Je sens toujours en moi-même la présence de cet enfant que je suis resté, un rappel constant de la pureté et de la vulnérabilité de l’enfance. Je crois profondément que cet enfant reste vivant en chacun de nous, qui demeure une part essentielle de notre humanité. Aussi, quand les adultes sont décevants, qu’ils repoussent la poésie, la rêverie et la délicatesse au profit d’un pragmatisme inhumain, je cherche désespérément dans leur regard l’enfant qu’ils furent, qu’ils sont encore, enfin, je l’espère. Cette quête est ma manière de pardonner, de comprendre, et de maintenir une connexion authentique malgré la froideur et la rigidité apparentes du monde adulte.

Peut-être aussi que chercher l’enfant chez les autres est une façon de dédramatiser les situations, de retrouver cette légèreté que nous avions enfants, lorsque nous nous inventions des jeux, sans gravité, sans que les conséquences ne soient trop graves. En revoyant cet enfant, j’espère redonner une part de cette innocence et de cette capacité à rêver, à voir au-delà des pragmatismes inhumains qui nous étouffent. Cela m’a souvent aidé à surmonter des situations difficiles, à les rendre plus légères et supportables. En abordant les interactions avec cette perspective, je trouve que je peux créer des liens plus authentiques et plus bienveillants, malgré les déceptions et les incompréhensions qui surviennent inévitablement.

J’ai en horreur le drame, la tragédie, surtout la violence qu’elles manifestent, quand elle n’est pas tout simplement ridicule, le signal des conflits d’intérêt ou de pouvoir. Peut-être ai-je une vision naïve de ce que fut ma propre enfance. N’y avait-il pas tout autant de cruauté dans la cour de récréation, tout compte fait ? N’étais-je pas battu comme plâtre sous mon toit ? Mais il me semble que nous étions plus proches d’un mystère, d’espérances encore vives, qui s’évanouirent peu à peu à l’âge adulte. Cette absence d’appétence du drame me pousse à chercher des solutions pacifiques et à éviter les confrontations stériles, à voir le bon quand ce n’est pas le meilleur, en chacun, et à espérer que cet enfant intérieur puisse guérir les blessures infligées par le monde adulte.

Je n’ai pas eu l’occasion d’endosser le rôle de père, je ne suis pas passé par ce qui semble être l’initiation majeure chez les adultes. Je ne sais pas prendre les poses qui s’imposent dans un tel cas, faire cas de la collection apparemment inouïe de responsabilités qui incombe à la parentalité. Peut-être que cette absence m’a permis de conserver une vision plus pure, sans doute naïve, moins marquée par les contraintes et les responsabilités de la vie d’adulte. Ou encore pourquoi pas et j’en ai parfois des sueurs froides, une vision tarée, totalement erronée. En tous cas et c’est mon explication, cela m’a permis de rester connecté à cet enfant intérieur, de ne pas sombrer totalement dans le pragmatisme inhumain que je déteste tant.

Et maintenant quelque chose pousse intérieurement, il faut que ça sorte.

Ne servent-elles pas à cela, les femmes, pour de nombreux hommes ? À leur fournir ( à eux) une preuve d’existence au monde, comme si cette validation était une condition nécessaire pour affirmer leur propre valeur. J’ai souvent observé cette dynamique, où des hommes cherchent à se construire sur le dos des femmes, après avoir été éjectés de leur ventre. C’est plus simple si on mélange la loi avec les sentiments, l’amour. Mais quel amour ? Cela dépend de la nature de cet amour, bien sûr.