Je recopie des textes de 2022. Sans enthousiasme. Peut-être qu’il faudra avoir le réflexe de tout effacer au dernier moment, ne rien laisser, pas la moindre trace de ces bêtises. Et je ne vois pas de Max à l’entour qui l’empêcherait, qui sauverait tout cela. Ce sentiment double de joie et de désespoir que procure l’écriture, et cette obstination à persister. Comme le fameux K qui veut rencontrer le maître du Château, alors qu’il sait déjà pertinemment que c’est impossible. Que cette impossibilité fonde tout le texte. Prendre de la distance par tous les moyens possibles entre ce moment où j’écris et cet autre où le texte se publie est déjà une action mise en place. Le but semble pratique à l’origine, de ne pas me retrouver à cours de texte pour conserver le rythme des publications quotidiennes auxquelles je veux, pour des raisons assez obscures, me plier. Mais je crois qu’il y a plus qu’un aspect pratique à planifier ainsi ces publications dans l’avenir. Une façon de prendre une distance aussi, comme malgré moi, comme à regret aussi bien souvent. C’est à dire une injonction silencieuse à me détacher ainsi de l’immédiate jouissance d’écrire et de publier tout de go. Ce qui me rappelle à quel point je suis d’une lenteur désespérante alors que je m’imagine souvent, ou je me suis imaginé plutôt tout le contraire.

Un nouveau cycle d’écriture sur la nouvelle avec F. Qui ne commence pas bien puisque je ne suis pas parvenu à publier sur la plateforme collective ce prologue, sorte de collection de post-it concernant l’art de ranger ses livres. J’y ai tout de suite vu comme un signe. Un signe que je ne devais sans doute plus participer à cet ensemble. Que je devais m’en éloigner, de cela aussi. Aussi je n’ai pas cherché trop loin les raisons de l’obstacle. J’ai refermé le site et j’ai continué ma journée sans même y repenser. C’est maintenant que j’écris ces lignes que je veux bien m’en souvenir ; que je retrouve le même tiraillement entre le fait de participer ou de ne pas participer à cette nouvelle aventure collective. Ce même tiraillement entre la joie et le dépit.

La hantise du bavardage voire du ragot, de la médisance, enfin, d’une certaine bassesse qui s’écrit parfois avec une extrême facilité. C’est ce dont je ne voudrais pas. Mais qui ne me lâche pas la jambe comme un roquet. Quelle image de l’écriture ai-je donc qui la place sur un plan irréel, une élégance inatteignable parce que pour se poursuivre elle nécessite justement de ne jamais toucher au but.

Toutes ces pensées, confondues avec des médiations et qui ne sont en somme que ruminations ne font pas un sujet d’écriture. A moins de posséder le génie d’un Gogol, d’un Dostoïevski. Je repense à cette nouvelle où un employé se rend chaque jour à son bureau en empruntant la perspective Nevsky à Saint Pétersbourg et qui maugrée contre un homme, toujours le même qui ne lui cède pas le passage. Toute la nouvelle est fondée sur la rumination de cet homme, sur son ressentiment, sur cette envie de vengeance, de prendre une revanche. Je n’aimerais pas être cet homme là, et pourtant à bien y penser en grande partie je le suis, bien sur que je le suis. C’est exactement là où je perds le principal de mon temps.

Quelle image de l’écrivain n’ai-je encore pas détruite en moi que je ne puisse écrire encore comme je veux écrire du fond de moi-même. Et comment écrire ce genre de chose sans passer pour un idiot fini. Comment le publier au regard des autres comme pour dire voyez ce que je suis, je ne suis que ça, rien d’autre, et je suis tout à fait d’accord avec vos observations les plus acerbes à mon encontre. Puis soudain ce retrait qui m’entraine à vouloir tout biffer, tout effacer, tout détruire, pour m’enterrer tout seul au plus profond d’une solitude dont je ne pourrai jamais même si j’y mets de la bonne volonté, ressortir. L’expérience de ce blog est enrichissante par son envers ; On imagine s’élancer vers le monde en publiant des articles qui veulent dire une vérité puis on comprend que cette vérité ne regarde que soi, qu’elle n’intéresse personne d’autre, pas même ceux qui parfois sont mine de s’y intéresser. D’ailleurs le temps, la distance, la régularité finissent, en creusant l’écart avec une certaine volatilité des lectures des lecteurs à nous permettre de poser le doigt sur quelque chose de très spécial : ce trou que l’on creuse comme une tombe, et dont on n’aimerait pas qu’il s’achève en mausolée.