Est-ce que ce ne serait pas tout simplement un excès de modestie ? Si je ne relis jamais n’est-ce pas pour respecter celui qui, à l’instant T écrit comme il le peut ce qu’il écrit. Car à se relire il arrive que l’on se corrige. Mais qui est le on de cette histoire si on ne cesse jamais de le corriger, de vouloir le rectifier ?

Et je me demande aussi si modestie est le bon mot. Si cette modestie passerait l’épreuve de l’orgueil. Autrement dit, est-ce que vraiment je suis en mesure croire que je ne me corrige pas parce que ce que j’écris à l’instant où je l’écris est très bien tel que je l’écris. Bien sur que je ne peux pas penser une telle chose. Je ne le peux plus.

S’intéresser à une chose, une seule. Une phrase que l’on écrit, bon exemple. Avais je l’intention d’écrire quelque chose d’important, ou bien n’ayant aucune intention de départ, écrire était-il pour moi une façon d’en attraper une. Et donc j’écrivais sans relâche à la poursuite d’une intention qui n’était pas bien claire, pas très précise, sauf d’avoir l’air d’être une intention. Mais bientôt je me demandais quand je pourrais savoir, si j’en trouvais une, quelle tête pourrait aurait alors cette fameuse intention ? J’essayais plusieurs choses, ou têtes, un vrai jeu de massacre.

L’image de cette machine à écrire, la plupart du temps une Remington, me renvoyait étrangement à une autre image, celle d’une machine à coudre de la marque Singer. Le sentiment général que j’en éprouvais alors se situait quelque part entre la nostalgie et l’apaisement. Peut-être en raison du progrès technologique qui durant ma vie m’a conduit à passer du porte-plume au clavier d’ordinateur à une vitesse qu’avec du recul on peut juger ahurissante, et en même temps ce n’est pas si saugrenu d’établir un lien entre ces deux instruments favorisant l’idée d’un travail « manuel ». De plus si l’on creuse un peu plus ce rapprochement d’idées, la couture n’est pas si loin de ce que nous faisons lorsqu’on désire mettre en forme un livre. D’ailleurs c’est le même mot d’ouvrage qui en résulte.

La notion d’œuvre dans ma vie c’est à dire depuis les années 60 jusqu’à ce jour, remplace la notion d’ouvrage et si je cherche à comprendre pourquoi tout de suite me vient l’idée de la notion d’artiste ayant remplacé celle d’artisan.

J’ai misé beaucoup sur la créativité dès le départ ne voulant pas entendre grand chose de l’apprentissage, du travail à fournir, des traditions que nous sommes sensés suivre pour parvenir à une maîtrise. Je suis donc passé par beaucoup de difficultés et de doutes, risquant de nombreuses fois d’abandonner , de vouloir rentrer dans le rang, mais quelque chose d’impérieux m’en a toujours préservé. Il y a donc une sorte de détermination qui depuis le début ne cesse de me conduire à m’obstiner diront certains. Il fallait que je sache si cette détermination provenait de la vanité, de l’orgueil, d’un absolu manque de confiance en soi, ou bien d’autre chose, un démon, un ange, une force extérieure ou intérieure qui ne voulait pas s’en laisser compter et qui toujours me ramenait à sa propre intention mystérieuse. Puis au bout de mes considérations sur cet attachement à la créativité seule, je basculai soudain, d’abord imperceptiblement, comme un de ces grands arbres que l’on coupe dans les forêts d’Estonie. Puis je m’abattis de tout mon long sur le sol et je restais un long moment immobile.

Il me semble que je suis encore là, étalé et c’est ainsi que je m’étale dans l’écriture, par l’écriture. Est-ce que je vais devenir une table, une chaise, une bibliothèque, une auge, du parquet dans une salle de danse, je ne sais pas. A ce point de mon immobilité tout semble possible.