Atelier d’écriture, la fameuse proposition 3 de la boucle 2.

A propos de la démarche de Gertrude Stein. J’ai tout d’abord essayé de lister les différents processus qu’elle utilise comme la répétition, la fragmentation, le flux de conscience abolissant la structure et la ponctuation traditionnelles, l’effacement des frontières entre sujet et objet, surtout visible quand G.S. décrit les interactions et similitudes entre les personnes, l’exploration de l’identité dans ce quelle peut contenir à la fois de commun et d’unique, l’oscillation entre l’abstraction et le concret, l’utilisation de la syntaxe si personnelle qui veut rendre compte de l’absence de linéarité de la pensée, les différents angles avec quoi elle présente ses personnages, en utilisant notamment la comparaison ce qui crée des images plus nuancées et complètes des individus tout en soulignant les thèmes de similarité et de différence ;

A propos de l’usage de la répétition, « Depuis le début, tout ce qui vit est pour moi de la répétition » dit-elle (Au moment de parler de Martha Hersland… »

Je suis tout à fait d’accord avec l’irritation qu’elle évoque. La répétition subie est un réel problème. Dans ce cas utiliser cette répétition pour exorciser la répétition est une démarche plutôt intéressante. Ne l’ai-je pas expérimenté mille fois. Dans tous ces boulots alimentaires notamment, où chaque journée se ressemble, où chaque parole échangée avec les collègues de travail est la même qu’hier et semblable demain. Cette sensation d’être coincé dans une effarante bouche de répétitions perpétuelles, nous avons deux façons de l’appréhender, en la subissant, comme une donnée incontournable de l’existence, ou de l’être, quelque chose d’ontologique, contre quoi nous ne pouvons rien, qui sera toujours beaucoup plus forte que notre individualité ou soit nous pouvons chercher, à travers les micro changements dans lesquels s’opère la répétition, une fluctuation subtile, peut-être une poésie. Et la trouver ou l’inventer est du domaine des petites victoires personnelles contre l’apparence, le réel, le commun dans ce que ces mots recèlent de définitif la plupart du temps, pour la plupart d’entre nous.

Il y a ainsi une sorte de jeu à se servir de la répétition contre la répétition, à l’amener à une fréquence de subtilité qui ressemble à un nouveau monde. Découvrir la possibilité d’user ainsi de la répétition est une découverte de l’Amérique, tout aussi excitante que la véritable découverte de l’Amérique. A n’en pas douter.

Toutes les familles sont rangées sous l’appellation famille, c’est un fait. Rien ne ressemble plus au mot famille que le mot famille. Le groupe n’est pas du même ordre, mais rien ne ressemble plus à un groupe qu’un autre groupe au sein même d’une phrase. Il y a de ces mots communs qui irritent tant ils sont communs. Ils irritent, puis ensuite, personnellement, ils me fatiguent. On est bien obligé d’utiliser ce matériel commun, de le secouer dans tous les sens pour examiner ce qu’il en ressort. La plupart du temps il est fatiguant de constater qu’il n’en ressort que du commun. Est-ce que ce qui est véritablement fatiguant et irritant c’est notre fantasme de vouloir dégager quelque chose d’autre du commun, de l’individuel, c’est possible, et alors, dans ce cas, c’est cette confrontation permanente entre individuel et commun qui est la source de l’irritation comme de la fatigue.

Pour écrire j’utilise souvent cette possibilité du flux de conscience, une idée surgit et je l’écris, je ne sais même pas si je vais aller au bout de cette idée car déjà une autre se greffe sur la première et je la suis tout à fait de bon cœur, je préfère dire de bon cœur que servilement. Enfin je n’ai pas l’air d’être attaché à une idée, j’ai plus l’impression d’être traversé par toutes ces idées, de manière assez passive en apparence mais je préfère dire accueillante, il faut bien le dire. Les difficultés de ponctuation traditionnelle ou de logique structurelles ne me paraissent pas suffisamment importantes pour que je préfère m’y attacher, je suis plutôt ce flux de conscience, cette répétition qui ne cesse de s’écouler sur le papier, mais aussi toute la sainte journée dans mon esprit.

Ainsi je tourne autour de cette proposition d’écriture exactement comme Gertrude Stein tourne autour de son personnage : Martha Hersland. Moi j’écris : Je vais vous parler de la famille, mais avant de vous parler de la famille je vais vous dire comme j’en suis venu à me dire qu’il serait souhaitable que je vous parle de la famille. Comment c’était aussi souhaitable que désespérant, avec toute la gamme des poncifs des clichés des répétitions de l’un à l’autre. J’en suis venu à me le dire lorsque j’ai découvert à quel point la famille, ce mot est un mot irritant et fatiguant, un mot commun si commun que j’ai toujours éprouvé un mal de chien à ne pas le laisser glisser comme la plupart des gens dans le commun. A désirer en faire quelque chose d’individuel, d’extraordinaire même, d’effroyable vraiment ou de merveilleux autant que possible.

Puis vient la question de savoir si c’est du lard ou du cochon, évidemment. Est-ce que ce que j’écris plus haut à quelque chose à voir avec cette proposition d’écriture, ou pas du tout. Est-ce que c’est bien, pas bien, est-ce que c’est noir ou blanc etc . Binaire , comme d’habitude Ce qui me fait penser que la répétition est une chose, mais que la peur de la répétition est une autre chose.