Dans le grand chambardement actuel, l’ennemi sera toujours la guerre et cependant ne pas la mésestimer car celle-ci a fait progresser de vie en vie. La Suisse, pays pacifique et neutre, sait qu’il faut s’armer fortement pour conserver ces deux avantages. Cependant, toutes ces années sans conflit n’ont produit que de belles horloges garanties à vie. La guerre fut, est, sera, elle est logée en nous comme un second cœur, jumeau du premier. Mais devrons-nous toujours adopter les mêmes réactions face à ses injonctions ? Les nouveaux guerriers ne sont pas si nouveaux en fait. Ils existent depuis la nuit des temps et ils proposent une autre forme d’interprétation à cette incessante bagarre. Ce sont les guerriers de l’art et du cœur, et ce ne sont pas des naïfs et des nigauds comme, à première vue, tu pourrais le penser. Repeindre la vie en couleurs vives, convertir le drame, la mélancolie, la tristesse dans l’athanor de leurs peintures vibrantes, c’est cela leur combat et ce n’est pas le moindre. Après l’horreur des tranchées naît la couleur vive sur les tableaux et ce n’est pas pour rien. Ceux qui décident ainsi d’orienter tranché ont connu les doutes affreux et la boue des charniers. Il faut des années pour comprendre que l’on ne sait rien, tu seras pardonné. Cependant, lorsque tu vois un peintre exposer ses toiles colorées dans un recoin du monde, souris-lui au moins, même les plus rudes guerriers ont besoin parfois d’un peu de chaleur humaine.

reprise nov.2025

Quand on parle de “guerre” aujourd’hui, on pense aux cartes, aux fronts, aux experts en plateau. Mais la guerre la plus tenace ne passe plus par les journaux télévisés. Elle cogne dans la poitrine, comme un second cœur qui bat trop vite. Colère, envie de cogner, réflexe de se défendre avant même d’être attaqué : c’est cette pulsation-là que, pour ma part, je connais le mieux. On peut rêver de paix, signer des pétitions, applaudir la neutralité de la Suisse ; on sait bien, au fond, que ce genre de paix-là se défend à coups d’armes et de frontières, et qu’il en reste parfois des horloges impeccables et peu de visages. La vraie question, pour moi, n’est pas de savoir si la guerre existe ou non — elle est là, point final — mais ce qu’on en fait. Certains la déposent sur les autres sous forme de blessures, d’ordres, de bombes. D’autres, plus discrets, la traînent dans leur atelier et la passent à la couleur. Ceux-là ne sont pas des anges ni des naïfs. Ils ont connu le goût métallique de la haine, le désir de casser, la fatigue d’un monde qui répète les mêmes massacres. Parfois, ils portent en eux des histoires de tranchées, des récits de grand-père qui ne dormait plus sans hurler, une photo sépia d’un jeune homme en uniforme, mort à vingt ans. Rien d’exceptionnel : une famille française comme une autre. Et puis un jour, au lieu d’aller cogner quelque part, ils se plantent devant une toile. Ils prennent ce cœur jumeau, celui de la guerre, et ils le font dégorger en aplats rouges, en jaunes acides, en bleus presque indécents. Ça ne sauve personne, ça ne signe aucun armistice, mais ça évite au moins qu’un peu de ce mal-là se transforme en coups ou en balles. Après 14–18, on a vu surgir des couleurs qu’on n’avait jamais vues : comme si, après la boue et le sang, certains avaient décidé que la seule réponse possible serait d’oser enfin peindre violemment vif. Je crois à cette logique-là : une violence déplacée, recyclée, tenue dans un cadre. Alors, quand je vois un peintre qui a accroché trois toiles trop vives dans un coin de salle des fêtes, avec son petit spot qui grésille et deux verres en plastique sur une table bancale, je ne vois pas un décorateur raté. Je vois quelqu’un qui, à sa manière, tient sa guerre en laisse. Ça ne lui donne aucun mérite héroïque. Ça veut juste dire ceci : même les plus rudes guerriers ont besoin, parfois, qu’on leur adresse un sourire en passant. C’est peu de chose, mais pour certains, c’est déjà une trêve.

résumé : il ne se contente pas du pacifisme abstrait ni des grandes déclarations contre la guerre. Il sent en lui une violence, une guerre intérieure, et il a besoin de croire que la peinture n’est pas une échappatoire lâche mais une façon de traiter cette énergie sans la tourner contre les autres. D’où cette insistance sur les “guerriers de l’art” : il se fabrique une figure où l’artiste ne serait ni décorateur ni clown, mais combattant déplacé. On y lit aussi une culpabilité sourde : il sait qu’il n’est pas dans les tranchées, pas dans les guerres “réelles”, et il cherche un cadre où son travail, malgré tout, ait un poids moral. L’homme de 2019 est donc traversé par un mélange d’écœurement (face à la guerre au sens large), de besoin de justification (pour sa pratique de peintre) et de tendresse pour ceux qui, comme lui, accrochent des toiles “dans un recoin du monde” en espérant qu’on y voie plus qu’un passe-temps.