Lutter contre l’insignifiance

Quand le fils alla trouver le père pour lui apprendre qu’il désirait être écrivain, ce dernier haussa les épaules et dit « ce n’est pas un métier », sur quoi il appuya sur le bouton du poste de télévision et ils allèrent s’installer à la grande table de la salle à manger.

Ni la mère ni le frère ne s’aperçurent de rien. Il y avait eu une déflagration silencieuse et nul ne se rendit compte qu’à l’intérieur de la cervelle du fils, une plaie béante venait tout juste d’apparaître.

Tout le monde mangea la soupe sans mot dire puis, une fois la table débarrassée, comme chaque soir, tout le monde alla s’échouer sur les fauteuils, les canapés pour s’endormir doucement devant un programme soporifique à souhait.

Le fils ce soir-là s’endormit le premier.

Dans son rêve il imagina qu’il courait mais ne pouvait avancer d’un seul centimètre. En fait, il s’éveilla au bout d’un moment et constata qu’il était le seul à être resté au salon, tout le monde était parti se coucher.

Il se leva et aussitôt un sentiment d’insignifiance formidable s’empara de lui. C’était comme un nouveau costume qu’il venait d’enfiler. En l’espace de quelques minutes, tout au plus une heure, tout ce qui avait eu jusque-là la moindre importance à l’extérieur comme à l’intérieur de lui s’était engouffré dans cette étrange sensation qu’il éprouvait désormais.

Pour pallier l’angoisse qu’il éprouva, il se rendit dans la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Il avala quelques tranches de jambon, puis piocha dans un paquet de pain de mie dont il déchira la tranche à pleines dents. Il termina sa collation intempestive par deux yaourts qu’il engloutit rapidement en employant une cuillère à soupe.

Une fois qu’il trouva la satiété, il s’étira sans toutefois éprouver de contentement véritable. La sensation d’insignifiance était toujours là malgré la nourriture qu’il avait avalée, malgré le poids de celle-ci qu’il sentait peser sur son estomac.

Alors il monta l’escalier doucement pour ne réveiller personne, s’allongea sur son lit et fit le tour de toutes les images des femmes qui provoquaient en lui du désir.

Il s’arrêta sur celle de la voisine, une hôtesse de l’air hystérique à la poitrine généreuse et au langage vulgaire, et se masturba.

Il espérait que le sommeil reviendrait une fois qu’il aurait joui, mais au contraire la sensation d’insignifiance qu’il éprouvait désormais avait encore augmenté.

Ce fut à cet instant probablement qu’il s’empara du petit carnet qu’il venait d’acheter quelques jours auparavant en se promettant de tenir son « journal de bord ».

Il inscrivit la date du jour et l’heure, il était désormais 2h52 du matin, et puis sa main resta en suspens dans l’attente de l’inspiration qui ne vint pas cette nuit-là.

Pour continuer

Carnets | septembre

Encore une fois tout larguer

Ça me démange depuis un moment, toutes ces pitreries sur les réseaux sociaux, ces affolements multiples pour monter des expositions, rencontrer des notables, écouter les « c'est beau » stoïquement, tout en conservant dans mon for intérieur la notion d'une magistrale supercherie, d'un « à quoi bon » monumental. J'ai beaucoup espéré mais encore une fois c'est ma responsabilité et je dois l'assumer. Beaucoup d'espoir c'est beaucoup de déception et je ne suis plus un ado mais un homme de 60 ans bientôt qui ne peut plus guère se mentir à lui-même ni à ses proches. Alors monte en moi comme un appel, le vieil appel auquel j'ai toujours répondu systématiquement, celui de la fuite, de tout larguer pour imaginer recommencer autre chose comme on déchire une feuille de papier pour la jeter à la corbeille et en prendre une nouvelle, une jolie feuille blanche qui probablement contiendra la même chose que ce qu'on vient de jeter, mais ça on ne se le dit pas trop, on l'esquive. Je n'ai pas su construire cette fois un personnage bien solide. Celui de l'artiste peintre se fissure de tous côtés. Il prend l'eau comme les coquilles de noix sur lesquelles les émigrés du monde écarté, les laissés-pour-compte, s'imaginent eux aussi pouvoir atteindre au salut. Alors encore une fois, tout effacer, reprendre une nouvelle feuille, un nouveau stylo et repartir vers l'inconnu, cet inconnu que je ne cesse jamais de vouloir fuir autant que de m'en rapprocher. Supprimer mes comptes Facebook, dans mon esprit c'est revenir à l'anonymat, nostalgie de celui-ci depuis le point de vue du peu que je suis envers le rien béant. Je m'interroge aussi sur le bien-fondé de ce blog, sur la valeur réelle qu'il peut vraiment apporter à quiconque d'autre que moi, possible qu'il finisse à la poubelle aussi pour me libérer encore de toute velléité de gribouilleur ou d'écrivailleur. Mais le fait est que je ne peux me passer ni de l'un ni de l'autre, j'ai besoin de dessiner comme j'ai besoin d'écrire ce qui me passe par la tête et juste comme ça sans prétention véritable dans le fond autre que de stabiliser ma journée, du fond des nuits durant lesquelles je sévis. Dans le fond des choses, qu'ai-je donc cherché à atteindre ? Sinon assurer de façon inédite, plus amusante en tout cas que tous les jobs débiles que j'ai pu commettre, le quotidien et rien de plus.|couper{180}

Carnets | septembre

Tu n’es rien

Cette petite phrase qui tourne depuis toujours dans ma tête depuis l'enfance, je crois qu'elle a fini par prendre une place centrale. En fait je cherche un axe en peinture et je me disperse sans arrêt pour lui échapper. À chaque fois c'est un château de sable plus ou moins adroitement créé avec courage et cœur — c'est ce que je me dis — mais je pourrais tout autant parler d'une obligation de survie, et qui s'effondre avalé par la mer et le temps. « Tu n'es rien » et puis associé « tu ne vaux rien », « tu ne devrais pas exister », « à quelques centimètres près tu n'étais qu'une crotte », « tu n'y arriveras jamais ». À quoi ? sinon à leur ressembler, à être comme eux, aussi bon, aussi monstrueux ? mystère béant d'où sourd la violence, la haine, le désespoir, toute une vie de désordre. Bien sûr mon orgueil en a pris un bon coup. J'en fus conscient plus tard, pas tout de suite cependant. Alors j'ai déployé des stratégies, des stratagèmes pour compenser le vide inouï. Mais rien n'y faisait jamais. Que ce soit n'importe qui face à moi qui me rappelle ma note fondamentale, mon vide ontologique, tout s'écroulait en silence irrémédiablement, sans mot dire, et je retournais in petto dans un terrier quelconque pour me désagréger lentement, m'éroder encore un peu plus, devenir arbre sec dans l'ignorance du fruit, dans le refus du fruit. L'amour fut longtemps un fanal, un drapeau à ne pas perdre du regard durant la boucherie et cela hier encore me donnait de l'espoir. Parvenir à sauver l'amour coûte que coûte, n'était-ce pas faire la nique au destin ? pardonner pour rebondir vers les étoiles, la métaphysique, l'art ? Je n'ai jamais effectué que de pâles soubresauts de puce. Plus assez de foi, plus assez de vigueur, une fatigue de tout pour me réfugier à nouveau bien au chaud dans le rien. Tous ces personnages inventés de toutes pièces, du prince charmant à l'amant, du bon père de famille au traître sans vergogne, du voyou, de l'escroc, du bon employé servile, du mauvais payeur, du bon professeur et de l'artiste raté, tout cela ne fut que passe-temps, diversion pour échapper au maelström du rien. En explorant tous ces costumes j'ai appris que le rien m'était aussi une force, j'ai été surpris par la crédulité, la naïveté, la confiance qui m'étaient accordées comme des crédits bancaires pratiquement toujours. Et bien sûr pendant longtemps j'ai oublié de payer les échéances, les intérêts, combien de fois ai-je déménagé à la cloche de bois de mes amours, de mes amitiés ? Je me suis dit, récité, j'ai inventé des mantras pour ne pas oublier que le rien m'appartenait. Avec rien j'ai fait bien plus que certains avec tout, sans oublier de m'en enorgueillir copieusement par manque ou excès affreux de confiance en moi, ce qui est du pareil au même. « Tu n'es rien », on ne réfléchit pas à la langue enfant, peu importe la négation et l'affirmation, cela pénètre directement le subconscient. Si je me penchais un peu plus aujourd'hui sur cette phrase, si je la décortiquais patiemment sans peur, je me demande si soudain elle ne signifierait pas bien autre chose. Une maladresse cachant une adresse logée dans un futur radieux de chaleur et d'amour vrai enfin, car dans le fond celui et celle qui autrefois me la rappelaient sans cesse, n'étaient pas des linguistes chevronnés, ils n'étaient que mes parents et ils devaient inconsciemment tenter de formuler une affirmation malgré tout. Car « tu n'es rien » ce n'est pas « tu es rien ». « Tu n'es rien » laisse percevoir un tout que je n'ai jamais voulu voir, aveuglé par le vide dans lequel j'ai sauté la tête la première. D'un autre côté, on m'aurait dit « tu es tout », je ne suis pas sûr du tout que je m'en serais sorti mieux.|couper{180}

Carnets | septembre

Ce texte propose une réflexion sur la nature du cerveau humain et de...

Notre cerveau est une machine fascinante, mais son fonctionnement et ses relations avec l’esprit restent entourés de mystère. Alors que les neurosciences tentent d’apporter des réponses, de nombreuses questions demeurent : le cerveau est-il simplement une interface ou une antenne qui capte quelque chose de plus grand ? Et la conscience, est-elle seulement un phénomène électrique ou une porte vers l’inconnu ? Autant d’interrogations que l’auteur explore à travers un prisme à la fois scientifique et poétique.|couper{180}

Esthétique et Expérience Sensorielle Narration et Expérimentation