Avril 2025

1er avril — L’idée que le temps ait une épaisseur. Qu’il ralentisse quand on médite. Ou plutôt qu’il s’absente. Cette rébellion ancienne contre l’oisiveté, ce refus des injonctions. Quand j’ai tout mon temps, je le gaspille. Délibérément. Une vengeance dérisoire qui me blesse autant qu’elle vise. Mais c’est la seule façon de reprendre possession du temps volé.

Texte avec triple voix (texte / sous-conversation / note de travail) sur le temps, l’oisiveté, le refus

2 avril — S’entendre parler, ce frottement insupportable. J’ai commencé à enregistrer mes textes. Pour m’irriter mieux. J’ai balisé mes lectures : // pour souffler, /// pour sombrer. Ma voix a changé depuis les vidéos de peinture. L’absence de dents n’aide pas. J’ai écouté P.A. lire L’Illiade. Deux minutes. Moi, douze minutes sur Miéville. Toujours trop. Cette foutue limite que je ne sens pas. S. revient jeudi. Il faudra réintégrer le monde.

3 avril — L’élite fabrique en même temps l’oppression et son opposition. Cette évidence a pris un air weird. Le mot culture, son autorité tranquille, m’a toujours mis mal à l’aise. Le son, surtout. Les voix. Il y avait du faux. Depuis la maternelle. Une oreille morale précoce, intuitive. Comme si le corps savait avant l’intellect.

Texte avec analyse réflexive de la méthode qui s’auto-analyse : "Retour sur la méthode"

Référence au Facteur Cheval et son Palais idéal

4 avril — S. de retour. Pas un événement. Une sensation rance. L’étouffement. Le trop. Le rien. Alternance : haine de soi / désespoir de soi. Mis X en privé. « 40 jours / La ville » : nettoyage intégral. Réécriture de Gor en panne. Nouvelle idée : un livre privé. Pas pour être lu. Pour être rangé. Une boîte. Un plan. Écrire, ce n’est pas raconter, c’est ranger le chaos.

6 avril — C’en est fini du travail de réécriture. Cette fatigue blanche, cette limaille dans la tête. Je devrais faire cela chaque jour, mais il y a ce double écueil : le ralentissement d’abord, puis l’empressement. S. me dit que je devrais peindre. Plus elle le dit, moins je peins. Une sourde résistance. Hier, acheter des plantes pour la cour. Un vrai plaisir. Les noms m’ont échappé aussitôt. Puis l’épuisement est tombé d’un seul coup. Et cette plaque minéralogique. Le monde vous retient par des riens. Un soulagement si total qu’il ressemblait à une défaillance.

7 avril — Cette nuit, le mot ritournelle s’est mis à battre. J’ai descendu chercher Mille Plateaux. Mais je possédais déjà le mot, avant toute lecture. Un afflux d’images : marelles, enfants qui sautillent, feuilles mortes, cartes gravées dans l’écorce. Un paysage d’enfance composite. L’odeur de l’automne — humus, bois pourri. Nous étions au printemps. Je relis. On dirait presque du Bergounioux. Panique légère. À quel point suis-je influencé par ce que je lis ? Mais j’ai ma voix. Les mots tenue et relâchement sont arrivés comme deux ivrognes dans un bar tranquille. Bergounioux : une langue minérale, de sédentaire. La mienne : langue de vagabond, d’exilé perpétuel. Toujours pâteuse, grasse, fertile mais anarchique.

8 avril — Parler encore. De ce mot. Générosité.

Long texte en trois mouvements (⁂) sur la générosité : le mot usé, les attentes millénaires (ciel, corps, sexe, nature), puis le flux final "Je donne tout"

"Double Voyage – Vers un objet littéraire" : notes d’avril sur la réécriture de textes de 2023, structure sous-jacente, motifs récurrents (figures paternelles, lieux, objets-souvenirs, boucle du départ avorté, mélancolie du temps flottant)

9 avril

"Double voyage" : dix propositions d’écriture

  • 00. Prologue : deux listes de dix lieux (réels/imaginaires) avec un intrus
  • 01. La nuit d’avant : lieu qui hante
  • 02. L’arrivée dans la ville : deux fragments (mémoire/invention)
  • 03. L’impossible retour : à la manière de Michaux
  • 04. Étapes : même halte, réelle puis inventée
  • 05. Usages du monde : neuf repères d’un voyage (limbes, luxure, gourmandise... trahison)
  • 06. Qui raconte, à qui ? : dialogue entre voyageur et auditeur
  • 07. Un tout petit voyage : Saint-Bonnet, l’étang, le père qui nage
  • 08. Reconstitutions : fragments disjoints sur Johannes Musti
  • 09. Tout le monde raconte l’histoire : à la manière de Wittig
  • 10. Trois cartes postales & une fiction : Self Place Clichy

"Figures d’absence, première trame" : Dans le train Lyon-Paris, relecture des textes de l’an dernier. Les figures absentes. Les pères. Les morts. Johannes Musti (le grand-père estonien jamais connu). Vania (le remplaçant, le petit moujik devenu barin). Le père dans l’étang (qui nage vers l’horizon). L’arrière-grand-père de Bourganeuf (mort le dernier jour de la Grande Guerre). Robert aux deux visages (le conteur jovial et l’ombre inquiétante). L’arrière-grand-père lecteur de Victor Hugo. "Au moment de refermer la tablette je m’aperçois que je n’ai évoqué que des figures d’hommes."

Ce que ces journées de réécriture m’apprennent, c’est à disparaître. Une certaine paix à s’effacer. Suivre presque chaque jour le journal de H.P.L. sur YouTube. Des phrases maigres, serrées. Ça me parle. Café. S. m’apprend que M. s’est acheté une machine à moudre les grains. Direction Darty. Fond de l’œil chez l’ophtalmo. Déjeuner chez E., couscous réchauffé. Givors pour le micro-ondes. Chanas pour les lunettes. 82 euros de différence, S. paie. Je me sens minable.

Lu Thierry Crouzet sur les outils de l’écriture. Le Markdown. Pendant longtemps, j’ai noirci les interfaces WordPress. Puis SPIP. Puis Obsidian. Maintenant je vois des différences sur les sites : typographie pensée ou improvisée.

11 avril — Tous pensent pareil. Prison sans promenade. Un moment d’élan, puis non : c’est encore la prison. Le service de l’évasion fait partie de l’administration carcérale. Ennui en lisant quelques articles d’EAN. Le problème, c’est moi. Si au moins je pouvais m’atteler à quelque chose de solide. Mais l’enthousiasme se dissipe. Cette lucidité carnassière, fausse amie. Elle me regarde de travers. On dirait mon père.

Ces armées de cyniques, je les ai croisées. Haillons sur le dos, champ de bataille du bureau. Parfois, j’ai envie de dessiner une machine à café de deux mètres de haut sur le mur de mon atelier. L’odeur rance des moquettes, la transparence des cloisons, l’étendue affolante de l’open space. Oppression généralisée.

Pourquoi vous prenez-vous, jeune homme ? Ce vieux professeur d’allemand de S.S. Osny. Saint-Stanislas. Le rapprochement est gros comme une enseigne en néon. Ces anciens déportés revenus jouant les kapos en blouse grise. Poinsard. L’infâme Poinsard. Merde. Qu’on me foute la paix.

Un roman noir serait parfait. Un tueur en série. À la fin, un gamin de sept ans. Du sang aux lèvres. Un vol d’oies sauvages. Puis en bas la voix d’un sale lutin : aller on rentre c’est l’heure de la soupe, pépère.

12 avril — Si j’écris : elle faisait partie de ces rêves dans lesquels on croit que l’on peut encore se sauver, s’enfuir mais dont on s’aperçoit avec stupéfaction, colère, désespoir qu’on n’avance pas — est-ce une phrase qui tient debout ? Ou faut-il des contreforts de tous les côtés ?

Ce que je veux dire : elle était d’une telle profondeur de mollesse qu’elle m’étouffait. Et cet étouffement me plaisait. Peu à peu les neurones s’avachissaient. Me munissant d’un couteau à trancher le pain, je tranchais dans le vif. La 4L s’élança. Pas loin, plus de carburant, mais suffisant. Je m’étais mis sur orbite.

On ne doit pas dire de mal ainsi, surtout des femmes. Je restais indécis durant des années. Fallait-il le dire ? Mais l’être humain est tout autant désespérant, mâle ou femelle. Il y a un petit côté j’ai tout lu j’en peux plus que je ne cacherai plus.

Est-ce que je crois à tout ce que j’écris ? Pas sûr. Mais j’y crois — pleinement — le temps que ça s’écrit. J’ai acquis une endurance. Pas à la douleur — au doute.

13 avril — Ranger, classer. Chantier monumental. Classer tous les textes du carnet par thématiques. J’ai créé 11 thèmes : Miroir manquant / Le livre refusé / Corps flous, identités mouvantes / Fatigue du je / Écrire sans garantie / Fragments de croyance / Survie syntaxique / Les nuits dans SPIP / Mémoire désordonnée / Ce qui reste quand on se tait / Vers une fiction possible.

Des centaines d’articles. Indigeste. L’essai sur la fatigue comporte 46 textes. Peut-être supprimer complètement les dates, les url. Si c’est un objet, il faut qu’il soit à part. Le sortir de la cuisine.

Les petits-enfants sont arrivés hier soir. Pause donc. Dimanche L. et N. viennent déjeuner. Deux gros poulets, un sac de pommes de terre. Il pleut. Dommage pour la promenade.

14 avril

"Carum et garum" : texte sur les lettres C et G, le son [k] et [g], l’origine du F, les alphabets abjads phéniciens, la ville de Tyr (Ṣūr), la lecture de l’invisible. "Je suis une consonne oubliée d’un alphabet sans voyelles. Pour me lire, il faut deviner."

-- Bergounioux. Je lis et je me dis : voilà quelqu’un qui sait ce qu’il fait. Pas de fioriture. Juste la langue, dense, précise. Et moi ? Je tourne en rond.

15 avril — La fatigue est revenue. Pas spectaculaire. Juste là. Une présence sourde.

16 avril — Travail sur le site. Réorganisation des rubriques. Création d’un agenda de publication pour Gor. Mise en place d’une licence Creative Commons.

17 avril[MICRO-FICTION] — Texte sur l’attente.

18 avril[MICRO-FICTION] — Suite.

19 avril — Conversation avec C. sur l’enseignement. Il me dit : tu devrais peut-être ralentir. Je réponds : j’ai déjà arrêté.

20 avril[ATELIER suite Malt Olbren] — Nouveaux exercices de variations.

21 avril — Relu Lovecraft. Je me demande ce qui reste aujourd’hui du fantastique tel qu’il l’a conçu. Peut-être rien. Ou peut-être tout, mais autrement.

22 avril[FICTION EXPÉRIMENTALE] — Texte sur la dislocation du récit.

23 avril — Repris Gor. Avancé sur le chapitre 3. Mais je sens que quelque chose cloche. Le rythme ? La voix ? Je ne sais pas.

24 avril — Knausgaard encore. Je me demande si l’autofiction n’est pas juste une manière de ne pas avoir à inventer. Ou au contraire : une manière d’inventer autrement.

25 avril[ATELIER suite] — Derniers exercices de la série Malt Olbren.

26 avril[MICRO-FICTION] — Texte sur la disparition.

27 avril — Bilan du mois. Fatigue. Réorganisation. Lectures. Écritures par à-coups. Décision d’arrêter les cours. Travail sur Double Voyage et Gor. Mais surtout : une sensation de flottement. Comme si tout était en suspens.

Pour continuer