Frigidité littéraire.

John Gardner (voir plus d’information ici) parle de frigidité quand l’auteur ne creuse pas assez dans les émotions de l’un de ses personnages, qu’il évite de plonger au plus profond de son propre inconscient pour élaborer des descriptions. par exemple- des descriptions qui ne soient pas que factuelles ou simple accumulation de détails sans queue ni tête. Lorsqu’il traite un matériau sérieux et profond avec désinvolture ou superficialité, ou bien quand il ne cesse lui-même de se mette en avant au dépend de ses personnages, de l’intrigue, par une façon de raconter dans laquelle il ne parvient pas à s’effacer. Pour résumer Gardner considère qu’ il s’agit d’une faute grave car elle indique un manque de sensibilité ou d’attention de part de l’écrivain vis à vis de son sujet.

En quelques lignes voici donc simultanément une question une difficulté un doute qui m’incite à réfléchir encore plus quant à une façon d’écrire. Moins de quantité plus de qualité Possible que qualité et sobriété s’y trouvent mieux associés. Qu’un travail en amont comme en aval s’oriente grâce à de bonnes questions comme autant de point de repères vers la justesse du propos. Le mot frigidité assez désagréable à lire car tout de suite des personnages de femmes (?) surgissent. De ces femmes (?) superbes qui ne se résument qu’à cela. Mais ce serait la même observation quant aux beaux parleurs. Dont je me souviens avoir été à une époque de ma vie. L’utilisation de la parole mais aussi de l’écriture comme une auto-hypnose la plupart du temps. Et ce terme de frigidité très approprié qui resume bien ce qui se projette tel un nuage d’encre. Et l’effroi bien sûr de comprendre que l’on est très souvent ce que l’on rejette le plus. Et l’agacement du paragraphe rédigé à la suite en percevant justement une réalité désagréable, donc forcément du vrai.

Le premier janvier commence avec des cris. une histoire de tablette qu’un gamin emporte jusque dans les toilettes et qui met hors d’elle mon épouse sa grand-mère tandis que debout depuis quatre heure du matin pour écrire -mais râpé pour l’occasion- je m’étais recouché vers sept dans l’espoir de dormir au moins jusqu’à neuf. Danger que je perçois en revenant à l’usage du carnet non pas de tout y consigner comme je le faisais autrefois, mais de tout publier. Et en même temps je me rends compte aussi en raison de ces publications qu’elles font office de censure. Que le fait de m’obstiner à cette publication quotidienne trouve sans doute une justification en cela qu’elle m’empêche.

Ce qui ne m’empêche pas d’écrire en parallèle du blog des choses abominables. La détente que procure l’abominable ou le,terrifiant à rapprocher de la lecture de Lovecraft ou de cette visite de l’exposition de Munch et probablement Kokoschka ce lundi. une quête d’équilibre par le déséquilibre au final comme en peinture -souvent, toujours (?) de manière asymétrique.

Vertige de l’idiotie

Le juge des affaires familiales déclare donc, qu’en ces circonstances, la garde des enfants se réduira, pour la mère, à deux dimanches dans le mois , en dehors des périodes de vacances scolaires

Ce qui provoque dans l’immédiat la levée soudaine de ce corps assis face à lui puis un flot intempestif de paroles inconsidérées s’achevant par "un puisque c’est comme ça, allez tous vous fait foutre, je me barre" Puis le déplacement de ce même corps mais plus lourd soudain plus empêché, jusqu’à la porte qu’il ouvre puis claque derrière lui.

Ce qui provoque l’apparition sur le visage des enfants d’ une grimace que l’on pourrait traduire par comique si le tragique ne pouvait pas ne pas se traduire ainsi, la plupart du temps, pour un employé au greffe contraint à la plus juste des neutralités.

Et enfin vision à partir d’une fenêtre, sortie du tribunal, et le jaillissement de ces flots de bile mélangés à des restes de frites et autre éléments du déjeuner qui se répandent sur la chaussée. Une gerbe en mémoire d’une mère inconnue qui vient de les laisser choir comme de vieilles chaussettes malodorantes et trouées. Un vertige dû à cette découverte trop précoce de l’ illusion d’un lien de filiation qui se dérobe sous de petits pieds d’enfants, comme un sol emporté par une nouvelle crue du réel.

cherche le mot frigide sur google... et tu tombes sur des pages et des pages à propos de l’orgasme. Ce qui ne t’explique pas grand-chose. Ou bien ce n’est pas dans cette direction du tout que tu veux te rendre. l’orgasme n’étant au bout du compte qu’un livre, un tableau, un résultat, une cendre.

Pour continuer

Carnets | janvier 2023

18 janvier 2023-4

Un homme qui monte doit descendre à un moment ou à un autre. Et ce, quel que soit le moyen qu'il choisira d'emprunter : ascenseur, escalier, ballon de Montgolfier, fusée. La loi de la pesanteur oblige. Il ne convient pas d'en être à chaque fois surpris ou étonné, ni de s'en plaindre, pas plus que de s'en réjouir. Ensuite, quand on le sait, ce que l'on en fait... Tu l'as toujours su puisque tu as vécu à la campagne. Tu as vu des hommes monter sur des charrettes de foin et d'autres tomber de haut quand ils s'apercevaient qu'ils étaient cocus ou bourrés comme des coings. Dès l'enfance, tu t'es trouvé confronté à la loi. Tous ces rêves de vol que tu effectuais de nuit alternent encore dans ta mémoire avec les raclées magistrales qui te jetaient à terre. Une longue répétition servant d'apprentissage comme de vérification de tes premières intuitions. Parfois quand tu y penses, tu pleures, d'autres fois tu ris. Les souvenirs, comme les émotions, subissent aussi la loi de la pesanteur, il ne faut pas croire.|couper{180}

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023-3

À l'église quand tu y allais, tu ne parlais pas. Tu chantais quand il fallait chanter. Mais en pension à Saint-Stanislas, et bien que tu chantasses la plupart du temps assez correctement, tu te mis alors à chanter faux. Tu voulais déranger quelque chose. Et cela, tu t'en souviens, n'était pas pour te faire remarquer, c'était plus profond que ça. Viscéral. À la cérémonie funèbre de ta mère, quelques minutes avant l'incinération, on t'a proposé de parler, de dire quelques mots, mais il n'y avait que ton épouse, ton père et ton frère, plus les employés des pompes funèbres. Tu as décidé que c'était grotesque juste à l'instant d'essayer d'ouvrir la bouche quand tu fus monté sur la petite estrade face au microphone. Tu as regardé l'assemblée puis tu as baissé la tête, tu as capitulé, vaincu par le ridicule. Une des seules fois dans ta vie où tu n'auras pas osé y plonger tout entier. Sur ta chaîne YouTube, tu as beaucoup parlé mais avec le recul tu n'as jamais pris le temps de réécouter ce que tu as dit. Sans doute parce que toute parole est liée à un instant et qu'une fois l'instant passé, cette parole devient morte, qu'il n'y a plus de raison valable de s'y intéresser. Comme si cette parole dans le fond n'avait fait que te traverser, qu'elle ne t'appartenait pas. Par contre, tu aimes écouter les vidéos de François Bon, tu les réécoutes avec plaisir. Et surtout tu y découvres au fur et à mesure des informations que tu n'avais, semble-t-il, pas entendues à la première écoute. Il y a ainsi des émissions que tu écoutes en boucle et d'autres, réalisées par d'autres créateurs de contenu, dont les bras t'en tombent dès les premières minutes. Est-ce que commenter, c'est parler ? Peut-être. Tu ne parviens plus à commenter dans certains lieux et dans d'autres oui. L'interruption des commentaires a commencé quand tu as fait une recherche sur ton nom sur ce moteur de recherche. Le nombre de commentaires qui te sont apparus idiots, inutiles t'a aussitôt sauté aux yeux. Rédiger un commentaire t'oblige presque aussitôt à affronter le ridicule puis à le vaincre ou à te laisser à l'à-quoi-bon. Quand tu te dis "ça ne changera pas la face du monde, qui es-tu donc pour t'autoriser ainsi à commenter, à apparaître ?" Le fait que ça puisse encourager l'autre, tu t'en dispenses désormais car d'une certaine façon c'était aussi une image trouble, cette pensée d'encourager l'autre dans une réflexivité ; d'ailleurs les réseaux sociaux fonctionnent sur cette réflexivité la plupart du temps. Le fait qu'elle te gêne jusqu'à l'insupportable est corrélé à tes états de fatigue, d'humeur, ou de lucidité. De la chimie. Tu préfères alors te taire devant cette réalité chimique quand tu ne peux faire autrement que de la voir comme un nez au milieu d'une figure. Parler, c'est faire signe avant tout. Mais pourquoi faire signe ? On en revient toujours à la question. Faire signe, désigner, dessiner non pour obtenir quelque chose ni pour dire "tu as vu, je te fais signe, je te signifie quelque chose." La fatigue de tout ça, due au poids de l'âge imagines-tu parfois, mais surtout au sentiment de ta propre insignifiance. Il y a des jours où l'insignifiance est ce refuge préférable à tout autre. Tu es capable de rester silencieux envers certaines personnes durant un laps de temps considérable. Tu n'as pas vu tes parents pendant 10 ans autrefois. Aucune parole échangée en 10 ans avec M. et aussi avec D. Cependant, la conversation reprend exactement là où elle s'est arrêtée dans le temps comme si pour toi il n'y avait pas de temps. L'expression "être de parole", tenir sa promesse, tu peux la comprendre bien sûr. Mais de quelle parole s'agit-il dans ce cas ? La question reste en suspens. Se fier à sa propre parole, d'expérience, te semble toujours suspect, tout comme se fier à n'importe quelle parole. La parole c'est du vent la plupart du temps et donc c'est l'esprit. Qui serait assez cinglé pour confondre l'esprit et soi-même ? L'indomptable esprit comme disent les bouddhistes. Non, il faut s'asseoir, l'observer agir, parler, ne pas vouloir l'enfermer dans une clôture, c'est ainsi que l'on s'en libère au mieux. Ce qui reste ensuite, on l'ignore. Un silence éloquent.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | janvier 2023

17 janvier 2023-2

Ainsi, pour que l'illusion soit complète, qu'elle se referme sur elle-même comme un cercle, il serait nécessaire de désigner deux points distincts mentalement, disons A et B, deux points choisis parmi une infinité. Tu le fais chaque jour, plusieurs fois par jour, la plupart du temps en prenant un crayon. Tu traces une ligne pour dessiner, mais depuis quel point de départ, quelle origine ? Tu peux dire n'importe quel point de départ fera bien l'affaire. Mais c'est botter en touche. Ce n'est pas cette origine-là qui importe mais celle qui t'a conduit, au travers de milliers et de milliers de possibles, à cet instant présent, à t'asseoir, à prendre ce crayon et à tracer cette ligne. Que matérialise pour toi véritablement une telle ligne qui s'élance d'un point à un autre, qui avec toi se déplace dans l'espace et le temps sur le lieu de la feuille ? Et si tu te mettais à y songer vraiment, si tu imaginais que cette ligne contient tout ce que tu as vécu depuis ta propre origine jusqu'à présent, est-ce que ça changerait quelque chose à l'action de dessiner ? Probable, voire certain, que c'est justement à ce genre de connerie qu'il ne faut pas penser pour dessiner. Donc quand tu te déplaces, tu sais peut-être d'où tu pars mais la plupart du temps tu te fiches de l'arrivée. Ou tu ne veux pas y penser pour pouvoir ainsi continuer à dessiner. Tu te déplaces sur la feuille de papier comme dans ta vie. Tu sais qu'il n'y a en fin de compte qu'une seule arrivée réelle et qu'il ne sert à rien de t'y intéresser de trop près, de peur d'être tétanisé par la peur ou par l'espoir - la joie ? La confiance ? - et au final de te retrouver dans une impossibilité de faire quoi que ce soit. D'une certaine façon, tu pourrais te ranger dans le mouvement de l'art pauvre, celui qui s'intéresse plus spécifiquement à l'origine des matériaux, à une origine tout court pour lutter contre l'obsession des buts qui ne sont que des ersatz. Sauf que toi, tu veux peindre des tableaux, tu es anachronique et tu te bouches les oreilles quand on te parle de Marcel Duchamp. Il faut aussi se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu.|couper{180}

réflexions sur l’art