C’est une tarte à la crème amère reçue en pleine face que cette fameuse injonction « d’avoir un peu plus confiance en soi » et ce qui m’aura le plus fait buter sur cette locution, ce n’est pas tant le mot de confiance que celui de « soi ». Avoir confiance en soi, je veux dire vraiment, revient un peu à avoir la foi en Dieu, si tant est que l’on soit croyant dans le bon sens que cette affirmation nécessite. Donc « aie confiance en Dieu », c’est un peu fort de café tout de suite… cependant va savoir. Sans cela, Spinoza n’est qu’un penseur pour rien, sans cette intuition que Dieu est la source de toute sa pensée comment aurait-il pu tenir la distance ? C’est bien un problème de foi dont il est question avec la conscience et la confiance. Sans cette confiance aveugle en quelque sorte, la conscience ne voit rien du tout. La confiance oriente dans le bon sens la conscience et ainsi cette dernière éclaire-t-elle le réel de façon lumineuse. On peut renâcler tant qu’on veut finalement, le Soi est bien plus grand que ce petit moi qui ne cherche toujours que le confort et la sécurité par des voies pas toujours bien avouables. Justement, c’est en décidant un jour d’abandonner le confort et la sécurité à tous les étages que l’aventure de l’art, pour moi, a commencé. Je ne partais pas du tout gagnant dans cette histoire, pétri de timidité, donc d’orgueil mal placé, un peu beaucoup menteur et voleur, j’aurais pu facilement devenir un bandit de grand chemin, un escroc ou un gigolo de bas étage tant je manquais totalement de confiance en « moi ». Mon sens d’adaptation ne fut pas utilisé à bon escient pendant une partie de ma vie, pas dans le bon sens pour en revenir à mon propos. Sans foi, il n’y avait aucun sens à choisir quoi que ce soit, tout était bien égal, je dirais même plus « il le fallait », autant la joie que la peine, et « à quoi bon » alors régnait comme potentat sur ce beau désordre. La grâce pourtant m’a, depuis mon plus jeune âge, envoyé bien des appels de phare que j’ai conservés comme un trésor enfantin dans une toute petite boîte dans une partie cachée de mon cœur. Oh, pas des grandes choses tu sais, juste un éclat de lumière sur un caniveau, la blancheur éclatante des fleurs de cerisier, mais cela avait suffi pour entrevoir une autre réalité possible. Dans la collection des combats vains, celui de combattre la grâce n’est pas le moindre. Refuser d’être choisi par celle-ci pour ne pas quitter le groupe est aussi vain qu’héroïque à première vue. Gilgamesh décidant de revenir sur terre ignore soudain le ciel mais ne sait pas non plus que tout cela fait partie d’un plan qui le dépasse. Qui donc est dépassé finalement sinon ce petit « je » qui ne cesse de se questionner, de douter, d’espérer, bringuebalé entre l’idée de la chute et celle de la rédemption ? Entre Charybde et Scylla, encore une fois, essuyer les grains et poursuivre vers l’horizon, quel que soit celui-ci, dans l’espoir malgré tout d’être sur le bon chemin, le meilleur chemin, celui du retour.

Reprise nov. 2025

Longtemps, “avoir un peu plus confiance en toi” a été pour moi une phrase de punition. On me la servait comme une tarte à la crème : au lycée, dans les entretiens d’embauche, plus tard encore, chaque fois que quelqu’un voulait me remonter sans trop se mouiller. Ce qui coinçait, ce n’était pas la confiance, c’était le “toi”. Quel “toi”, exactement ? Le type timide, orgueilleux, un peu menteur et voleur, qui arrange les choses pour retomber sur ses pieds ? Si c’était ça, non, je n’avais aucune envie de lui faire confiance. Quand je regarde en arrière, je vois très bien la vie qui m’était offerte : utiliser mon sens de l’adaptation pour flirter avec les marges, bricoler des combines, me glisser là où l’on peut profiter un peu des autres sans trop se faire attraper. Escroc moyen, gigolo fatigué, bandit de grand chemin sans panache : tout était en place. Je manquais de confiance en “moi”, mais je savais très bien de quoi j’étais capable. C’est à ce moment-là que quelque chose d’autre s’est mis à insister, que j’appelle faute de mieux la grâce. Rien de spectaculaire : un éclat de lumière dans un caniveau un matin de pluie, la blancheur brute des fleurs de cerisier sur fond de ciel sale, un fragment de silence dans le vacarme. Des choses vues enfant que j’ai rangées sans le savoir dans une petite boîte, quelque part au fond de la poitrine, et qui revenaient frapper à la porte à chaque fois que je faisais un pas de trop vers le “à quoi bon”. La véritable bascule s’est faite le jour où j’ai accepté de miser sur ces signes-là plutôt que sur mon confort. Concrètement : refuser un emploi stable qui m’aurait assis, dire non à une combinaison “gagnante” où je pouvais arrondir les fins de mois sans scrupule, et choisir à la place un atelier froid, des factures en retard, des toiles invendues. Je ne l’ai pas fait parce que je croyais soudain en mes talents de peintre ; je n’avais aucune raison objective d’y croire. Je l’ai fait parce que quelque chose en moi disait : “c’est là que ça se joue, ici et pas ailleurs”. Appelle ça foi si tu veux. Ce n’est pas une foi en un Dieu bien dessiné, ni en un Grand Soi lumineux. C’est une confiance obstinée dans ces quelques expériences minuscules qui trouent le désordre et qui, pour moi, ne relevaient ni du hasard ni de la psychologie. À partir de là, “avoir confiance en soi” a pris un autre sens. Il ne s’agissait plus de gonfler le petit moi pour qu’il s’impose dans le monde, mais de cesser de lui laisser les commandes quand il réclame sa sécurité, ses garanties, ses excuses. Le moi voudrait un contrat signé, une assurance tous risques, une reconnaissance officielle ; ce que j’ai accepté, c’est autre chose : marcher avec cette boîte d’enfance dans la poche et considérer que c’était suffisant pour choisir. Je ne sais toujours pas très bien si je suis “sur le bon chemin”. Je sais seulement que chaque fois que je retourne vers le confort et que je trahis ce pacte-là, tout se remet à sonner faux. La confiance, pour moi, commence là : dans cette façon un peu têtue de dire oui à ce qui m’a appelé le premier, même si je ne le comprends pas entièrement.

résumé : un homme de 2019 qui étouffe dans les injonctions psychologiques modernes mais ne peut pas se contenter non plus d’un scepticisme plat. Il a besoin de réinterpréter “la confiance en soi” comme une affaire de foi — non pas foi en son ego, qu’il connaît assez bien pour ne pas s’y fier, mais foi en une série de petits signes qu’il appelle grâce. Il se vit à la fois comme très vulnérable au “à quoi bon” et comme mystérieusement “appelé” par autre chose. Entre ces deux pôles, il dramatise beaucoup (Spinoza, la grâce, Gilgamesh), signe qu’il n’a pas encore appris à dire simplement ce qui s’est passé : un jour, il a mis en jeu son confort pour l’art, sans garantie. L’homme de 2019 est donc à la fois lucide sur ses dérives possibles, tendu vers une forme de vocation, et encore englué dans un vocabulaire grandiloquent qui lui permet de tenir à distance la nudité de ce choix.