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ça ne m’a pas marqué plus que ça
( récit de fiction) Il a tout pour énerver. On le tape, on l’insulte, on le roule dans la farine, on fait de lui tout ce qu’on veut. Il continue à sourire le con. Il se relève. On lui dit : —alors t’as compris, ça t’a fait quoi, t’as pigé la leçon maintenant ? Il se relève et il souri. il vous regarde avec son air têtu. On voit bien qu’il se force à prendre cet air là et à sourire. Et qu’est-ce qu’il répond —ça ne m’a pas marqué plus que ça. Du coup il en reprend une forcément. Il en reprendra d’autres, de plus en plus fort, il faut bien qu’un jour ça rentre, qu’il comprenne. —Un jour tu crâneras plus connard. Un jour tu seras comme tout le monde. On te fera la peau une bonne fois pour toutes et tu seras comme tout le monde. Tu auras la trouille, tu la boucleras, tu marcheras droit, voilà tout. J’avais mal partout, je voyais trouble, j’entendais la voix de Fredo qui me parlait. Elle était étouffée sa voix, mais même étouffée c’est une voix désagréable. J’aurais aimé un peu de silence, être tout seul. J’aurais voulu qu’ils ne soient plus là. Je les sentais qui m’entouraient. J’ai porté la main à une oreille et j’ai senti qu’elle pissait le sang. Mes vêtements étaient tachés de terre c’est la première chose que j’ai vue quand j’ai commencé à y voir un peu plus clair. Ils ne m’ont pas loupé les salauds, à quatre dessus tout ça parce que ma gueule ne leur revient pas, c’est ce qu’ils ont dit.— Non mais c’est qui lui, tu te prends pour qui, tu sors d’où. J’ai souri comme d’habitude pour bien leur montrer à quel point je me foutais de leur opinion sur ma gueule. Ça les a énervé, c’est à partir de là que tout à démarré. Je ne me suis même pas défendu, je connais la musique. Si tu te défends ça les excite encore plus, ils en rajoutent et on ne sait pas où ça peut finir. Le truc c’est de parvenir à se détacher de son corps, à se tenir à l’écart. On observe calmement, on se laisse faire. Il n’y a pas grand-chose à préserver à l’extérieur, on peut se faire défoncer de tous les côtés, à la limite même se payer un nez cassé, un bras pété, un œil au beurre noir, en général ça s’arrête là, quand le sang commence à couler ça peut s’arrêter là, ou pas. Parfois ça peut aller bien plus loin. Ils n’en sont pas à ça près. Ils sont mineurs ils savent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent qu’on ne les mettra pas en prison. Ils le disent. —On peut te ruiner la gueule, et même te tuer tu sais, ça ne nous fait pas peur. Dans ces cas là il vaut mieux la boucler et se laisser faire, s’affaler au sol, se mettre en position fœtale, puis sortir de son corps, s’asseoir sur un banc, regarder tout ça froidement. C’est la vie telle qu’elle est. Les enculés se mettent toujours ensemble, les détritus et les ordures s’assemblent sans qu’on ait besoin de faire un tri. Le tri sélectif n’est pas une invention moderne.La nature fait les choses toute seule assez bien. Quand Dom m’a récupéré je marchais sur le talus pour revenir à la maison. Sa 4L a ralenti en arrivant à ma hauteur, il m’a dit —ça va ? En souriant, puis il a du voir ma gueule amochée, il a accéléré pour se ranger devant sur le bas coté et il a fait irruption du véhicule comme un diable d’une boite. Il a couru vers moi et s’est arrêté pile devant moi.— Mais dans quel état tu t’es mis. Qui t’a fait ça ? J’ai juste dit — bonjour Dom, c’est rien, c’est des cons, t’en fait pas j’ai l’habitude. Il voulait m’emmener chez les flics, à l’hôpital, et je ne sais plus où encore. Il était vraiment en colère. Je lui ai dit —laisse je préfère rentrer, j’ai pas beaucoup de temps avant que le daron rentre du boulot, s’il me voit dans cet état je vais prendre cher. Dom m’a regardé, il fulminait intérieurement ça se voyait, on aurait dit qu’il avait de la peine pour moi. Alors je lui ai souri à lui aussi , j’ai dit t’inquiète, je vais continuer à pied. En vrai j’avais pas envie de monter dans sa bagnole pourrie, j’avais pas envie de sentir sa putain de compassion, la seule chose que je voulais c’est de me dépêcher de prendre une douche, de changer de vêtements , d’être fin prêt pour le second round. Je lui ai souri et j’ai dit t’inquiète pas, c’est la routine en rigolant parce que le mot routine me plaisait bien.|couper{180}
 
      
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Il faut être riche pour ne pas être pauvre
l'épouvante de la pauvreté, de la misère, était planté en ce temps-là devant chaque fenêtre de la maison. C'était une démultiplication de l'épouvante comme autant d'arbres plantés là qu'on apercevait aussitôt qu'on voulait se risquer à jeter un regard vers l'extérieur. Les arbres étaient devenus menaçant. Les arbres et tout le reste, tout ce qui pouvait former l'image d'un paysage. Les collines au loin, les grands champs, les haies entre les champs, les murs, le poulailler, les hangars, un tracteur à l'arrêt, les silhouettes des oiseaux sur les fils électriques, les poteaux téléphoniques. Les habitants aussi étaient épouvantables. Bien qu'ils fassent tout leur possible pour le dissimuler. Ils vous souriaient, vous disaient des choses agréables et gentilles, puis aussitôt que vous tourniez le dos il vous y plantait une faux, un pieu, un couteau. L'épouvante était l'élément constitutif premier de la campagne. Et le soleil quand il sortait, essayait de me changer les idées, faisait beaucoup d'effort, nous faisions beaucoup d'effort avec le soleil conjoint quand il sortait, mais ces efforts n'y changeait rien. Ce n'était guère plus qu'un nouvel emballage dont il fallait se méfier. Mon père disait il faut être riche pour ne pas être pauvre, le dimanche à table en découpant le poulet, ça m'est resté. C'était à l'époque une drôle de phrase, surtout quand on l'associe à la ficelle qui claque en éclaboussant le nappe blanche de sauce, la ficelle qu'on tranche d'un coup de couteau, mais dont on ne maitrise absolument pas la réaction ensuite. Elle claque et éclabousse la nappe blanche de sauce brunâtre. C'est autre chose que le un jour tu te souviendras de la soupe que tu n'aimes pas et tu la regretteras, que disait ma mère en tranchant le cou du lapin attaché au poirier du jardin. Il faut être riche pour ne pas être pauvre et profiter de la soupe quand il y en a. Bel enseignement quand j'y repense. De quoi résister à l'épouvante encore de nos jours à ne pas en douter en creusant bien.|couper{180}
 
      
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Le do it yourself ( DIY)
Le Tawashi DIY , l'objet le plus inutile du monde que l'on peut confectionner soi-même. 1990. Que fichais-je ? trente ans, pas un rond, je voulais écrire et c'est à peu près tout de ce que je voulais. Le reste ne m'intéressait pas. Les femmes de temps en temps, mais c'était pour épuiser un trop plein d'énergie inutile, se décharger d'un trop plein. Sinon la masturbation était plus paisible. Une forme d'autosatisfaction à bas prix. Pas besoin de paraitre, pas besoin de cirer ses chaussures, de se faire la raie, de changer de chemise, de se raser de près, de se retrouver à gesticuler dans une salle obscure giflé de lumières stroboscopiques non plus. Ni d'acheter des bouteilles cinq fois le prix, ni d'offrir la possibilité, au bon moment, d'aller boire un verre ailleurs, ni de sourire comme un con pour exhiber une dentition parfaite. Ni de subir ensuite tout ce que l'on doit bien subir ensuite. Se frotter à l'autre, se l'imaginer, toute cette permutation de sensations, d'humeurs, ces échanges abominables pour obtenir au final une satisfaction médiocre, un contentement passager, un déjeuner de soleil, une déprime d'autant plus carabinée. 1990 la naissance du DIY le do it yourself, la démocratisation de la masturbation à grande échelle, à une échelle commerciale. Le bricolage élevé à la hauteur d'une religion, d'un sacerdoce. J'étais là dedans moi aussi, j'avais l'air d'être ailleurs, je m'évertuais à vouloir être ailleurs, mais j'étais bien dedans. Encore que le bricolage, à bien y réfléchir, je n'ai toujours connu que cela. Une expérience qui remonte à loin, de génération en génération, mais autrefois ça s'appelait la survie, on ne se sentait pas obligé de faire le malin avec des mots d'outre-manche, des mots ayant traversé la Manche, voire l'Atlantique. Ce plaisir autonome, le summum de l'individualisme, ou du capitalisme si on pousse le raisonnement à ses extrêmes. Le self made man qui ruisselle dans le do it yourself, Dans le DIY, TO DIE. Bricoler ou crever, finalement, le choix fut vite assez restreint.|couper{180}
 
      
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Magasin du bonheur, soldes
Ce qui est vendu comme étant le bonheur. Le produit bonheur. Possède-tu suffisamment d’argent, de volonté, de naïveté, d’obscénité pour acquérir ce qui est présenté sur les présentoirs comme pur bonheur. Jamais assez. Tu as mis au point de nombreux mécanismes pour t’en éloigner. Pour fuir les têtes de gondoles, les promotions, les prix sacrifiés. Toute la publicité incessante qui te martèle l’injonction d’être enfin heureux, riche, confortablement installé, parvenu au sommet, belle maison, belle épouse, beaux enfants, beau job, admirable montre bracelet, cuir naturel maroquineries rutilantes, légumes bio, fruits calibrés, mobile dernier cri, casque audio anti-bruit, Ce qui est vendu comme étant le bonheur te fait peur. Comment peut-on tomber si bas, être capable de tant d’abjection pour se faire une place au soleil. Au détriment, au détritus, à la destruction de ce que l’on t’a aussi vendu dans une autre boutique autrefois comme l’humanité, l’âme. Deux représentants de commerce s’affrontent dans une métaphysique de possession qu’on le veuille ou non. Ceux qui ne jurent que par les biens, ceux qui ne jurent que par l’ascèse, la frugalité, la tempérance. Catholiques et protestants. Y a t’il autre chose ? Le mal et le bien sont-ils tellement implantés dans les ruelles qu’il ne puisse plus y avoir de place pour autre chose ? Mac Donald contre Burger King, malheur à qui voudrait enrayer la fabrique des frites congelées. Par exemple un magasin qui ne vend rien, un magasin sans enseigne, un magasin sans devanture, ni néon, un magasin qui n’a pas de porte, pas de rideau, un magasin qui ne serait pas plus qu’un passage dans lequel on s’engouffre pour en ressortir un peu plus loin dans un autre quartier, une autre rue, un magasin comme un lieu de passage, un magasin que l’on traverse sans y penser. Il n’y a pas de rayon, pas de promotion, pas de produit, et cependant quand on en sort on n’est plus le même qu’au moment où on y est entré. pénétrer dans ce magasin nous a totalement changé. Un magasin comme un passage qui modifie le point de vue sur le bonheur et le malheur. Assez proche d’une boutique de pompes funèbres sans tout le décorum, sans les mines contrites, sans la poignée de main à l’issue de la signature du bon de commande, sans je vous présente toutes mes condoléances. Un magasin comme une boutique de pompes funèbres, une boutique de caisses dans lesquelles on s’allonge, dans lesquelles tout loisir de s’allonger dans une caisse est permis, on peut même bénéficier de ce service gratis, du couvercle que l’on cloue pour une immersion parfaite avec le choix de la musique qui ira avec. Ou encore un livre dans lequel tout doucement jour après jour on s'enfermerait seul, un livre comme un passage, un livre un peu comme un grand magasin, un livre à l'image de nos grands magasins, mais sans aucun produit, juste des signes à écrire ou à lire, juste à se laisser surprendre par des signes qu'on écrit des signes que l'on lit. De plus un livre qui n'apprendrait rien à celle ou à celui qui l'écrit pas plus qu'à celui ou celle qui le lit. Un livre qu'on lit comme on traverse un paysage, à la ville, à la campagne, un livre comme un lieu de passage, dans lequel on ne serait pas emmerdé par l'idée d'être sage ou pas sage, par le bien et le mal, par le fric qui nous manque pour en être, pour participer. Un livre dans lequel on s'allongerait, auteur et lecteur, dans des caisses virtuelles, le regard tourné vers l'intérieur, vers le néant de l'intérieur sans ciller. Se bousculerait-on ici le jour des soldes ?|couper{180}
 
      
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variation encore
chèvrefeuille et jasmin mêlés en bas dans la cour. et mâche et remâche encore ce vide qui s' échappe ce manque ce suc, de vieilles phrases rongées, acidités, lèpres des vieux os , ces lambeaux de cher , si chair trop chair encore, mâche et mâche et remâche, cartilages éclatant sous les molaires qui broient ruminent, sais-tu que l'hiver s'est achevé hier, qu'ici on ne retient plus son souffle, on crache des bourgeons, on diffuse des fragrances, on parle oiseau , on vole moucheron. poitrail qui attire à lui un ciel laiteux de mai, naseaux qui s'ouvrent aux explosions suaves des graminées, bouche ouverte affamée, frisson des dorsales, légèreté accrue des paupières, vivacité de l'œil. Paume appuyée contre le tronc de l' olivier en pot, partage des flux, des sèves, rêvasse en mâchant le souvenir des olives, remâchant encore et encore l'avenir, l'idée du bien être.|couper{180}
 
      
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répétition
avant le grand spectacle on les avait invité à répéter. Ils arrivèrent dans un joyeux brouhaha, puis ils s'y mitent, ils enjambèrent la barre, atterrissant l'un après l'autre sur l'estrade. certains font un bruit de sac à patate, d'autres de feuille morte, d'autres de peluche mouillée , d'autre un bruit inaudible, et d'autres encore pas un bruit. Que je m'apprêtasse à enjamburer nenni, je prefèrus poser mes fesses sur le strapontin pour voir. Enfin un vieil homme surgissant de nulle part et qui sonna de l'olifan, s'essuyassa la bouche puis dit --- repetationnez je vous prie. Il repetaterent, repetinerent, repetintibulerent. Leurs mandibules mâchèrent remacherent il y eut du mon sieur ma chère. ca dura le temps nécessaire pour se mettre en bouche les bons mots, pas loin d'une heure Puis ils sortirent d'un panier à provision une bouteille de rouge un gros saucisson de Lyon, un pot de cornichons, du pain, du beurre et une crémière. oh que ce fut bon et beau de les regarder saucissonner, tartiner la crémière, croquignoler les cornichons, rompre le pain, glouglouter le rouge ! j'étais comme au spectacle et en plus c'était gratis, pas plus d'une petite heure à donner, presque gratis.|couper{180}
 
      
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Eblouissement
Georgia O'Keeffe. White Iris, 1930Virginia Museum of Fine Arts, Richmond. Gift of Mr. and Mrs. Bruce C. Gottwald.credit photo : Katherine Wetze / Virginia Museum of Fine Arts(photo libre de droit) C’est dans l’éblouissement que tu résides, au bout de l’ennui dans le silence des traversées Quand la dernière résistance disparaît dans l’usure, à la fonte, larme suave du cœur du roc. C’est toi et ce n’est plus sitôt que vouloir te nommer t’enfermer Le silence est la coupe que tu me tends et je m’enivre du rien qu’elle contient Désormais l’ivresse du vide de l’aveuglement, folle certitude, à danser, la joie se moque bien Sur la paume le souffle revient, l’haleine, tout se dénoue tant fut serrée la chaîne et la trame De ces drames ces comédies ce frisson sur la paume balayé autrefois par la pensée, l’ailleurs Les mots qu’une haleine y aura gravés invisibles à la pensée, le souffle revient la paume se pâme à la brise printanière un frisson change le pain et l’eau en étrangeté. La langue étrange de l’étrangeté fuyant les méandres des pensées, une langue venue d’ailleurs De l’éblouissement passé.|couper{180}
 
      
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Variations sur le passage entre les saisons
Troisième coup Je coupe le contact, tourne la manette du commodo, plus de phare, il ne fait pas encore tout à fait nuit. J’ouvre la portière, pose un pied à terre, prend appui pour extirper le corps entier du véhicule, n’oublie pas le pain, le sac, la plaquette de Nicopass. Tout cela dans l’habitude, des gestes qui s’enchaînent les uns après les autres, rodés de longue date. Fermeture automatique des portes, la veilleuse du haillon arrière reste allumée encore un peu, le corps entier se redresse, la lanière du sac à l’épaule, le déplacement depuis le parking pour rejoindre le trottoir, la tête est vide, elle peut accueillir tout ce qui se passe ici. Il suffit de marcher lentement, de ne pas se presser, d’être aux aguets. Assez vite le même faisceau d’indices. on s’aperçoit surpris, l’hiver est passé, nous voici au printemps. L’entrée dans l’été, met fin à la routine, la fin des MJC des ateliers, vers la fin de juin. Ébranlé par la vacuité toujours imprévue, le petit jeu de l’inattendu. Un allongement soudain du vide entre deux gestes à faire, une impression factice d’avoir le temps. La chaleur monte doucement du sol, rebondit sur les murs, les fleurs embaument, la couleur excite. La nuit est attendue, le petit jeu des insomnies délicieuses, la nuit l’été vaste et tranquille, une béance paisible, je dors encore moins l’été, j’en profite de ces nuits. Les premières flétrissures, et puis cette odeur un peu aigre-douce dans l’air, ce subtil refroidissement des lumières, des couleurs, qui tentent d’aller au contraire vers les ocres, les roux. Le ciel est peuplé, les fils électriques sont des portées, l’installation des vogues, l’iridescente des bogues, puis le jour recule. Défaite générale des feuilles, premieres exodes, changement de température, la rentrée des classes, l’odeur des fournitures, l’écorce des platanes, les foules sous les préaux, des vapeurs montent des terres, l’humide et la boue créent des golems que les grands vents balaient, l’ombre peu à peu progresse. L’hiver c’est la neige, avant le froid c’est la neige, l’hiver n’est rien sans neige. L’immense paix que procure la neige aux alentours comme au centre, le bassin dans le jardin. Verdict : la neige acquitte tout ce qui dépasse. Le poids de la neige sur la branche docile qui l’accueille en s’affaissant doucement, la branche et la neige une longue un progressive révérence. La chaussure protège le pied, la grosse chaussette autour du pied, marcher sur la neige dans la nuit du matin, l’entendre craquer sous les pas, seul bruit dans la rue, dans la tête. Sur les fils électriques les notes ont disparues, le ciel passe du bleu sombre au gris puis au blanc laiteux, le temps d’un aller jusqu’au portail de l’école, en rang deux par deux on entre dans la salle de classe, craie blanche, encre violette, au fond il y a le vieux poêle qui ronronne, la chaleur nous assomme, l’œil tente de s’évader du tableau noir, de rejoindre dans la cour et plus loin le ciel, somnolence de la nature aspiration à cette engourdissement très fort, on ne résiste guère.|couper{180}
 
      
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Une journée en musique
Toute la journée musique dans l'atelier tout à commencé avec cette émission https://youtu.be/6B6K1T9wB-M|couper{180}
 
      
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variation de saison
deuxième coup. une saison s'achève à peine, avec peine, à grand peine, et quelques renoncements, qu'une autre déjà s'amène. On se rend à peine compte qu'une saison se retire qu'une vague la recouvre comme si de rien n'était. Comme si la saison quittée, sans tambour ni trompette, nous laissait amer ou mi-figure, mi-raisin. Indifférent aussi parfois vers la fin. Indifferent à ce qui va, s'en va et vient. On en finit ainsi avec chacune, elle s'achève, on regarde faire. une saison s'achève de plus en plus en queue de poisson ou en queue de cerise, parfois on a le visage éclaboussée d'eau, c'est une saison qui s'achève en queue de comète. Puis une autre s'amène, une autre saison et c'est parfois une fête dans la glycine, le chèvrefeuille. dans l'olivier en pot. une fête donnée par les oiseaux qui poussent des petits cris d'oiseau puis qui s'égaient. Une grosse pie en smoking s'est posée sur une branche haute de l' olivier pour attraper une olive de l'hiver dernier, on ne récolte plus les olives ici, on les laisse aux oiseaux. aux merles, aux pies. On fait aussi des boules de graisse qui fondent comme neige au soleil quand l'eau se glace dans les soucoupes des pensées passées. On attend sans attendre qu'une saison s'achève, qu'une autre saison s'amène, ça passe le temps si on n'a rien d'autre à faire, si on n'a plus rien à faire que passer le temps en attendant que le ballet des saisons s'achève , l'une après l'autre, très consciencieusement. On peut mettre Vivaldi ça ne dure pas bien longtemps, quatre saisons et puis voilà, l'heure tourne ainsi. Il faut comprendre laquelle est laquelle au début rien d'évident. Enfant on écoute sans savoir et c'est très bien ainsi, vieux on n'écoute plus que le bruit des canalisations, le goutte à goutte, la pluie qui tambourine sur les tuiles. On peut encore mettre Vivaldi et mettre un nom sur chaque saison, c'est possible maintenant, on est moins ignorant. Mais toujours de ces silences entre deux saisons entre deux notes, entre la pluie et le soleil, entre récolter ou laisser, toujours un peu ignorant, et il faut qu'on en soit content, bien sûr c'est important le contentement. Une saison peut parfois être si courte qu'on croit l'avoir rêvée, comme l'odeur du foin dans la grange, le goût acide ou âcre des prunelles dans la bouche, la légèreté folle d'une robe de nylon dans les mains, la souplesse d'un corps, la nervosité d'une cuisse, le parfum chaud des blés mûrs, le goût franc de l'eau du puit, l'ombre fugace d'une buse, le zigzag vif du lézard entre deux pierres d'un mur vieux, le pêcher en fleur, la ligne d'horizon qui tremble sous la chaleur, le bouchon qui s'enfonce d'un coup net dans la rivière, le poisson qui brille, le ver de terre qui se tortille entre deux doigts, l'hameçon qui perce, la friture qui frit, la mandibule qui rumine, la guêpe qui suce le jus, ivre, de l'assiette, la petite cuillère dans le mazagran, le mouvement des aiguilles d'une vieille horloge à plomb, le bruit que fait la clef pour remonter les plombs, le pince-nez qui devient hélicoptère, la fleur du pissenlit qu'on éparpille d'un souffle, la bougie d'anniversaire qui fume encore une fois éteinte, le goudron qui fond, les semelles qui collent, le cœur qui bat dans la poitrine, le souffle qu'on retient devant une robe remplie de tendresse et de vie, la sensation folle d'une robe de nylon qui choit sur le sol, l'éblouissement du ciel, la larme qui lave l'œil, la bouche qui découvre la lèvre, ,une saison peut parfois être si courte qu'on pense l'avoir rêvée, puis on met Vivaldi, on s'en souvient tout de suite, on est ignorant de l'espace entre le rêve et la vraie vie, et c'est très bien ainsi, miraculeusement. https://youtu.be/g65oWFMSoK0j'aime beaucoup la tête du gars derrière, quel dommage de ne pas savoir jouer du violon pour me tenir à côté.|couper{180}
 
      
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Quand le visible devient l’invisible
Il y a Mallarmé contre lequel je bute régulièrement comme on bute contre un mur, mettons ce mur immense qu'on a découvert récemment au fond des océans, qui mesure 3 km de hauteur et 20 de large et qui coure dans les profondeurs encerclant la planète à moitié. Mais, si je n'avais jamais essayé de lire Mallarmé , sans doute n'aurais-je jamais pris conscience de ce mur, ce mur entre le visible et ce qu'il dissimule presque toujours, l'invisible. Ensuite que ce fameux mur soit un bug crée par Google Earth, une affaire de pixel carrés, un collage trop précis d'images et dont le résultat peut faire rêver, ce n'est pas le problème. Dans la tête un mur s'est élevé, qu'il provienne de la frénésie des magmas ou de la main humaine, cela n'a pas vraiment d'importance. Il y a un mur visible au fond des océans désormais sur Google Earth, comme en poésie il y a Mallarmé. Il y a quelque chose que l'on n'avait pas vu avant et qui soudain est devenu très présent. C'est d'autant présent que ça résonne avec la question du moment. Qu'est ce que je vois, qu'est-ce que j'entends, qu'est-ce que je pense vraiment. Est-ce que tout ça n'est qu'une somme d'apprentissages, une éducation, un formatage, ou bien suis-je parvenu à creuser un écart par moi-même. Est-ce que je suis un être parlé par les autres, par une langue commune, une langue pratique, une langue dont l'intérêt est de me faire obéir à des injonctions qui ne m'appartiennent pas, ou bien suis-je parvenu à parler ma propre langue, à voir le monde de mes propres yeux, la réalité de façon personnelle ? Une chose m'ennuie dans les ouvrages de fiction, je l'ai déjà dit, et cet ennui provient de la gène que j'éprouve instantanément du visible au sens ou le visible se mêle à la facilité, à un mot d'ordre qui voudrait peindre l'évidence. L'idée de la transparence d'un langage est une idée fausse qui dans l'ennui saute aux yeux. J'aime bien revenir à la lettre dans ces moments là. Ces signes bizarres le deviennent d'autant plus qu'on fuira les mots, les phrases, le sens qu'on leur accorde si facilement, de façon automatique. Examiner la lettre c'est comme se munir d'un microscope et zoomer sur l'infiniment petit, se retrouver au même niveau que la molécule, l'atome, la bactérie. Peut-être devenir toutes ces choses soudain par immersion. Car on est vite happé par ce mystère des signes que quelques instants auparavant on considérait comme allant de soi. Ils étaient visibles pourtant mais on ne les voyait pas. On croyait voir une évidence et soudain voici qu'elle s'est dérobée que l'on se retrouve confronté au mystère des hiéroglyphes. Comment on réagit à cela, à cette incompréhension soudaine ? Je veux dire à cet ennui que provoque soudain le visible, à la découverte de ce hiatus, entre le signe et la signification, souvent on s'enfuit : trop c'est trop. On referme le livre, on le range au haut d'une étagère, on l'oublie. Il est possible que nos oublis soient de la même catégorie que nos ennuis. On devrait s'en souvenir, et à période régulière y revenir, les explorer encore une fois, pour voir. La poésie de Mallarmé pose de belles questions quand on y revient. Et la première que j'y ai trouvée c'est qu'est-ce que c'est que lire. On découvre que lire peut-être réflexif. Qu'on n'est pas tenu de rester assis sur un banc de l'école à bailler en ânonnant ce que le professeur désire qu'on ânonne. On peut lire ainsi sans consommer, avaler, bouffer, dévorer, digérer. On peut lire avec plus de difficulté, et apprendre à aimer la difficulté pour ce qu'elle nous apporte d'autonomie, de créativité, d'intelligence nouvelle des échanges, des relations entre les mots. Sortir du cadre sujet-verbe-complément c'est comme sortir de l'hiver et assister à l'arrivée du printemps. Les branches sont encore nues mais déjà l'ellipse si présente laisse au regardeur tout loisir ou devoir de créer la feuille. La notion d'incidence souvent présente dans la phrase Mallarméenne oblige à ne pas perdre le fil d'une logique syntaxique qui secoue les neurones, et fabriques des connections secrètes inédites. Lire Mallarmé c'est inventer soi-même Ariane tout en étant Thésée, le labyrinthe n'est construit peut-être que dans un tel dessein. C'est aussi un bouleversement de l'idée de genre comme de l'idée de compréhension en général—vouloir comprendre comme pénétrer de façon phallique un sujet, comme en gros on l'apprend sur les bancs de l'école, n'est plus de mise. Pour comprendre il ne faut pas vouloir comprendre ce que veut dire le poète, mais la langue. C'est sauter par dessus le défaut des langues qui ne vient pas d'elles, mais de nous à vouloir les assujettir. Comprendre Mallarmé c'est avant tout comprendre qu'il existe mille façons de trouver son bonheur dans les mots bien au-delà de leurs significations vulgaires, de ces significations qui s'offrent si aisément, qui écartent les cuisses au tout venant et qui d'ailleurs s'y engouffre si facilement. "Le vif œil dont tu regardes Jusques à leur contenu Me sépare de mes hardes Et comme un dieu je vais nu." ( La marchande d'habits, dans Poésies, Stéphane Mallarmé 1899)|couper{180}
 
      
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Esquisse d’une sensation ( exercice d’écriture )
Variations autour de la sensation d'une transition de saison, tout ce qui arrive sans y penser, le premier jet, sans réécriture, ou, autre expression : improvisé. <em>L'improvisation</em> valant peut-être ce qu'on entend par <em>préparation</em>. Préparation comme en cuisine, préparer un plat, puis le dresser ensuite dans l'assiette sur une table. Avec ou sans fioriture, suivant l'humeur, les circonstances, l'ordinaire, l'extraordinaire, amitiés, fêtes, naissances, mariages et enterrements. Ce que déclenche en tout premier lieu, l’idée de la variation d’une phrase, c'est mon inaptitude à la réécriture. Ce blocage face à la musique. Cet excessif respect face à toute musique désormais après en avoir tâté et reconnu cette inaptitude. Après m'être fourré cette sensation d'inaptitude dans le crâne surtout. La sensation qu’on ne peut pas refaire ce qui vient d’être fait. Qu'il faille passer par une forme de destruction irréversible du passé pour recréer à vif. Et aussi, en opposition, cette sensation que ce qui est fait ne l’est pas entièrement par moi ou je. La sensation que réécrire c’est mettre un peu trop je en avant comme chef des opérations. La sensation que je ne suis pas que je quand j’écris. La sensation qu’éprouve le petit je ballotté par la langue , qu' il le sait pertinemment, que ça, la langue, n’appartient pas qu’à lui. La sensation de vouloir entrer dans une langue qui en grande partie se refuse en raison d’une croyance qu’on y est avant tout pour moitié étranger. La sensation que si je me voue entièrement à la langue française je trahis la langue maternelle. Je les trahis car j’emprunte une autre langue, je les trahis tous ceux qui s’exprimèrent autrement qu’en français, en estonien, mais aussi dans le français de tous les jours, le français ordinaire, le français d'une époque, le français d'une période économique, politique, le français comme creuset de tous les drames, de toutes les tragédies, le laisser aller du français dans la violence verbale, la médiocrité, et parfois aussi sa tendresse très privée. L’exercice qui consiste à partir d’une sensation, de la tentative d’écriture de cette sensation, du manque que l’écriture en premier lieu ne peut dire. Comment est-ce que je m’en sors, ou plutôt ne parviens jamais à m'en sortir, de cette traduction personnelle de la sensation. Comment je l’esquive, comment je ne m’y appesantis pas alors que je m’appesantis sur tellement d’autres choses. comme pour me divertir, pour m'aveugler par et dans le divertissement. Comment je peux aussi me mettre à délirer au travers de cet exercice de traduction, devenir fou à lier parfois, en essayant de rejoindre quelque chose qui m’échappe en lui échappant moi-même le plus souvent. C'est à dire en bottant en touche. Le piège est-il dans ce délire comme échappatoire au véritable travail ? C’est à dire de parvenir à dire la sensation, le simple passage d’une saison à une autre. Sans doute parce que la sensation vient de loin, que lorsqu’elle ressurgit elle m’ébranle dans mes certitudes, la certitude d’arriver régulièrement au bout de ma vie notamment. Non, quand cette sensation ressurgit, elle gomme cette certitude. Je me retrouve souvent l’enfant que j’étais. Je me retrouve en tant qu’enfant. La sensation me transforme, fait voler le temps en éclats, la sensation de passer de l’hiver au printemps comme une métaphore d’une autre sensation plus onirique encore de la vieillesse qui passe à la jeunesse. Évidemment qu’Il doit bien y avoir un lien mais comment ça se fait que cette sensation surgit la toute première fois, lorsqu’on sort de l’hiver, vers mettons 6 ou 7 ans ? Se sentir déjà vieux que d'aspirer à la jeunesse ainsi tiendrait-il. Que me raconte cette sensation lorsque je la vois surgir en moi soudain sur le chemin de l’école un matin. Comment je la perçois comme retrouvailles déjà dans le chant des oiseaux, dans une légèreté nouvelle de l’air qui caresse la joue. A quoi je pense en éprouvant enfant cette sensation à la sortie de ces hivers si longs déjà, interminables, est-ce que je pense d’ailleurs à quoi que ce soit, ou bien n’est-ce que la sensation du corps qui a moins à lutter tout simplement, qui se sent débarrassé d’un poids, celui des lourds vêtements d’hiver, les ayant troqué pour des tenues plus légères. Le retour du short, de l'air frais sur les mollets. Quelles images viennent simultanément avec la sensation, la sensation qui charrie, la sensation comme le Cher qui coule en bas sous le grand pont et qui charrie les flaques de sang des abattoirs voisins, mais pas seulement, parfois aussi un tronc qui flotte, une transparence au travers de quoi on aperçoit, dans son lit au lever du soleil, des cheveux d’algues d’un vert tendre. Charroi et sensation. Et cette expression qui revient comme un cheveu d’ange dans l’air léger, que disait-elle déjà ? —arrête de charrier, tu me charries, tu charries — Quelque chose est transporté d’un lieu l’autre, d’un temps l’autre par la sensation qui ressurgit. La sensation me transporte, comme la musique peut me transporter, comme les variations musicales qu’on reconnaît sans vraiment en prendre conscience au moment où on les entend. Parce qu’on ne fait qu’entendre on n’écoute pas. Parce que je n'est pas seul à l'écoute, il ne peut l'être, ce serait un illogisme. Parce qu’il faut dépasser beaucoup de difficultés pour écouter vraiment, notamment celle du cœur qui cogne dans la poitrine, la douleur que ça fait dans la poitrine et qu’on ne peut pas dire, la douleur qu’on garde pour soi dans la poitrine. Pour soi ce n'est pas que moi ou je, c'est bien autre chose, c'est un ensemble. Cette douleur que l’on aiguise comme un bâton de réglisse pour pouvoir la sucer, s’en nourrir, et à la fin des fins pouvoir même en éprouver un certain plaisir. Un plaisir solitaire à marcher sur le chemin de l’école en éprouvant cette sensation d’un cœur qui se serre envahit soudain par le chant des oiseaux, qui se brise se fend, éclate comme une bogue de marron à la moindre sensation retrouvée d'une légèreté de l’air, d' une transparence entr'aperçue entre les flaques du sang qui flottent à la surface du Cher. Est-ce qu’il manque encore quelque chose à cet instant de l’écriture de la sensation, est-ce que quelque chose de terrible se dissimule encore après cet écoulement de mots qui charrie des flaques de sang, des zones de douleurs, le vert des algues qui dansent sous la surface des eaux. La sensation très présente de la mort se dissimule encore. Et aussi le contentement de voir ressurgir comme une issue à cette peur dans l’arrivée soudaine du printemps, dans le chant des oiseaux, quelque chose de violent et de doux en même temps.|couper{180}
