La conférence des oiseaux.
Novembre n’est vraiment pas ma tasse de thé. En plus, je ne bois pas de thé. Du coup, je tente de me motiver, de trouver du beau, de l’allégresse, de l’enthousiasme encore plus durant ce mois-là que durant les autres, pour contrebalancer ma peur, ma colère, mon désespoir. C’est un grand mot, le désespoir. Aujourd’hui, on parle plus de déprime, parfois aussi de mélancolie. Aujourd’hui, on ne voudrait qu’être jeune, joyeux, riche et séduisant, charismatique si possible : c’est le miroir aux alouettes de l’époque qui veut ça. Placer à la marge tout le fâcheux. Placer à la marge le dégueulasse. Ce que l’on pense, ou ce que l’on estime être, le dégueulasse. En tant que peintre, l’ombre m’est aussi nécessaire que la lumière. Je les place sur le même piédestal, au niveau de l’amer comme du sublime. En cherchant un peu sur le Net un livre que je voulais relire, je suis tombé sur cette vidéo : c’est une réécriture et une récitation de La Conférence des oiseaux, écrite par Farid Al-Din Attar, poète persan du XIIe siècle. Ce récit, je l’avais découvert alors que j’étais marmot et il m’avait énormément fait rêver, il contenait tant de mystères à éclaircir… J’ai conservé ce petit bouquin illustré des années, puis je l’ai perdu dans un de mes nombreux déménagements. Sans doute fallait-il que je le perde pour mieux le retrouver : c’est souvent ainsi que les choses fonctionnent.
Pour continuer
Carnets | novembre 2021
Comme c’est romantique !
Comme un con j’avais acheté des fleurs au dernier moment, à l’angle de sa rue. Je dis « comme un con » parce que vous savez ce que je pense des fleurs coupées, toutes ces dégueulasseries permanentes que représente l’accumulation de meurtres comme de preuves. Bref, j’avais mon petit bouquet à la main, j’avais accéléré le pas pour parvenir à sa porte, et là elle s’ouvre, et me voyant avec mon trophée, comme si ça jaillissait de nulle part : « Comme c’est romantique ! Vous m’apportez des fleurs. » Elle savait y faire pour provoquer l’agacement ; elle était douée, naturellement. Tout se termina à quatre pattes, évidemment, comme des bêtes. Comment diable les choses auraient-elles pu se terminer autrement ?|couper{180}
Carnets | novembre 2021
Elle et moi.
illustration : Asger Jorn "Looking for a goog tyrant" 1969 Elle voulait m’attendrir comme un boucher attendrit la viande. Je m’arcboutais des quatre fers sans bien savoir pourquoi, sinon le danger. Quand je retrouvais un peu de solidité, je plissais les yeux pour gommer le superflu, les détails distrayants. Elle voulait ma peau, c’était clair. Alors, de sang-froid, je dégrafais sa robe : elle tomba comme des milliers de voiles légers, toute cette légèreté, et le corps nu enfin, ce silex à l’odeur de feu sur lequel s’écorcher toujours, comme l’océan aux falaises de craie, s’écorcher en vain pour créer une durée. La même tendresse dans le regard, œil pour œil, dent pour dent. « Et si on arrêtait ? » dit-elle. « Si on arrêtait ce petit jeu. Si on s’aimait comme des adultes. » Nouveau piège, évidemment ; je mimai la lassitude. Nous éclatâmes de rire de concert, puis nous tordîmes le cou aux poulets du poulailler, égorgeâmes quelques lapins, et les fîmes rôtir en prenant soin que, sous le croustillant, la viande fût encore bien juteuse.|couper{180}
Carnets | novembre 2021
Mon petit vieux
Vous avez trop d’imagination, mon petit vieux, réveillez-vous ! Il disait ça, cet homme, et il devait s’adresser à ce gamin qui n’était pas le sien, sans doute un élève. Ils étaient sur le trottoir d’en face, face à face. L’adulte, un peu courbé sur l’enfant. L’enfant, la tête dans les épaules, levant le front. Mon petit vieux… ça faisait si longtemps que je n’avais pas entendu ça. La même colère m’envahit soudain. L’envie de tout casser, de tuer tout le monde, de sauter à la gorge de ce connard d’adulte condescendant. De m’interposer entre les deux. Et puis je me suis souvenu : au bout de l’énième fois, on n’entend plus. Mon petit vieux, c’est même le déclic qui crée la lévitation tout entière. On se décorpore, on s’en branle, merde à tout.|couper{180}