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Peu enclin à parler de résolutions en début d’année, il est tout de même nécessaire de mettre à plat tous les projets, ou embryons de projets, qui s’accumulent ces derniers temps. Ces derniers temps avant la fin des temps. Drôle. En peinture, il y a toutes ces expositions qui mènent déjà le travail jusqu’à 2024. Il ne reste qu’à continuer sur cette lancée et voir les thèmes surgir peu à peu, au fil du travail. Mais déjà, le rapprochement avec l’écriture devient plus clair. Disons que les possibles s’amenuisent tout à coup, en raison de l’autorité de certaines obsessions qui désormais durent plus longtemps qu’à l’ordinaire.

La notion de milieu. La relation entre l’être humain et le milieu. La langue avec le milieu. La langue, l’écriture, comme bateau pour naviguer entre différents milieux. Prendre appui sur les films de Nurith Aviv, par exemple, ou sur les écrits d’Augustin Berque. Et dommage que je ne lise pas le japonais, sinon Tetsuro Watsuji serait à lire aussi, dans ces domaines. Mais pas de traduction, à part Fûdo : le milieu humain, traduit par Berque. J’avais pensé reprendre une symbolique, mais en revisitant les livres de Chagall et, récemment, les tableaux de Garouste, le risque d’être parlé plus que parlant m’effraie. Il convient donc de repartir à zéro, à chaque fois, en utilisant mon propre langage plastique, mon propre langage tout court. Cela exige encore d’aller creuser dans les profondeurs. Bref, travailler sans être dérangé, sans me déranger moi-même. Pas de dispersion inutile.

Ce n’est pas inventer une symbolique, c’est surtout en témoigner telle que je la comprends intimement. Mais est-ce que je la comprends ou la connais ? Voilà une bonne question à se poser régulièrement. Ne pas avoir peur de dire : je ne sais pas ou tiens, il y a aussi ça et ça que je n’avais pas vu. La peinture est une expression de tout ce que je traverse, de ce dont je suis imbibé, du matin au soir. Donc, normalement (drôle), je n’ai même pas à y réfléchir. Juste peindre, et les choses se mettront en place à leur façon, comme d’habitude.

Concernant l’écriture, là aussi, il y a un fourmillement d’idées. Mais je m’en méfie, car souvent cette agitation masque un vide, une crainte, une angoisse. Le fourmillement n’est qu’un pansement. En tous cas, continuer à écrire sur le blog reste une discipline à poursuivre. Cette année, j’ai appris de nouvelles choses sur la publication. Notamment un certain détachement, surtout quant à la réception potentielle des textes. Je m’en suis presque complètement détaché. Presque : cela empêche de se mentir trop, bien sûr.

Le fait que ce blog devienne de plus en plus un carnet ouvert me permet d’aller encore plus loin dans un creusement personnel. De faire sauter des entraves, de dynamiter des gênes, une fausse pudeur (y en a-t-il de vraies ?). De parler ma langue. Et, étrangement, d’être au premier rang pour la lire. D’ailleurs, l’important n’est-ce pas cela pour un apprenti, un étudiant : apprendre à se relire pour mieux se familiariser avec ses fautes, ses écarts vis-à-vis d’une norme, d’une doxa ? Et, par là même, s’en écartant, créer la sienne. (J’exagère ? Non.) Pour commenter cette langue, texte après texte.

Que faire de tout cela ensuite ? Cette ritournelle n’a pas d’importance. Un carnet, comme un blog, reste un carnet et un blog. Ce n’est pas une œuvre littéraire. (Et c’est sans doute parce que ce n’en est pas une que c’en est une.) Mais ces moments où je m’écris sont devenus une nécessité. Et au moment où l’on doit se passer de tant de choses nécessaires, être tenu par une nécessité qui ne nous assomme pas mais, au contraire, nous tient en éveil, est plutôt de l’ordre de l’aubaine.

Sur un plan plus sombre, la notion de bateau pourrait aussi être celle de la boîte, du cercueil, d’une autre navigation. Une navigation qui se tient toujours là, en parallèle, et qui parfois me rassure. En tous cas, elle relativise agréablement tout ce que je pourrais prendre trop au sérieux. Il faut la conserver, même si parfois elle me fait passer de foutus quarts d’heure, des caps Horn à la chaîne. Mais j’ai l’impression que l’humour en ressort toujours plus fort, plus fin, moins méchant.

Il faudrait étudier aussi cet étrange phénomène d’inertie, qui naît souvent à contre-courant de toute situation dite normale ou obligée. Une inertie qui va parfois contre mon propre désir, surtout quand ce désir n’est pas si propre que cela. Quand il s’agit d’un désir emprunté, à fort taux d’intérêt, à l’instar des prêts bancaires ou prêts à la consommation. Ce genre de désir qui mène à l’endettement ou à l’asservissement. L’inertie y met un holà, un bon tamis pour chercher l’or de la rivière.

Donc, rien n’est encore fini, comme je le pensais hier ou il y a deux jours, dans un creux. C’est fini et, en même temps, ça ne cesse de recommencer. Drôle, aussi.