16 septembre 2019

Il y a quelques années, une exposition magistrale se tient à Lyon, une rétrospective des frères peintres Bram et Geer Van Velde.

Sur des voies parallèles, les deux frères ne se rejoignent qu’à la limite que propose la fratrie, à l’horizon de sa volonté de trouver des « points communs ». Il suit le parcours proposé par le musée des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l’historien d’art Rainer Michael Mason.

À travers le cheminement des œuvres, il retrouve une sensation qui lui est chère, peut-être même le moteur invisible de la naissance de ces deux œuvres enfin réunies côte à côte : le déracinement.

Hollandais d’origine, les deux frères entretiennent une relation étroite, marquée par l’exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d’important : l’inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derrière eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs repères, et de leur identité.

Employés tous deux dans une entreprise de peinture et de décoration à La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les années 1915 et 1920.

C’est grâce à un voyage en Allemagne, proposé par son patron, que Bram continue à développer sa culture artistique, dans un village où il côtoie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch — à l’origine de l’expressionnisme — et d’Emil Nolde, qui lui apprend à placer la subjectivité au centre de toute représentation.

Plus tard, Bram se rend à Paris, où il tâtonne en s’essayant à plusieurs genres, jusqu’à recevoir la « leçon de Matisse » et la « révélation » de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant à l’âge adulte. Mais c’est en Corse qu’il élabore véritablement son langage.

Geer rejoint son frère à Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l’art naïf. Les deux frères commencent alors à exposer ensemble, inséparables.

Dans les années 30, Bram s’installe à Majorque, où il restera jusqu’à la guerre d’Espagne. C’est là qu’il s’éloigne définitivement de la figuration tout en continuant à peindre ce qu’il voit, tel qu’il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui définiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l’expression d’une peinture pure, un fait plastique authentique fondé sur une vision intériorisée du monde.

Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles à ses yeux.

D’une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s’exprimer. Malheureusement, Bram ne connaît pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D’autre part, il faut travailler sans relâche, multiplier les tentatives, échouer encore et encore, s’égarer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient véritablement la révélation d’une palette de couleurs ou d’un langage formel, mais une chose est certaine : elle n’arrive pas par hasard. Il faut travailler énormément pour cela.

Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent à la postérité. Pourquoi Bram devient-il plus « célèbre » que Geer, sans doute jugé trop conventionnel par les gardiens du temple de l’art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui étaient célèbres jadis peuvent tomber dans l’oubli, et vice versa, au gré des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l’air du temps.

Loin de lui l’idée de jouer les critiques d’art à travers ces petits textes sur les peintres qui ont compté dans son parcours. Non, écrire lui permet avant tout de clarifier ses pensées, de les hiérarchiser, d’en comprendre l’importance, et peut-être, par ricochet, de les faire saisir à d’autres. Ce qui serait déjà un petit miracle en soi.

Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s’éloigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a été d’une importance capitale dans son parcours.

Carnets | septembre

Ce texte propose une réflexion sur la nature du cerveau humain et de...

Notre cerveau est une machine fascinante, mais son fonctionnement et ses relations avec l’esprit restent entourés de mystère. Alors que les neurosciences tentent d’apporter des réponses, de nombreuses questions demeurent : le cerveau est-il simplement une interface ou une antenne qui capte quelque chose de plus grand ? Et la conscience, est-elle seulement un phénomène électrique ou une porte vers l’inconnu ? Autant d’interrogations que l’auteur explore à travers un prisme à la fois scientifique et poétique.|couper{180}

Esthétique et Expérience Sensorielle Narration et Expérimentation

Carnets | septembre

La peinture de Patrick Robbe-Grillet

Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me détourne — non par indifférence, mais par effroi. Une panique douce m’attrape, un pas de côté, comme si j’approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, croisées un soir sur l’écran fade d’un site d’art contemporain. Je crus d’abord à une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualité leur vacuité. On rabaisse souvent ce qui nous résiste. C’est plus facile, moins honteux que d’admettre qu’on n’y entre pas. Et pourtant, j’y suis retourné. Plusieurs fois, à distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l’on s’y tienne, juste là, au bord. Comme si l’image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c’est cela, précisément, qui aveugle : l’habitude. Elle bâillonne l’œil. Elle fortifie autour de nous des cloisons de répétitions, et derrière ces murs on croit être à l’abri — alors qu’on ne fait que tourner en rond dans la cour familière de nos certitudes. On peut, bien sûr, s’arrêter à la beauté immédiate de ses grandes toiles, à leur éclat, à la séduction première des champs monochromes. Je l’ai fait. Mais très vite, une gêne est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J’ai fouillé, cherché des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un séjour en Chine, et ce qu’on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots déjà vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun récit pour que l’on puisse, à la faveur d’un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la matière, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un désordre qui, peut-être, n’est même pas un désordre. Peut-être est-ce le réel qui a cessé de se contraindre. Et c’est là que m’est venu le mot. S’absenter. Voilà. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s’est écarté. Et c’est dans ce retrait qu’apparaît le vrai. S’absenter — non pour disparaître, mais pour laisser place. S’absenter, comme une élégance. Un effacement actif. Ce n’est pas l’abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela à l’opposé d’un De Kooning, éclatant, saturé, frontal. Et pourtant, ces deux-là — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d’un côté, nef de cathédrale de l’autre. Même lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en vérité, c’est d’une même chose : la nécessité de s’effacer pour peindre. Car c’est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-là, ce vestige du peintre rendu à l’absence, voilà ce que je reçois aujourd’hui comme un savoir. Illustration : Envolée Lyrique, Patrick Robbe Grillet|couper{180}

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Carnets | septembre

Impeccabilité

En tant que peintre, il suit une voie qu’il n’a pas choisie. L’envie de créer ne lui a apporté que des problèmes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l’éloigne de ce que l’on appelle « la vie active ». Il met des années à se débarrasser de cette culpabilité. C’est sans doute l’un de ses travaux les plus importants. Il ne sait pas exactement ce qui l’aide à assumer ce rôle. C’est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au début, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie mène à l’assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne mène directement à soi. Pourtant, c’est l’ensemble de ces détours qui lui révèle qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-même. » Il apprend à l’écouter. Il l’appelle l’impeccabilité. L’impeccabilité n’est pas la perfection. Elle ne s’atteint pas. On ne peut que vouloir l’être. Pour cela, deux outils : devenir excellent et maîtriser son art. Il faut cesser d’obéir. Non seulement aux autres, mais aussi à nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se déleste, plus la petite voix devient claire. Elle n’a pas besoin d’emphase. « La petite voix », cela suffit. Être impeccable, ce n’est pas vivre en ermite. C’est être pleinement engagé. On peut vivre dans la société en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend à le savourer. Il enseigne l’humilité. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l’on tente de s’éloigner, la vie nous ramène. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but à tout cela.|couper{180}

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Impeccabilité