Dimanche, passé la journée avec M. C. seule venue pour le stage. Mais bonne discussion tout au long de la journée. A l’heure du déjeuner, S. nous a rejoint. On a ouvert une bouteille de Riesling et j’ai fabriqué des toasts de saumon fumé car plus de chips—il fallait le manger car la date de péremption était déjà dépassée depuis trois jours. Appréhension en avalant la première bouchée. La peur d’être malade encore. Mais au point où j’en suis, je me suis dit au final. Vaille que vaille ; appréhension balayée. Tous les meubles de la cuisine ont été relégués dans le salon et la bibliothèque. La vaisselle empilée ça et là sur des fauteuils, des consoles, des chaises. Quand on murmure dans la cuisine désormais, on se croit dans une caverne, ça résonne. Lundi matin N. doit venir poser le nouveau parquet ; ça va prendre une semaine, nous a t’il dit. Aucune joie à imaginer ce nouveau plancher. Aucune joie de rien en fait. Juste l’idée fixe de la mort prochaine qui empêche à peu près tout le reste. Qui oblitère. Timbre. Le changement proche de saison sans doute. Et aussi le fait d’avoir atteint l’âge où tout le monde s’en va. Les trois frères de ma mère et elle-même, l’âge des grands-parents. Je pèse mentalement le pour le contre. Qu’ai-je fait. Est-ce grave de n’avoir rien fait. Je n’en sais plus rien. Je crois que je m’en fous. Puis, à l’appui de la conversation avec M.C, nous voici à estimer la chance d’avoir quand même vécu toutes ces choses, notamment le fait de pouvoir changer de boulot si facilement à l’époque. Pour un oui pour un non. Et aussi se souvenir d’un certain humour qui n’aurait plus cours aujourd’hui. J’ai tenté d’évoquer la carrière solo de Mark Knopfler mais M.C ne connaissait pas. Nous sommes passés à autre chose. Les communautés. Vivre à plusieurs dans une ferme, faire pousser des racines. Tu connais Oléron ? Faire l’amour sans y penser. Et tous ces copains copines de nationalités si diverses. On a eu tous les deux nos potes iraniens vietnamiens, maliens, kosovars, algériens. Les petits boulots. Le système D. A la fin on finit quand même par se dire qu’on s’est bien fait avoir. Qu’on a œuvré pour le grand capitalisme même si on a passé une bonne partie de notre existence à cracher dessus.
Mais ce ne sont pas des choses que je voulais écrire ce matin. Je ne voulais pas écrire une chronique. Je voulais parler du réel. Est-ce que ce n’est pas de réel dont je suis en train d’écrire en ce moment … Donc je suis passé à autre chose.
J’ai donc écris le texte pour la proposition 8 de l’atelier d’écriture. Sur la violence du geste. J’ai essayé de me défaire des émotions en l’écrivant. Pas facile. Mais en effectuant des répétitions, des jeux de mots, presque des calembours, l’amusement a pris le pas. Ce n’est pas non plus ce que je voulais écrire ce matin. Je ne sais pas en fait ce que je voulais écrire ce matin. Et, au final ce que je veux, voulais, aurais voulu, n’a que très peu d’importance.
Je voulais peut-être me souvenir ou reconstruire quelque chose. Réparer une attention abîmée par les pensées qui s’accumulent sur mes berges comme autant de déchets qui rappelle l’horrible Oise. Un fleuve. Je voulais retrouver un beau fleuve. Son lent et solennel écoulement, calme et paisible traversant la plaine, ici, à Vallon en Sully. Me retrouver encore une fois sur le pont, après avoir déposé mon cartable à mes pieds. Mes coudes sur la pierre dure et fraiche de la rembarde, menton appuyé sur les avant-bras, le regard tentant de rejoindre le courant.
Dire une émotion avec émotion ne fonctionne pas. Il faut parvenir à effectuer quelques pas en arrière, la voir, de loin, dans son entièreté. Peut-être. Ou bien tout le contraire. Etre en plein milieu, s’y noyer, couler complètement dans l’émotion, suffoquer d’émotion. Crever d’émotion.
J’ai regardé la conférence de Carole Bisenius-Penin sur le travail de Pierre Ménard https://youtu.be/uPpJtlvn58U?si=HCpXPrnpPrnt2McV Cela m’a rappelé mes lectures de jeunesse de Calvino. Ce fantasme de littérature interactive. Ce qui m’a projeté de nouveau vers mon impossibilité d’écrire de la fiction. Impossibilité qui tient au fait certainement de vouloir rester accroché à des schémas anciens— Raconter une histoire. Manipuler beaucoup d’adjectifs, de descriptions, sans oublier la toute puissance, l’omniscience. Autant de choses impossibles donc désormais. Un conflit réel entre ces deux tendances : écrire des histoires, écrire le réel. Je crois que je cherche une façon, une forme de les réunir, parfois il me semble m’en approcher, d’autres fois m’en éloigner.
Il y a une position à tenir, une distance, une sorte d’effacement, du même acabit que la distance où se situe le mort dans son cercueil, nécessaire d’accepter, c’est l’acception le plus difficile sans doute. Une fois complètement mort on peut mieux décortiquer ce qu’est le réel, la vie, le texte, sa ponctuation, ses silences. A moins que ce ne soit encore qu’un fantasme et c’est tout.
Ce qui me plait quand je peins c’est surtout la surprise. C’est de me dire soudain c’est moi qui ai peint ça ? et d’y reconnaître une sorte de lien intime provoque une satisfaction. C’est cette intimité qui, dans l’écriture, ne cesse de s’enfuir. Au moment même où je me dis c’est ça, ce n’est déjà plus ça. C’est du cadavre.