
Depuis l’école, il est là, cet insupportable qu’on nous apprend à tolérer à coups de mauvais points, de claques, de coups de règle sur les doigts. Peu à peu, la résignation s’installe, et l’habitude finit par dominer.
Puis vient l’entrée à l’usine ou au bureau, et il faut bien composer avec l’atmosphère morne des petits matins, la cohue dans les transports en commun, les vociférations des petits chefs, et cette transparence que nous opposons aux rêves des filles qui aspirent à quelque chose de stable et rassurant.
Notre vie entière devient une longue habitude à supporter l’insoutenable, par oubli, fatigue, lassitude. À quoi bon, se demande-t-on parfois ? Il faut parfois un choc, une déflagration immense pour que nous nous réveillions et redécouvrions cette réalité, intacte, toujours là. Des tours qui s’effondrent, des salles de concert jonchées de cadavres, des événements d’une monstruosité hors norme. Alors seulement, on se dit « merde, rien n’a changé », et tout revient nous frapper en pleine figure.
Et puis, les jours passent. Nous replongeons dans le quotidien, l’oubli. Nous reprenons notre place dans les files d’attente, nous nous efforçons de ne pas égorger nos semblables, nous payons nos impôts et nous votons. Pas par véritable espoir, mais plus souvent pour choisir celui ou celle que nous rejetons le moins.
Ensuite, les scandales éclatent, nous nous indignons collectivement d’avoir encore été dupés, comme si c’était la première fois. Et puis, l’oubli revient, accompagné de la routine, tandis que nous nous préparons, encore une fois, à revoter.
Pourtant, vivre devrait être une lutte permanente contre cet insupportable, sans attendre la guerre ou l’attentat. Je crois qu’il faudrait enseigner dès l’enfance cette vigilance animale, cet instinct de résistance.
Mais pour cela, il faudrait que l’école cesse d’être ce qu’elle est, que le monde change, ainsi que les usines et les bureaux où nous passons notre temps à éviter la vie, comme l’insupportable.