Ceux qui cherchent la conscience dans le cerveau ne la trouvent pas. Elle semble se situer au-delà et tous ceux qui ont expérimenté une EMI (expérience de mort imminente) rapportent qu’ils peuvent traverser les murs, se rendre d’un point à un autre seulement par l’intermédiaire du désir, voire de la peur, ce qui est à peu près la même chose. La conscience alors existe-t-elle vraiment au-delà de notre corps physique ? Existe-t-elle vraiment avant même notre incarnation ? Existe-t-elle vraiment après notre mort ? Qu’appelle-t-on alors « conscience » ? Est-ce l’âme ? Et quelle part du « petit moi » réside dans cette conscience ou cette âme ? Parallèlement à ce questionnement, ne vaudrait-il pas alors examiner les résultats que la conscience produit plutôt que de passer du temps à tenter de définir sa nature ? Dans le monde, tout est dualité, le fameux Yin et Yang asiatique mais aussi le bien et le mal des civilisations judéo-chrétiennes. Notre époque, à l’appui de ses croyances nouvelles dans le domaine des sciences humaines ou dures, évoque toujours la même dualité même s’il lui est nécessaire d’user de mots nouveaux tels que « entropie et néguentropie », « ordre et désordre », jusqu’à la particule qui peut avoir la double casquette de « rien et de quelque chose ». Cette notion de séparation reste immuable au travers du temps, quelle que soit la façon dont on la nomme. En peinture, le but est l’harmonie, cependant pas n’importe laquelle. Une fois un certain ordre établi dans un tableau, que ce soit par les masses, les couleurs, les lignes, il s’avère que le peintre se refuse à vouloir le reproduire de la même façon exactement. Ainsi, pour échapper à la notion de « cliché », de répétition, la volonté de modifier l’ordre du tableau se fait-elle impérieuse et semble nécessiter le retour au désordre en premier lieu. De ce désordre posé sur la toile par la main, on pourrait appeler cela « inconscience », dans l’exercice d’esquiver l’injonction de l’œil, de la conscience (formatée par des schémas classiques cette fois), de ce désordre donc, la Conscience, au sens plus large cette fois, aurait alors la faculté, aidée par l’œil à nouveau, d’une relecture du chaos pour en extraire les informations utiles à une nouvelle structure, à un agencement nouveau des formes, des lignes et des couleurs. Ce qu’on appelle « original » serait alors cette action de la conscience réorganisant le chaos non dans une habitude mais dans un choix d’informations organisées de façon inédite. Cette notion « d’originalité » en outre nous ramènerait à cette notion « d’origine », nous inviterait en quelque sorte à pressentir la naissance perpétuelle des mondes à partir des choix effectués par la conscience. Toute naissance est un trouble cependant et l’ordre ancien rassurant en est directement affecté. Dans la volonté de confort que nous recherchons pour lutter contre nos craintes, dont les sources seraient autant externes qu’intérieures, nous évitons la notion de jeu que la vie propose. L’aspect ludique, sans tenir compte des enjeux plus ou moins sérieux que nous posons sur celui-ci, est directement relié à l’aléatoire. La réalité, comme l’œuvre d’art, se rejoignent dans un espace-temps résultant d’un « tirage au sort » qui semble provenir du hasard mais qui, peut-être, n’est rien d’autre qu’une nouvelle réalisation artistique de la conscience.

reprise nov.2025

On peut passer sa vie à se demander où se cache la conscience, si elle flotte au-dessus du cerveau, si elle survit à la mort, si elle existait avant nous. J’ai longtemps tourné autour de ces questions, en lisant des récits d’expériences de mort imminente, des histoires de gens qui traversent les murs et se déplacent par pur désir ou par peur. Mais au bout d’un moment, j’ai compris que je n’avais aucun moyen sérieux de trancher. Ce que je peux observer, en revanche, c’est ce que fait la conscience, comment elle travaille, et là, la peinture me sert de laboratoire. Quand je commence un tableau, je cherche d’abord un minimum d’ordre : des masses, quelques lignes, des rapports de couleurs qui tiennent ensemble. Très vite, je sens la tentation de me répéter, de reproduire ce qui a déjà marché. Si je cède, j’obtiens un cliché. Alors je casse. Je salis une zone, j’ajoute un trait qui déséquilibre tout, je fais entrer une couleur qui n’a rien à faire là. C’est un moment de désordre volontaire, presque d’« inconscience » : je laisse la main décider à la place de l’œil, je sabote l’harmonie acquise. Pendant quelques minutes, la toile devient illisible. C’est après que la conscience revient, mais autrement. Je me recule, je regarde ce chaos relatif, et je commence à repérer des possibles : une forme qui se détache, un contraste qui mérite d’être poussé, une zone morte qu’il faut sacrifier. Ce qu’on appelle « originalité » tient peut-être à ce travail-là : accepter le désordre, puis organiser ce qui en sort, non pas selon l’habitude, mais en choisissant des relations nouvelles entre les éléments. Ce va-et-vient entre ordre et désordre, je le retrouve ailleurs que sur la toile. Dans la vie, nous passons notre temps à vouloir fixer les choses pour avoir moins peur : routines, rôles, opinions. Quand quelque chose vient tout bouleverser, on parle de crise, de hasard, de malchance. On oublie que c’est aussi l’occasion de recomposer autrement, à condition de regarder en face ce qui a été mis sens dessus dessous. La conscience, pour moi, n’est plus une entité mystérieuse perchée au-dessus de la tête, c’est cette capacité à revenir après coup sur le chaos et à décider ce qu’on en garde, ce qu’on laisse tomber, quel dessin on accepte de laisser apparaître. Ce n’est ni un grand principe cosmique, ni une propriété magique du cerveau : juste une façon de lire et de réécrire sans cesse ce qui nous arrive. Que ce processus continue ou non après la mort, je n’en sais rien. Mais je sais qu’à chaque fois que je me tiens devant une toile en train de se faire, je vois au moins ça : une petite conscience à l’œuvre, occupée à choisir sa prochaine forme.

résumé

Ce texte montre un homme de 2019 saturé de questions métaphysiques — conscience, âme, avant/après la mort — et de vocabulaire pseudo-scientifique, mais qui ne trouve pas vraiment de prise dans ces hauteurs-là. Il compense en ramenant tout à ce qu’il connaît : l’atelier, le tableau, le geste. Il a besoin de croire que ce qui se joue dans sa peinture a une portée plus large que son seul cas, que son rapport au chaos et à l’ordre dit quelque chose de la condition humaine. En même temps, il commence déjà à se méfier des grands mots : on sent qu’il sait confusément que les Yin/Yang, entropies et EMI lui servent surtout de décor. L’homme de 2019 est donc pris entre deux élans : celui de vouloir penser « la conscience » à l’échelle du cosmos, et celui, plus solide, de l’observer dans sa propre main qui casse et reconstruit un tableau. C’est un spéculatif qui commence à revenir au concret, mais qui n’a pas encore renoncé à se rêver en petit métaphysicien de son atelier.