Encore un peu de recherche sur la proposition 3 de l’atelier d’écriture,( comme je l’ai dit dans la j.257)

Je suis venu jusque ici avec le mot compagnie. Dans mon esprit, ou souvenir, assez secrète et enfantine, telle est pour tout ce qu’il m’en reste et par exemple : la compagnie de Jéhu. Certainement dans un feuilleton entrevu à la télévision. En noir et blanc. Ce qui rend le contraste encore plus fort et l’absence de nuance notable. Beaucoup de noirceur. Je mélange cette compagnie là avec plusieurs autres et en toute insouciance, puisque comme je l’ai déjà dit, rien, rien de rien n’est plus semblable ici à une compagnie qu’une autre compagnie. Ainsi, la compagnie des Chemins de Fer, les compagnons de la Chanson, la compagnie des auteurs, la compagnie républicaine de sécurité, la minière, celle des Indes, toutes, à cet instant précis où j’écris le mot compagnie, toutes se valent. C’est probablement une erreur logique mais certainement pas de vocabulaire ni de syntaxe. Pourquoi soudain la compagnie de Jéhu, la fameuse « terreur blanche » tellement contre révolutionnaire sinon à cause de Charles Nodier et Alexandre Dumas, dont j’ai hier rangé quelques ouvrages sur une étagère. On croit que Jéhu, enfin moi je le crus enfant, que c’est une sorte de déformation du nom Jésus. Or d’après Nodier il s’agirait plutôt de ce Jéhu étant, comme on sait, un roi d’Israël qui avait été sacré par Élisée sous la condition de punir les crimes de la maison d’Achab et de Jézabel, et de mettre à mort tous les prêtres de Baal4 ». ( je laisse l’entièreté des liens au cas où l’envie me prenne de les suivre un de ces quatre)

La marche d’approche nécessaire à l’élaboration d’une nouvelle me laisse mi figue mi raisin. En fait je ne suis pas sûr que ce n’est pas ce que je fais déjà sans le savoir. Des marches d’approche à la pelle et ce depuis des années. Monsieur Jourdain se frappe le front. Je faisais donc de la prose sans le savoir. Mais comme c’est bien, comme c’est rigolo de visionner le zoom. On se croirait tout à fait dans mon atelier de peinture. Le pour, le contre. Entre les deux un ange passe. C’est qu’ils voudraient sans doute une nouvelle vraiment nouvelle comme chez moi ils veulent des chefs d’œuvres vraiment chefs d’œuvres. J’exagère ? à peine.

Je cherche une famille. Je n’en trouve pas. Pour régler cette affaire de famille suis bien en peine. Non que je soies sans famille du tout, j’en ai encore quelques bribes par ci par là et aussi celle du côté de mon épouse. Mais une habitude d’indifférence ou plutôt l’acceptation finale de ne jamais me trouver viable au sein de n’importe quelle famille m’ayant contraint à cette indifférence, me bloque dans l’exercice. C’est comme Nerval qui promet son histoire de livre ou d’Abbé à son éditeur et qui ne les trouvent pas. Il explique en feuilleton qu’il ne les trouve pas. Comme c’est charmant. C’est comme ça peut-être, par ce genre de marche d’approche qu’on s’approche du moment de secouer le cocotier.

« Bardamu me sciait le cul ! Ferdinand taillait à tous des costards pure haine, il secouait tellement fort le cocotier que tous les clichés dégringolaient, il foutait le feu aux poncifs, chiait dans la colle et s’essuyait aux bégonias. » — (Émile Brami, Louis-Ferdinand Céline : « Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple », Éditions Écritures, 2003, page 293)

S’inventer une famille. J’aurais certainement encore bien du mal à le faire ; c’est parce que je l’ai déjà beaucoup fait. Tellement fatiguant rien que d’y penser. Mettre en mot l’indicible même sous l’angle le plus bienveillant possible, éreintant. C’est certainement un beau sujet à creuser, la fatigue du mensonge, et l’infranchissable mur d’enceinte d’une hypothétique vérité. Bien sûr changer les noms, brouiller les pistes, ça peut. Mais moi je sais toujours ce qui se cache sous l’invention, ou du moins ce que je veux dire c’est qu’inventer ne résout rien, laisse la plaie dans sa plus grande béance, l’accroît même. Ou la croit semblable parce que tout simplement le même s’impose de façon systématique.

J’ai bien sûr aperçu d’autres familles. L’illusion ou le souhait ardent me conduisant à souhaiter, à m’illusionner qu’elles soient mieux que celle que je connaissais m’aveugla tout autant que la déception, l’effroi, la tristesse de constater ce que fut la mienne. En suis-je parvenu à force de tâtonnements, à penser que toutes les familles se valent, à m’en convaincre surtout, c’est bien possible.

Je ne suis pas certain de ne pas abandonner cet exercice tout simplement. Décrire des choses au travers de l’instance d’une famille ce serait essayer de passer un fil à travers le chas d’une aiguille sans lunette et en comptant sur la chance. Or la chance se prépare, je n’ai rien préparé, suis pris au dépourvu.

Est-ce que pour autant je hais la famille, non. Elle ressemble plutôt à l’un de ces vieux exercices de mathématique qu’on laisse en plan, n’arrivant pas le résoudre. Dehors il fait beau, on n’a pas envie de rester enfermé, on referme la cahier, on court vers la porte, on dévale le grand escalier, on touche enfin la terre ferme, et on prend les jambes à son cou.