les îles qui, en douce, sans tapage, mais tellement profondément, s’installe en moi à partir de la lecture de ces cent pages où il ne se passe presque rien, au demeurant. À croire que le vide apparent du bouquin m’aura servi à le remplir de quelque chose m’appartenant, sans même que je n’en prenne conscience à cette époque.


[18 décembre 2025→<a href="https://ledibbouk.net/ete-2023-03bis-de-sept-d-un-coup-a-quatre.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/ete-2023-03bis-de-sept-d-un-coup-a-quatre.html**]

été 2023 #03bis | de sept d’un coup à quatre

Henri était un autre aîné, fils du peintre estonien qu’avait épousé Valentine, ma grand-mère maternelle. Très grand, très fort, une montagne, mais avec ce regard triste de ceux qui ne sont jamais satisfaits, qui se gâchent la vie à souhaiter obtenir autre chose que ce qu’ils ont. Il a eu une première partie de vie dans le bon sens : travail, famille, costumes, voiture, maison. Puis il a fait volte-face, comme si ce qu’il avait voulu, il ne le voulait plus. Il a voulu autre chose, mais c’était trop tard. La contrariété l’a rendu malade. Paralysie d’un côté, comme si une moitié de lui-même avait lâché. Il a vivoté. Il a vivoté. Puis il est mort et ses cendres ont été dispersées dans le jardin du souvenir du cimetière de Valenton.


[18 décembre 2025→<a href="https://ledibbouk.net/ete-2023-05-la-mort-de-vania.html" class="spip_url auto" rel="nofollow">https://ledibbouk.net/ete-2023-05-la-mort-de-vania.html**]

été 2023 #05 | La mort de Vania

TÉMOIN 1 — MOI De Vania, je ne sais presque rien, et pourtant je le sais par cœur : c’est le paradoxe. On nous a appris à parler bas de lui, comme d’une anomalie qu’on tolère tant qu’elle ne fait pas de bruit. Un Russe chez des Estoniens, un homme qui vivait là "depuis toujours", donc personne ne se souvenait vraiment du début. Un dimanche, ou un jour de semaine, je rentre du lycée, je vois la mob bleue d’Henri devant la maison, la vieille pourrie avec ses protège-mains dégueux. Dans la cuisine, deux verres à moitié vides sur la table. Je m’apprête à monter, je fais comme si la saloperie d’Henri n’était pas entrée dans mon oreille, et c’est ma mère qui dit, d’une voix neutre : "Faut qu’on te dise : Vania est mort." Je ne sens rien sur le moment, ou je le cache, parce qu’eux guettent un signe sur mon visage. Mais derrière la phrase, ce qui remonte d’un coup, c’est la pêche comme prétexte, les bords de Marne, l’embarcadère face à une île, le grand saule, et ce silence à deux qui ne gêne pas. Et l’emblème au-dessus de son lit, dans la salle à manger : deux poignards encadrant une tête de mort, une plaque patinée, et trois livres en russe sur une étagère. Je me dis : j’aurais aimé garder ça. Et c’est là que le monde montre sa grimace.


[21 décembre 2025→<a href="https://www.ledibbouk.net/octobre-2019.html" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.ledibbouk.net/octobre-2019.html**]

Octobre 2019

15 octobre [RÉCIT] — Le petit juif chétif avec son histoire de porte. Rêve récurrent, porte close, nullité effroyable. J’ai tout mon temps pour l’écouter. Décidé d’être juif depuis quelques années. Grand-mère estonienne éludant toujours, Disque bleue et fumée bleutée. L’exégèse m’est congénitale. Une petite salope certaine que je l’étais. N’ai jamais revu le petit juif, mais j’avais saisi le message. Les portes ne m’ont jamais posé problème, j’en ai défoncé plus d’une.


[21 décembre 2025→<a href="https://www.ledibbouk.net/decembre-2019.html" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.ledibbouk.net/decembre-2019.html**]

Décembre 2019-synthèse du mois

11 décembre 2019 — Ils arrivèrent en novembre. Deux hommes du Nord. Le plus grand, Estonien. L’autre, Russe. La grand-mère prononça des mots dans une langue inconnue. Marc sourit. Il sortit des présents : thé, conserves, poupées gigognes, jeu d’échecs magnifique. Ils étaient venus pour un film sur Eduard Wiiralt, peintre estonien que la grand-mère avait connu à Paris. Diaspora russe et estonienne, pauvreté, espoir, idées, art. Wiiralt mort à Paris, achevé par le désespoir. Après leur départ, le jeune homme se découvrit des origines nordiques. Il se plongea dans le Kalevala. Il se mit à marcher dans les bois, sur les collines. Voulait surprendre dans le vent de vieilles paroles oubliées. Prolonger ces vies, ces histoires, afin qu’elles ne disparaissent pas dans l’oubli.


[21 décembre 2025→<a href="https://www.ledibbouk.net/avril-2025-3873.html" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.ledibbouk.net/avril-2025-3873.html**]

Avril 2025

→ "Figures d’absence, première trame" : Dans le train Lyon-Paris, relecture des textes de l’an dernier. Les figures absentes. Les pères. Les morts. Johannes Musti (le grand-père estonien jamais connu). Vania (le remplaçant, le petit moujik devenu barin). Le père dans l’étang (qui nage vers l’horizon). L’arrière-grand-père de Bourganeuf (mort le dernier jour de la Grande Guerre). Robert aux deux visages (le conteur jovial et l’ombre inquiétante). L’arrière-grand-père lecteur de Victor Hugo. "Au moment de refermer la tablette je m’aperçois que je n’ai évoqué que des figures d’hommes."


[22 décembre 2025→<a href="https://www.ledibbouk.net/aout-2025-3878.html" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.ledibbouk.net/aout-2025-3878.html**]

Août 2025-Synthèse du mois

5 août — Grande musique, chansonnette à fiv sous, quelle différence vraiment ? Même chose pour le roman de gare et le prix Nobel. Qui distingue, qui juge ? Il arrive un moment où plus rien ne se distingue. En animant des ateliers de dessin, je suis parvenu à un plateau où tous les critères s’étaient effondrés. Ce qui comptait : qu’un geste ait eu lieu. Mais les parents attendaient la gloire. Peut-être que cette équanimité n’était qu’un effet de fatigue. — Avec les adultes, la même chose. Technique comme béquille pour retrouver la confiance. Schwab : « Et l’envie dans tout cela ? » Envie de transmettre ou envie d’être reconnu ? La célébrité me dégoûtait désormais. Médiocrité devenue norme. L’échelle de valeurs s’était inversée : le sommet et le bas confondus. — La démocratie devenue mensonge, la France où défilent les dirigeants les plus corrompus sans que cela n’émeuve. Abêtissement collectif poursuivi avec méthode. — Reste une oscillation ténue. Schwab : « quelque chose derrière ’il n’y a rien, cela ressemble au néant, mais malgré cela’ ? » Une fidélité sans objet. Une obstination muette. Une manière de rester là, à l’endroit où le langage s’effondre. — 1965, La Varenne-Chennevières : au-dessus du poêle, une plaque de bois sombre avec tête de mort et poignards croisés, lettres cyrilliques. Peut-être un trophée arraché dans une ville en flammes. Peut-être rien. — Mars 1975, Limeil-Brévannes : l’adolescent saute du premier étage. Peut-être qu’il porte du sang slave. Estonien, finlandais, danois. Peut-être pas. — Vacances d’hiver 1966 : l’Assimil russe, un homme robuste : « Répète après moi : ia lioubliou… » Haleine d’ail et d’oignon. Derrière le mur : « Pourquoi lui apprendre le russe ? » — « Parce que je n’ai plus rien que mes souvenirs. » — Fort de Vincennes, 1982 : un nom prononcé : Kornilov. Peut-être qu’il aurait dû répondre non.


[25 décembre 2025→<a href="https://www.ledibbouk.net/25-decembre-2025.html" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.ledibbouk.net/25-decembre-2025.html**]

25 décembre 2025

Puis je me suis dit encore cette idée récurrente : il serait temps que tu en finisses avec ça. J’ai cherché par mot-clé Estonie, juif, mère, et j’ai vu qu’il y avait encore de quoi faire pour mettre tous ces textes en forme. C’est-à-dire ne pas les « mettre en forme », mais trouver la forme qui leur correspondra le mieux. À la fin, j’ai pensé à Aby Warburg, à ses « séries ». Ma rage de dents m’ayant, malgré le médicament, emporté vers le matin, c’est à cet instant où j’ai retrouvé ce mot, série. Ce mot qui coïncide avec l’un de mes leitmotivs de peintre, mais qui résonne surtout de plus loin. C’était l’accent lamentable de ma grand-mère estonienne quand elle disait « mon chéri ». « Ma séri », disait-elle, « je ne comprends pas pourquoi t’acharnes, c’est un enfant il ne comprend rien. » C’est sur ce mot, à la fois méthode et caresse lointaine d’une langue hachée, que j’ai pu enfin trouver le sommeil.

Pour continuer