je dis oui. Pourquoi pas. L’idée me vient après le visionnage de la vidéo de présentation, la lecture des textes de Handke, celle d’inverser de paragraphe en paragraphe une soi-disant « révélation » personnelle, singulière, bizarre en une narration qui exclurait toute particularité, pour revenir à une sorte d’anonymat, afin de n’être -plus rien d’autre- voix parmi toutes les autres voix. Un échange de mail, c’est parti.

On finit par succomber. Sous les mots d’ordre. Encore plus facilement, plus inconsciemment qu’on aura voulu résister afin de les éviter. Comme si – l’information- disposait de tout son temps, était dotée d’une sorte d’autonomie, d’une patience infinie pour trouver la faille. Tout ce qui reste à la fin de ce parcours de bégaiement, c’est la nécessité, c’est ce que l’on espère conserver. Et grand effroi parfois qu’elle ne soit une illusion aussi. Une raison d’être, posée sur l’innommable comme un pansement sur une plaie vive. Et bien qu’on ne sache ni pourquoi ni comment, on sait seulement qu’elle veut rester vive.

Cette nécessité doit bien se situer quelque part en ces lieux, en ces temps. Et l’écrire est ce moyen , comme le moyeu d’une roue, l’axe d’un cercle, si possible pas trop excentrique, un axe pas trop taré, permettant, aidant, poussant, à la dépossession de soi-même ( encore que je ne sois pas certain qu’il s’agisse du bon terme. Ordinairement il est possible qu’on confonde le personnage comme un fâcheux, un gêneur, un emmerdeur et, une fois qu’on a fait le tour complet des substantifs, qu’on tombe sur le pot aux roses, quelqu’un ou quelque chose d’insignifiant, la banalité tout simplement).

Le premier paragraphe peut être une prise de conscience. La possibilité d’enfin avoir une conscience des choses à la manière dont on effectue un choix. Je veux avoir conscience, non, j’ai tout à coup conscience des choses. Il est devenu urgent de prendre conscience des choses. Soudain, il s’interrompt. À soixante-quatre ans, le peintre détourne les yeux de son tableau. Quelque chose vient de bouger dans la périphérie, au-delà. Un rayon de lumière tombe sur une feuille du laurier que la brise agite doucement dehors, dans la cour. Le regard, timidement, pénètre dans cette vision et c’est comme un retour à la maison. Sauf que cette maison, à ma connaissance, n’a jamais existé. Il me semble que c’est seulement une maison rêvée, constituée de bric et de broc de cet acabit-là très exactement. Et il me suffit d’en prendre conscience par la douleur voilà tout. La douleur est un excellent conducteur de conscience. Et puis tout à coup vers ce lieu, proche de l’insoutenable, un rayon de lumière à un instant T, vers quoi le regard s’oriente sans raison particulière, ce qui l’apaise grandement, comme s’il avait croisé la présence de l’ange. Encore une chose un être sensé ne pas exister comme je suis désormais proche de croire que je n’ai jamais existé. Tout comme le peintre. Que tout ne fut que rêve cauchemar, élucubration d’oisif, désir d’évasion de délinquant.

Je ne sais plus rien de ce que je crus un jour savoir. J’ai désappris avec autant de peine sinon plus que ce par quoi j’ai appris. Je me suis souvenu d’une phrase, je crois qu’elle est logée dans une chanson. « On se croit mèche on n’est que suie ». Encore qu’il s’agisse encore de vanité lorsque je veux me dire qu’ aussi loin qu’il m’en souvienne, et ce dès le début, je su qu’il devrait en être ainsi.

J’ai travaillé à des choses insignifiantes pour pouvoir manger, me loger, m’habiller, c’est aussi cela la vérité, j’ai bêlé de concert tout en râlant en sourdine. Il ne me vient pas à l’esprit tout de suite que je suis un loup et que je peux me gaver de mouton. Je râle au lieu de faire hou hou comme un loup. Une longue agonie à passer, repasser à traverser, errer, dans les travaux dits subalternes qui alternent et alternent si bien qu’à la fin ils altèrent l’âme ou la renforce, mais ça on ne peut pas le savoir à l’avance. C’est un peu une loterie. Ce que l’on gagne au bout, pas des millions mais une triste tranquillité d »esprit au mieux, au pire on se découvre soudain aigri, racorni. Vieux. Et bien sûr on râlera encore plus sourdement, le loup disparaîtra, on deviendra absolument abscons , incompréhensible. Les jeunes générations vous traverseront du regard, elles ne vous verront pas, vous serez la surface un peu poussiéreuse d’une vitrine démodée sur laquelle tous ces jeunes gens en passant, flânant se mirent s’admirent, c’est comme ça, chacun son tour, rien à dire.

Je l’ai su grâce au grillage séparant nos jardins, nos maisons, je l’ai su douloureusement car il fallait des autorisations. Il fallait obtenir la permission. Je l’ai su que nous étions séparés par des murs, des clôtures, des âges, des expériences, des rôles à tenir, des postures, des ressentiments dont on a depuis la nuit des temps perdu la source, je l’ai su par la traversée permanente du jour ou de la nuit, des colères ou des haines qui sont pour nous des secondes natures. Secondes pour ne plus voir les premières, pour les oublier, les enfouir. Que la nature première ne vaut d’être fréquentée que lorsque l’on est seul, rejeté, en marge, et que cet écart- volontaire ou pas-peut influer sur la rapidité avec laquelle on la perçoit soudain. Comme un retour à la maison, même si à proprement parler on n’a jamais eu véritablement eu de toit, que les toits changent si souvent qu’on se lasse de toute tentative de s’y habituer pour ne pas être déchiré par leur perte.

Je ne me souviens plus de l’instant où je suis venu au monde. Ni du moment spécial, l’était-il vraiment ? où je fus conçu et même si avant que mes os ne se forment , un dessein avait-l été formé. Ma mère avait refusé plusieurs fois ma naissance, elle en avait surtout conçu de l’inquiétude, de tranquillité, et ces sentiments l’avaient poussée à jouir d’une forme étrange de culpabilité. Cette culpabilité d’avoir à accepter comme de refuser de mettre un être au monde ce qui sans cesse la tirailla, même et surement surtout quand je fus là en chair et en os, braillant, mugissant, bavant, me contorsionnant, rampant, merdant, pissant, gémissant, babillant.

C’est lorsqu’elle mourut que je compris la profondeur de l’ absence. C’est aussi lorsqu’elle mourut que j’eus vraiment l’étrange sensation de naître vraiment. comme si sa mort prématurée avait été une façon de réparer l’irréparable, ce qu’elle avait toujours imaginer être l’irréparable. Ne vivons nous pas tous dans cette étrange notion que rien, plus rien ne peut plus être réparé sauf au prix de nos vies, sauf au prix de tuer en nous dans l’œuf l’égoïsme l’individualisme le capitalisme ? Depuis Auschwitz, Dachau Treblinka ne le savons nous pas ? et qu’aussitôt je refusai d’en faire de son absence une présence. Pour ne pas échapper à la douleur de l’absence si aiguë soit elle si féroce, si inhumaine. Quelque chose se brisa mais c’est par les débris que je compris qu’une sorte d’unité avait un jour existé. Que je voulu à cet instant précis le croire, c’était cela que je nommais nécessité. C’était si surprenant de tomber dessus comme au détour d’une rue en ville. Il faut que je perde les choses et les êtres pour sentir à rebours qu’ils furent là très réels. En contrepartie, peu à peu ; je disparais en temps moi aussi à l’instar d’une construction irréelle.

Je crois que mon père aussi s’aperçut qu’il avait eu une femme à ses côtés lorsque il ne la vit plus. Qu’il continua de marcher comme les personnages de ces dessins animés vous savez parce qu’il avait prit simplement l’habitude de marcher comme d’endurer tout ce qui peut se produire dans la vie d’un homme. Parce que lui aussi avait appris cette seconde nature, celle qui consiste à enfouir la première, sauf quand soudain il ne le pouvait plus, qu’il devenait le diable lui-même, et tous les ogres, et tous les monstres que l’enfant rencontrait dans ses cauchemars.

Je crois que mon père voulut ma mort mille fois et en cela il fut véritablement un père. Chaque idée du peintre se présentant à son esprit il la caressa un instant, parfois quelques jours, une semaine, un mois puis il la brisa pour ne pas s’arrêter à une simple idée toute faite. Il voulait, il voulait sans accepter de dire clairement quoi. Il voulait c’est ce que j’en retiens comme lui avait voulu. Il voulait préserver une sorte de flamme, la transmettre mais il ne savait pas comment faire car on ne lui avait pas transmise à lui, ou si maladroitement. Ou si peu éclairante, si peu chaleureuse, qu’il dut d’abord inventer la flamme pour lui-même. Il savait à la fin qu’on ne fait jamais autre chose que de s’inventer cette flamme , que la transmettre ne servait à rien. Il voulait, il voulait il le désirait du plus profond de lui je crois, il voulait que j’invente ma propre flamme et peu en fin de compte lui importait qu’elle fut aussi froide, si peu éclairante que celle qui avait autrefois reçu en legs.

la litanie convient jusqu’à ce moment où elle ne convient plus. Quand la fusée s’élève, qu’elle a vidé la plus grande partie de son carburant une réaction hypergolique lui permet de s’extraire de la gravité. On réajuste un peu son chapeau sur la tête, on remercie, si possible on est simple, et on fait quelques pas loin du mur, la lamentation s’achève. Elle a perdu soudain sa raison d’être. On a pris soudain conscience du mécanisme, on évolue dans l’espace intersidéral. J’évite l’incipit. Je ne sais plus la cause, ni si cela est facile ou trop spontané. Je louche. Les premiers mots se cachent quelque part dans l’un de ces paragraphes. Je ne sais pas encore qui ils sont, je ne les cherche pas. Ce que je sais c’est que tout ce qui tourne fait un cercle autour d’un centre, que sitôt que l’on se fait une idée de ce centre il s’évanouit. Je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas est l’exact pendant d’un je veux je veux je veux et tout ça forme un cercle qui me déborde et dont je n’ose même plus penser être au centre.

La région Centre est inscrite sur le manuel de géographie de la France, l’Allier et le Cher en font partie. Ce sont des mots qui ressemblent à d’autres mots, que l’on imagine fonctionnels, mais qui laissent des traces indélébiles néanmoins sans qu’on en sache vraiment pourquoi. Comme si deux mondes se superposent, comme si le sens premier se superpose au sens profane ou vice versa. Et mon quartier se nomme la Grave. Comme un accent grave déposé sur le a muet du monde qui m’entoure. L’Aleph ne se présente pas comme joyeux, il faut le ranimer pensai-je. Repeindre tout le décor du ciel et celui des galeries, des tunnels et des caves. Le peintre est un enfant dans le regard duquel tout le grave est entré comme du plomb qu’il doit chauffé à blanc, et, si possible avec l’aide du mercure, le transmuter en or. Le peintre est cet enfant, il est déjà alchimiste et il ne le sait pas encore.

La source se tarit mille fois pour nous rappeler à notre désir de source. J’écris comme je respire et peut-être est-il le moment d’étouffer, de manquer d’oxygène, de s’enfouir bravement encore dans la journée. Ceci n’est pas un texte définitif. C’est un début.

«  » Lorsque l’enfant était enfant,
il ne savait pas qu’il était enfant,
tout avait une âme pour lui
et toutes les âmes étaient une. » (Peter Handke, L’enfant)

Cet après-midi je propose de revenir encore une fois sur la peinture abstraite en prenant le prétexte des fleurs, une sorte de synthèse si l’on veut à partir des exercices sur Joan Mitchell et Georgia O Keeffe. Il y a quelque chose à apprendre entre l’apparent lâcher-prise et l’apparente rigueur des teintes et des modelés, une sorte d’entre-deux qui est une sorte d’équation à résoudre en ce moment…