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Immortel

Tout ce qui a pour unique fonction d'arrêter le temps, de rendre exactement semblables chacune de ces journées, et cette inertie posée ainsi pour ne jamais rien en vouloir modifier, n'est-ce pas là le but dissimulé d'une volonté maladive d'être immortel. Ce serait drôle alors que je ne cherche jamais que tout moyen possible pour crever. Tellement drôle et ridicule qu'il doit y avoir au fond de tout ça une belle évidence A moins que justement cette obsession ne soit qu'un élément compris dans le paquet, vouloir en finir avec cette vie là ne signifie nullement qu'on n'en désire pas- en secret- une toute autre. Et dans ce cas tous ces textes brefs, comme ces petits formats que tu réalises ne sont que les symptômes d'un mal à respirer, d'une carence du souffle. Un halètement. Et soudain ce souvenir revient, c'est la nuit, une nuit d'hiver particulièrement froide lorsque vous habitiez à la sortie de ce virage, en contrebas de la route, à Parmain dans le Val d'oise, ce chien qui s'était fait heurté par un véhicule. Il y avait eut un cri déchirant que tu avais entendu de la chambre, tu étais descendu en pantoufles, tu étais allé voir. Le chien haletait, ses yeux dans les tiens au moment de l'agonie, un échange d'une intimité si troublante, tu étais le chien tout à coup que la violence du monde avait heurté blessé à mort et tu haletais toi aussi. Exactement comme aujourd'hui. Peut-être parce qu'au fond de toi se précise de plus en plus l'abomination d'être immortel.|couper{180}

Immortel

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Effondrement

Les jours passent, les dates d'exposition se rapprochent et je reste bras ballants, comme si j'opposais d'une façon farouche, butée une inertie à tout projet auquel j'aurais donné mon accord il y a longtemps dans le temps, et que ce temps justement ne soit plus du tout le même. Qu'il ne soit plus constitué des mêmes intentions, espoirs, intérêts etc. Je retrouve là ma détestation des agendas ; ces perpétuels aller-retour qu'ils obligent à effectuer d'un temps à l'autre, autant passé présent que futur et qui me réduisent à une girouette tournicotant sur un axe, au sommet d'un clocher d'église. L'église serait en l'occurrence cette carrière de peintre. Quelque chose s'est effondré ou continue de s'effondrer lentement mais inexorablement. Sensation parfois peu agréable de ne plus habiter quoique ce soit d'autre que l'écriture, exactement comme autrefois quand j'écrivais mes petits récits au jour le jour dans mes innombrables chambres d'hôtel. Impression que tout me fuit ou que je fuis tout sauf écrire. Il n'y a que cela qui me tient en haleine, qui me procure l'illusion certainement d'être encore vivant. Mon épouse ne comprend pas. Elle ne cesse de me dire que désormais les lieux d'exposition qui font appel à nous sont de plus en plus prestigieux. Et peut-être que c'est justement ce mot- prestigieux- qui m'agace autant qu'il m'effraie. Toujours cette idée que tout prestige d'une part ne peut venir que trop tard, et que de l'autre il faille souvent être complètement mort pour avoir accès vraiment à sa réalité. Or je suis encore vivant merde, plus tout à fait comme avant - mais vivant tout de même. En attendant je marche sur des œufs, impression d'être en suspension au dessus d'un gouffre d'une immense béance qu'auront formé mes illusions perdues. Cette inertie demande un acharnement sans pareil pour être maintenue dans cet univers qui oblige au mouvement, à enchaîner action après action sans réfléchir puisque une décision autrefois fut prise en amont. Cela requiert aussi une illusion d'unité envers soi, une parole gravée dans le marbre qu'on ne peut sans en subir les conséquences extrêmes, modifier ou totalement gommer.|couper{180}

Effondrement

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Tribus

Quetta 1986 Hier soir j'ai repris l'Aleph de Borges, traduit par Roger Caillois, et je me suis mis à décortiquer chaque paragraphe lentement après avoir lu la première nouvelle sur les Immortels. Les deux temps de la lecture se passent souvent ainsi, le premier m'emporte sans que je ne puisse réfléchir, et il m'arrive alors de penser que je reconstruis mon propre récit au fur et à mesure des diagonales que le regard pose sur la page pour glaner des mots ou des groupes de mots parmi les plus suggestifs ; la seconde est toujours plus attentive, j'oublie tout ce que j'ai inventé, et je cherche à savoir vraiment ce que me dit l'auteur. Cette seconde lecture est plus fastidieuse, car elle détruit en grande partie le premier récit, le mien en même temps qu'elle procure une sorte de soulagement inexplicable. Peut-être qu'il s'agit dans un tel cas que de s'intéresser vraiment à l'autre, à ce qu'il désire exprimer et comment surtout il l'exprime. Ce mécanisme ne se rencontre pas seulement dans la lecture, mais dans toute interaction avec autrui. Toute rencontre ainsi se déroule sur deux plans à partir de ce que je crois être un choc premier, une sorte de brutalité. L'autre surgit que ce soit dans une réalité ou dans un texte et ma première réaction est d'interpréter aussitôt son discours avec mes propres filtres, images, intentions, tout un imaginaire qui est une façon de poser un mur de défense à ce que j'imagine être un envahissement. Cela m'effrayait beaucoup lorsque j'étais plus jeune, j'y voyais concrètement la manifestation d'une volonté farouche de solitude, et aussi le peu d'intérêt parallèlement pour la réalité en générale, que celle-ci provienne d'autrui ou du décor, du contexte. En repensant à cette ville, à la Quetta que j'ai connue autrefois, presque aussitôt me revient l'image des tribus et de toute la violence très concrète que la scission des opinions, des intentions, des appartenances mettait en scène quotidiennement. L'armée venait presque chaque jour et mettait en batterie des mitrailleuses depuis les toits surplombant la grande place du bus terminal , on tirait dans le tas les jours de manifestation, le sol était jonché de cadavres, puis un couvre feu s'imposait parfois durant plusieurs jours le temps nécessaire pour que les tribus se calment, enterrent leurs morts, que la vie reprenne doucement. Pourquoi j'écris cela ce matin, sûrement après avoir lu quelques posts sur Facebook. Et j'y retrouve en grande partie tout ce qui me fait souvent fuir les réseaux sociaux, ou, quand j'ai du temps à perdre émettre des remarques. Ces remarques, ces commentaires, il me semble que souvent c'est pour remettre de l'huile sur le feu, pour contredire un consensus, ou encore des intentions troubles détectées - les miennes très certainement d'ailleurs. Ensuite je ferme la fenêtre, je rumine tout cela, je pèse le pour et contre pour essayer de ´savoir ce qui m'appartient ou pas justement. Puis je passe à autre chose. En tous cas le mot tribus m'est régulièrement insupportable quand je le vois surgir dans mon esprit. J'ai toujours refusé les tribus, d'appartenir à la moindre, la violence permanente qui les fonde m'ennuie souvent au plus au point désormais. L'ennui serait-il un pansement à la violence, la mienne comme toute en générale, une violence permanente...|couper{180}

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Un moment en suspens

Le fléau de la balance oscille encore un peu, mais la tare semble juste, peut-être s'agit-il de patienter quelques instants de plus pour que la pesée soit enfin lisible. C'est dans ce moment que tu regardes autour de toi les toiles accrochées aux murs de l'atelier. Elles sont dans une même attente de dénouement que toi. Parfois une impatience t'envahît et tu serait prêt à faire n'importe quoi pour t'en deliver. Prendre le plus gros de tes pinceaux et tout biffer, ou tout recouvrir de Gesso, tout recommencer encore et encore jusqu'à ce qu'une configuration magique achève enfin toute chose. Mais tu ne le fais pas, tu restes immobile au sein de l'impatience, tu fixes l'envahisseuse , la questionne sans relâche, comme un vieux sphinx mi grognon mi triste d'avoir laissé filer Oedipe. Tu pourrais aussi bien être une sirène après le passage d'Ulysse. Un dieu, une créature légendaire dépossédé de tout pouvoir. Comme si c'était cette voie exactement que tu avais voulu. suivre coûte que coûte pour voir, sentir, vivre, ce moment de suspens. Tu te souviens de Bernard Palissy, de son impatience, de ses meubles et tableaux brûlés, tu éprouves la sensation d'une petite victoire tout à coup, puis tu la répudies aussitôt.|couper{180}

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un son pour faire tomber les murailles

Tu t'approches en effectuant des contorsions, des spirales vers un centre, et ce afin qu'il ne t'écarte pas brutalement. Que tu aies la possibilité même minime de l'entrevoir. Tu ruses ainsi pour t'approcher d'un tel centre, ou tu crois ruser, car ce mouvement n'est sans doute dû qu'aux mauvaises expériences engrangées, une conséquence naturelle suite à la fréquentation excessive de la ligne droite. Bientôt tu vas relire, c'est encore ce cran supplémentaire nécessaire à la disparition définitive qui peu à peu s'impose également comme naturel. Et c'est ce que tu attendais. Tu t'es bouché les oreilles jusqu'à ce jour pour patienter plus qu'humainement dans l'impatience. Pour entrer mort ou vif dans ton naturel. Et désormais tu tends l'oreille, tu attends le son, celui capable de faire s'écrouler toutes les murailles qui pourraient encore subsister autour de cette ville inconnue, de ce corps inconnu, de ce cœur inconnu, de cette âme inconnue, autant de sons qui feront souffler Moby Dick, et toi face au monstre les mains nues, sans harpon, tu noueras une nouvelle alliance, et bien sûr tout cela se fera sans effort, tout cela sera naturel. C'est ainsi que le voyage et l'écriture finissent par se confondre dans un mot, comme dans un espoir, celui de s'approcher de ce centre où tu seras naturel.|couper{180}

un son pour faire tomber les murailles

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Vers qui marche-tu vraiment

Cet autre, ces autres, c'est sans doute plus facile de dire ces autres que l'on ne connaît pas, vers qui l'on marche, vers qui on se dit que l'on marche, vers qui le prétexte d'un voyage. Mais était-ce bien un prétexte, en toute honnêteté tu n'y avais guère songé. Le voyage, l'idée de celui-ci était abstraite, des formes des masses des couleurs floues avant tout, un élan vers une autre possibilité de chaos que celle que tu connaissais déjà, à laquelle tu étais habitué, et dont tu étais déjà fatigué sans doute. Le voyage romprait l'ennui pour faire soudre de sa coquille brisée un espoir de renouveau. La jeunesse se fabrique de telles illusions et la vie ensuite l'entraîne à les pousser à leurs extrêmes, peut-être en raison d'un but tout à fait obscur au début mais qui devient clair avec le temps et les kilomètres effectués. En définitive la vérification d'une intuition fugace, de l'ordre de celles qu'on repousse le plus longtemps possible avant de pénétrer dans l'âge dit adulte. Et ces autres rencontrés en voyage au bout du compte qui sont-ils en auras- tu vraiment pris conscience, hormis ta propre définition posée sur ces autres, des possibilités différentes toujours de toi-même traversant l'ennui d'être la plupart du temps, c'est à dire cette relation figée avec le monde, un point de vue fixe, une même cause entraînant les mêmes conséquences. Et l'agacement surgit presque aussitôt que quelqu'un te relate ses rencontres, ses voyages car tu ne peux jamais être complètement dupe que ce ne sera toujours que de lui-même qu'il ou elle parleront, parfois bien mieux que toi tu ne seras désormais capable encore d'en parler, de t'enivrer naïvement à parler de toi de cette façon. Ce ne sont pas les voyages qui t'auront mené à ce silence, mais l'écriture qui, par son chemin souvent tortueux, t'aura conduit à cette évidence, des milliers de mots, des kilomètres de lignes ajoutées aux lignes, des pages et des pages, une masse, un corps vivant issu du tien de plus en plus mort. A un tel point mort que parfois tu imagines écrire depuis le fond de ton cercueil, depuis une tombe, comme pour passer l'éternité que continue à produire l'ennui sur tes os blancs.|couper{180}

Vers qui marche-tu vraiment

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Le corps, la première fois

J'espérais qu'en tapant le mot clef première fois sur ce moteur de recherche, je tomberais sur autre chose que des expériences sexuelles, mais non, c'est ce qui revient en priorité, des pages et des pages de première fois où il, elle, m'a ... etc. Pourtant il y a une multitude de premières fois dans une vie, des premières fois pour tout - et ce serait juste celle-ci que l'on retiendrait, aux dépens de toutes les autres. Alors je me suis mis à penser au corps, à ce qui l'anime désormais pour qu'il ne soit pas seulement ce corps dont l'expérience la plus importante, celle que l'on voudrait retenir avec cette étiquette, une expérience sexuelle. En même temps que la phrase de Kafka continue à effectuer sa progression, creuse de plus en plus de strates, met à jour des zones inconscientes. Je regarde par la fenêtre. il y a une autre phrase qui se superpose à la précédente : l'homme, animal à fenêtres Et naturellement la notion d'orifice surgit comme synonyme de cette fameuse fenêtre. Si le corps humain possède des orifices c'est pour que s'effectue un échange entre le monde et lui, ce de façon reflexive ; et ces échanges ne sont pas tous d'ordre sexuel. A moins que l'on ne veuille tout voir que par un prisme freudien, ce qui réduit les pistes de réflexion à une peau de chagrin. Qu'est ce que le corps sinon de la poussière et de l'eau, car c'est ainsi qu'historiquement son origine se raconte depuis la nuit des temps. On peut évidemment en rire tant la définition paraît à première vue archaïque. Mais probable que ce rire est une façon d'éluder quelque chose que l'on désire ne pas vouloir comprendre surtout en raison de l'importance de l'esprit qui règne aujourd'hui. L'esprit confondu avec le cerveau, avec une conscience se logeant dans ce dernier , ce qui est loin d'être une certitude. Ce qui est probable c'est que le corps, cervelle inclue, ne soit pas seulement une mécanique biochimique animée uniquement par une volonté personnelle et encore moins une volonté sexuelle. C'est bien plus un lieu situé dans l'espace et le temps, un lieu d'échanges et à ce titre il semble qu'il ne soit pas si different de cet autre lieu d'échanges qu'est la ville. L'esprit d'une ville, comme l'esprit d'une entreprise humaine quelconque, se loge t'il dans un cerveau, et où se situerait dans ce cas cet organe ? Il semble que tout corps se meuve se déploie avec d'une part une volonté consciente des entités qui l'habitent, mais aussi un certain nombre de buts inconscients sans doute bien supérieurs en nombre que l'on imagine. Et de plus au delà du conscient et de l'inconscient ne pourrait-on pas imaginer quelque chose d'autre, de plus supérieur encore qui serait l'âme. Encore un mot qui n'a pas une réputation favorable dans les milieux intellectuels contemporains. Mais peu importe d'être à la mode, il me semble qu'on ne saurait renier des millénaires d'expérience humaine à propos d'un tel mot, ce serait faire preuve d'une prétention, d'un orgueil, d'une ignorance, d'une solitude incommensurables. Maintenant j'y vois un peu plus clair grâce à toute cette obscurité perçue. Et coïncidence qui n'en est une qu'avant d'être saisie comme donnée logique d'un raisonnement qui se construit, ce chant du coq au matin que j'entend en écrivant ces lignes. Ce chant du coq toujours tellement le même, qu'il ébranle par l'ouïe tout l'espace et le temps. Il suffit juste de tendre l'oreille, cet orifice pour que ce chant pénètre à l'intérieur du corps, secoue toutes les molécules de poussière et d'eau mêlées et le ramène à un chant du coq primordial, à une origine. Et l'intuition soudain jaillit que ce ne soit pas la seule origine, c'est à dire la mienne, la toute première fois que mon oreille a surpris ce chant, mais elle fait référence à une mémoire bien plus profonde. Maintenant puis-je dire qu'il s'agit d'une mémoire de la poussière, d'une mémoire de l'eau, des deux éléments conjoints, ou encore d'une âme éternelle qui, par l'entremise de cette fenêtre de cet orifice qu'est l'oreille se souvient ? je crois que c'est encore plus fort ou fabuleux encore, un coq chante dans l'aujourd'hui et son chant me ramène en même temps au passé qu'il m'entraîne dans l'avenir. Donc par une simple connection attentive, peut-être une attention qui provient d'autre chose que seulement la volonté, conscience ou inconscience, il est possible de percer des murailles, d'accéder à une origine qui n'est pas un point perdu dans le temps, l'espace, mais une origine qui n'a ni commencement ni fin.|couper{180}

Le corps, la première fois

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le voyage du corps

Quetta 1986 À quel moment le corps se dédouble t'il durant un voyage ; à quel instant précis passe t'il du corps rêvé au corps haï, ou pire à cette indifférence que le voyageur entretiendra désormais avec son propre corps. Comme si désormais le corps n'avait plus la moindre importance, qu'une nécessité de cohérence était révolue, se fut enfuie soudain en même temps que toute soif. Et qu'est-ce que la soif, l'eau, la femme, sinon des symboles dont le désir s'empare pour créer une image de soi, une ressemblance. Le désir de soi et le désir du monde dilués dans une même soupe, une même soif. Peut-être est-ce à Quetta, au moment exact où le voyageur marcha de la nouvelle ville vers l'ancienne, dans cet étrange no man's land qu'il traversa, que le voyageur perdit toute envie de maintenir une image trop mensongère de lui même, qu'il renia toute ressemblance éventuelle avec son Créateur. Alors qu'il marchait sous le soleil brûlant, il sentit soudain que ses épaules se débarrassaient d'un fardeau lourd et encombrant ; son pas se modifia soudain, il ne fut plus si régulier qu'auparavant, mais celui d'un homme ivre cherchant en vain à créer non sans dérision. un nouveau corps, une nouvelle cohésion, un nouvel équilibre,et bien sûr échouant à chaque fois. Un désir vague de pluie s'empara de lui, chose étonnante dans ce pays où jamais il ne pleut. Le voyageur n'était plus qu'un amas de poussière ambulant qui avait rejeté l'eau que pour mieux la désirer autrement. Ce jour là, il gravit la colline menant à l'hôtel luxueux où il avait découvert que l'on pouvait commander du café lyophilisé, il but sa tasse à toutes petites gorgées en faisant une moue de dégoût. A un moment la nostalgie de la France ne se réduit plus qu'à la nostalgie du goût d'un bon café songea t'il. Puis il reposa sa tasse, paya et jura qu'on ne le reprendrait plus à payer si cher pour une boisson si médiocre.|couper{180}

carnet de voyage

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Rien et quelque chose

Quetta aujourd'hui. A force de remonter à la même origine d'une rencontre, d'une ville, d'une parole entendue, d'une image, il se pourrait que tu découvres qu'il n'y ait rien. Rien du tout. Tout à fait le genre des grosses pochettes surprises, où si peu. Du même ordre que ce presque rien dont tu t'es toujours évertué à vouloir créer quelque chosede spécial... en bien ou en mal ça n'a guère d'importance. Mais tu peux saluer cette obstination au même titre que ta peur. Oui tu peux saluer les deux comme deux mains se rejoignent : ce rien qui laisse apparaître quelque chose.|couper{180}

Rien et quelque chose

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L’arrivée à Sonora

illustration Georgio De Chirico (ébauche d'un second texte pour l'exercice l'arrivée de l'atelier d'écriture) Il n'y a pas d'indication pour parvenir à Sonora, et son homonymie avec des villes existantes laisse le voyageur dans une indécision qui peut durer longtemps, parfois même des années. Aucune carte n'en fait mention, aucune image satellite ne permet de l'explorer assit derrière un écran. Les Google cars seraient dit-on- déroutées presque tout de suite vers d'autres villes du même nom sitôt qu'elles auraient comme mission de la photographier. Le voyageur qui voudrait se rendre à Sonora ne peut compter sur les méthodes habituelles, les atlas géographiques, voire les récits d'autres voyageurs qui l'auraient visitée, car nulle preuve indiscutable ne subsiste pour s'appuyer sur le fait que cette ville ait un jour réellement existé, qu'elle existe toujours. Cependant qu'elle demeure à l'instar des légendes, comme un récit que s'échangent les voyageurs quand vient la nuit et qu'ils cherchent à se réunir dans l'espoir de trouver un peu de chaleur humaine. Encore que ces récits sont peu fiables ; et l'art de mentir, d'inventer des villes, de vouloir se distinguer les uns par rapport aux autres, incurable tare de nombreux voyageurs, s'il ne nuit pas à la réputation légendaire de Sonora ne saurait en aucun cas en rendre compte fidèlement. Aussi je ne peux fournir que ma propre version de ma visite à Sonora, qui ne sera pas plus fiable que toutes les autres. C'est simplement la mienne telle que je crois l'avoir vécue et voilà tout. En tant que voyageur rompu au voyages je me suis souvent rendu compte que la ligne droite n'était jamais le meilleur moyen de se rendre d'un point à un autre, qu'il valait bien mieux oublier celle-ci et faire confiance aux oiseaux, aux vents, aux mille signes que l'environnement produit sur soi pour trouver son chemin, souvent semblable à une spirale, celle du jeu de l'oie par exemple. L'errance et la sensation de tourner en rond, bien qu'assez désagréables pour la plupart des voyageurs débutants, souvent bien trop pressés de parvenir à leurs destinations, finissent par devenir des alliés de confiance. Aussi, c'est après avoir voyagé ainsi, à pied, à cheval, en prenant de nombreux autobus, des trains, et mêmes parfois des aéroplanes que le hasard de la route me déposa à l'orée de cette ville à la tombée de la nuit. Bien qu'il fasse presque noir complètement lorsque je j'arrivais, je sentis que je parvenais enfin au terme d'une longue traversée (essentiellement constituée d'immenses étendues désertiques) Une fragrance provenant de la végétation qui entoure la ville m'indiqua sa présence presque immédiatement. Bien que je ne puisse rien voir de celle-ci, j'en éprouvai déjà jusqu'au fond du cœur une joie étrange, comme lorsqu'on retrouve un vieil ami au détour d'une rue. Chose étonnante, car de mémoire je n'avais jamais mis un pied dans Sonora. L'odeur qui me monta au nez remua des souvenirs enfouis si profondément que je me mis à repenser à ces contes à dormir debout dans lesquels il est question de vies antérieures et de souvenirs qui s'obstinent à vouloir transiter d'une vie l'autre dans le périple de l'âme et toutes ses réincarnations. Cependant que je réfléchissais je marchais d'un pas assuré vers le point où je sentais battre le pouls de la ville. Ce fut d'ailleurs à cet instant précis où j'affermissais mon pas, que j'aperçus les premières silhouettes des habitants qui, chose encore plus étonnante semblaient venir à ma rencontre.|couper{180}

L'arrivée à Sonora

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le jour où éclatera la vérité

Toujours ce programme, un très vieux, le jour où tu oseras dire la vérité, tu seras seul complètement, Non parce que plus personne ne t'adressera la parole, mais parce que toi tu seras muet totalement. Qu'une fois cette terrible vérité lâchée il ne te restera plus suffisamment de force, de désir, d'illusion pour tenter de communiquer avec qui que ce soit. Et dans le fond n'est-ce pas ce que tu fais régulièrement, mais jamais complètement. Toujours ce louvoiement agaçant. Mais un louvoiement dont tu tires l'illusion salutaire d'une survie. Sauf que le but était de vivre ce qui est bien sûr devenu un cliché sur lequel tu ne reviens pas, tu ne reviens plus. Exactement comme ces négatifs rangés dans des boites en carton. Tu entr'ouvres une boîte tu aperçois quelque chose qui brille encore faiblement à l'intérieur, tu refermes vite la boîte. Mais de temps en temps si le climat est favorable tu arrives à récupérer un tout petit peu d'audace. L'audace chez toi est une affaire d'hygrométrie et sans doute rien de plus.|couper{180}

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Des livres lus au mauvais moment

Tu repenses à ce petit livre qui t'ébranla à l'adolescence, premier amour De Beckett qui se confond bizarrement encore avec celui du même titre de Tourgeniev. Pourtant tu n'as pas lu les deux livres dans la même période. En tous cas il te reste une sensation désagréable. Si désagréable qu'elle t'en rappelle une autre tout aussi désagréable à propos de la mort, une pensée fugace mais en même temps violente et douce paradoxalement, sur le néant. L'amour, la mort, le néant. Un néant affreux à première vue mais qui si on le fixe un tant soit peu se métamorphose en une étonnante consolation. Y a t'il des livres que l'on ne doit pas lire avant d'avoir atteint un âge certain, c'est à dire cet âge où les lire nous fera plus de bien que de mal... cette indécision qui surgit en même temps que cette pensée recèle sûrement un trésor. Le même que les autruches doivent chercher en enfouissant leurs têtes dans le sable. Ainsi cette sensation désagréable que l'on conserve d'un fait, ou de la lecture d'un livre il se peut qu'on ne la remette plus jamais par la suite en question. On continue sa trajectoire avec cette sensation - et elle pollue d'autres faits et ainsi de suite - et ensuite on plonge forcément dans l'erreur de dire oui oui je sais j'ai lu premier amour de Beckett, et de donner son opinion sur Tourgeniev ou autre chose encore à l'appui d'un simple mécanisme produit par la paresse et l'inquiétude. Parfois tu te demandes si tu n'as pas compris ce livre justement parfaitement au bon moment, seulement pour prolonger quelque chose, une sorte d'avarice, la jeunesse tu n'as pas fait exactement comme ces autruches.|couper{180}

Des livres lus au mauvais moment