Un titre de poème peut résider longtemps en soi, une vie entière, ainsi La rose et le réséda d’Aragon, par exemple, et à ce moment, saperlipopette, me reste encore, résiste à l’oubli, sans que je ne sache pourquoi, sans que je me souvienne du poème entier à part ce que tous se souviennent celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas. Ce dont je me souviens, c’est de l’émotion qui nous étreignit tous quand, était-ce cet instituteur là, ou cette autre, je ne sais plus, quelqu’un lut à haute voix ce poème pour la première fois. Cet élan proche du patriotisme, celui des gradins du stade, cette hystérie qui fait grimper aux échelles du fond des tranchées pour se rendre sur la plaine, et tituber saoulé de mots d’ordre et de gniole, puis à la fin fauché comme les blés, par …

Une écriture sans sujet ou une écriture où le sujet serait un leurre. C’est à dire le sel que l’on met sur le queue des oiseaux. Passer du discursif à l’absence de sujet. Et la question de savoir qui donc s’exprime et aussi à qui.

Si j’écris mon journal pour moi, c’est qui moi. On peut dire une reconstruction. Parfois aussi une construction. Parfois, on n’a même pas besoin de dire quelque chose. (regarde ce parfois sortir du bois, comme un vieux cerf du brouillard)

Quel est la plus petite unité dans ma tête, le paragraphe, la phrase le mot la syllabe, la lettre, le son, le silence ? autrement dit, qu’est-ce qui déclenche tout ça à chaque fois.

En rentrant hier soir de C. pluie fine et drue. J’écoute F.C. une émission sur Perec que je n’écoute pas jusqu’au bout. D’ailleurs je crois que je n’ai pas écouté le début non plus. Perec par hasard. Je pense évidemment à cet ouvrage collectif dont parle F.B. et dans lequel il intervient. Mais on ne parle pas de ça. On parle de l’adolescence de Perec. Quand il se retrouve parachuté dans les beaux quartiers de Paris. Quand il est devenu orphelin, pupille de la nation. Et aussi les appréciations de ses professeurs. Pas terrible. Mais quelqu’un parmi tout ça reconnaît qu’il est —très intelligent— Sauf que : résultats médiocres. Si l’école était faite pour les gens intelligents ce serait beau à voir me suis-je dis pile à cet instant. Ce qui explique sans doute le fait que j’ai peu d’élèves moi-même/ je ne cherche pas à rendre les gens intelligents, je pense que la plupart le sont déjà/ je leur parle d’ailleurs en tant que tel / ça peut faire peur/ ça fait peur.

Je me souviens d’une des toutes premières fois où cela m’est arrivé à moi. La première fois que j’ai compris que j’étais intelligent vraiment. Ce fut un vertige. J’ai cru que j’allais mourir. Et, en fait effectivement quelque chose ou quelqu’un est mort à ce moment-là.

Puis, ce fut si insupportable que j’ai préféré devenir fou. Ne plus entretenir la moindre relation avec quiconque qui me renverrait en pleine face mon intelligence ou ma folie et, par ricochet, l’insupportable bêtise de l’ensemble que nous puissions former, plus ou moins temporairement.

Se découvrir intelligent, est-ce la même chose que sensible. Je me découvris surtout sensible ( surtout, c’est le lapin blanc ) beaucoup trop sensible. Peut-être aussi ai-je confondu l’intelligence avec la sensibilité, voire pire : de la sensiblerie. Dans un tel cas de figure, comment ne pas comprendre que je fus le pire des benêts.

Les contes et légendes doivent y participer pour beaucoup. S’accrocher au merveilleux, au fantastique, à l’histoire merveilleuse, au happy end. Une fois, c’était en pleine overdose de mythologie grecque, l’intuition a surgi comme un diable d’une boite. Sous la lumière crue des Cyclades, dans les profondeurs des îles en général, la béance des cavernes, l’œil unique du cyclope, du monstre d’égoïsme, ou d’indépendance, du refus social. Je fus tout à coup moi-même Polyphème, ce fut à la fois terrifiant et enivrant, Dionysiaque.