Remettre au goût du jour la célébration, c’est retrouver un remède de grand-mère évincé par l’industrie pharmaceutique profiteuse. On ne célèbre plus guère qu’à de trop rares occasions, on célèbre un événement rare comme des fiançailles, un mariage, une disparition, et ce de façon collective en général. La célébration personnelle, c’est bien autre chose qu’un selfie devant les bougies d’un gâteau, c’est bien autre chose qu’une image tout simplement. Se célébrer soi-même ou célébrer une ou un inconnu secrètement, voilà une piste intéressante pour l’érection de la gratitude et pourquoi pas la santé publique. Célébrer, c’est extirper du banal l’extraordinaire, c’est traverser ce qu’on nomme le quotidien comme un champ de bataille et je t’assure qu’en célébrant à tire-larigot on peut sauver bien des vies des obus de la résignation comme de l’« attération ». Célébrer, c’est choisir d’allumer ses journées et ses nuits aux plus humbles rayons des mille et un soleils.

reprise nov.2025

On a fini par réserver le mot “célébrer” aux grandes messes : mariage, enterrement, remise de médaille. Entre deux, on avale les jours sans rien marquer, comme si le quotidien ne méritait pas qu’on s’y attarde. Longtemps, je n’ai rien vu d’autre. Puis j’ai découvert qu’il existait une autre façon de célébrer, sans annonces, sans photos, sans témoins : des petites cérémonies privées, pour soi ou pour un inconnu, qui ne changent rien au monde mais modifient légèrement la façon de s’y tenir. C’est peut-être la seule “hygiène mentale” que j’aie trouvée.

Se célébrer soi-même, ce n’est pas se prendre en selfie devant un gâteau ; c’est, par exemple, décider qu’un matin banal vaut qu’on le souligne. Tu te fais un café, tu t’assois cinq minutes de plus que d’habitude, tu regardes par la fenêtre et tu te dis : “J’ai traversé ça, ça et ça, et je suis encore là.” Personne ne l’entend, personne n’applaudit, mais tu viens de t’accorder une petite minute de reconnaissance. C’est dérisoire et, certains jours, ça suffit pour que la journée ne commence pas déjà perdue.

Célébrer un inconnu, c’est encore plus discret. Tu vois un type qui porte un sac trop lourd, une femme qui tient bon dans une file d’attente avec un gamin qui pleure, un vieux qui plie son journal avec soin sur un banc. Tu ne vas pas les féliciter, tu ne vas pas les prendre en photo, tu ne vas pas “liker”. Tu te contentes de les remarquer et, intérieurement, tu leur adresses un bravo muet. C’est ridiculement peu, mais c’est une façon de rappeler que l’effort ordinaire existe, qu’il n’est pas complètement noyé.

Dans les périodes où tout ressemble à une guerre larvée — informations, tensions, fatigue —, ces minuscules rites sont la seule chose qui m’ait évité de glisser tout à fait dans la résignation. Quand je décide que tel jour, tel geste, telle rencontre mérite une micro-célébration, je retire un caillou de la poche de la lassitude. Ça ne soigne aucune maladie, ça ne remplace aucun traitement, mais ça change légèrement le poids du sac.

Remettre la célébration au centre, pour moi, ce n’est pas rajouter des feux d’artifice à notre vie déjà saturée d’images ; c’est apprendre à reconnaître, sans bruit, ce qui tient encore debout. Une tasse posée avec soin, un tableau accroché dans un couloir vide, un repas partagé sans occasion particulière. À ce niveau-là, célébrer n’est plus un grand mot, c’est juste une manière obstinée de dire : je ne laisse pas tout passer pour rien.

résumé
quelqu’un qui sent à quel point la résignation et le découragement menacent en continu, et qui cherche des antidotes modestes. Il ne croit plus vraiment aux grandes célébrations sociales comme remède ; il les voit rares, codées, insuffisantes. Il essaie donc de bricoler une forme de liturgie personnelle : micro-rituels de reconnaissance, gratitude silencieuse, attention portée aux gestes minuscules. On y lit à la fois un certain scepticisme (il ne se fait pas d’illusions sur la “santé publique” au sens fort) et une volonté de ne pas se laisser couler : si rien de grand ne peut être changé, il lui reste au moins la possibilité de célébrer ce qui, à ses yeux, mérite encore d’être salué. En résumé : c’est un homme fatigué des grands récits, qui mise sur des formes de célébration presque invisibles pour rester, malgré tout, du côté des vivants.