Le départ se fait dans la bourse paternelle, starting-blocks gluants. Puis le coup de feu. L’autoroute. Certains restent au bord, essoufflés avant d’avoir couru. D’autres se font dépasser, écrasés par le flux. Des milliards de concurrents au départ, un seul arrive : toi.
Tu es le champion. Celui qui a tenu. Tous ceux que tu croises sont des champions comme toi – cicatrices aux genoux, souffle court, mais debout.
Avant, tu courais par instinct. Maintenant tu sais que tu cours. Conscience : ce cadeau étrange d’être à la fois le coureur et le spectateur de sa propre course.
Tu perds du temps à te plaindre ? La course continue. Elle continue même si tu t’arrêtes, même si tu crois reculer. L’important n’est pas la vitesse, mais l’angle du regard.
Ce que tu dois apprendre est déjà écrit quelque part. Mais ton cœur – ce muscle qui bat depuis le premier coup de feu – peut infléchir le tracé. Donner sens au parcours. Changer, même légèrement, la pente de l’autoroute.
Je réecris ce texte en 2025 et il ne parle pas de la peur véritable qui en est le moteur, la nécéssité. C’est une peur banale, la peur de l’insignifiance. Si je devais réecrire ce texte aujourd’hui, j’essaierais de le reposer en trois parties
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L’esquive de la banalité de l’existence : Que la plupart des vies ne sont ni des épopées ni des courses effrénées, mais des séquences de routines, de petites joies, de souffrances ordinaires.
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La responsabilité personnelle : Que nos choix ont des conséquences, que nous ne sommes pas seulement des "champions sélectionnés" mais aussi des acteurs responsables.
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La souffrance spécifique : La douleur singulière, non métaphorique.
Et surtout j’essaierais de trouver une transition honnête entre la violence de la sélection naturelle et la dignité de l’existence consciente. Car Le texte fait un saut magique de l’un à l’autre, évitant la question difficile : Comment devient-on un "champion conscient" dans un système qui produit mécaniquement des "victimes" ?
Version 2025 — Sans métaphore de course
Je suis né d’une course. Des milliards de concurrents, un seul gagnant : moi. Cette statistique devrait m’émerveiller. Pourtant, je me réveille chaque matin avec la même lassitude.
La vérité est que la grande course, c’est le métro, le travail, les courses à faire, l’envie de se recoucher. Des routines, pas une épopée.
Hier, j’ai parlé sèchement à S.. Elle a pleuré. J’étais fatigué. Le "champion" sélectionné parmi des milliards peut être cruel par fatigue. La responsabilité n’est pas dans la grandeur, mais dans ces moments-là.
Je pense à mon cousin, mort à vingt ans. Lui n’a pas "tenu". À quoi bon lui dire qu’il était un champion ? Sa souffrance était spécifique : une chambre d’hôpital, des tubes, l’odeur du désinfectant. Pas une métaphore.
Alors comment concilier ? Comment être à la fois le miraculé statistique et l’homme qui pète les plombs par fatigue ?
Peut-être en arrêtant de chercher des champions et des victimes. En acceptant que nous sommes tous, simplement, des survivants. Avec nos cicatrices, nos lâchetés, nos moments de grâce.
Le vrai courage n’est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalité de sa propre vie, d’assumer la douleur qu’on cause, de se souvenir des visages de ceux qui n’ont pas tenu.
Et de continuer, malgré tout, à mettre un pied devant l’autre.