Reprendre un tableau c’est avant tout le lâcher. En faire autre chose que ce qu’il était spontanément. En général ça finit toujours assez mal, comme reprendre des pâtes, un ancien amour, un petit verre pour la route.
Illustration :Tableau repris.
Reprendre un tableau c’est avant tout le lâcher. En faire autre chose que ce qu’il était spontanément. En général ça finit toujours assez mal, comme reprendre des pâtes, un ancien amour, un petit verre pour la route.
Illustration :Tableau repris.
Carnets | novembre 2022
Cheminement de l'écriture le matin. Reprendre un vieux texte pour le réduire. écrire comme on se chauffe. En remettre une nouvelle couche. Tu n’es pas là, tu n’y arrives pas. Inspire. Profondément. Maintenant danse. Laisse danser le corps, le pinceau. Respire. Voilà tu y es. Tu y arrives. Et ce n’est plus toi. C’est un pinceau qui danse. Pas compris comment une pensée pouvait parvenir au bout de mon pinceau. J'ai toujours peint sans y penser. Près de l'étang de Saint-Bonnet de Tronçais dans l'Allier, les roseaux peignent sans pensée. Plus loin à Oullins sur le bord de l'Yseron, les longs bambous encore verts achèvent le tableau. toute toile commencée demande qu'on l'achève mais on n'est pas tenu de l'écouter tout le temps. L'inachevé c'est un chemin offert à l'autre. Rien n'est irrémédiable en peinture sauf si toi tu veux en décider autrement. On ne peint pas pour exposer son travail. on peint parce qu'on ne peut pas faire autrement. Dire je peins pour vivre est souvent plus juste que le contraire. La sensiblerie existe en peinture, mais tu ne la vois toujours que chez les autres. Elle te dégoute au début, puis tu comprends qu'elle est ta propre idée de la sensiblerie. Ce que tu appelles sensiblerie est cet obstacle que tu places inconsciemment sur le chemin vers l'autre. Ta mère, tout bien réfléchi, n'était que sensiblerie. Et elle te défendait de parler sitôt qu'elle reconnaissait dans tes propos sa propre sensiblerie. Elle disait : —arrête de te réfugier dans la sensiblerie. ta mère a toujours refusé une trop grande proximité avec l'autre quel qu'il soit. Et on peut bien dormir dans un même lit, avoir des enfants, les éduquer sans jamais se départir d'une tel règle que l'on s'impose comme on enfonce un clou dans sa paume.. Je crois que le refus de la proximité la renforce encore plus. Les enfants surtout le ressentent. ce qu'elle nommait sensiblerie était-ce vraiment de la sensiblerie, c'est plutôt ce qui lui appartenait le plus qu'elle ne cessait jamais de vouloir dissimuler. Parce qu'elle se faisait un idée d'elle de femme forte. Parce que mon père était un enfant colérique d'une sensiblerie monstrueuse. Il l'aurait dévorée toute entière si elle n'avait pas eu l'intuition de dissimuler ses véritables sentiments aussi bien à lui, à nous, et au bout du compte à elle-même. D'ailleurs si on s'appuie sur les faits seulement, sa volonté d'être incinérée, que ses cendres soient dispersées, indique bien à quel point elle s'éloignerait un jour définitivement. Qu'elle recouvrirait sa liberté, qu'elle serait à ce moment là, une inconnue pour nous tous. Lorsque mon épouse que j'ai connue quelques semaines avant le décès de ma mère, voit la scène, elle comprend aussitôt l'intensité de la tragédie. Nous sommes allés le jour même de l'incinération faire graver une plaque « ASTRID » et acheté une concession pour déposer ensuite la plaque. Ton père cependant a respecté à la lettre les volontés de ta mère. Les cendres furent malgré nos tentatives, mon épouse et moi de l'en dissuader, dispersées sur un ensemble de galets au milieu du jardin du souvenir. Et regarde un peu la sensiblerie ici : des années il se sera recueillit sur une tombe vide, face à la plaque que nous avions fait graver, sachant pertinemment qu'il n'y avait pas d'urne, pas de cendre ici. Il n'y avait là qu'un « ici-gît » extrêmement pathétique voire grotesque, un ci-gît sans dépouille. Cela en dit long sur l'imagination de chacun. Lui aura continué à s'imaginer avoir perdu la femme de sa vie alors que durant toute l'existence de celle-ci il l'a traitée comme une moins que rien. Parce qu'il en avait peur dans le fond. Le despotisme vient souvent de peurs irraisonnées. Quant à moi j'ai toujours eu un doute vis à vis de cette femme que j'ai appelée maman. Enfant je la sentais fausse. Mais elle n'était que seule, profondément, et vivait dans un malaise permanent de ne jamais pouvoir s'exprimer vraiment. Elle s'essaya à la peinture et y réussit. Du moins pour la reproduction, la copie, elle avait l'œil. Ce qui lui a manqué je crois c'est d'oser créer quelque chose qui lui appartienne. Mais comment y parvenir dans des conditions pareilles. Cela aurait nécessité qu'elle tombe le masque totalement. Qu'elle fut vraiment elle-même. et sans doute qu'ils se séparent mon père et elle. Elle devait penser qu'elle l'aurait tué. Car dans cette histoire elle aussi s'imaginait que son époux n'était qu'un enfant dissimulé dans une carapace d'ogre insatiable. Ainsi vont les imaginations et elles sont sans limites. la peur de le tuer ou de perdre un certain confort, peut-on jamais savoir. Enfin mon père changea du tout au tout après sa disparition il devint une sorte caricature de lui-même. . Mon père devint cet enfant égoïste à la sensiblerie désastreuse peu après qu'il fut seul. Il parlait à sa chienne comme à une vraie personne. Et c'était pathétique de voir cet homme qui fut à un moment de ta vie ton pire ennemi, ton Dieu, tomber le masque pour de vrai. tu devins le père de ton père par un étrange renversement des choses. Le grondant comme un enfant capricieux. Le remettant en place comme jamais avant tu n'aurais eu l'audace de le faire. A ces moments là il me semble que c'est cette partie scellée de ta mère et dont tu as héritée qui disait enfin sa vraie vérité. Mais à quoi bon s'acharner sur un vieil enfant. cela aussi tu l'auras vite compris. L'écriture sans doute t'aura aider à déballer ton sac à exprimer ta colère de nombreuses fois, bien que ce ne soit évidemment pas la même chose, et surtout parce que l'on ne règle pas ses compte en écrivant.|couper{180}
Carnets | novembre 2022
Ce que c’est que la force ce que c’est que la faiblesse, pas grand chose d’autre qu’une permutation, un interrupteur. Encore du binaire. Moi je dis que force et faiblesse sont des mots fourre-tout. Que l’invisible qu’ils voudraient nous imposer est incomplet, amputé, rabougris. Que derrière les mots force et faiblesse se tiennent des rires d’enfants, des gazouillis d’oiseau, le grand silence de l’hiver et les fanfares de juillet. tout autant. Une équidistance qui permet aux silences de prendre des couleurs ou des refroidissements. Une équidistance pour passer le temps. Cette toile faite dans la matinée par dessus une autre on pourra toujours me dire force et faiblesse, ça n’a pas vraiment d’importance. D’où elle surgit telle qu’elle est aujourd’hui c’est un état du silence qui peut changer demain. Comme change le temps, comme tout change et reste pareil si on regarde bien. Huile sur toile 60x80|couper{180}
Carnets | novembre 2022
Tu te tiens encore debout même si la plupart du temps à cette heure du matin on te verra assis. Et tu penses à la souffrance générale. La souffrance du jour qui se lève avec le jour. On ne peut pas ne pas la voir n’est-ce pas. Tu ne cherches plus à t’en convaincre puisque chaque jour tu la vois tu la vis. Tu supportes. Tu endures. Toutes les stratégies sont à recommencer chaque jour car c’est par des angles d’attaque insolites que cette souffrance revient. La curiosité peut-elle être un atout vraiment d’examiner comment elle te surprend encore et encore et toujours cette souffrance du monde. N’aurais-tu pas autre chose de mieux à faire, détourner les yeux pour ne plus l’affronter en face. Mais elle est si présente qu’elle ne cesse de te terrasser désormais. Bien sûr la vulnérabilité que tu attribues à l’âge, à la fatigue de lui voir au final toujours le même nez au milieu de la figure. Vieille femme sans fard, impudique, obscène. Et pourtant tellement humaine. On tente de s’apaiser en ouvrant le traitement de texte, de s’exercer gentiment à la technique, au vocabulaire, à revisiter de vieilles règles oubliées de grammaire, mais on sent bien que l’on cherche à s’écarter ainsi d’un point à vif, d’une plaie sanguinolente, un point central. On prend son pouls, 90 battements par minute. On allume une nouvelle cigarette. On saisit la tasse de café tiède. On se débat. Une oscillation par petits gestes, de petits déséquilibres pour raffermir la croyance que l’équilibre le plus vrai provient de l’asymétrie. Mais ce matin quelque chose tourne à vide. Pas de joker. On doit se laver le regard des rêves. Entrée de plain pied dans le cauchemar. Rester debout tout en s’accrochant à son siège à sa cigarette à cette tasse à ce clavier. Se réinventer une dentition pour se dire serre les dents. Et soudain le souvenir de cette histoire de veillée funèbre. Le corps de Schopenhauer. Un dentier qui se carapate sous l’effet de la décomposition des chairs. La peur et le rire pour la contrer. Et encore l’envie d’écouter le canto general, de pleurer seul ici dans l’atelier. Tout n’est pas si pourri puisque il y a encore ça. https://youtu.be/g0SgthJVbk4|couper{180}