Le moi est haïssable, c’est entendu. Tellement que ça devient tendance. Sacré Blaise, va.
Mais à force de vouloir s’en passer, on frôle parfois la farce, le théâtre grotesque. Une vraie bouffonnerie.
Le nombre de ceux qui écrivent en traquant la première personne du singulier m’interloque. M’étonne. M’agace. À la longue, m’horripile.
Et cette pseudo-disparition du « je » ne fait souvent que le renforcer — surtout quand on regarde de près ce qui se dit.
« Ai cru bien faire. Verrai si demain pourrai mieux. Ai lu jusqu’au bout, adoré. » Tu parles d’un effacement.
Alors non, je garde mon « je ». N’en déplaise aux ayatollahs de la littérature.
Encore une fois, il y a l’esprit et il y a la lettre. Parfois mal adressée, mal reçue ? Va savoir.
Et parfois, mieux vaut se taire que faire semblant de parler, même si l’on a l’air d’avoir tordu le cou au « je ».
Le « je » reste une zone de turbulence tant qu’on n’a pas traité ce qu’il charrie. Le supprimer ne résout rien. Il faut surtout dissiper la difficulté d’être — et, si possible, y prendre plaisir.
Prendre du recul sur soi, ce n’est pas fuir le moi : c’est tenter de le voir tel qu’il est, non tel qu’on voudrait qu’il soit. C’est une fois vu qu’on commence à voir.
Et si l’on me parle de timidité ? Je rétorque : orgueil mal placé. Rien de plus.
