L’exposition s’est achevée hier soir, lundi 21 mai. J’ai aidé autant que mes jambes le permettaient ; des dizaines de grilles à démonter, à ramener dans le petit local attenant à la nef de l’église. À 19 h, une pluie drue s’est abattue. P. voulait la place de mon véhicule pour décrocher ses toiles. J’en ai profité pour partir.
En marchant sur les grandes marches de verre épais de la nef, en portant les grilles, j’aperçois des ruines en dessous, une pierre très blanche, sans doute du gypse ou du calcaire. Toujours cette impression d’être appelé en passant par ici. Réel ou imaginaire ?
Puis soudain, cette femme qui vient vers moi, E., une élève du cours de R., me dit qu’elle veut ou qu’elle m’a acheté un petit tableau. En y repensant au moment d’écrire ces lignes, je me souviens que, plus jeune, j’utilisais souvent la réalité ainsi comme support à me raconter des histoires abracadabrantes. Ce n’étaient jamais des personnes lambda que je croisais alors mais des créatures d’un autre monde déguisées en êtres humains, mâles ou femelles.
Les femelles m’ont toujours beaucoup plus donné de fil à retordre que les mâles. Il semble qu’elles soient bien plus aptes à sonder les cœurs, les esprits, les âmes que les mâles, plus volontiers adeptes des confrontations directes. Enfin, voici le genre de scénographie campée par mes délires adolescents. Une façon d’aborder le réel qui paraît bien absurde quand j’y pense à différentes périodes de ma vie, mais que je ne suis jamais parvenu à répudier vraiment.
Je m’y prends encore mal avec ce journal. J’essaie encore bien trop de faire de la littérature, comme si je ne pouvais m’empêcher de m’inventer seul des fables afin de me distraire. L’idée de noter les choses telles qu’elles sont, de les lister le plus simplement possible, s’enfuit presque aussitôt que je m’en approche. Comme si une voix me disait : écris ceci et laisse tomber cela.
C’est comme si, au-delà des conversations banales, des gestes sans importance, toute une reconstruction mentale s’opérait, une sorte de traduction simultanée. Avec même un mode d’emploi l’accompagnant afin d’y faire face de manière incognito, sans se faire remarquer. Ce qui me fait songer à cet anonymat que je cherchais tant jadis dans la ville. Ce refuge de l’anonymat. Au moins une fois la porte de ces innombrables chambres d’hôtel refermée derrière moi, rien ni personne ne pouvait plus m’atteindre, me tromper, me trahir, me blesser. Il n’y avait plus que la solitude, cette entité femelle également, avec ses sautes d’humeur, ses lubies, ses hauts et ses bas à tenter d’amadouer.
Encore que l’hystérie ne soit pas réservée au féminin, loin de là, j’ai connu beaucoup d’individus ou d’entités masculines secoués par ce déséquilibre hormonal (?).
Ce qui évidemment me renvoie à cette séance de ouija durant laquelle j’appris avoir été scribe sous je ne sais quel monarque égyptien, en des temps immémoriaux. J’avais alors une telle haine pour toutes ces choses spirites dans lesquelles s’enfonçait progressivement ma mère en même temps que l’alcool, que je n’avais que très peu fait cas de cette soi-disant réminiscence. Et voilà où j’en suis désormais, à me tenir presque toujours à la frontière dans cette sorte de brume propice aux apparitions les plus loufoques, terrifiantes voire merveilleuses.
L’écriture ne m’a jamais servi à autre chose qu’à explorer cette frontière. Je crois même que je ne me sens bien (moi-même vraiment ?) que dans celle-ci, toutes les incartades au-delà m’étant comme interdites.
Hier, en revenant de C., écoute de la proposition 4 de ce second cycle sur la nouvelle. F. a lu quelques paragraphes de Pierre Michon, à propos d’un inventeur de la spéléologie. C’était décortiqué à l’extrême sauf qu’à un moment, je me suis demandé pourquoi il ne parlait pas de l’essentiel. Et juste au moment où je pensais à ça, il lit la dernière phrase d’où surgit le mot scribe. Et là, je comprends à quel point je reste fasciné par F. tout en prenant bien garde de rester à distance.
Ce qui me fait penser que certaines personnes (êtres) peuvent entretenir de très profondes affinités sans avoir besoin de se fréquenter réellement. J’ai mis, je crois, un temps fou à l’accepter. Considérer qu’on n’entretient pas de relation si différente avec les auteurs morts quand on lit leurs ouvrages. Ce qui signifie, au bout du compte, que ni la mort ni la vie ne sont en fin de compte des problèmes. Le courant passe entre émetteur et récepteur sans obstacle. À moins que ce ne soit le fait de se tenir à cette frontière, dans cette sorte de redoute, qui permette cette aptitude.
Enfin, je me fais tant d’idées à partir de rien, me disait-on toujours, rien n’a beaucoup changé. Et si malgré tant d’efforts ça ne change pas, c’est bien que ça m’appartient, que je ne peux rien faire contre cette nature des choses.
Une photographie du festival de Cannes (1983 ou 1984 ?) encore une photo ratée par rapport à ce qu’autrefois je considérais être raté ou réussi. Je l’ai retravaillée avec le tampon de clonage de Gimp, supprimant ainsi tous les parasites dus à l’usure, à la maltraitance de cette bande argentique qui avait glissé hors de sa pochette cristal.