J’écris ce soir du 27 juin, à publier le 9 juillet. Cette pause dans notre série d’exercices d’écriture quotidienne, qui doit normalement durer 40 jours, est une sorte de récréation. F. se félicite de notre participation magistrale avec un email : 600 textes déjà en à peine 8 jours. Je suis dans mon bureau à l’étage, la fenêtre ouverte sur la cour. Les martinets, ces oiseaux fous qui ne cessent jamais de voler, poussent leurs cris stridents.
Je réfléchis aux bruits de la maison. S. vient d’assister à quelques minutes d’un débat politique télévisé. Un triste spectacle où aucun des prétendants n’a de carrure politique véritable. Ce ne sont que de pathétiques histrions agitant des propos sans teneur pour divertir ou inquiéter le peuple, ce qui revient au même.
De mon côté, j’ai préféré me plonger dans la lecture d’un livre de J.P Dubois. Il débute par une méditation sur la pluie et la montée des eaux, évoquant on peut l’imaginer , l’origine des larmes.
Il y a quelques jours, par hasard, je suis tombé sur la vidéo d’une médium. Elle parlait des fuites d’eau dans les maisons, suggérant que des esprits malheureux pourraient en être la cause. Ces présences pourraient même provoquer une irascibilité soudaine chez les habitants. Est-ce l’esprit d’un ancien propriétaire de la maison ? Je ne sais pas pourquoi j’en ai parlé à M. Elle connaît cette femme capable d’arrêter le feu et l’eau, et même de chasser les fantômes. Je lui ai dit qu’il faudrait qu’elles viennent un mardi, quand S. monte à C. pour voir sa mère. Je doute que S. soit aussi intéressée que moi par les exorcismes. Non, j’en suis certain, cela l’effraie beaucoup trop.
En Haute-Saône, des inondations aussi, les eaux envahissent les maisons, les rivières débordent. Je songe à tous les morts de 14-18, à ceux de la dernière guerre, à tous les massacres perpétrés au nom de quoi -on ne le sait même plus. Je pense aux morts pas contents d’assister éternellement à la même pièce de théâtre, et qui pleurent, se lamentent, sont à l’origine de cette montée des eaux générale.
Cet homme qui tue un père déjà mort. Dans le livre de J.P Dubois, ça me rappelle quelque chose, un acharnement pathétique. Un acharnement dont j’ai pu moi aussi être responsable, faire les frais. Mais quel lien avec la situation actuelle, je ne le sais pas. Impression fugitive : soit on veut tuer ce qui est déjà mort et enterré, soit on veut revivre ce qui n’est jamais venu à l’existant.
En mettant bout à bout ces éléments, j’essaie de leur donner un sens. Peut-être qu’il n’y en a pas. Après tout, c’est juste un exercice d’écriture que je fais tout seul dans mon coin.
Illustration : image d’un dessin automatique d’André Masson. une série de dessins qui m’inspire le contenu du programme de la rentrée prochaine à R. si je suis retenu.
j’ajoute ici un extrait concernant les dessins automatiques d’André Masson rédigé par lui-même :
« […] Devant ce qui précède, plus d’un lecteur sera enclin à penser : mais c’est de l’automatisme, la manifestation de l’inconscient. Point. Car il n’est pas un de ces dessins dont je ne puisse expliquer le symbolisme. Il me serait même facile de discerner pour la plupart d’entre eux une origine. Dans l’un, le souvenir d’un entretien amical sur Bachofen, dans tel autre une variation sur l’horreur du sol où le plumage est pris ; plus loin les fruits d’une méditation sur les emblèmes — à travers l’histoire des hommes — des idées d’envol et de chute, ou bien l’écho d’une conversation à bâtons rompus sur des singularités érotiques, mêlé à des considérations sur l’attirance du gouffre et l’amour des hauteurs. Bref, les résultats d’une culture, et d’un commerce. […]
Il y a plus. La tentative d’une expression de l’inconscient par le truchement du dessin, à l’origine du surréalisme, tendait au document psychiatrique, sans souci esthétique. A tel point qu’il n’était pas nécessaire de savoir, paraît-il, dessiner et encore moins de savoir peindre. Vers 1930, un tournant, comme on le sait : il fut souhaitable de renouer avec l’académisme. Est-il nécessaire de dire que ce ne fut jamais mon penchant (du moins, je l’espère). Au contraire, je crois bien que, pour la capture qui nous occupe, ce n’est pas la maladresse enfantine ou le graphisme idiot du désœuvrement que j’envierai ; et encore moins des minuties d’épileur morose, mais la libre virtuosité d’un Goya ou la longue expérience d’un Hokusaï. […] »
André Masson, Vingt-deux dessins sur le thème du désir, éd. Fourbis, 1992, pp. 10-11.