Ce texte propose une réflexion sur la nature du cerveau humain et de...

dessin aléatoire au crayon qui pourrait évoquer une zone du cerveau ou toute autre chose qui vous passera par l'esprit
Dessin aléatoire au crayon
dessin aléatoire au crayon qui a inspiré ce texte
patrick blanchon

Notre cerveau, selon les dernières découvertes à ma disposition, est une entité pour le moins étrange. Il est froid, insensible à la douleur, et n’éprouve aucune émotion. Sa structure est d’une telle complexité que nous sommes encore incapables d’en reproduire un modèle précis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou même pour approcher leur fonctionnement. Lors du développement fœtal, le cerveau de l’enfant génère à une vitesse stupéfiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau préfrontal, celui qui nous permet de prendre des décisions rationnelles et mûres, n’atteindrait pas sa pleine maturité avant l’âge de trente ans.

Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l’esprit sont une seule et même chose. Les images médicales qui montrent l’activité cérébrale d’une personne en pleine réflexion ne nous éclairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c’est bien le cerveau qui pense, ou s’il interagit avec une autre entité que l’on pourrait appeler l’esprit, ce spiritus qui anime tout être vivant.

Il est possible que le cerveau ne soit qu’une interface, un périphérique sophistiqué, ou peut-être même une sorte d’antenne. Ce qui est certain, c’est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, grâce à ce centre nerveux, qui régule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce phénomène est un mystère fascinant : nous sommes capables de contrôler notre respiration volontairement, alors qu’aucun animal, pas même les primates, ne possède cette faculté.

Depuis l’époque de Galien, lorsqu’il disséquait des cerveaux de singes, près de 200 différences ont été relevées entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d’affirmer avec certitude que l’homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s’est produit entre les deux.

En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contrôlons pas du tout : celui qui régule notre cœur. Lorsque ce dernier est gravement détérioré et qu’il est sur le point de s’arrêter, c’est le cerveau qui envoie le dernier signal pour éteindre définitivement la machine.

Si l’on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l’on les étendait bout à bout, on obtiendrait une longueur équivalente à deux fois le tour de la Terre.

Enveloppé dans une sorte de substance gluante peu ragoûtante, le cerveau se protège derrière cinq couches, formant une véritable forteresse impénétrable. Qu’est-ce qui rend le cerveau humain si différent de celui des primates ? Pourquoi le fameux "chaînon manquant" reste-t-il une énigme non résolue ? On pourrait évoquer toutes sortes de théories, y compris celle d’une intervention génétique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue.

Quant à l’esprit, à la conscience, personne n’a encore réussi à définir précisément ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-être une piste intéressante, une hypothèse poétique qui relie astrophysique et esprit humain.

Si l’on observe de près le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n’est pas si loin du nombre d’étoiles et de corps célestes dans l’univers. De plus, on découvre maintenant que tout baigne dans une sorte de matière noire ou d’énergie noire. Il est étrange de constater qu’un phénomène similaire existe dans notre cerveau, qu’on appelle le corps noir.

Il faudrait sans doute revenir à l’alchimie pour explorer certaines idées qui avaient déjà été pensées bien avant nos récentes « découvertes » scientifiques. Mais je ne vais pas m’étendre sur le sujet, cela mériterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient déjà : Paracelse, entre autres, et bien d’autres avant lui. Que l’on parle de l’esprit primordial, du Grand Esprit des Amérindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu’on lui donne, ce qui importe, c’est que nous ressentons tous sa présence, sans jamais vraiment pouvoir la définir scientifiquement.

La même difficulté s’applique à la conscience. Aujourd’hui, dans cette ère où les neurosciences sont en vogue, personne ne peut réellement affirmer ce qu’est la conscience. Est-ce simplement une impulsion électrique générée par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu’il y a quelque chose de plus profond qu’une simple lumière qui s’allumerait et s’éteindrait.

Il paraît que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une énergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette électricité, il la produit lui-même ! Nous commençons seulement à explorer ce phénomène.

Peut-être devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, où la méditation de pleine conscience est pratiquée depuis des siècles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens où nous l’entendons généralement, mais qu’importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et considérer les choses sous un angle différent. Ce mot, considérer, signifie littéralement « regarder toutes les étoiles en même temps ».

Carnets | septembre

16 septembre 2019

Il y a quelques années, une rétrospective des frères peintres Bram et Geer Van Velde se tenait à Lyon. À travers l’histoire de ces deux artistes, l’auteur explore la force du déracinement, l’influence de l’exil et la naissance d’un langage pictural unique. Ce parcours témoigne de la nécessité de la faim créatrice et du travail acharné, indispensables à la révélation artistique.|couper{180}

affects peintres réflexions sur l’art

Carnets | septembre

La peinture de Patrick Robbe-Grillet

Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me détourne — non par indifférence, mais par effroi. Une panique douce m’attrape, un pas de côté, comme si j’approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, croisées un soir sur l’écran fade d’un site d’art contemporain. Je crus d’abord à une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualité leur vacuité. On rabaisse souvent ce qui nous résiste. C’est plus facile, moins honteux que d’admettre qu’on n’y entre pas. Et pourtant, j’y suis retourné. Plusieurs fois, à distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l’on s’y tienne, juste là, au bord. Comme si l’image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c’est cela, précisément, qui aveugle : l’habitude. Elle bâillonne l’œil. Elle fortifie autour de nous des cloisons de répétitions, et derrière ces murs on croit être à l’abri — alors qu’on ne fait que tourner en rond dans la cour familière de nos certitudes. On peut, bien sûr, s’arrêter à la beauté immédiate de ses grandes toiles, à leur éclat, à la séduction première des champs monochromes. Je l’ai fait. Mais très vite, une gêne est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J’ai fouillé, cherché des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un séjour en Chine, et ce qu’on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots déjà vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun récit pour que l’on puisse, à la faveur d’un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la matière, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un désordre qui, peut-être, n’est même pas un désordre. Peut-être est-ce le réel qui a cessé de se contraindre. Et c’est là que m’est venu le mot. S’absenter. Voilà. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s’est écarté. Et c’est dans ce retrait qu’apparaît le vrai. S’absenter — non pour disparaître, mais pour laisser place. S’absenter, comme une élégance. Un effacement actif. Ce n’est pas l’abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela à l’opposé d’un De Kooning, éclatant, saturé, frontal. Et pourtant, ces deux-là — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d’un côté, nef de cathédrale de l’autre. Même lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en vérité, c’est d’une même chose : la nécessité de s’effacer pour peindre. Car c’est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-là, ce vestige du peintre rendu à l’absence, voilà ce que je reçois aujourd’hui comme un savoir. Illustration : Envolée Lyrique, Patrick Robbe Grillet|couper{180}

peintres

Carnets | septembre

Impeccabilité

En tant que peintre, il suit une voie qu’il n’a pas choisie. L’envie de créer ne lui a apporté que des problèmes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l’éloigne de ce que l’on appelle « la vie active ». Il met des années à se débarrasser de cette culpabilité. C’est sans doute l’un de ses travaux les plus importants. Il ne sait pas exactement ce qui l’aide à assumer ce rôle. C’est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au début, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie mène à l’assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne mène directement à soi. Pourtant, c’est l’ensemble de ces détours qui lui révèle qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-même. » Il apprend à l’écouter. Il l’appelle l’impeccabilité. L’impeccabilité n’est pas la perfection. Elle ne s’atteint pas. On ne peut que vouloir l’être. Pour cela, deux outils : devenir excellent et maîtriser son art. Il faut cesser d’obéir. Non seulement aux autres, mais aussi à nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se déleste, plus la petite voix devient claire. Elle n’a pas besoin d’emphase. « La petite voix », cela suffit. Être impeccable, ce n’est pas vivre en ermite. C’est être pleinement engagé. On peut vivre dans la société en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend à le savourer. Il enseigne l’humilité. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l’on tente de s’éloigner, la vie nous ramène. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but à tout cela.|couper{180}

peinture
Impeccabilité