
Avec ou sans enthousiasme — mais sans doute faut-il tester les deux avant d’en saisir toute l’inanité, ou plus modestement, le ridicule — cette nécessité d’aller jusqu’au bout de ce quelque chose que représente le fait de s’asseoir à une table, de s’écarter du monde, d’une temporalité, d’un espace dont on se sentirait poussé à ajouter le terme profane pour se fabriquer une sorte de sacré. Mais ici, sacré et profane valent autant qu’enthousiasme et dépit. Ce ne sont que de vieux mots dont on se sert sans même se souvenir des raisons de leur usage. Quelque chose est dans l’air et dans mon crâne, s’interpellant ainsi elle-même, dans un silence que je pourrais dire apaisant — pour éluder la boucle incessante qui sans cesse advient lorsque cette chose m’inspire le mot silence. Et je n’étais pas parti pour écrire ceci ou cela qu’immédiatement la confrontation surgit : la difficulté d’écrire sur ce malentendu, sur le silence. Ce qui me ramène une fois de plus au texte, à essayer de le relire, non pour me torturer avec je ne sais quelle idée de précision, de justesse ou de justice, mais plutôt pour tendre l’oreille, le corps tout entier à l’affût d’une vibration, d’une onde qui ne s’avère pas facile à capter, encore moins à saisir — bien au contraire, plus je tenterais, plus elle se retirerait, s’enfuirait. Je ne suis pas allé à Vence, non par effort de volonté mais par cette sensation palpable, et donc forcément illusoire, que je n’en avais pas besoin. En ressortant du Musée Matisse, à Nice, refusant de remonter dans le bus numéro cinq et descendant à pied le boulevard Cimier vers le cœur de la ville, je me retournai pour contempler la majesté du Régina. En découvrant que ce que j’avais pris pour des campanules s’avéra être, selon Lens — cette autorité neuve et éphémère sur mon ignorance botanique — des ipomées des Indes, un grand chaos de paix et d’ombres m’envahit, dont je ne prends conscience que maintenant, en l’écrivant. Je ne suis pas allé à Vence voir la chapelle de visu, car les dessins préparatoires, les ébauches, les esquisses, m’avaient déjà mené vers elle. Je l’avais vue sans même éprouver la nécessité d’y mettre les pieds. Une sorte de fraternité d’artiste me rappela soudainement que j’en étais peut-être, que je n’étais pas si étranger. Bref, quelque chose s’est produit sous le soleil et le bleu du ciel, comme une graine que l’oiseau transporte nonchalamment dans son bec ou son caca. Une grande et exténuante paix, c’est-à-dire une émotion faisant table rase de nombreuses émotions bancales. Et dans cette paix surgit le souvenir de la chapelle de Matisse, où chaque ligne, même maladroite, se bat pour atteindre la simplicité et la lumière, où l’ombre se fait complice et non adversaire, ajoutant cette profondeur qui rend l’œuvre plus humaine et plus divine. Et puis, cela rejoint tous les présents à la fin, le présent de ce texte avec ses maladresses, le tremblement du fusain accroché au bout de la perche, tout un chemin de croix, un calvaire, l’arbre de mort et l’arbre de vie face à face en chœur. Mais peut-être que je me fais encore des illusions ; il faut que j’écrive ce genre de phrase, de toute façon, pour conclure, sinon comment pourrais-je entrer dans la journée ?