L’air est doré, chargé du sable du Baloutchistan. Sur le seuil de l’hôtel Osmani, face au terminal des bus, le kebabi remplit son auge de bois pour la braise de midi. Depuis une heure, les haut-parleurs des échoppes déversent des chants sirupeux, entêtants. Ça donne envie de marcher, de fuir ce point névralgique.

À l’Intercontinental, à l’est de la ville, je prends mon café soluble du matin. Rahim, le jeune Afghan, revient avec mes cigarettes. J’avale un pain rond, une théière de breuvage noir. Puis je sors, le Leica en bandoulière.

La route poudreuse vers Quetta. À droite, des campements de fortune. Je photographie des enfants maigres, aux regards étincelants. Il n’y a que des femmes et des enfants. Les hommes sont partis depuis des jours dans les montagnes, repousser l’ennemi. Cet ennemi qui revient toujours, pour une terre que personne ne contrôlera jamais mieux qu’eux.

Au retour, dans un carrefour du bazar, un jeune homme m’aborde.
— Mister, where are you from ?
— France.
Il a un sourire de soulagement. M’invite à prendre le thé, pour me montrer sa collection. « J’ai des amis partout. Des cartes postales de partout. »

Je le suis dans les méandres du marché. Sa chambre est minuscule. Sur les murs, des centaines de cartes punaisées : Melbourne, Tokyo, Paris. Nous nous sourions, ne parlons pas beaucoup. La porte s’ouvre : sa sœur, magnifique, apporte un plateau de thé et de gâteaux, disparaît.

Je reste une heure. Au moment de partir, il note son nom et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans mon portefeuille. Je prends quelques photos de lui, promet de les envoyer. Je dois attraper un train pour Lahore.

Avant la gare, un crochet. J’ai une autorisation pour l’hôpital. Photographier des victimes brûlés au napalm.

La pièce est baignée d’une lumière crue. Sur un lit, à contre-jour, une masse sombre. Mes yeux s’habituent : un homme assis au bord du matelas. Son corps est délabré. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un étonnement infini recouvre une fatigue infinie. Il est brûlé de partout. Des linges douteux collent à ses plaies. Plus de sourcils, plus de cils. Juste des yeux ronds, grands ouverts, qui me jaugent depuis la pénombre.